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mercredi 25 juin 2025

Ce monde est disparu (20)

François Bocion (1828-1890), Partie de pêche au large de Dorigny (près de Lausanne, sur le lac Léman), 1859, huile sur toile, 74,5 x 108 cm.



La science moderne affirme qu’elle sait, depuis une centaine d'années qu’elle manipule l’atome, réaliser ce rêve des alchimistes, transformer le plomb en or. Mais elle ajoute que la dépense en énergie nécessaire à l’opération est infiniment plus couteuse que le prix de l’or ainsi créé.


La finance, plus maligne, a trouvé le moyen de transformer l’or en plus d’or - en réalité, en or plus cher - sans augmentation de poids ni dépense déraisonnable d’énergie. Elle s’arrange pour faire fluctuer les prix du marché et raconte partout que l'or est une valeur refuge, dont le prix faiblit rarement et s'envole toujours en période de criseÇa n’est pas très scientifique, mais ça fonctionne. En 25 ans le prix de l’or a augmenté de 850% (multiplié par 9,5), et comme les incertitudes climatiques, économiques et militaires s'intensifient d'année en annéele prix de l’or ne cesse d’augmenter : 163% de juin 2019 à juin 2025 (x 2,63).


La Suisse discrètement, industrieuse et appliquée, a amélioré les méthodes de la finance en inventant François Bocion. Vous en avez sans doute peu entendu parler. C’était un sympathique peintre suisse, discret, calme et appliqué. 

Il n’a peint que des promenades lénifiantes sur les rives du lac Léman, ou sur le lac, d’une manière réaliste et avec une touche proche de celle de Corot. Des paysages calmes et appliqués. Rien de bien excitant.

Respecté par ses pairs et apprécié par les collectionneurs anglais, il n'est jamais devenu riche. Il reste néanmoins estimé par le marché de l’art, surtout suisse.


Entre juin 2019 et juin 2025, cette scène de pêche sur le Léman en illustration, classique, agréable mais pas renversante, gagnait 380% sur le marché ! 

Le quidam qui l’avait achetée 41 000 euros chez Deux-Sèvres Enchères, à Niort en juin 2019, vient de s’en débarrasser chez Piguet à Genève contre 216 000 francs suisses (il n’en touchera que 170 000, frais et taxes déduits). 


Tout cela converti et actualisé représente donc une hausse de 380%, dans un temps où l’or n'aura gagné que 163%.

Alors n’hésitez pas, achetez de la peinture suisse. En plus c’est joli sur un mur.


mercredi 1 janvier 2020

Billet suisse

En hommage à Étienne Dumont, trois activités sur le lac Léman par François Bocion (1828-1890), vrai peintre suisse. La pêche, la promenade vespérale et le dragage. La pêche vient de changer de main pour 41 000 euros à Niort.


Vous rêviez d’une information à jour, sérieuse et documentée sur les expositions, les musées, le monde de l’art, mais filtrée par un regard critique qui ferait preuve d’une certaine hauteur de vue et d’indépendance d’esprit ?

Ne cherchez plus. On ne trouve ça qu’en Suisse. C’est le blog d’Étienne Dumont, journaliste retraité, hébergé sur le site de Bilan.ch.
Un ou deux billets tous les jours, centrés sur la Suisse, certes, mais avec beaucoup d’actualités françaises, et aussi italiennes, allemandes, anglaises. Dumont voyage beaucoup.

Toujours érudit mais concis, ironique mais limpide. Essayez son billet récent sur la non-vente du panneau de Cimabue, par exemple.

Cimabue [prononcé Tchi ma bouée] est le grand-père de la peinture de la Renaissance en Italie. Alors quand on déniche une des ses œuvres, ce qui est rarissime, c’est dans le grenier ou la cuisine d’une vieille dame qui la prenait pour une icône byzantine sans valeur sur laquelle le petit neveu s’entrainait aux fléchettes.
C’est ce qui vient d’arriver à Compiègne. Disputée aux enchères jusqu’à 24 millions d’euros, la réalisation de la vente est suspendue à une préemption de l’État français qui a deux ans et demi pour réunir la somme ou se désister.
En attendant les héritiers de la vieille dame, modestes, devront régler plus de 100 000 euros d’assurance annuelle et peut-être quelques millions au fisc.

Lire les détails de cette aventure croquignolesque sous la plume d’Étienne Dumont est un plaisir. Il est étonnant qu’un site Suisse qui traite d’économie diffuse ces petits joyaux quotidiens sans les enfermer au fond d’un coffre réservé aux abonnés payants. Ça viendra certainement.

En attendant profitons-en.

Pratique : la Suisse n'a pas encore découvert les flux RSS (Réellement Simple Syndication), et l'abonnement par e-mail aux blogs d'opinion de Bilan.ch incluant les billets de Dumont, Newsletter, ne fonctionne pas, ce qui oblige à visiter cette adresse du blog tous les jours !

vendredi 17 août 2018

Nuages (44)

Pline l’ancien, avocat, procurateur, amiral, conseiller de l’empereur Vespasien, aura néanmoins trouvé le temps de compiler, de ses lectures, les connaissances scientifiques et techniques de son temps dans un énorme annuaire en 37 livres (3000 pages au format ePub) qu’il appela « Histoire naturelle » (Naturalis Historia, en latin) ; une énumération consciencieuse et chiffrée. Un travail de Romain.

On y découvre par exemple que « Chez l'homme, la longueur est la même depuis les pieds jusqu'à la tête que d'une main à l'autre […]. Le côté droit est plus fort que le gauche ; chez quelques-uns les deux côtés sont également forts ; chez d'autres c'est le côté gauche qui prédomine, ce qu'on n'observe jamais chez les femmes. » (*)

Sur le sujet des nuages, l’Ancien est indécis. Pour lui, ils sont créés dans un tourbillon cosmique (un peu confus) de la nature contre elle-même. « Ainsi la nature a des mouvements alternatifs, le monde est emporté avec une grande vitesse comme par une machine de guerre, et la discorde s'en accroît. Nulle pause n'est possible dans le combat, mais une rotation perpétuelle l'entraîne, et montre successivement à la terre la sphère infinie où siègent les causes des choses. Parfois même, en interposant les nuages, elle jette au-devant du ciel un autre ciel ; c'est le royaume des vents. »

Mais il reconnait que des nuages plus modestement terre-à-terre peuvent naitre de l’humidité. «  Je ne nierai pas qu'indépendamment de ces causes, il se forme de la pluie et du vent ; car il est certain que la terre exhale des brouillards, […] et qu’il se forme des nuages, soit par la sublimation de l'humidité, soit par la condensation de l'air en eau. »

Quant à mesurer leur distance précise, il estime que ce serait perte de temps. « Plusieurs auteurs ont rapporté que les nuages s'élèvent à une hauteur de 900 stades [166 km]. Ces choses sont ignorées et insolubles ; mais il faut en parler, parce qu'on en a parlé. Dans ces problèmes l'argumentation géométrique est la seule qui ne trompe jamais, et à laquelle il faut recourir si l'on se complait à aller plus loin dans ces recherches, sans toutefois songer à mesurer de pareilles dimensions (le vouloir serait user de son loisir avec folie), mais en se bornant à des évaluations approximatives. »



L’Histoire naturelle était le Quid de l’époque. Aujourd’hui les jeunes ne connaissent pas le Quid, cette énumération de tous les records et de toutes les vanités, qui nous rassurait en nous persuadant que tout le savoir du monde tenait dans un gros livre de 5 kilos (**). Le tranquillisant était renouvelé annuellement, de 1963 à 2007.
Il a été emporté, comme l’Histoire naturelle et comme tant d’autres sous les cendres de l’encyclopédie en ligne Wikipedia, qui tient seulement dans un petit appareil de 100 grammes (et accessoirement dans quelques milliers de serveurs informatiques nettement plus lourds).

Mais où qu’elle se trouve, une encyclopédie ne contiendra jamais que des connaissances passées, dépassées.
Ainsi Pline ne vante du Vésuve que les flancs couverts de vignobles renommés. Il ne peut pas savoir que quelques mois après la publication de son Histoire naturelle, ces pentes seront recouvertes de cendres et qu’il y trouvera alors, asphyxié, sa propre mort, sur la plage de Stabies près de Pompéï.

Il avait conclu le dernier livre de son Histoire naturelle par ces mots « Salut, Nature, mère de toutes choses, et daigne m'être favorable, moi qui seul entre tous les Romains, t'ai complètement célébrée. »

***
(*) Les traductions du latin sont d’Émile Littré vers 1835. 
(**)  Les auteurs auraient d’ailleurs dû l’appeler Quot (Combien) plutôt que Quid (Quoi).

dimanche 25 octobre 2015

Mais pourquoi tant de haine ?

Mark Antokolski, Socrate mourant, 1875, parc municipal de Lugano, Suisse.


Mark Antokolski était un sculpteur lituanien de la fin du 19ème siècle, donc russe, et croyant aux idéaux du naturalisme ou du vérisme, bref du réalisme.

Ainsi quand il décida de représenter la mort de Socrate, sujet émouvant qui avait inspiré tant d’artistes avant lui, au lieu de l’imaginer traditionnellement buvant la cigüe dans une grande scène théâtrale où le philosophe entouré de ses amis en larmes désignerait le ciel d’un geste grandiloquent, il choisit de le représenter mort, avachi comme un ivrogne endormi, et seul.

Il exposa le résultat à Paris en 1878, en obtint un succès certain, une médaille d’or et quelques commandes. Le marbre original est au Musée russe de Saint-Pétersbourg, et une des répliques qu’il en fit repose aujourd’hui à l’ombre d’un bosquet dans le parc municipal de Lugano, offerte à la ville par la famille de l’acquéreur en 1917.

En 1881, Antokolski qui décidément aimait à déshonorer les plus grands philosophes représentait Baruch Spinoza comme une vieille femme impotente et transie.

dimanche 26 janvier 2014

Vallotton et les nombres

Vallotton, Poivrons 1915 (détail), Kunstmuseum Solothurn (Suisse)

À Paris, les portes du Grand Palais se sont fermées sur l'exposition rétrospective du peintre franco-suisse Félix Vallotton.
Les organisateurs se déclarent forcément satisfaits de la fréquentation. 308 000 visiteurs, trois fois moins que Claude Monet, deux fois et demi moins que Salvador Dalí ou Edward Hopper, mais moitié plus que Jean-Léon Gérôme.

Malgré ce demi-insuccès, les visiteurs interrogés témoignent de conditions pénibles, de salles surpeuplées. On parle de 3166 visites par jour, ce qui fait (en comptant 2 heures par client et 10 heures d'ouverture par jour) 500 à 1000 personnes simultanément, c'est à dire 3 à 10 en permanence devant chaque tableau. Les plus beaux étaient souvent inaccessibles. Seul était satisfait le visiteur qui avait le privilège de faire l'ouverture, passait assez rapidement les premières salles puis s'efforçait de ne pas se faire rattraper par le raz-de-marée des moins fortunés.

Par ailleurs le contenu de l'exposition, décevant, n'était pas à la hauteur de la qualité du peintre. Au lieu d'adopter la méthode sage et éprouvée de l'exposition chronologique de l'œuvre, le parti pris était de subdiviser Vallotton à travers dix thèmes abstraits et hétéroclites. Et pour équilibrer chaque concept, on a fait entrer de force des choses sans intérêt dans les thèmes déficients et en contrepartie exclu des toiles majeures des thèmes les plus riches.

Résultat, un catalogue désolant, où les grands nus caoutchouteux et les délirantes scènes mythologiques ont pris la place des magnifiques paysages épurés qui marquent les vingt dernières années de la vie de Vallotton, et qui étaient ici assez rares.

En résumé, une bien belle exposition à ne pas rater.

samedi 17 mars 2012

Nouvelles du monde en vrac

Tandis que, langue pendante et remuant la queue, les Français sont essentiellement affairés à se choisir un nouveau maitre, des évènements fondamentaux s'obstinent à survenir, un peu n'importe où, et ils sont parfois le résultat d'erreurs humaines.

En Allemagne, la nation est en deuil. Til, le petit lapin né sans oreilles, devait être exhibé lors d'une conférence de presse. L'homme de l'art venu le filmer lui a marché dessus par erreur. Il sera certainement empaillé. La Fontaine ou Anouilh en auraient fait une fable.


En Suisse, au Centre de Recherche Nucléaire, une connexion mal fichue entre le système de positionnement et un ordinateur était responsable de ce qui aurait pu être un bouleversement scientifique. Des neutrinos dépassaient la vitesse de la lumière dans le vide
. Albert Einstein aux orties. Finalement les scientifiques reconnaissent timidement l'erreur, compensée en partie, disent-ils, par une autre erreur, histoire de faire encore de longues vérifications, le temps d'oublier cette étourderie.

En Suède, où la liberté de penser est vénérée, on officialise les religions à la pelle. Paganisme, Christianisme, Scientologie sont des religions officiellement reconnues avec une vingtaine d'autres. Elles acquièrent ainsi respectabilité, protection juridique, avantages fiscaux, subventions.
Considérant, avec la science contemporaine, que la vie n'existe que par un processus de reproduction de l'information (l'ADN) et en concluant que l'information est sacrée et la copie un sacrement, une nouvelle religion, l'église missionnaire du Kopimisme, vient d'obtenir de l'administration suédoise le statut de religion officielle.La nouvelle religion nie toute filiation avec le Parti Pirate suédois dont elle partage néanmoins les idéaux. Le sens de la vie est de copier, mixer éventuellement, et distribuer librement l'information. C'est son Credo. Kopimisme vient de l'anglais «Copy me - Copiez-moi» (*).

On le voit, l'actualité ne manque pas d'éventualités qui se sont réalisées.


Toute religion est admise en Suède, mais il faut un nombre minimum d’adhérents pour devenir un culte certifié. On ne dénombre pas encore assez d'adorateurs du crabe géant, qui n'a pourtant pas démérité. Contrairement aux prophètes des religions monothéistes, on le trouve dans tous les musées d'histoire naturelle. Ici dans celui de Gênes en Italie.

***
(*) Ce Glob est Plat qui milite depuis des années pour la diffusion libre de l'information ajoute à son habituel message de reproduction autorisée (colonne de droite) la marque de son respect pour cette nouvelle religion, en reproduisant (vaguement) son logo.

samedi 11 décembre 2010

Correspondances




La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Correspondances (première strophe),
de Charles Baudelaire, dans Les fleurs du mal.


La poésie est une chose parfois assez confuse.
C'est ce qui la rend plus évocatrice, dit-on, et c'est sa fonction.
Sans doute.

L'arbre trône dans le parc de la Fondation de l'Hermitage, à Lausanne. Les colonnes reposent sous les tribunes de l'amphithéâtre de Pozzuoli, près de Naples.

samedi 14 juin 2008

La porte de Lugano

Il est malaisé d'expliquer ce qui fascine dans la vue d'une porte qui n'isole rien de particulier et qui ne donne sur rien d'autre, dans la vue de ces choses inutiles ou absurdes qui prennent une dimension métaphysique dès qu'elles deviennent un peu monumentales.
Ce portail fantôme, vain décor d'un débarcadère de théâtre, dans le jardin public de Lugano en Suisse italienne, fait penser à la porte incongrue de Font-d'Hurle qui déroutait Vialatte dans une magnifique chronique de 1955 *, ou à Christo quand il emballe soigneusement les édifices les plus volumineux.

C'est ce léger vertige qu'on ressent dans l'observation de la réalité lorsqu'elle prend une apparence irrationnelle.


* Les portes de la Solitude sont des portes monumentales... Il y en a une à Font-d'Hurle (c'est un haut plateau, dans le Vercors) ; elle est en bois, à claire-voie, longue, basse, encastrée dans rien. Il n'y a rien à droite, rien à gauche, pas un mur, pas un fil de fer, rien par-devant, rien par-derrière, si loin que s'étende la vue ; seulement cette inscription grandiose : «Prière aux visiteurs de refermer derrière eux.» On ne saurait mieux dire à l'homme que, d'où qu'il vienne et où qu'il aille, il ne peut jamais ouvrir ou fermer que sur soi. Et ce qu'il y a de plus paradoxal, c'est que, précisément parce que c ' est inutile (ou alors pourquoi ?... je ne sais pas), on se donne la peine de passer par la porte (Kafka en eût fait dix volumes), d'entrer dans un endroit où l'on se tient déjà !
Alexandre Vialatte, extrait de «Mgr Sahara par rené Dupuy», chronique de La Montagne, 22 décembre 1955.