dimanche 13 février 2022

La vie des cimetières (103)

L’histoire du vivant est un interminable développement erratique, mais ininterrompu, de la bactérie à l’humain. Aussi il n’est pas étonnant que des gestes qui s’apparentent à un comportement funéraire aient été observés chez des animaux, comme le corbeau, le singe bonobo, ou l’éléphant. Dans 500 ans d’imposture scientifique, G. Messadié cite « la naturaliste Daphne Sheldrick, qui rapporte que les éléphants retournent pendant des années sur les restes d’un congénère mort et les couvrent de branchages, ébauche d’un rite funéraire ».

Thierry Ripoll, chercheur et enseignant en psychologie cognitive, sait comment et pourquoi ces comportements rituels rudimentaires se sont développés en de délirantes fabulations dans le cerveau humain. Il a rassemblé et savamment commenté les connaissances en la matière dans un livre limpide paru fin 2020 « Pourquoi croit-on ? Psychologie des croyances ».

Il y distingue dans le cerveau un système intuitif, archaïque, émotionnel et affectif, spontané, économe en énergie, usant de certitudes profondément ancrées, et un système analytique, apparu sans doute tardivement avec le langage, lent, non spontané, prodigue en énergie et fonctionnant par raisonnements logiques. Ripoll n’a pas inventé ces deux modes de pensée, les auteurs et les expériences qui attestent de leur existence pullulent. 

Le système intuitif est le circuit par défaut. Prioritaire, il est employé par réflexe. C’est le vieux système instinctif, qui ne s’embarrasse pas à calculer l’angle de fuite optimal lorsqu'il voit qu’il peut compter les caries dentaires du tigre. Il ne s’encombre pas des questions de logique, trop complexes. Il a ses propres réponses, qui remontent à un passé lointain, souvenirs personnels ou ancestraux, réponses fondées sur une vision simplifiée du monde imitée de ce qu’il perçoit de son propre fonctionnement. Il masque les apparentes incohérences de la réalité par des interprétations imaginaires qui n’ont pour objectif que de se rassurer, de dissiper les angoisses.
D'après l'auteur c'est l’état normal du psychisme humain de croire instinctivement qu’il y a deux mondes distincts, l'esprit immatériel qui pilote et le corps qui exécute, et que le monde matériel ne fonctionne pas de manière aléatoire mais dirigé par des volontés invisibles. 

Le système analytique de son côté est un truc récent assez expérimental, que le cerveau n’utilise que s’il a des loisirs et le temps de réfléchir ; il le sollicite le moins possible parce qu’il consomme beaucoup d’énergie et n’arrête pas de se poser des questions qui remettent en cause les convictions du système intuitif, sans apporter de réelles certitudes, ce qui ne fait qu’ajouter au stress.


Il y a une vie après la mort, c'est ce que démontre cette installation dans une galerie du cimetière monumental Staglieno à Gênes, en Italie. Les défunts attendent dans de confortables casiers capitonnés. À l ‘appel de leur nom - impossible de frauder, leur identité est vérifiée sur le couvercle du casier - ils descendent les quelques degrés de l’échelle qui s’est automatiquement positionnée sous leur casier et gravissent les marches de l’escalier mobile d’embarquement déjà en position sous un hublot. Là, ils attendent sur la plateforme le prochain départ vers l’au-delà. Les vols sont réguliers.

Quand le système analytique apprend par exemple que la vie est l’association coordonnée d’un ensemble de molécules et qu’elle disparait quand il se désorganise et s’éparpille, on comprend que le système intuitif en soit froissé, lui qui promet à tous la survie, malgré la mort, d'un ectoplasme personnalisé et surnaturel qu’il appelle l’âme, fondement de toutes les croyances religieuses et de nombreux rituels funéraires. 

C’est pourquoi, explique M. Ripoll, presque tous les humains (aujourd'hui 85%) croient, sans qu’on n'ait jamais pu le constater ni l’expérimenter, en un autre monde, meilleur évidemment, car cette croyance est pour eux le plus efficace des médicaments anxiolytiques, remède si puissant que ne sont pas rares les conversions religieuses soudaines et instantanées de mécréants notoires, après un stress violent ou au seuil de la mort, quand le système intuitif reprend les commandes.
Et l’auteur d’ajouter qu’il est inutile d'essayer de contredire des croyances infondées à coups d’arguments raisonnables ; le cerveau, confronté aux incohérences cachées sous le tapis, sent son système de défense compromis et abandonne alors dans la panique toutes les manettes à l'antique circuit instinctif, qui est prêt à n'importe quoi pour recouvrer sa sérénité.     

***
On trouve sur internet pas mal d’interventions de Thierry Ripoll depuis la sortie de son livre. Deux au moins d’entre elles donnent un bon aperçu de son contenu, en janvier 2021 sur la chaine Youtube Philoscience (durée 1h28) et en novembre de la même année aux Journées de l’esprit critique d’Angoulême (durée 1h01). Elles peuvent être écoutées sans regarder bêtement l’écran où il ne se passe presque rien.
 

Aucun commentaire :