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lundi 16 juin 2025

Et le triptyque de Moulins, dans tout ça ?

La sacristie, sur le flanc nord de la cathédrale de Moulins, point de départ et destination finale du périple du triptyque.
Comme on le lira plus loin, il faudra encore quelques mois de patience avant d’espérer voir des reproductions correctes du tableau de Jean Hey, et comprendre peut-être enfin pourquoi Ce Blog parle tant de ces trois malheureux bouts de bois. En attendant remémorons-nous la manière du peintre avec cette belle reproduction d'une Annonciation conservée à Chicago par l’Art Institute.
 
 

On ne lit pas assez le journalisme de préfecture, les quotidiens régionaux. On soupçonne qu’il ne s’y passe que des débuts d’incendie, des refus de priorité, parfois un ministre qui inaugure une charcuterie. C’est vrai, mais c’est aussi dans La Montagne de Clermont-Ferrand qu’ont été publiées, chaque mardi pendant plus de 18 ans, près de 900 chroniques du plus savoureux des écrivains du siècle dernier, Alexandre Vialatte.

Et c’est justement ce même quotidien régional, dans l’édition de Moulins, qui rappelle régulièrement à ses abonnés qu’il n’a pas oublié ce jour glacial, sans doute, de novembre 2022, quand les plus hautes autorités culturelles du pays emportèrent, vers la capitale et vers un futur hasardeux, la merveille de la ville, les trois fragiles panneaux peints du triptyque du Maitre de Moulins, dans un fourgon blindé.  


Les amateurs de drame historique peuvent reconstituer cette épopée en lisant dans l’ordre les chroniques de Ce Blog consacrées au tableau (2300 mots, 15 minutes de lecture) :

2015, octobre : une lamentation (Le maitre de Moulins) 

2021, janvier : des inquiétudes (Inactualité du triptyque de Moulins)

2022, juin : l’enlèvement (Moulins encore)

2025, juin : les atermoiements (la présente chronique)


Sans oublier les articles du quotidien La Montagne (édition de Moulins), parfois en accès libre, qui veille sur son patrimoine en marquant le triptyque à la culotte :  

2022, 3 novembre : départ de Moulins et agenda de restauration du tableau (réservé aux abonnés)

2023, 20 février : arrivée à Paris, la radiographie (réservé aux abonnés)

2024, 9 juin : un article bien illustré en accès libre, rappelle aux auvergnats inquiets pourquoi le tableau est aujourd'hui au Louvre et remplacé à Moulins par un facsimilé.

2024, 12 juin : en complément, un copieux diaporama en accès libre d’une visite à l’atelier de restauration du Louvre. Un vrai travail de touriste amateur, 76 photos, en réalité toujours à peu près la même, mais au moins un témoignage probant pris sur le vif.

2025, 18 mars : la restauration est bientôt terminée. Reste le halo qui entoure la Vierge qu'on hésite à décaper. L’agenda du triptyque se précise (réservé aux abonnés)


Notons que le 21 mars 2025, la direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes (DRAC), ne voulant pas être en reste, mettait en ligne un dossier sur la restauration, en 8 parties décousues (voir le sommaire à gauche) et finalement assez creuses. 


L’agenda des prochaines années


Wikipedia croit La Croix, quotidien catholique, et relaie que le triptyque sera exposé cet été au Louvre ; l’été sera là dans quelques jours ; rien n’est annoncé au Louvre. Le propre de la croyance est de ne surtout pas vouloir vérifier ce qu’on vous affirme.


De son côté La Montagne, fidèle gardienne du triptyque, annonce qu’avant son retour dans le futur écrin sécurisé de la sacristie en hiver 2027-2028 (!), la merveille sera exposée au Louvre en hiver 2025-2026, puis à Bourg-en-Bresse et enfin au musée de Moulins. Cette dernière exposition, durant un an à 100 mètres seulement de la cathédrale où elle devrait reposer pour l’éternité prochaine, étonne.


Tout s’éclaircit avec la révélation de RCF (Radio Chrétienne Francophone), plus affirmative, dans un article du 20 décembre 2024 (oui, 3 mois avant l’article de La Montagne, mais Ce Blog va rarement chercher des informations concrètes dans ces sphères qu’illumine plutôt l’esprit saint réservé aux abonnés). Elle y affirme, sans nommer la source de sa révélation, que la suite vient d’être dévoilée, et que le triptyque sera exposé :


fin 2025 jusqu'au printemps 2026, au Louvre de Paris

de l'automne 2026 à début 2027, au monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse

 de début 2027 à début 2028, au musée des beaux-arts Anne de Beaujeu de Moulins (début 2028 est l'estimation de fin des travaux de réalisation de l’écrin d’exposition dans la sacristie et des aménagements techniques dans la cathédrale, qui devraient commencer en 2026).


Ainsi, il reste encore des étapes, sensibles aux aléas économiques et politiques, avant le retour de la merveille. Mais on peut se fier aux Auvergnats, La Montagne ne lâchera pas l’affaire. 

Rappelons toutefois, pour prévenir toute désillusion, que la cathédrale de Moulins est l’une des 87 dont l’État est propriétaire, mobilier et trésor compris, qu’il en finance les travaux, et qu’à ce titre il peut faire ce qu’il veut du triptyque et pourrait même ne laisser à Moulins qu’une photocopie couleur. 


***

Mise à jour du 27.08.2025 : Un discret entrefilet dans le magazine BeauxArts fait état sans plus de précision d'une exposition Hey au Louvre du 26.11.2025 au 04.03.2026


samedi 15 janvier 2022

Les proverbes imbéciles (1)

Ils constituent l’assise de nos conversations de palier ; le fondement de nos papotages mondains ; on les attribue à nos ancêtres, qu’on respecte inévitablement ; s’ils leur ont survécu si longtemps ça ne peut être que par leur profonde vérité venue du fond des âges ; enfin ils surgissent si vite à notre conscience, dans une conversation, quand il s’agit de répliquer, qu’ils nous épargnent la recherche d’une opinion personnelle, chose qui ferait sortir l’interlocuteur de ses schémas de pensée habituels et risquerait d'enrayer l’harmonie consensuelle du moment : ce sont les proverbes imbéciles. (*)


Pether Abraham (1756-1812) Paysage au clair de lune (détail) 45x60cm. 
Marché de l’art 23.06.2019 : 13.750€.

Examinons aujourd’hui le proverbe suivant :

« Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt ».

Son origine est douteuse, on l’attribue le plus souvent, sur internet, à Confucius, parfois Lao Tseu, voire Tchouang-tseu, qui sont les derniers refuges de l’ignorance en matière de sagesse. Il est toujours conseillé, si dans l’empressement de la conversation vous inventez un proverbe, de l’attribuer à un auteur très ancien écrit dans un style illisible et que les dictionnaires qualifient de sages parce qu’ils sont justement antiques et indéchiffrables.
D’ailleurs une recherche de proximité des mots Lune et doigt dans tout Confucius, Lao Tseu et Tchouang-tseu s'est révélée infructueuse.
Tant pis, nous dirons, comme Vialatte quand il avait la flemme de se documenter, que ce proverbe remonte à la plus haute antiquité.

Son sens est simple : c’est être idiot que de prendre le mot pour la chose qu’il désigne, le signe pour la réalité, le signifiant pour le signifié, voire le signifié pour la réalité, ou le détail pour l’ensemble, et ainsi de suite. 
On trouvera en vérité des centaines (vraiment) d’interprétations différentes parfois contradictoires, mais elles partent toutes du principe que le postulat de départ est vrai : le sage est sage, et s’il te désigne une chose, regarde la chose. Si possible admire-la parce qu’elle est montrée par un sage, et ne pose pas de question.

La vraie pensée populaire, celle des bistros, n’est évidemment pas d’accord, quand on résume les propos sur le sujet recueillis par J.M. Gourio dans les Brèves de comptoir. « Il a raison le connard (lisez l’idiot) de regarder le doigt, y’a rien sur la Lune, elle serait sur la Terre, on n’irait même pas, et les hommes qui y sont allés sont tous devenus alcooliques, partout où on va, ça finit pareil. »  

Allons un peu plus loin dans le bon sens. Si celui que le dicton dit sage l’était réellement, il ne désignerait pas l’astre mais indiquerait comment le regarder, la méthode pour le retrouver, comprendre ses cycles et les prévoir. 
Qui aura compris les explications du sage retrouvera ce qu’il désignait en toute circonstance. C’est la démarche scientifique. Et si sa formule fonctionne, alors on l’honorera du titre de sage.


Tout cela parait peut-être abstrait. Prenons un exemple dans l’actualité. Les Français vont bientôt choisir un président. En prévision de cet évènement grandiose, tous les candidats leur promettent la Lune, ou plutôt leur montrent une vague forme brouillée haut dans le ciel et qu’ils appellent la Lune. C’est leur projet pour diriger le pays.
Or tout le monde sait depuis belle lurette que les promesses ne sont quasiment jamais tenues une fois le pouvoir en poche. 

Dès lors c’est bien l’idiot qui regarde le doigt qui avait raison, parce que c’est le doigt et celui qui le pointe, le soi-disant « sage », le postulat, qu’il faut d’abord examiner. C’est lui qui aura tous les droits et mènera le Français selon son bon vouloir. D’où vient-il ? Quelle est sa famille, son milieu, qui seuls profiteront de ses largesses ?

D’ailleurs, s’il est notoire que le processus électoral en France permet souvent d’élire un président qui a recueilli beaucoup moins que la majorité des voix, cette majorité oubliée du règne actuel savait bien à l’époque qu’il fallait en priorité regarder le doigt et non la Lune. Et c’est précisément en ne regardant pas la Lune qu’elle avait remarqué le doigt pointé, qui aurait traditionnellement dû être l’index (le doigt qui indique) mais était en réalité le doigt suivant, celui dont la présentation en direction du ciel a un tout autre sens dans la gestuelle des peuples, le troisième.    

C’est pourquoi, après cette démonstration sans faille, s’il était encore besoin d’un proverbe sur le sujet, nous pourrions aujourd’hui affirmer « Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde la Lune ». Étant sous-entendu qu'à aucun moment on n'a vu ce dernier se renseigner au préalable sur le sage.

Voilà. Refermez vos cahiers. La semaine prochaine, interrogation écrite.

***
(*) On ne s’interdira pas de parler aussi des dictons idiots qui sont, selon certains experts qui l’affirment sans conviction, des proverbes imbéciles dont l’objet serait plus précis, moins moral et le style sans métaphore.

dimanche 6 septembre 2020

De Baschenis et des poussières


Evaristo Baschenis ou suiveur, instruments de musique remisés dans un intérieur (Vente aux enchères Christie's juin 2019).

 
Depuis le premier livre de la Bible des juifs et des chrétiens (1), tous les philosophes, les poètes, les sourates du Coran (2), les scientifiques les plus rigoureux, n'ont cessé de nous seriner que nous venons de la poussière, que nous ne sommes que poussière, et que nous retournerons à la poussière. C’est un point de vue propre à décourager les plus enthousiastes.
« C'est dire l'importance du plumeau » ajoutait Alexandre Vialatte dans une chronique de La montagne (3).

Les peintres ont échappé à cette métaphore, parce que la poussière est difficile à représenter en peinture, mais ils se sont rattrapés en multipliant, dans des allégories souvent surchargées qu'ils ont appelées vanités, les symboles bien visibles de notre insignifiance, crânes, sabliers, fleurs fanées, choses avariées.  
Certains, comme Pieter Elinga Janssens, ont bien figuré des femmes balayant la poussière dans des intérieurs du 17ème siècle, mais sans doute plutôt dans l'intention de vanter la propreté de la maison bourgeoise hollandaise. 
D'autres, astucieux, comme Tapiès ou Dubuffet, ont intégré la poussière comme pigment dans leurs œuvres, mais c'est un procédé un peu hypocrite, et le message reste brouillé.

Il existe pourtant un peintre qui s'est dévoué à la représentation de la poussière. On a peut-être rencontré ses tableaux, souvent de très grandes et élégantes natures mortes d'instruments de musique délaissés, aux marquèteries raffinées, luths, violons, violes, mandores, sans avoir forcément fait attention à la poussière et aux traces de doigts représentées sur le bois vernissé.
 

6 détails extraits de tableaux poussiéreux :
1ère colonne : Accademia Carrara à Bergame - Vente aux enchères juin 2019 (Baschenis ou imitateur) - Pinacothèque de Brera à Milan.
2ème colonne : Musée national de l'art occidental à Tokyo, - Vente aux enchères mars 2020 - Barber institute à Birmingham
.
 
 
Ce peintre, prêtre et musicien, s'appelait Evaristo Baschenis, né et mort à Bergame, en Lombardie (1617-1677). Élevé dans un milieu culturel propice (4) il inventa un style dont il devint virtuose, et eut beaucoup de succès et d'imitateurs qui ne l'ont jamais égalé.

On le rencontre dans de grands musées, évidemment en Italie du nord, à Bergame et Milan, mais aussi à Boston, Rotterdam, Birmingham, Tokyo, et dans beaucoup de collections privées, donc de temps en temps sur le marché de l'art où les plus beaux sont très disputés (presque 1,5 million de dollars à New York en avril 2006).

En mai 2016, à Bergame, était exposé un tableau exceptionnel, d'une collection privée, très grand pour une nature morte (1,63 mètre de large), sans date et couvert de poussière. Baschenis avait eu la main un peu lourde en saupoudrant cette fois tous les instruments de son modèle, peut-être de cendre. Est-ce pour mitiger cette impression décidément funèbre que le peintre a ajouté à droite une poire, une coupe de pommes mures et un œillet fraichement cueilli ? 
 

Evaristo Baschenis, instruments de musique extrêmement poussiéreux et coupe de pommes, sans date (Bergame, collection privée)
 
***
(1) Genèse 2-7, 3-14, 3-19, 13-16
(2) Sourates 13, 17, 22, 23, 27, 35, 37, 40, 56
(3) La montagne du 14 aout 1962, Chronique des plumeaux et des lions
(4) Ce lien et le précédent mènent vers des traductions automatiques par Gougueule, respectivement de l'italien et de l'anglais, qui ne sont donc pas totalement respectueuses de la grammaire française mais sans contresens majeur à 95%.

samedi 29 décembre 2018

Le saviez-vous ? (Vermeer révélé)


Vermeer, détail de La laitière (Rijksmuseum Amsterdam)

Avertissement : tous les textes en italique sont des citations. 
Saviez-vous que tous les tableaux réalisés par Vermeer ne représentent même pas, en surface, un seul tableau de Rembrandt, la « Ronde de nuit », qu’il a réalisée en à peine quelques mois, parmi des centaines d’autres peintures ?
On imagine le brave Vermeer, ce paresseux, avec son petit pinceau fin, tirant la langue pour essayer de faire un rebord de fenêtre bien rectiligne, sans déborder, pendant que Rembrandt distribue des taches de lumière jaune à tour de bras et en met un peu partout en dehors de la toile, dans tout l’appartement, au grand dam de madame Rembrandt, ce qui est cependant la bonne méthode, la productivité, pour ne pas devenir un peintre oublié, comme l'a été Vermeer pendant plus de deux siècles.

Vermeer, détail de Femme écrivant une lettre (Washington NGA)

Saviez-vous que la « Femme écrivant une lettre », de Vermeer, a parcouru, en expositions internationales, plus de 250 000 km autour de la Terre, soit la moitié de la distance à la Lune (1), alors que ce fainéant de Vermeer n’est sorti qu’une fois de Delft, de toute sa vie, pour aller à Amsterdam, soit un trajet en bus de 109 kilomètres (aller et retour par Flixbus pour 4,99€, on le suppose) ?

Saviez-vous que le rapport du nombre de femmes sur le nombre d’hommes figurés dans les tableaux de Vermeer est quatre fois supérieur à celui de la moyenne chez les peintres de la même époque, mais que les femmes ne portent pas d’étiquette sur ses toiles, donc on ne peut pas connaitre leur nom ?

Saviez-vous que, bien qu’il ait agrémenté ses tableaux de tapis couteux de Turquie, d’exquises porcelaines de Chine, de chapeaux de feutre en peau de castor nord-américain d’excellente qualité, le peintre a connu une fin amère, et qu’il a sombré dans la déchéance et le désarroi au point de mourir en à peine un jour et demi ?

Vermeer, détail de Femme au collier de perles (Berlin Gemäldegalerie)

Ces nouvelles sont garanties par les plus grands musées. Vous découvrirez toutes ces merveilleuses précisions dans ce que Google appelait en 2015 « l’Institut culturel » rebaptisé depuis « Google Arts et Culture », et sous-titré « Nourrissez votre cerveau ».

Vous y apprendrez aussi que Vermeer est incontournable, qu’il transcende l’espace et le temps (bien que vieux de plusieurs siècles), qu'il nous invite à oublier nos vies si affairées, et surtout qu’on ne sait pas comment il a fait et qu’on n’en percera jamais le secret. En bref, c’est un peintre mystérieux, ce qui le distingue nettement des autres peintres de son époque, dont on sait encore moins de choses, mais qui seraient sans doute moins mystérieux que Vermeer si l’on s’y intéressait un peu.

Mais vous n’apprendrez pas, par exemple, où est exposé un tableau comme le Géographe. Car la réalité ne se trouve pas dans ce Städel Museum dont on ne prend pas la peine de préciser la ville. Elle est sur les serveurs de Google, en haute définition. C'est là qu'est le Monde. Vialatte disait que Dieu lui-même n’était après tout qu’un dictionnaire Larousse un peu plus complet (La Montagne 22.12.1953). Eh bien nous avons trouvé Dieu. Il (ou Elle) se trouve à cette adresse sur internet sous le pseudonyme de Google Arts et Culture.
Et on remerciera, pour une fois, son envergure commerciale et ses prétentions universalistes pour avoir convaincu les grands musées nationaux, généralement si avaricieux (jusqu'au musée du Louvre), de dévoiler un peu de leurs collections dans une qualité réellement enivrante pour le voyageur immobile.

***
(1) Cette affirmation n'engage que son auteur(e).
 

lundi 4 décembre 2017

Tripoter des extraterrestres (2 de 3)

Les météorites remontent, comme l’affirmait régulièrement Vialatte à propos de tout et de rien, à la plus haute antiquité. Depuis ces temps lointains, les humains (ceux qui n’avaient pas l’entendement embrumé par des à priori) ont observé et constaté que des pierres, parfois nettement métalliques, tombaient du ciel.

Le plus antique récit, gravé sur l’argile, l’Épopée de Gilgamesh, décrit ainsi le premier songe du roi, sur la tablette 1 (illustration 1), « Alors que m’entouraient les étoiles célestes, une sorte de bloc venu du ciel est lourdement tombé près de moi, j’ai voulu le soulever, il était trop lourd, j’ai voulu le déplacer, je ne pouvais le bouger  ».

Plus tard, il y a plus de 3000 ans, apparait dans la langue égyptienne le mot « fer venu du ciel », et la lame d’un poignard finement ouvragé découvert auprès de la momie du pharaon Toutankhamon est faite d’un fer météoritique (il ne contient pas les mêmes proportions d’éléments, notamment de nickel, que le fer terrien).

Le philosophe grec Anaxagore, cité par Laërce, affirme que le ciel tout entier est fait de pierres en rotation qui tombent lorsque leur mouvement cesse. Le romain Pline les croit soulevées et emportées par le vent, et les chroniques chinoises les consignent avec minutie, mais il faut attendre le 19ème siècle et les météorites d’Alès, de Chassigny et d’Orgueil, pour que la chose soit prise au sérieux, étudiée scientifiquement, et finalement acceptée par l’opinion comme une phénomène naturel.

Les météorites tombées à Alès (Alais) le 15 mars 1806 (ill.2, un reste de quelques grammes sur 6kg) et à Orgueil le 14 mai 1864 (ill.3, une part des 14kg) sont parmi les très rares reliques connues de la nébuleuse primitive qui a formé le système solaire. Ce sont comme des morceaux de soleil avant qu’il ne se contracte et s’échauffe. Elles contiennent des traces d’hydrocarbures, de Xénon, de diamant, et de temps en temps un savant américain en mal de financement, mollement démenti par la communauté de ses collègues, découvre dans un éclat les marques du passage d’une forme de vie extraterrestre.

Découverte en Patagonie en 1951, la « pierre » d'Esquel (ill.4) est devenue un mythe, la Marilyn Monroe des météorites. Sa beauté vient de son alliage de fer et de nickel constellé de grains d’Olivine qui s'est forgé dans la région frontière d’un astéroïde où les couches de silicates flottaient dans le fer liquide. Ses 750 kilos ont été débités en tranches fines translucides comme le cerveau d’Einstein, et les éclats, de plus en plus petits, se vendent actuellement au prix de l’or au kilogramme (35 euros le gramme).

Le Muséum d'histoire naturelle prétend que la météorite de Tiberrhamine (ill.5) a été découverte au cœur du désert algérien en 1967. Laissons le croire à cette légende. Il est évident que c’est un pavé extrait d’une rue du Quartier latin tout proche du musée, reliquat des soulèvements populaires du printemps 1968 dont le joyeux désordre a certainement perturbé la rigueur de ses travaux de classification et de nomenclature.

À suivre dans un troisième et dernier épisode...

samedi 19 août 2017

Les collections d’été - Les experts

S’il y eut un expert, un spécialiste des collections, ce fut Henri Cueco, dont on a hélas beaucoup parlé, récemment.
Cueco aura tout collectionné, les crayons usagés, les pommes de terre, les cailloux ne présentant aucun signe distinctif, les ficelles, les silences, les noyaux sucés, les queues de cerises, les Angélus de Millet...

Peintre, il représentait parfois sur toile des extraits de ses collections. Et il avoua qu’un jour, invité avec sa femme chez des amis, alors qu'ils découvraient une impressionnante collection de reliques et d’objets religieux, « nous eûmes, stimulés par notre mesquinerie jalouse, l’idée de collectionner des collections ».
Il en écrivit un court livre à la fois léger et profond, débordant d’ironie et d’autodérision, évidemment titré «  Le collectionneur de collections », dont voici un florilège de citations.

Les cailloux : Prévenu des difficultés qui attendent le collectionneur de pierres, j’ai néanmoins décidé de les collectionner. Pas toutes ni n’importe lesquelles. Seulement les pierres ordinaires. […] La pierre banale, le caillou des ponts et chaussées, le gravillon de ballast renvoient à la question fondamentale de leur existence de pierre, de toute existence. Comme il n’y a, de la part du caillou, aucune réponse claire ou énonçable, le collectionneur en vient à se poser la question pour lui-même. Il se pétrifie la cervelle à tenter de comprendre ce qu’il fait ici à contempler un caillou. C’est ainsi qu’il en devient intelligent ou stupide, ou, plus généralement, indifférent. 

Les patates : Le face-à-face quotidien avec des pommes de terre n’a pas éclairci les problèmes fondamentaux que se pose tout être humain depuis les origines. Pourtant, à force de regarder les pommes de terre vivre, j’en viens à me poser des questions très intimes dont la moindre n’est pas : « Que fais-je ici à regarder vivre et mourir une pomme de terre ? »

Les éponges : Le collectionneur d’éponges s’ennuie dans sa solitude amoureuse. Nul ne convoite ses caisses pleines de figures ratatinées et polymorphes. Il les regarde et, les dimanches, les tristes dimanches, il les imprègne d’eau et s’émerveille de leur épanouissement à la moindre onction. Le reste de la semaine, il s’attriste de leur progressif dessèchement. 

Les crayons : Aucun crayon, grand ou petit, ne sait d’avance ce qu’il contient de richesse ou de médiocrité : l’indolence des crayons tient à cette ignorance qu’ils cultivent jusqu’à l’effacement. 

Les acouphènes et les jours : ...et ce silence qui fait pièce aux cris d’oiseaux du jardin, alors que sonne le grelot incessant de mes acouphènes. À l’instant même où leur collection, qui est innombrable et unique, se fera silence, cessera la collection de mes jours.

Henri Cueco - Le collectionneur de collections



Alexandre Vialatte, expert également, spécialiste du catalogue d’objets de la Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Étienne (abrégé en « catalogue Manufrance »), affirmait dans une chronique de La montagne du 16 avril 1967 sur les collectionneurs, que nombreux collectionnaient également les malheurs.

« L'époque a été tellement pleine de guerres et de camps de concentration, de prisons, de polices, de terrorismes et de catastrophes qu'il y a ainsi beaucoup de personnes qui ont collectionné les malheurs, les maladies et les jambes de bois. Malgré les records impressionnants, elles ne deviennent jamais célèbres. Ce sont des petits vieux ratatinés. […] Ils se traînent jusqu'à un banc, ils regardent la mer, ils fument la pipe et disparaissent au crépuscule. On ne sait trop où. […] On voit par là qu'il est des collections de toute sorte. »




Ainsi s’achèvent les chroniques des collections d’été.
Finalement, collectionner n’est pas vraiment une activité joyeuse.


Petite annonce : recherche photo du Vélib’ 31416. Récompense garantie. Écrire au blog qui transmettra.

jeudi 30 juin 2016

Tableaux singuliers (4)

Actif en Allemagne entre 1880 et 1920, Max Klinger est connu pour ses gravures mêlant dans des scènes oniriques animaux fantastiques, personnages symboliques, érotisme et macabre.

Ses visions insolites aux mises en page instables, comme cette histoire autour d'un gant féminin, plus près du cauchemar que du rêve, impressionneront Alfred Kubin et le surréalisme jusqu’à Roland Topor.

La peinture de Klinger n’a généralement pas la finesse de ses gravures, mais un petit panneau de bois peint en 1878 à 21 ans, intitulé « Les promeneurs (Die Spaziergänger) » et aujourd’hui à la Alte Nationalgalerie de Berlin, se distingue nettement des productions mythologiques qui suivront.
 
La scène représente un long mur aveugle de briques orange, d’aspect récent et isolé sur un terrain vague. Au centre dos au mur un jeune bourgeois brandit maladroitement un pistolet. Autour de lui se tiennent quatre hommes armés de bâtons. L’un d’eux ramasse une pierre.


Le tableau mesure 86 centimètres par 37. Un critique d’art de l’époque a précisé que la scène se situait dans une zone abandonnée près de Berlin, Hasenheide, et que dans un premier état du tableau le jeune homme menacé était accompagné d’une femme apeurée que le peintre a finalement effacée.

Ainsi seul dos au mur, ce jeune homme au feutre noir semble préfigurer le destin de Joseph K. le personnage du « Procès » de Franz Kafka, dans la scène finale, quand les deux fonctionnaires exécuteurs l'emmènent dans un carrière, sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. Kafka conclura ainsi son roman : « … l’autre lui enfonça le couteau dans le cœur et l’y retourna par deux fois. Les yeux mourants, K. vit encore les deux messieurs penchés tout près de son visage qui observaient le dénouement joue contre joue. « Comme un chien ! » dit-il, et c’était comme si la honte dût lui survivre. (1) »

***
(1) Traduction d’Alexandre Vialatte.


vendredi 13 novembre 2015

La vie des cimetières (67)

Quelques cimetières croisés sur les routes d’Auvergne...

Au sujet de l'Auvergne, Alexandre Vialatte disait qu’elle est pleine « de proverbes et de grand-mères qui enseignent dès la tendre enfance à faire du quelque chose avec du je ne sais quoi, en l'économisant sans cesse. Il n'est pas rare - poursuivait-il - d’y voir des gens partis de rien qui arrivent au même endroit au bout de leur existence. D'autres qui arrivent à du je ne sais quoi avec beaucoup de persévérance. D'autres qui partent de tout et qui n'arrivent à rien. Mais, plus généralement, avec du presque rien ils arrivent à du quelque chose. »

C’est dire sa profonde connaissance de l’être humain, et de l’Auvergne. C’était dans « Chronique du rien et même du presque rien » le 20 mars 1962 dans le journal La Montagne de Clermont-Ferrand.

Ça commence bien, Saint-Bonnet-de-Montauroux dont voici le cimetière n'est pas vraiment en Auvergne, mais dans le département de la Lozère, à 3 kilomètres de la frontière de la Haute-Loire.

Cimetière de Polignac, dans le département de la Haute-Loire (tout de même !).

Minuscule cimetière de La Godivelle, dans le Puy-de-Dôme.

Entrée du cimetière de La Godivelle.

dimanche 3 novembre 2013

Vialatte ou l'art du rahat-loukoum

Il y a des écrivains dont chaque phrase est une friandise. On revient en arrière, on la relit plusieurs fois comme on suçote une confiserie, avec le même plaisir que l'auteur eut à la ciseler. On s'émerveille du sens, des résonances inattendues.
C'est le cas de La Bruyère, de Céline, Cioran, Flaubert parfois, et sans doute d'Alexandre Vialatte.
On peut aussi bien les dire ou les réciter, au théâtre par exemple. On y perd peut-être la faculté de s'arrêter pour les déguster, mais quelque chose de fulgurant se produit à les entendre, comme une musique amplifiée. Le petit plaisir solitaire s'en trouve multiplié.

Charles Tordjman a demandé à trois grands acteurs d'interpréter un florilège des chroniques de Vialatte sur la petite scène de la Grande salle du théâtre de la Commune, à Aubervilliers. Et pendant trois semaines, en 18 représentations, près de 3000 chanceux ont savouré ce miel durant 90 minutes, en octobre.
Le spectacle s'appelle « Résumons-nous, la semaine a été désastreuse ». On le verra encore le 3 décembre à Clamart, les 6 et 7 à Clermont-Ferrand, puis quatre jours à Nancy, un jour à Sète, deux à Luxembourg en 2014, enfin quatre à Amiens en février.

Alexandre Vialatte a écrit plus de 1100 chroniques entre 1950 et 1971, publiées dans divers journaux, principalement La montagne de Clermont-Ferrand et Le spectacle du monde. Elles parlaient de tout et de rien. Surtout de riens de l'actualité qu'il élevait, en moraliste, au rang de presque riens, mais avec lyrisme. Et aussi de grandes choses qu'il exaltait avec dérision. Il en naissait une profonde mélancolie.