jeudi 23 janvier 2020

Deux garçons avec une vessie



« Deux garçons se disputant un ballon (en vessie de porc) », reproduit ci-dessus, était le numéro 15 d’un ensemble de 108 chefs-d’œuvre du peintre Joseph Wright, de Derby (au nord de Birmingham dans les Midlands anglaises), exposés en 1990 à l’occasion d’une mémorable rétrospective à la Tate gallery de Londres, puis au Grand palais de Paris, et au Metropolitan museum de New York.
D’autres scènes d’enfants avec un ballon éclairées à la bougie, peintes par Wright vers 1769, étaient alors connues, dit le catalogue de l’exposition, mais aucune n’avait la singulière étrangeté de ce numéro 15.

Nombre d’amateurs d’art découvrirent alors Wright of Derby, à peine connu hors d’Angleterre. Sa touche onctueuse, ses paysages nocturnes, ses clairs-obscurs spectaculaires, l’originalité de son inspiration scientifique, les émerveillèrent.

Près de 30 ans plus tard, dans une ferme des Midlands, les propriétaires d’un tableau acheté par leurs ancêtres, qui figure deux enfants dont l'un gonfle un ballon, éclairés par une bougie, décidaient de le faire nettoyer. Le restaurateur, curieux, demandait l’expertise d’une galerie londonienne qui l’achetait illico pour le revendre en mars 2019 à la grande foire d’art européen de Maastricht, attribué sans surprise à Joseph Wright of Derby.

On ne sait pas le montant versé aux propriétaires des Midlands, mais on connait parfaitement la somme faramineuse que déboursera le candidat acquéreur, le musée Getty de Los Angeles, si la vente hors d'Angleterre est autorisée, car le tableau, dorénavant qualifié de trésor national, a fait l’objet d’une interdiction temporaire d’exportation, le temps que les institutions britanniques tentent de réunir 4 millions de livres sterling (5,2 M$), taxes comprises, nécessaires à la préemption.

En octobre 2019 la ministre anglaise des Arts publiait un appel pour trouver un acheteur au Royaume-uni et ainsi garder le tableau dans le pays où il a été peint (et cependant oublié).
Le musée Joseph Wright, à Derby, qui héberge déjà une trentaine de tableaux du peintre, parmi les plus beaux, a regretté que le musée n’ait plus, comme la plupart des musées anglais aujourd'hui, les moyens de tels achats, mais s'est réjoui que l’acheteur soit un musée américain qui promet d’exposer le tableau en public (le musée Getty possède déjà deux tableaux de Wright et n’en expose actuellement qu’un).
  
Le 16 janvier 2020, le délai légal écoulé, l’autorisation d’exportation était délivrée pour le tableau, reproduit ci-dessous, mesurant 73 centimètres par 93, peint vers 1769 par Joseph Wright of Derby, peintre anglais, et intitulé «  Two boys with a bladder (deux garçons avec une vessie) ».



jeudi 16 janvier 2020

2019, 2020, tout augmente

Il y a 500 ans déjà, dans les médias, l’avenir de l’humanité ne se présentait pas sous un jour très favorable. Ci-dessus le témoignage de Jérôme Bosch dans son jardin des délices (Madrid, musée du Prado).


Comme chaque année depuis 1989, le film de l’année 2019, celui qui mériterait d’emporter toutes les récompenses, les césars, les palmes d'or, c’est le zapping de l’année télévisuelle, minutieusement assemblé par Patrick Menais.
C’est sa 30ème édition (2016 manque, c’était l’année de son licenciement de Canal+).
Pour des raisons juridiques, le zapping s’appelle maintenant VU. « VU 2019, le VU de l’année » est diffusé sans frais jusqu’au 3 février 2020 sur le site France.tv. Les années précédentes de VU, 2017 et 2018, sont encore plus ou moins disponibles, ici et (prévoir 4h par année).

On y voit donc ce que la télévision française a montré d’un an de notre vie sur la planète. L’ingénieux Menais en a reclassé des centaines d’extraits à sa manière, et leur confrontation donne aux évènements une perspective singulière. Il en ressort une sorte de farce ironique, grinçante, noire.

Certains diront qu’ils n’y ont rien vu de nouveau, que le scénario et les idées fixes de Menais sont les mêmes depuis 30 ans, et qu’on y serine des sujets qui nous ont été chantés sur tous les tons à longueur d’année. Évidemment. Menais peint une fresque sur l’espèce humaine. Elle n’évolue pas, ou peu, à l’échelle d’une génération, mais il faut être juste, elle se surpasse d’année en année.
Et en 2019, certaines performances ont pulvérisé tous les records.

À commencer par un record dont tout le monde scientifique admet maintenant qu’il est un résultat des actions humaines, le record absolu de température en France, le 28 juin à 16h20.
45,9°C, presque 2 degrés de plus que le précédent record de 2003, couronnement d’une année riche en catastrophes climatiques, déluges, inondations et gigantesques incendies de forêt. Toutes choses si spectaculaires et hypnotiques qui font de l’actualité une superproduction hollywoodienne, avec une différence appréciable néanmoins, car dans les « films catastrophe » quelque héros désintéressé parvient toujours à sauver l’espèce humaine.
Sur ce point, l’inaction des gouvernements a atteint en 2019 des hauteurs inégalées.

Autre record presque absolu, les dividendes distribués aux spéculateurs actionnaires des grandes multinationales ont dépassé cette année ceux d’avant la crise financière de 2008, et la concentration de la richesse et donc du pouvoir s’en trouve renforcée et déshinibée, à l’image de cette dérisoire secrétaire d’État qui joue de sa position pour participer à des émissions populistes et populaires, et bénéficier de ce vedettariat pour promouvoir ses livres.

Et puis, prouesse sans précédent, la police n’avait jamais arraché impunément autant de mains ni crevé autant d’yeux de manifestants et de grévistes depuis longtemps, et c’est stupéfiant de voir sur ces vidéos trop furtives ce métier exercé avec un plaisir si manifeste à détruire anonymement ses congénères et avec la bénédiction des éditorialistes, des ministres et du président.

Finalement, une année plutôt réussie pour la télévision.
Que lui manque-t-il ? Le tir à balle réelle de la police sur des manifestants pacifiques, un accident nucléaire catastrophique qui contamine irrémédiablement tout une région dans le parfait silence des autorités ?
N’oublions pas qu'une attraction extraordinaire au cœur de Paris en avril, cette cathédrale qui s’effondrait sous les flammes, a diffusé sur la capitale, en même temps que les images d’un spectacle exceptionnel comme un don du ciel médiatique, environ 400 tonnes de plomb en fumée, soit 4 fois les émissions françaises d’une année en quelques heures seulement.

Alors ne soyons pas impatients, tout est prêt pour que le pire survienne.
Et il est bon d’en garder un peu en réserve pour que soit encore plus palpitant le zapping de 2020, et des années suivantes tant que la télévision fonctionnera.

mercredi 8 janvier 2020

Histoire sans paroles (34)


Orcival, en Auvergne, un toponyme qui tinte doucement, comme une clochette, la vallée de la source, peut-être, ou vallée de l’ours, et une histoire somme toute assez commune ; une relique de la Vierge en personne, parait-il, une statue reliquaire de bois, couverte d’argent et d’or, un pèlerinage assez populaire pour construire en écrin une magnifique église à flanc de colline, romane vu l’époque.
Six siècles plus tard, 1789, le grand village traverse l’Histoire sans dommages, mais devient peu à peu un petit bourg, une localité lit-on parfois, un endroit. Restent un pèlerinage annuel au printemps, pour les fêtes de l’Ascension, et une description complète de l’église, savante et surannée, sur un site du ministère de la Culture.


mercredi 1 janvier 2020

Billet suisse

En hommage à Étienne Dumont, trois activités sur le lac Léman par François Bocion (1828-1890), vrai peintre suisse. La pêche, la promenade vespérale et le dragage. La pêche vient de changer de main pour 41 000 euros à Niort.


Vous rêviez d’une information à jour, sérieuse et documentée sur les expositions, les musées, le monde de l’art, mais filtrée par un regard critique qui ferait preuve d’une certaine hauteur de vue et d’indépendance d’esprit ?

Ne cherchez plus. On ne trouve ça qu’en Suisse. C’est le blog d’Étienne Dumont, journaliste retraité, hébergé sur le site de Bilan.ch.
Un ou deux billets tous les jours, centrés sur la Suisse, certes, mais avec beaucoup d’actualités françaises, et aussi italiennes, allemandes, anglaises. Dumont voyage beaucoup.

Toujours érudit mais concis, ironique mais limpide. Essayez son billet récent sur la non-vente du panneau de Cimabue, par exemple.

Cimabue [prononcé Tchi ma bouée] est le grand-père de la peinture de la Renaissance en Italie. Alors quand on déniche une des ses œuvres, ce qui est rarissime, c’est dans le grenier ou la cuisine d’une vieille dame qui la prenait pour une icône byzantine sans valeur sur laquelle le petit neveu s’entrainait aux fléchettes.
C’est ce qui vient d’arriver à Compiègne. Disputée aux enchères jusqu’à 24 millions d’euros, la réalisation de la vente est suspendue à une préemption de l’État français qui a deux ans et demi pour réunir la somme ou se désister.
En attendant les héritiers de la vieille dame, modestes, devront régler plus de 100 000 euros d’assurance annuelle et peut-être quelques millions au fisc.

Lire les détails de cette aventure croquignolesque sous la plume d’Étienne Dumont est un plaisir. Il est étonnant qu’un site Suisse qui traite d’économie diffuse ces petits joyaux quotidiens sans les enfermer au fond d’un coffre réservé aux abonnés payants. Ça viendra certainement.

En attendant profitons-en.

Pratique : la Suisse n'a pas encore découvert les flux RSS (Réellement Simple Syndication), et l'abonnement par e-mail aux blogs d'opinion de Bilan.ch incluant les billets de Dumont, Newsletter, ne fonctionne pas, ce qui oblige à visiter cette adresse du blog tous les jours !