dimanche 21 mai 2017

Will Eisner a 100 ans

Will Eisner, détail de la page 5 originale de Gerhard Shnobble,
récit n°432 paru le 5 septembre 1948.

Visiter une exposition de bandes dessinées relève du pèlerinage fétichiste. Les pages exposées sont passées par tant de mains, du dessinateur à l’imprimeur, jaunies, raturées, retouchées, annotées, assemblées et contrecollées, mal éclairées pour les altérer le moins possible, qu’on n’y retrouve rarement ce qui nous avait enchanté à leur lecture.
Restent des souvenirs décousus et un espèce d’authenticité, la « main de l’artiste », propre à cristalliser momentanément notre irrépressible besoin d’admiration.

Will Eisner, né en 1917, est mort en 2005.

Eisner était, narcissisme en moins, une sorte d'Albrecht Dürer de la bande dessinée, maitre absolu du dessin et de la mise en scène (en page) d’un récit, devenu théoricien histoire de recenser et rationaliser tout ce qu’il avait inventé dans l’art graphique, et de gagner sa vie pendant les périodes maigres.

Il est surtout renommé pour les aventures du Spirit, qui au long de 645 récits, parus du 2 juin 1940 au 5 octobre 1952, relatent en 7 pages précisément les tribulations inconsistantes et souvent touchantes d’un justicier masqué, sur le ton caricatural du cinéma de genre des années 1930.
Eisner y pratique avec ironie tous les clichés du film noir, les déforme jusqu’au maniérisme, dans une inventivité graphique et narrative permanente et une joyeuse explosion des codes de la bande dessinée.
Il reconnaissait son admiration pour les films expressionnistes de Fritz Lang, les récits insolites d’Ambrose Bierce et l’univers iconoclaste et déstructuré de Krazy Kat, bande dessinée créée par George Herriman en 1913.

Puis le public, et Eisner probablement, se sont lassés du personnage. Alors Eisner pendant 20 ans s’occupera d’illustrations et de pédagogie, théorisant sur les années de créativité passées.


4 exemples de mise en page d’un
récit séquentiel par Will Eisner.


Au cours des années 1970, le milieu culturel indépendant américain, l’Underground, se prenait de passion pour le Spirit au point de le rééditer quasi intégralement et laborieusement (d’abord Warren puis Kitchen Sink)

Ainsi exhumé, Eisner était récompensé en 1975 par le 2ème grand prix du festival international de bande dessinée d’Angoulême (après Franquin en 1974), et à 60 ans, renaissant, il se mettait à publier de longs récits dessinés « sérieux », que la critique nomma « romans graphiques » pour les distinguer des « comics » pour la jeunesse. Il en obtenait de grands succès d’estime. 

Reconnu alors comme un phare dans l’histoire de la bande dessinée, il sera pendant 30 ans couvert d’honneurs et de prix en tout genre, jusqu’à la grande réédition chronologique en 27 volumes des aventures du Spirit (chez DC Comics), à partir de 2000, et dont il ne verra que les 15 premiers numéros.

Aujourd’hui, sous le prétexte du centenaire de sa naissance, le musée de la Bande Dessinée d’Angoulême lui consacre, du 26 janvier au 15 octobre 2017, une riche et complète exposition mal éclairée (certaines étiquettes sont illisibles). Y sont notamment présentées les 7 pages originales de l’histoire mythique de Gerhard Shnobble, abattu par une balle perdue et dont personne ne saura jamais qu’il savait voler, une des histoires préférées de Will Eisner. 


Will Eisner, détail de la page 7 originale de Gerhard Shnobble,
récit n°432 paru le 5 septembre 1948.

Regret : on ne trouve hélas, traduits en français, que des recueils disparates du Spirit, quelques florilèges, et un certain nombre de courtes tentatives d’intégrale laissées à l'abandon. 

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