dimanche 26 avril 2009

Une victoire de la nécrophagie

Nous célèbrerons aujourd'hui les mérites des industries du son et de l'image. Elles se dépensent sans compter pour faire fructifier leur patrimoine artistique et il n'est pas un jour qui ne nous apporte des nouvelles relatives à leur pouvoir de conviction sur les représentants du peuple (1). Régulièrement, lorsqu'elles voient approcher l'échéance d'une usure de leur rente, elles déploient généreusement leur force de persuasion et obtiennent immanquablement une prolongation de leurs droits sur les œuvres des autres, généralement des morts.

C'est ainsi qu'avait été votée la loi du 3 juillet 1985, qui avait étendu la durée des droits patrimoniaux des œuvres musicales (droits de reproduction et de représentation cédés par contrat) de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur. Il était temps ! L'œuvre de Maurice Ravel allait tomber dans le domaine public, et avec elle les droits sur le célèbre Boléro, qui rapporte toujours une fortune aux ayants-droit (2). Hélas ces manipulations, dans le cas de Ravel, n'ont repoussé l'échéance que jusqu'au 2 mai 2016. Il va falloir réagir !

Hyène scrutant le tombeau de Maurice Ravel pour y trouver un dernier morceau (allégorie). Taxidermie, Florence, Musée de zoologie La Specola.

Depuis, la durée de 70 ans a été généralisée à toutes les œuvres de l'esprit par la loi du 27 mars 1997.
Mais plus rentables encore que les droits d'auteur, il y a les «droits voisins», ceux des interprètes et producteurs de choses sonores et visuelles enregistrées. Leur statut juridique est très injuste. En France, leurs droits patrimoniaux s'éteignent 50 ans après l'enregistrement de l'œuvre, alors que les États-unis les font durer au moins 95 ans.
Avec la révolution numérique, en 20 ans à peine, on a bien réussi à contraindre la terre entière à régénérer sa discothèque sans avoir à renouveler le patrimoine musical, mais cette source s'épuise (3). Comment tenir jusqu'à l'imprévisible prochain bouleversement technologique avec le vieux fonds d'enregistrements des artistes morts ou presque ? Dans quelques mois, les enregistrements des Beatles, ceux de Maria Callas quand sa voix déclinait ou de Karajan qui s'embourbait dans des interprétations boursouflées, vont tomber dans le domaine public. Il y a urgence. Que faire ?

C'est simple. Obtenir de nos représentants, complaisants et sensibles aux questions financières, une augmentation de la durée des droits voisins. Et c'est précisément ce que vient d'accorder le Parlement Européen, jeudi passé. Il est vrai que les Industries y étaient allé un peu fort en réclamant 95 ans, presque un doublement de la durée des droits. Le Parlement leur a accordé 70 ans. C'était bien joué, ça laisse 20 ans pour peaufiner la prochaine «négociation».

On ne chantera jamais assez l'ingéniosité prodiguée par les industries rentières pour faire vivre les grandes œuvres du passé et éviter qu'elles ne sombrent dans l'oubli du domaine public. Et pour les grincheux qui y verraient malice, il reste toujours les fabuleux enregistrements phonographiques du pétomane. Ils datent d'avant 1914 et sont dans le domaine public.








Ci-contre Maurice Ravel, éveillé dans son cercueil, condamné à attendre le repos définitif tant que survivront ses droits d'auteur (allégorie). Cire anatomique, Florence, Musée de zoologie La Specola.



Mise à jour du 12.09.2011 : Le Conseil de l'Union Européenne vient d'émettre une directive qui n'est que la mise en application du texte voté par le Parlement le 23.04.2009, au moins sur le point de prolonger de 20 ans les droits voisins (interprètes et producteurs). Pourquoi 29 mois après ?

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(1) On ne parlera pas ici de la célèbre et contre-productive loi Hadopi dont on peut prévoir sans risque qu'elle sera contournée avant sa promulgation et qu'elle aurait de toutes manières été inefficace. Les curieux pourront s'en informer sur le site de la Quadrature du Net.
(2) Il est amusant de noter l'ironie du paradoxe commenté maintes fois par Ravel à propos du boléro «Je l’ai composé comme un défi, on n’avait jamais écrit un morceau composé du même motif infiniment répété et de plus en plus fort. Hélas c’est ma seule pièce a avoir eu du succès, un succès considérable, un chef d’œuvre, mais un chef d’œuvre sans musique.»
(3) Bien que la vente de sonneries musicales pour téléphones mobiles soit prometteuse, malgré les doutes émis par certains cuistres sur la portée artistique du médium.

dimanche 19 avril 2009

Grimshaw, biographie

Atkinson Grimshaw, peintre crépusculaire autodidacte.
6 septembre 1836, Leeds, Yorkshire, Angleterre,
31 octobre 1893, Leeds.

On sait peu de sa vie. Il n'a laissé ni journal ni correspondance, a peu exposé ses tableaux en public et les a vendus à la bourgeoisie anglaise. Rares sont ses œuvres accessibles de nos jours, et quand elles le sont, c'est dans quelques rares musées anglais (notamment Leeds).

Knostrop Hall au clair de lune, vu de la rivière Aire. Un modèle de la manière de Grimshaw.Hormis quelques paysages méticuleux à la manière préraphaélite, quelques portraits de femmes dans le style de Tissot et quelques féeries médiévales, l'essentiel de son œuvre est fait de paysages nocturnes où des lumières fantomatiques se noient dans les brumes de banlieues, de villes, ou de ports anglais. Pour réaliser ces effets qui étaient sa marque de fabrique (imités et contrefaits de son vivant même), il expérimentait des préparations à base de sable, qui permet de fins dégradés.


En 1870, grâce au succès de ses paysages de faubourgs fortunés au clair de lune, Grimshaw put louer Knostrop Old Hall, un vieux manoir de pierres construit à Leeds au 17ème siècle, et y installer sa famille et son atelier. Au cours des vingt années qui suivirent, il représentera Knostrop Hall de nombreuses fois, plus ou moins fidèlement, souvent sous les feuilles, en automne, à la tombée ou au lever du jour.

Grimshaw, 4 vues de Knostrop Hall à l'aube.Grimshaw habitera d'autres lieux mais restera fidèle à Knostrop Hall. Ses biographies disent qu'atteint d'un cancer, il y retournera en 1893 pour peindre ses derniers tableaux, une série de paysages de neige.

Knostrop Hall, photo vers 1910. Copyright Leeds Library & Information Services, http://www.leodis.net/Knostrop Hall a été rasé au début des années 1960.

«Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années.»
Marcel Proust, Du côté de chez Swann.

lundi 13 avril 2009

Publirepotage touristaque (*)

Monument aux morts, «Perche la Patria viva, oggi si muore» 1915-1918Naguère appelée «Reine du lac», aujourd'hui submergée de touristes en été, Verbania est une pittoresque localité d'Italie du nord, sur les rives du lac Majeur. Au moyen de quelques monuments historiques choisis, la Municipalité a su ponctuer avec goût la magnifique promenade qui longe le lac, et mettre ainsi en valeur le panorama grandiose des Alpes piémontaises.

Le roi Victor Emmanuel 2, grâce et élégance. Le roi Victor Emmanuel 2, grâce et élégance.

(
*) Vous excuserez ces graphies incertaines. Suite à un bien légitime mouvement social, notre correcteur d'orthographe a quitté Ce Glob Est Plat depuis le 19 février dernier.

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Pour les oreilles : Au printemps 1968, le monde découvrait subjugué un long poème cinématographique, une sorte d'expérience extatique visuelle et sonore. C'était «2001 l'odyssée de l'espace». On le devait à Stanley Kubrick. Beaucoup y firent aussi la découverte d'un immense musicien de notre temps, György Ligeti, qui venait à peine d'écrire la dernière note de son Requiem quand Kubrick en fit la musique du film.
Pour nombre d'entre nous, le sombre murmure des chœurs du Kyrie évoquera toujours les espaces sans fin où dérive l'humanité.

samedi 4 avril 2009

Propagande lucrative

Pour les plus défavorisés, le gouvernement vient d'ouvrir une ligne budgétaire exceptionnelle. Elle consiste à inonder la presse et Internet de délicieux encarts publicitaires de propagande. Vous ne pourrez pas les rater. Toujours en quête de ressources, Ce Glob Est Plat a choisi de profiter lui aussi, comme les autres médias, de cette manne financière facile et morale.

mercredi 1 avril 2009

Les mornes sermons de Monsieur Merson

Il y a quelques jours s'achevait au musée des beaux arts de Rennes une exposition très attendue consacrée au peintre français Luc-Olivier Merson. Personne ne connaît Merson, mais tout le monde a vu un jour une reproduction du «repos pendant la fuite en Égypte», tableau fascinant, presque uniformément gris et quasiment vide, représentant une scène de la mythologie chrétienne.

Les deux versions exposées à Rennes, côte à côte : à gauche celle de Boston, à droite celle de la collection Hearst. La version de Nice était absente.Cette belle composition eut immédiatement, en 1879, un succès considérable. Les américains en réclamèrent des quantités. Merson en fit quelques variations (qu'on trouve notamment aux musées des beaux arts de Nice et de Boston).

L'originalité du tableau et le titre de l'exposition de Rennes (L'Étrange Monsieur Merson) ne pouvaient qu'attirer l'esprit curieux, qui était hélas consterné, au fil de l'exposition, par la pesanteur grossière des compositions, la pauvreté expressive des visages, le dérisoire de l'inspiration, l'omniprésence des tableaux d'histoire moralisateurs. En bref l'ennui.

Détail d'un vitrail illustrant Gargantua de RabelaisIllustrateur au talent mièvre et fade, Merson fut un peintre sans grâce et un dessinateur sans finesse. Apprécié et honoré, il vécut des commandes de l'État, de l'Église et de la bourgeoisie, pour qui il réalisa des fresques, des vitraux, des billets de banque et des timbres poste.


Alors pourquoi «L'Étrange M. Merson» ?Une vision de L.O. Merson - Musée de Lille
Parce que s'il a toujours peint des anecdotes édifiantes, et dans un style académique et pompeux, il les a souvent illustrées par des scènes inédites, et inattendues. Témoin cette toile, «Une vision», où Jésus crucifié hésite entre un vague éclair au chocolat et une meringue opulente, pour finalement désigner la meringue.
Mais était-il nécessaire de déterrer Merson pour cela, et au même moment enterrer indéfiniment tous les chefs d'œuvre de la collection permanente du musée, aujourd'hui invisibles pour cause de réorganisation ?