"Au Louvre, oui oui, vous avez un café, en bas, sous la pyramide, vous pouvez boire un verre sans être obligé de visiter, si si, c'est très bien fait."
JM. Gourio - Nouvelles brèves de comptoir
C’était en juillet dernier. Passant par Paris un soir, parmi les fusées, les flammes, les cris et les pétarades, vous vous réjouissiez du retour des trois glorieuses, de la fin du petit monarque et de ses abus de pouvoir. Hélas ça n’était que l’annonce des jeux du cirque. Chaleur, bière, chauvinisme, la France allait cesser de penser, et la planète également, pour quelques semaines.
Profitons donc de cette léthargie pour dire vite fait du mal des grandes illusions humaines : aujourd’hui, la Liberté.
Si Ce Glob avait encore un lectorat, celui-ci aurait remarqué que notre chronique de juillet sur les incessantes restaurations du Louvre avait omis, dans sa revue des tableaux rénovés, le monumental pensum de Delacroix, "Le 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple ou La barricade", 10 mètres carrés avec cadre. Il sort en effet du pressing et a rejoint, depuis le printemps, les grandes toiles lugubres de l’histoire de France dans la galerie du romantisme, salle 700 de l’aile Denon.
L’opération a été décrite par le musée dans un communiqué de presse (PDF de 311ko) d’un lyrisme approprié aux grands mots creux de la République.
Il nous raconte que c’est le tableau le plus célèbre du musée après la Joconde, qu’on y retrouve la palette tenue et subtile de Delacroix (il parle même de son génie chromatique, jugez-en sur l’illustration ci-dessous !), que c’est à la fois une peinture d’histoire et une allégorie, agrémentée de scènes de genre, de portraits, de natures mortes (les cadavres ?) et d’un paysage urbain (il oublie le nu), que le résultat est magistral d’équilibre et de maîtrise, et que les bizarres taches de jaune d’or éparpillées sur la robe évoquent le caractère allégorique, quasi divin, de la Liberté.
On ne saurait exprimer plus d’enthousiasme sans paraitre légèrement insincère.
Si vous acceptez le conseil d’un vieux blog déserté, restez-en aux louanges du communiqué de presse, et passez plutôt voir la peinture hollandaise ou française du 17ème siècle.
Si malgré tout vous tenez à vérifier sur place la palette subtile du génie chromatique, vous reconnaitrez aisément le tableau dans la longue galerie de l’aile Denon, sous son immense verrière à 12 mètres d’altitude, il se distingue essentiellement des autres tartines bitumées, chaotiques et sinistres de l'époque, par son drapeau bleu blanc rouge ; vous ne pouvez pas le rater, "contrairement à l’auteur" aurait persifflé Tristan Bernard*.
Vous vous exclamerez alors (intérieurement) "Y a-t-il une différence ? Est-il vraiment restauré ?" En effet, et c’est un cas rare parmi les tableaux rénovés : ici, avant ou après, les deux sont aussi moches. L’effet de pouding indigeste demeure**. On sait que les tableaux de Delacroix, peints à la hussarde, devenaient des "bouillies brunes" de son vivant même, témoignait Jacques-Émile Blanche. Et l’aspect crayeux des blancs et des gris donne maintenant à la scène un petit côté inauthentique (d’accord, c’est une remarque inspirée par la mauvaise foi, cependant, alors qu'on pomponne l'effigie de la Liberté, on renforce furtivement un système de surveillance et de répression qui emprisonne petit à petit le peu qu'il reste de ce qu'elle est censée glorifier).
Pourquoi les peintres qui illustrent des évènements historiques, même inspirés par des intentions humanitaires et spontanément - sans commande de l’État*** - en font-ils systématiquement une bouillie grandiloquente et immangeable, gavée de poncifs ?
Gonflement du liquide dans les tissus, hydrocéphalie, macrocéphalie, agueusie peut-être ? Cela reste un mystère que les sciences de la santé, vu les moyens financiers qu’elles drainent aujourd’hui, décrypteront assurément un jour prochain.
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* On connait le mot de Tristan Bernard, presque trop beau pour être vrai, qui aurait répliqué à un ami arrivant en retard au théâtre et regrettant d’avoir raté le premier acte : "Rassurez-vous, l’auteur également".
** Une mystérieuse source non officielle au Louvre a mis en ligne une photo en haute définition (31Mo, 80Mpixels) dont le contraste et les couleurs semblent très accentuées comparées à la photo officielle du musée (notre illustration). À vérifier sur place par qui en aura le courage.
*** Delacroix ne s’est pas lancé dans une opération de 4 ou 5 mois sur 8,5 mètres carrés sans penser le vendre à l’État, qui l’achetait effectivement l’année suivante pour une somme décevante, 3000F (≈ 10 000€ actuels) quand Delacroix en espérait 10 000F (le catalogue des collections du Louvre retrace en détail l’histoire mouvementée de cette Liberté).