jeudi 26 novembre 2015

Tableaux singuliers (2)

Giovanni Francesco Caroto était un bon peintre de la première moitié du 16ème siècle dans l’Italie du nord. Né à Vérone en 1480, après avoir passé une dizaine d’années à Mantoue ou il se formera à l’école de Mantegna, Lorenzo Costa et Corrège, puis une dizaine d’années à Casale Monferrato, le reste de sa vie s’écoulera à Vérone où il mourra à 75 ans.

Très apprécié, il a laissé nombre de fresques, de retables et de beaux portraits. On voit ses œuvres dans des musées prestigieux comme l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou les Offices de Florence, et un magnifique portrait de femme dans le débarras du Louvre à Lens.

Il est particulièrement présent à Vérone, au musée de Castelvecchio, par une série de tableaux dont se distingue une œuvre singulière, le portrait d’un jeune garçon au sourire étrange et au léger strabisme qui montre un dessin d’enfant au spectateur.

On dit qu’en voyant ce portrait quand il visita le musée le pédiatre anglais Harry Angelman y reconnut le syndrome d’un trouble neurologique responsable d’un retard mental irrémédiable qu’il décrivit en 1965 et qui porte désormais son nom.

Et quelle est cette étrange forme rouge en bas à gauche, une manche, un couvre-chef ?

Inutile de se précipiter aujourd’hui à Vérone pour l’examiner de plus près, car il vient d’être dérobé le 19 novembre 2015, avec un autre portrait de Caroto et 15 toiles de maitres, notamment de Tintoret, Pisanello, Mantegna, de Jode, dont certaines ont été roulées par les cambrioleurs pour le transport, ce qui détériore toujours une peinture sèche depuis 500 ans. Par chance le jeune garçon au dessin d’enfant est peint sur un panneau de bois.

Mise à jour : Les tableaux dérobés ont été retrouvés en Ukraine le 6 mai 2016.

lundi 23 novembre 2015

British Museum, le jeu vidéo

Aphrodite ôtant sa sandale, marbre du 3ème siècle avant notre ère, trouvé à Cnossos, aujourd'hui au British Museum de Londres.

Quand l’état d’urgence est déclaré dans votre pays, que les établissements publics sont fermés, que les fonctionnaires en civil sont armés et que des envies de loi d’exception envahissent les encéphales affolés des élus, il reste à se réfugier dans une des plus attachantes activités nées de la technologie moderne, la visite virtuelle (sur ordinateur) de lieux que l’on a connus ou qu’on aimerait connaitre.
Il suffit pour cela que Google y ait dépêché un de ses milliers de piétons, vélos ou voitures équipés de caméras panoramiques et ait intégré les images dans la fonction « Street View » de sa cartographie.

Et depuis quelque temps Google associe ce savoir-faire géographique et ses prétentions culturelles dans des promenades virtuelles à l’intérieur des musées (ceux qui acceptent de renoncer un peu à leur exclusivité), sur un site appelé « l’institut culturel ».
On peut ainsi visiter aujourd’hui le British Museum, immense musée qui rassemble tous les jours dans le centre de Londres 15 à 20 000 curieux et 50 000 objets artistiques et culturels des civilisations qui ont essuyé la domination britannique.

Amusons-nous à y chercher une des merveilles (il y en a des centaines) de la collection, un petit marbre délicat figurant la déesse Aphrodite enlevant sa sandale, sculpté entre 300 et 200 avant notre ère disent les experts, découverte dans les fouilles de Knossos en Crète en 1858, achetée par le musée en 2000 chez Sotheby’s.

En explorant d’abord la base de 4600 objets du British Museum reproduits en haute définition sur le site, la statuette est introuvable, ou alors sous un critère de recherche trop exotique.
Allons donc visiter virtuellement le musée. Mais on verra que la chose n’est pas vraiment au point et que la visite ressemble plutôt à l’exploration d’un jeu vidéo à énigmes.

Connaitrait-on le numéro de la salle d’exposition (ici G22/dc7) que l’information serait inutile car le plan pour s’y rendre (sur la gauche de l’écran) n’affiche pas les numéros des salles, cependant le G signifie probablement Ground floor. On progresse. En cliquant au hasard, dans le plan, sur une des salles du rez-de-chaussée, on verra peut-être s’afficher une enfilade d’antiquités manifestement égyptiennes ou encore des vitrines de tablettes couvertes d’inscriptions cunéiformes. Mais on cherche les salles consacrées à la culture hellénistique.

Vous vous exclamerez alors « Qu’est-ce qu’ils nous compliquent la vie, au lieu de nous donner le lien direct qui afficherait l’endroit exact, comme dans Street view ! » C’est que la fonction n’existe pas. D’ailleurs, vous devriez également éviter de cliquer sur le bouton de retour arrière du navigateur car il ne vous ramènerait pas à l’étape précédente mais toujours au milieu du hall d’entrée du musée. Et tout serait à refaire.
Google propose tout de même sur un rail en bas de page une centaine d’objets choisis accessibles directement, comme par magie. Et par chance la vitrine recherchée se trouve dans la même salle qu’un de ces objets, une couronne de feuilles d’or.
Vous êtes rassurés. Vous brulez.

Et si persévérant vous parvenez à la vitrine convoitée, vous serez cependant un peu déçus du seul point de vue disponible, de la médiocrité de l’image, et de ne pas pouvoir lire les cartels trop petits.
On aura toutefois échappé à pire, Google aurait pu appliquer ici les algorithmes utilisés dans la rue pour Street view et flouter les visages des statues pour respecter l’anonymat de leur vie privée ou masquer toutes les parties des corps jugées sexuellement explicites.

Finalement la visite n’est pas agréable et pourrait être largement améliorée.
En attendant, on trouvera de belles photos de la statuette, sous des angles variés, sous le numéro 2000,0522.1 dans le catalogue en ligne du site du British Museum.
 

vendredi 13 novembre 2015

La vie des cimetières (67)

Quelques cimetières croisés sur les routes d’Auvergne...

Au sujet de l'Auvergne, Alexandre Vialatte disait qu’elle est pleine « de proverbes et de grand-mères qui enseignent dès la tendre enfance à faire du quelque chose avec du je ne sais quoi, en l'économisant sans cesse. Il n'est pas rare - poursuivait-il - d’y voir des gens partis de rien qui arrivent au même endroit au bout de leur existence. D'autres qui arrivent à du je ne sais quoi avec beaucoup de persévérance. D'autres qui partent de tout et qui n'arrivent à rien. Mais, plus généralement, avec du presque rien ils arrivent à du quelque chose. »

C’est dire sa profonde connaissance de l’être humain, et de l’Auvergne. C’était dans « Chronique du rien et même du presque rien » le 20 mars 1962 dans le journal La Montagne de Clermont-Ferrand.

Ça commence bien, Saint-Bonnet-de-Montauroux dont voici le cimetière n'est pas vraiment en Auvergne, mais dans le département de la Lozère, à 3 kilomètres de la frontière de la Haute-Loire.

Cimetière de Polignac, dans le département de la Haute-Loire (tout de même !).

Minuscule cimetière de La Godivelle, dans le Puy-de-Dôme.

Entrée du cimetière de La Godivelle.

dimanche 8 novembre 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (8)

Depuis que Marcel Duchamp a tenté d’exposer sa première pissotière industrielle en porcelaine (la Fontaine) au salon des artistes indépendants de New York en avril 1917, tout le monde devrait savoir qu’un objet quelconque peut devenir une œuvre d’art et définir une nouvelle valeur si une personnalité en vue l’a décidé.

Mais cette évidence culturelle s’est imposée lentement. Elle n’a pris son essor qu’avec la floraison de l’art conceptuel dans les années 1960, quand Duchamp qui avait égaré les œuvres dadaïstes de sa jeunesse en certifia quelques répliques antidatées.
Et on constate aujourd’hui que certains milieux sociaux sont encore imperméables à cette idée progressiste de l’art.

Le drame s'est produit au Museion de Bolzano, musée consacré à l'art d'aujourd'hui, dans le nord de l’Italie.

Deux jeunes artistes italiennes, qui voulaient exprimer leur réprobation envers la corruption et les orgies organisées par les politiciens socialistes italiens dans les années 1980, avaient empli une pièce du musée de restes de bombance, cadavres de bouteilles, cotillons et mégots. On pourrait douter de la modernité du propos, mais gardons-nous de tout jugement esthétique à priori.
L’œuvre s’appelait « Où allons-nous danser ce soir ? ».

La suite de l'histoire était écrite, car il n’y a pas un mois sans qu’un scandale ménager n’agite dans les médias le monde de l’art contemporain et de ses détracteurs.

En effet le lendemain de l’installation de l’œuvre, le personnel d’entretien nécessairement matinal découvrait l’état de dégradation de la salle et s’affairait pour tout débarrasser avant l’ouverture du musée.
Quand les visiteurs arrivèrent, la pièce était immaculée. Dans de grands sacs de plastique noir reposaient les reliques de l’exposition triées par type de déchet, chacun dans sa poubelle dédiée, bouteilles, confettis et serpentins…

En quelques jours l’œuvre fut reconstituée et exposée de nouveau. C’est la grande force de l’art conceptuel que de s’adapter sans effort à toutes les conditions matérielles.

Les artistes voient dans cet accident la « preuve de la vitalité et de l’irrémédiable nouveauté de l’art contemporain », « s’il a été jeté comme des ordures c’est qu’il est toujours radical et subversif ».
N’exagérons pas, il s’agit ici d’un banal défaut d’information, d’une méprise que n’importe qui d’insuffisamment aguerri aux raisonnements conceptuels de l'art moderne aurait commise.

On devrait d’ailleurs récompenser les gens du ménage pour avoir porté cette œuvre d’art vers une sorte d’accomplissement. Par leur rafraichissante ingénuité, ils sont allés plus loin dans le concept, et plus radicalement que ne l’avaient osé les artistes qui s’étaient frileusement limitées à exposer les ordures sous les couleurs vives et les jolis scintillements d’une lumière de cabaret.

Homme de ménage en train de remettre de l’ordre dans les salles d'art contemporain du musée des beaux-arts de Nantes, ou bien sculpture de Daniel Firman intitulée Gathering exposée en 2003 ? Cette vertigineuse mise en abyme conceptuelle pourrait, au premier faux pas, se terminer par la réquisition en urgence du personnel d’entretien du musée.