mardi 24 octobre 2017

Anders Zorn, peintre (1860-1920)

Zorn, Vacances d'été 1886 (détail - aquarelle)

La postérité n’aime pas les virtuoses, surtout ceux qui, ambitieux, ont courtisé la grande bourgeoisie et se sont enrichis sans respecter les rigueurs stylistiques des grandes mouvements artistiques de leurs temps. Elle a du mal à les cataloguer.
En peinture, les virtuoses divertissent au jour le jour comme en musique, se consacrent au plaisir immédiat, et ne méditent pas longuement sur la destinée de leur art. Il improvisent des portraits désinvoltes et brillants de la haute société, et les exposent fièrement au « Salon » de l’année, avant qu’ils ne finissent dans la pénombre de bureaux cossus où ils vieillissent avec leurs modèles. La génération suivante ne les regarde plus et hésite sur la signature du peintre. Lorn, Lom, Zom ?

La postérité, dédaigneuse, dit d’Anders Zorn qu’aquarelliste prodige venu d’un milieu suédois modeste, il avait déjà à 30 ans conquis la distinction de la légion d’honneur en France et à 40 ans fait le portrait de trois présidents des États-Unis et de dizaines de millionnaires et d’artistes en vue.

Au moins a-t-il vécu libre, riche, et heureux probablement, s’il faut croire archives et photographies d’époque, de ses premiers succès vers la fin des années 1880, en France et aux États-Unis, à sa fin en Suède en 1920. La vie se moque bien de la postérité, qui est la mort.

Alors si les détails des aquarelles, huile ou dessin présentés ci-dessous en illustrations vous enchantent, n’hésitez pas. Le Petit palais de Paris les expose avec 150 autres dans une grande rétrospective du peintre, jusqu’au 17 décembre 2017.
Comme pour ses amis (ou confrères) de fortune, autres surdoués ambitieux de l’époque, Sargent, Besnard, Sorolla, il y a bien longtemps qu’on n’attendait plus une telle exposition.

Ne lisez rien sur Zorn, c’est inutile, ce sont des mots. Seules comptent les choses.


Zorn, Vacances d'été 1886 (détail - aquarelle)

Zorn, Alger 1887 (détail - aquarelle)

Zorn, Le buisson 1886 (aquarelle)

Zorn, L'Alhambra 1887 (détail - aquarelle)
et ci-dessous Femme se déshabillant 1893 (huile) et portrait du peintre Max Liebermann 1891 (dessin)




samedi 14 octobre 2017

Un lapsus imaginis

NPF Sotsium [APF Social] est un fonds de pension russe (non étatique est-il précisé) très respectable qui propose tous les services d’un organisme de retraites par capitalisation et publie ses comptes avec ponctualité sur un site internet exemplaire.
Comme tous les organismes de ce type, sa préoccupation est de faire fructifier l’épargne de ses sociétaires.

Voici quelques mois les réseaux sociaux se sont émus d’une affiche publicitaire au slogan « Nous créons le futur ensemble » d’une audacieuse originalité, souligné d’une illustration non moins hardie (ci-dessous dans le métro de Moscou).

(© inconnu)

Si la métaphore du casque censé protéger contre les aléas de la vie et assurer un avenir radieux aux jeunes générations est très classique, voire convenue, celle du clou sur le point d’être enfoncé dans la cuisse de l’enfant, et contre lequel casques et grands sourires confiants sont inefficaces, est plus subtile.
Elle serait l’allégorie inconsciente d’une sorte de justice redistributive darwinienne qu’on pourrait lire ainsi :

« Le chaland est exhorté à investir dans l’achat de jolis casques colorés qui ne servent à rien (ils évoquent la forme d’une bulle - financière évidemment), et à ne pas s’inquiéter de ce qui se passe plus bas, sur la planche, dans le monde du travail. 
Sur l’image suivante, laissée à la perspicacité du spectateur, le clou blessera l’enfant qui sera transporté d’urgence dans une clinique où il mourra d’une infection, car les services y seront désorganisés par une réduction du personnel, contrainte par les objectifs de rentabilité imposés par les actionnaires, sociétaires dudit fonds de pension. »

samedi 7 octobre 2017

La vie des cimetières (78)


Cimetière américain de Suresnes, Mont Valérien

On sait l’opposition des pissefroids contre les amateurs qui photographient les œuvres dans les musées ou les monuments dans les rues. On ne reviendra pas sur leurs arguments élitaires, ou mercantiles, le sujet a été abondamment traité.
Mais sait-on que la photographie est également interdite dans la majorité des cimetières, et que le contexte juridique de cette prohibition est aussi confus que pour les musées ou les monuments publics ? Probablement pas. Qui lit le règlement d’un cimetière au moment de le visiter ?

On en trouve pourtant des milliers sur internet. Des milliers, car chaque mairie, aidée du conseil municipal, est responsable de sa rédaction. Il existe donc potentiellement en France entre 36 000 (nombre de communes) et 43 000 (nombre de cimetières) règlements spécifiques.
En réalité, étant donné que le règlement des cimetières doit respecter le Code général des collectivités territoriales, qui s’étale sur plusieurs milliers de pages alambiquées, les communes pompent joyeusement dans quelques modèles préexistants.

Or un jour, un rédacteur à l’esprit confus mais désireux de montrer à ses supérieurs qu’il connaissait le droit, a ajouté dans l’article sur la police des cimetières une interdiction de photographier les tombes, en mélangeant de vagues souvenirs du droit à l’image des personnes, du droit de la propriété et du droit d’auteur.
Et depuis, son modèle a été copié des centaines de fois, parfois avec des erreurs d’interprétation, reprises elles-mêmes par des centaines de copistes, donnant lieu à quelques variantes.

Ainsi, alors que la loi (le Code des collectivités) ne parle jamais d’interdiction de photographier les sépultures, l’inspiration arriérée d’une poignée de rédacteurs qui croyaient que photographier une tombe peut porter préjudice au mort et à sa famille, et constituer une atteinte au respect que l’on devrait aux morts, est devenue une ritournelle dans près des deux tiers des règlements de cimetière.

Dans un cimetière, on ne rigole pas tous les jours
(Cimetière américain du Mont Valérien)

Les variantes de l’interdiction :

À Cherbourg, l’art.5 interdit […] de chanter sauf les chants liturgiques, de prendre des photographies des sépultures […]

À Saint-Pryvé, l’art.76 interdit à peu près tout, […] de marcher ou de s’asseoir sur les pelouses entourant les tombes, les conversations bruyantes, les disputes, […] d’y jouer, boire, manger, fumer ; de photographier ou filmer à l’intérieur du cimetière sans une autorisation du maire et éventuellement des concessionnaires, s’il s’agit de reproduire l’aspect d’un monument.

À Caen, l’art.19 dit la même chose, mais autorise les photographies aux concessionnaires ou leurs ayants droit qui désirent faire reproduire l’aspect des monuments qu’ils possèdent.

À Rennes, l’art.2-3 interdit expressément […] de se livrer à des activités de loisirs ; de photographier ou filmer sans autorisation écrite délivrée par le maire ; de mendier ou d'effectuer des quêtes sauf autorisation expresse de l'autorité municipale ; de faire des offres de service aux visiteurs […]

À Brunoy l’art.5 interdit uniquement les films publicitaires ou commerciaux, comme Paris dans son art.7 qui soumet […] l’activité des photographes et cinéastes à autorisation lorsqu’elle s’exerce dans un cadre professionnel ou commercial.

À Saint-Brieuc on ratisse large, l’art.8 interdit […] de se livrer à des opérations photographiques, cinématographiques, sans une autorisation de l'administration et des concessionnaires.

À Ligny-le-Ribault, l’art.7 fait preuve d’une amusante originalité, il interdit […] de photographier ou filmer les monuments sans autorisation des ayants droits (mais pas de la mairie), d’inhumer des cadavres ou disperser des cendres d’animaux domestiques, d’éviter l’utilisation du téléphone portable dans l’enceinte du cimetière […] Oui, vous avez bien lu, il interdit d’éviter l’usage du téléphone. C’est dire le sérieux avec lequel tout cela est rédigé.

En résumé le motif profond semble bien être le respect dû au repos des morts. Il s’agit de ne pas les irriter, ni de les réveiller, afin de ne pas voir des hordes de zombies piétiner les pots de géranium et envahir nos charmantes municipalités.

Statue de chat sur une sépulture par Niki de Saint Phalle
(Cimetière du Montparnasse, Paris)

Précisons que l’article L2213-8 du Code attribue au maire la police des funérailles et le maintien de l'ordre et de la décence dans les cimetières, et que cela peut être interprété de manière très large. Ainsi, dans les règlements, fumer dans l’enceinte des cimetières est généralement considéré comme inconvenant.
Rappelons que les employés municipaux peuvent vous faire expulser poliment d’un cimetière (en faisant intervenir la police municipale) au prétexte que vous portez atteinte à la décence du lieu, mais personne n’a le droit de vous confisquer ni appareil photo, ni films, ni cartes mémoire dans ces conditions.

Notons enfin que depuis 10 ans, au long de 78 chroniques sur la vie des cimetières, Ce Glob est Plat a probablement profané des milliers de fois, sinon les cimetières visités et leurs sépultures, au moins des quantités de règlements municipaux, et se promet de persévérer.

mardi 3 octobre 2017

Un bozoglyphe pour François-Joseph

Depuis qu’il croit être muni d’une sorte de conscience et décider librement de ses actes, l’être humain, ce légume blanchâtre qui sort à peine de terre pour y retourner, ne se prend pas pour la moitié d’une asperge. Il s’est mis à imaginer que des « entités » dans les nuages, observent ses réalisations, qu’il pense grandioses et dignes de leur admiration.

Alors il a réalisé sur le sol d’immenses figures visibles uniquement du ciel. Les plus célèbres ont été tracées voici plus de 1500 ans en balayant les cailloux du désert de Nazca, au sud du Pérou.
De nos jours ces figures d’animaux sont un peu effacées, mais on distingue encore nettement les marques « © 2017 Google » qui constellent le sol rocailleux. La prescience des anciens nous étonnera toujours.

Plus près de nous, il y eut la vogue des agroglyphes ou crop circles, ces grandes figures géométriques qui fleurirent dans les champs et qui curieusement, devant les protestations des syndicats d’agriculteurs, ne durèrent que le temps de quelques moissons. On ne dira jamais assez les méfaits de la mondialisation, du culte de la productivité, et, osons le dire, du bouleversement des valeurs.

Il reste heureusement, pour celui qui ne trouve plus sa place dans le monde contemporain, un refuge où priment encore la paix, l’ordre et la symétrie, un havre d’où il peut encore présenter au ciel l’étendue de ses sentiments. C’est le jardin à la française, et ses fameux bozoglyphes.
Rappelez-vous Herrenchiemsee, le faciès attristé du roi d’opérette Louis 2 de Bavière, et Versailles, la mine ravie et un peu hystérique du nouveau président de la République.

Aujourd’hui c’est en Autriche, à Vienne, dans le dessin des jardins du château de Schönbrunn, qu’un point de vue aéronautique révèlera un sorte de squelette desséché à l'anatomie douteuse et aux bras en croix.



Et c’est bien l'hommage le plus approprié qui pouvait être rendu à François-Joseph 1er, empereur d’Autriche, non parce que le souverain avait vécu dans ce château durant ses 68 années de règne pour enfin y mourir le 21 novembre 1916, mais parce qu’il avait enclenché le plus grand massacre qu’ait alors connu l’humanité, la Première Guerre mondiale, et ses quelques 20 millions de cadavres.