dimanche 10 mars 2013

La vie des cimetières (48)

Tôt, on nous apprend qu'un jour nous mourrons, mais personne ne nous dit où et quand. On vit alors chaque jour comme le précédent et persuadés que le suivant lui ressemblera. Pourquoi s'empoisonner l'existence quand la vie s'en charge ?

Cependant certains sont mieux informés. André Del Debbio par exemple, né en 1908, enseignant la sculpture, repreneur de l'Académie Julian en 1946, portraitiste de papes et de présidents, s'est dédié une stèle funéraire anticipée dans le courant des années 1990 au cimetière du Montparnasse. Il avait passé 80 ans. Il y a posé un buste de la Joconde, en hommage à son ami Léonard de Vinci, et fait graver dans les informations identitaires le lieu de son propre décès, Paris. La date manque.

Un jour, affaibli et dépendant, il devenait pensionnaire à la Maison nationale des artistes retraités de Nogent-sur-Marne.

Enfin en 2009, à 101 ans, il recevait la médaille d'Officier des Arts et Lettres lors du vernissage d'une rétrospective de ses œuvres. Le film de cette réception mondaine évoque le roman de Marcel Proust, lorsque le narrateur se rend, après de nombreuses années d'absence, à une matinée de la princesse de Guermantes. Il y retrouve tous les personnages qui ont fait la matière de son livre, mais ne les reconnait pas. Ils sont grimés, travestis, caricaturés, comme à un guignol de poupées. Il réalise alors que c'est le temps qui les a défigurés.

Fragile, dans son fauteuil roulant, André Del Debbio déclare au Général qui l'épingle « Cette décoration me donne vraiment une vie de grandeur, autrement on est comme tout le monde. »

Puis il est mort, comme tout le monde, à Nogent-sur-Marne le 2 avril 2010, à 102 ans.
Sa stèle a certainement été corrigée et complétée.

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