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vendredi 15 novembre 2019

La vie des cimetières (91)

Avant la fin du siècle dernier, le sculpteur Del Debbio, déjà âgé, déposait un buste de Joconde sculpté de sa main sur la stèle dédiée à sa famille dans le cimetière du Montparnasse, et en profitait pour y faire graver quelques informations personnelles, ses civilités et notamment le lieu de son décès, Paris.
Toutefois il ne faisait pas inscrire la date prémonitoire correspondante, comme on le voit parfois, au moins pour le millénaire et le siècle, suivis de deux espaces blanches pour signifier que la décennie et l’année ne sont pas encore connues.
Il faisait bien. Né en 1908 et mort en 2010, il aurait alors commis une erreur sur le siècle et sur le millénaire, impair délicat à corriger sur du marbre ou du granite, et hors de prix.
Mais il s’est éteint à Nogent-sur-Marne ; il s’était trompé sur le lieu.

Pourquoi graver ces informations incertaines quand la mort n’a pas encore fait son office ?
Pour claironner qu’on n’est pas naïf, qu’on sait bien que tout a une fin ? Pour être sûr de ne pas se faire chaparder la place ? Certains prétendent que c’est par mesure d’économie, pour bénéficier d’un effet d’échelle. Mais les prix se calculent à la lettre, et à raison de 5 à 15 euros l’unité, la cagnotte serait maigre.
Invoquons des sentiments plus nobles, et supposons que c’est plutôt pour se persuader, au plus fort de la douleur, qu’on rejoindra bientôt l’être disparu. Une forme d'autosuggestion.

Et l’actualité vient de nous rappeler, il y a quelques jours, que Lucie Almansor, mue par le profond sentiment qui l’attachait à son mari Louis-Ferdinand Céline, avait fait inscrire à l’avance sur leur pierre tombale commune au cimetière de Meudon, à la mort de l’écrivain en 1961, le millénaire et le siècle de sa propre disparition, « 1912 • 19    »

En 2018 à 106 ans, n’ayant plus les moyens de payer ses aides médicales (malgré les droits d’auteur des millions d’exemplaires vendus ?), elle cédait en viager leur maison décrépite de Meudon.

Lucie Almansor est morte le 8 novembre 2019.
Ainsi les deux chiffres présumés sur la pierre tombale étaient les bons, mais pas à la bonne position. Une simulation (notre illustration), montre qu’il serait possible, pour limiter les frais de gravure, sans avoir à refaire la dalle, d’inscrire le millénaire et le siècle à la gauche du 19 providentiel. Le résultat serait légèrement déséquilibré mais parfaitement lisible.

dimanche 3 novembre 2013

Vialatte ou l'art du rahat-loukoum

Il y a des écrivains dont chaque phrase est une friandise. On revient en arrière, on la relit plusieurs fois comme on suçote une confiserie, avec le même plaisir que l'auteur eut à la ciseler. On s'émerveille du sens, des résonances inattendues.
C'est le cas de La Bruyère, de Céline, Cioran, Flaubert parfois, et sans doute d'Alexandre Vialatte.
On peut aussi bien les dire ou les réciter, au théâtre par exemple. On y perd peut-être la faculté de s'arrêter pour les déguster, mais quelque chose de fulgurant se produit à les entendre, comme une musique amplifiée. Le petit plaisir solitaire s'en trouve multiplié.

Charles Tordjman a demandé à trois grands acteurs d'interpréter un florilège des chroniques de Vialatte sur la petite scène de la Grande salle du théâtre de la Commune, à Aubervilliers. Et pendant trois semaines, en 18 représentations, près de 3000 chanceux ont savouré ce miel durant 90 minutes, en octobre.
Le spectacle s'appelle « Résumons-nous, la semaine a été désastreuse ». On le verra encore le 3 décembre à Clamart, les 6 et 7 à Clermont-Ferrand, puis quatre jours à Nancy, un jour à Sète, deux à Luxembourg en 2014, enfin quatre à Amiens en février.

Alexandre Vialatte a écrit plus de 1100 chroniques entre 1950 et 1971, publiées dans divers journaux, principalement La montagne de Clermont-Ferrand et Le spectacle du monde. Elles parlaient de tout et de rien. Surtout de riens de l'actualité qu'il élevait, en moraliste, au rang de presque riens, mais avec lyrisme. Et aussi de grandes choses qu'il exaltait avec dérision. Il en naissait une profonde mélancolie.


dimanche 6 octobre 2013

Pauvre Gaston...

Pauvre Gaston pauvre Mamard
Cent ans passés à corriger
Leur orthographe et imprimer
Les auteurs du siècle passé
Puis l'auteur meurt
Pauvre Gaston il a perdu Apollibeurre

Mais l'auteur froid
La famille et Gaston encore
Bénéficient pendant cent ans (pour simplifier) des droits d'auteurs
Un bas de laine
Pauvre Gaston il a perdu Apollitaine

On a beau faire
Cent ans de droits de reproduction
Font un empire de l'édition
Mais depuis peu c'est l'hécatombe
Pauvre Gaston il a perdu Apollitombe

Ça commençait au Canada
En 2010 Albert Camus libre de droits
Et puis Saint-Ex et Boris Vian toujours là-bas
C'est des dizaines de millions de ventes par an
En 2012 Céline aussi mais pas en France avant 20 ans
Qu'importe on les trouve aisément
Sur Internet
Pauvre Gaston il a perdu Apollinette

En 2011 le petit Proust est dans le domaine public
Lors en France on peut le copier l'éditer en faire du fric
Sans être jeté en prison
Et aujourd'hui c'est le pompon
Venu rejoindre le p'tit Marcel
Le poète du Pont Mirabelle
Pauvre Gaston l'est sur les nerfs
Il vient de perdre Apollinaire


Grant Wood, La chevauchée de minuit de Paul Revere, peinture exposée au Metropolitan museum de New York. L'œuvre de Grant Wood est dans le domaine public depuis le 01.01.2013 en Europe, mais pas au États-Unis où cette image est illégale.

samedi 7 janvier 2012

HEY! ou l'art ironique

De loin ça ressemble, perçant l'obscurité, à un grand vaisseau fait de mécanismes compliqués, de tuyauteries, de poulies, d'échelles et de roues, d'une matière pierreuse, et d'où émergent, en gloire comme sur un monument aux morts (1), une statuaire de squelettes, de formes humaines et d'animaux chimériques. Puis en approchant le regard, la scène grouille de personnages minuscules, souvent difformes, mutilés, fondus, comme sur les panneaux peints par Jérôme Bosch, et qui arborent des poses héroïques dans cet immense pandémonium.
Kris Kuksi amasse les jouets minuscules et les personnages miniatures, généralement de plastique. Il les découpe, les déforme, les peint et les assemble. Comme il les récupère dans le commerce ou dans des greniers, on y trouve toutes les figures de nos mythologies modernes, des soldats de toutes les époques, des naïades, des moines, des cosmonautes, des papes, des déesses antiques, et encore des soldats. Et c'est ce qui fait de chaque sculpture une mise en scène infernale et méticuleuse des vanités humaines (2).

Plus loin, soigneusement empaquetées en boites vitrines, sont exposées des poupées Barbie un peu dévoyées, avec organes génitaux externes apparents. Celle-ci est vêtue de latex, celle-là urine dans sa boite. Carmen Gomez les a nommées Barbitch. Elles avoisinent les PsychoToys explicites et turgescents de Misha Good, que la rigueur morale de ce blog empêche de décrire.
Ailleurs, deux vitrines alignent une série de vingt petites porcelaines, gracieuses figures en robes de marquise, alanguies ou dansantes. De près, on remarque que chacune a essuyé un léger accident anatomique qui empourpre la céramique. Sur une des plus divertissantes, la figurine se rafraichit d'un souple mouvement d'éventail. La tranche de l'instrument est rouge et la gorge de la marquise béante comme un sourire sincère. Jessica Harrison appelle cette série «mise en pièces».

Mais l'exposition n'est pas réservée à la sculpture. On y présente nombre de graphistes et de peintres. Chris Mars et ses personnages entassés, burlesques, fossilisés vivants, peints d'une chair onctueuse et mordorée (3).
Turf One (Jean Labourdette), peut-être le plus iconoclaste, respectueux à l'excès de la technique méticuleuse, du style raffiné et de l'iconographie religieuse des peintres flamands du siècle de Van Eyck, mais qui remplace les personnages sacrés par des portraits caricaturaux et populaires, ou par des singes et des chiens. Un Van Eyck façon Louis-Ferdinand Céline ou Michel Audiard.

Et puis Erró l'islandais, et l'inénarrable, truculent, libidinal et libertaire Clovis Trouille, qu'on voit si rarement (4).

En tout, 64 créateurs singuliers, monomaniaques, qui pratiquent la transgression sans retenue. C'est à Paris, à Montmartre, dans la Halle saint Pierre. C'est organisé par les très éclectiques créateurs de la revue HEY!, luxueuse publication trimestrielle consacrée aux arts alternatifs, bruts, décalés, insolites
, marginaux, populaires ou underground (rayez les mentions inutiles).

Cascabel, de Vincent Glowinski, exposition HEY!
Musée de la Halle saint Pierre, Paris, 2011-2012

Vous hésitiez encore entre la lumineuse exposition consacrée par le musée Jacquemart à Fra Angelico et son temps (apothéose des Bisounours mais avec quelques décapitations tout de même), et la réalité contemporaine, sombre et fantasque de l'exposition HEY!. C'est inutile, il est déjà trop tard pour le radieux prêtre florentin, alors que l'exhibition HEY! ne ferme que le 4 mars 2012. Allez la voir tant que vous êtes encore vivants.
Après quoi vous aurez la sensation, errant dans le quartier de Montmartre, au milieu des rues étroites pullulant d'escrocs au bonneteau, de trafiquants divers, de commerçants moroses et de touristes ébahis, de poursuivre la visite de l'exposition. Vous pensiez sortir d'un monde imaginaire. C'était une représentation fidèle de la réalité.

***
(1) Il est possible que ce lien ne fonctionne pas sur certains systèmes. Dans ce cas copiez l'adresse du lien http://artboom.info/wp-content/uploads/2011/07/Kris-Kuksi-The-Art-of-The-Macabre-6.jpg et ouvrez-le dans un nouvel onglet.
(2) Le site de Kris Kuksi est sidérant. Près de 80 sculptures photographiées en vues d'ensemble et en détails. Prévoyez des heures de contemplation. N'oubliez pas de zoomer avec la molette de la souris.
(3) Chris Mars présente sur son site une grande partie de son œuvre. Sélectionnez Paintings, puis choisissez une année et naviguez.
(4) Sont exposés Mon enterrement, Mon tombeau, Le bateau ivre et Le Magicien.

dimanche 30 janvier 2011

Score : neuf à deux

Autour du Grand Palais à Paris, dans les parterres et sur les bancs, des employés municipaux vêtus de combinaisons vertes ramassent les restes congelés des touristes qui avaient espéré visiter l'exposition consacrée à Claude Monet.
900 000 visiteurs, se vante l'administration du musée. Un véritable triomphe. On ne dit pas le nombre de ceux qui n'ont pas résisté aux cinq heures d'attente dans les courants d'air hivernal, sans abri sous la pluie glacée (les abonnés à l'autobus parisien ont droit à plus d'égards). Plus de 900 000 visiteurs. Tout a été fait vers cet objectif : pas de jour de repos, horaires étendus, nuits complètes, contrôles sécuritaires allégés... Deux semaines supplémentaires, et on atteignait le million symbolique, pas si loin de l'intouchable Toutankhamon de 1967, au Petit Palais.

Monet - La pie dans la neige (détail, 1869 musée d'Orsay)Au même instant, à 1317 mètres de là, les employés du musée d'Orsay décollent les derniers chewing-gums séchés sur les cadres des tableaux et les fesses des sculptures de Jean-Léon Gérôme, avant de les remballer. Car Orsay vient de dédier une importante rétrospective, la première en France, à cet ennemi héréditaire de Monet et des impressionnistes, qui s'est plus ridiculisé par ses positions d'arrière-garde que par ses personnages en caoutchouc, inexpressifs et disposés dans des mises en scène parfois sensationnelles. Ses clichés kitsch et sans pathos qui illustraient nos livres d'histoire, largement imaginaires mais hantés par le détail réaliste, auront tout de même suscité l'intérêt de plus de 200 000 amateurs.

Gérôme - Bonaparte devant le sphinx (détail, 1868 Hearst castle, San Simeon Californie)Si Jean-Léon Gérôme, comme Louis-Ferdinand Céline, est la honte de notre sainte Patrie, Claude-Oscar Monet en est la fierté, le phare, le Soleil. Chaque touche de son pinceau dépose un pétale de rose qui parfume l'image de la France. C'est pourquoi les fonds économisés sur le bien-être des visiteurs ont été investis dans une extraordinaire vitrine virtuelle, où presque tous les tableaux de l'exposition sont reproduits en détails jusqu'aux poils de pinceau collés dans la pâte. Et ce superbe site fera certainement regretter tous ceux qui ont eu le privilège d'avoir été frigorifiés, oppressés, puis bousculés, écrasés, et finalement déçus d'apercevoir à peine les tableaux dont ils avaient rêvé depuis tant d'années.

samedi 14 février 2009

La vie des cimetières (18)

Cimetière américain de Suresnes, sur le Mont Valérien.
Le terrain a été concédé à perpétuité aux États-Unis en 1919.

On dit que le rêve de tout Américain est d'être cosmonaute (1), et que le rêve de substitution, en cas d'encombrement dans les navettes spatiales, est d'être gardien de la Tombe des inconnus (2).
Être gardien de cette Tombe, c'est, après des années d'épreuves insoutenables (dont l'apprentissage par cœur d'un quizz de cent questions), être un jour admis au sein d'une élite qui passe sa vie en habit d'apparat à se dandiner devant un cube de pierre blanche dans lequel sont conservés quelques restes non identifiés de soldats peut-être américains.

Ça se passe au cimetière national d'Arlington près de Washington, selon un cérémonial inchangé depuis 1937. 24 heures par jour, un soldat exécute 21 pas devant la Tombe avec la démarche d'une danseuse qui aurait la colique, s'arrête pendant 21 secondes, puis fait 21 pas dans l'autre sens, agrémentés de quelques gestes équivoques pratiqués avec son fusil rutilant. Il est régulièrement relevé par un clone qui accomplit alors le même rituel. Et ainsi de suite.
Peut-on imaginer métier plus exaltant ? Surveiller pour l'éternité des reliefs de chair à canon (3).

Et si toutes ces solennités patriotiques ne suscitent pas l'envie de se faire tuer pour une idée, un dieu ou une ressource naturelle, c'est à désespérer de la nature humaine. Mais prévenons les postulants, le métier de chair à canon anonyme est sérieusement menacé par les progrès de l'identification par l'ADN. On dit même qu'il n'y aurait plus de soldat inconnu (au moins occidental) depuis les années 1980.

(1) On devrait différencier les astronautes américains, les cosmonautes russes, les taïkonautes chinois et les spationautes français, mais ces distinctions sont idiotes et cocardières. Ils ont toujours fait le même métier, et parfois dans les mêmes engins.
Un extrait du discours de Princhard dans le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline(2) Si on croit l'article très sérieux de Wikipedia sur ce métier convoité.
(3) L'expression rappelle les «saucissons de bataille» du discours visionnaire de Princhard dans le «Voyage au bout de la nuit» de Céline.


***
Pour les oreilles : dans le chef d'œuvre de Michael Cimino, «Voyage au bout de l'enfer» (the deer hunter), avant de partir pour la guerre du Vietnam où leurs vies vont être détruites, les principaux personnages du film font une fête qui s'achève par la mélodie mélancolique d'une mazurka de Frédéric Chopin, jouée sur un piano incertain. C'est la mazurka opus 17 n°4, une des plus jolies parmi les presque 60, souvent ennuyeuses, composées par Chopin.