samedi 29 septembre 2018

Stoskopff !

Une « Vanité », en peinture, est la représentation d’objets réunis sur une toile de manière à évoquer symboliquement, par leurs propriétés, la fugacité, la fragilité de la vie, à signifier « les plaisirs ne mènent à rien, ils sont aussitôt oubliés, et les désirs se renouvellent indéfiniment, et seront finalement insatisfaits, par la mort, qui est inévitable ».
Une âme éprise de métaphores dénichera toujours dans un coin de n’importe quel tableau figuratif une chose qui lui rappellera ces évidences. Elle en déduira, selon ses penchants, une incitation à profiter des tous les instants, même les plus futiles, sans arrière-pensée (*), ou au contraire à fuir les divertissements car ils la détournent de mystérieux commandements reçus d’un autre monde où une bienveillante entité doit la submerger de félicité.

Mis à part la bougie et le crâne, qui éclairent et dramatisent opportunément nombre de scènes de vanité, les objets représentés varient indéfiniment, en raison des modes, des époques et des pays : fleurs, papillons, bulles de savon, fruits avariés ou non, gaufrettes, verres de cristal, coquillages, sabliers, journaux, feuilles d’automne, nuages…

Sébastien Stoskopff, Nautile et boite en copeaux, c.1625-30, New York Metropolitan museum (depuis 2001).

On sait peu de la vie de Sébastien Stoskopff né à Strasbourg en 1597.

Un voyage en Italie, de longs séjours et un succès vraisemblable à Paris. La rigueur et le dépouillement qu’il partage, comme certains des objets qu’il représente, avec les peintres de nature morte de l’époque, Lubin Baugin, Louise Moillon, Jacques Linard, témoignent de probables rencontres.
Enfin une réussite certaine dans l’est, à Strasbourg et Idstein, où il meurt étrangement, en 1657, saoulé à l’eau-de-vie et enterré furtivement par un logeur aubergiste, lavé de l’accusation de meurtre mais qui sera, 20 ans plus tard, brulé dans un des derniers grands procès en sorcellerie.
Et 70 tableaux retrouvés dont la moitié signés, et sur lesquels il peignit principalement des verres (par paniers entiers parfois), des livres, des poissons et des coquillages.

Oublié pendant trois siècles comme son confrère lorrain Georges de La Tour, il renait discrètement en public au même moment, dans la grande exposition des « peintres de la réalité au 17ème siècle », pendant l’hiver 1934-35, à l’Orangerie des Tuileries de Paris.
Mais l’austérité des sujets, des mises en scène et des couleurs le destinaient sans doute à rester dans l’ombre. On l’en extrait quelquefois, pour un temps, comme lors de la grande rétrospective Stoskopff à Strasbourg et Aix-la-Chapelle en 1997.

Aujourd’hui, le musée de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg, qui avait tant fait alors pour la reconnaissance du peintre, n’en expose plus qu’un seul tableau, une « Grande vanité », et ne prend même pas la peine de signaler à l’avance que l’étage où sont exposés (on le suppose) les 7 autres chefs-d’œuvre qu’il détient, est fermé, ni pour combien de temps.

Sébastien Stoskopff, Corbeille de verres et pâté, c.1630-40, Strasbourg musée de l’Œuvre Notre-Dame (non exposé).

On se fera une certaine idée de ce que l’on perd en consultant la petite soixantaine de tableaux reproduits (en basse qualité) sur le site The Athenaeum, ou ici, et quelques rares belles reproductions sur les sites du Metropolitan museum de New York (« Nautile et boite en copeaux » acheté en 2001), du musée Boijmans de Rotterdam et de Google Arts & Culture pour les deux tableaux du musée du Havre.

Il reste à espérer que le musée de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg, qui pèche par une humilité démesurée, se ravisera un jour et exposera orgueilleusement au public, qu’elle aura copieusement averti, sa collection complète de vanités de Stoskopff, qui est unique au monde.

Sébastien Stoskopff, Corbeille de verres, 1644, Strasbourg musée de l’Œuvre Notre-Dame (non exposé).


(*) C’est la morale des locutions « Carpe Diem (Cueille aujourd’hui) », « Hic et nunc (ici et maintenant) », « Memento mori (n’oublie pas que tu meurs) ». Rappelons cependant aux êtres avides de plaisirs et tentés par l’épicurisme (ou l'hédonisme) que ces doctrines n’enseignent pas de se gaver de tout ce qui passe à la portée des sens, mais de tout faire pour se préserver des souffrances et des peines de l'existence.
   

samedi 22 septembre 2018

L'art officiel

Concept de couleur constituée de 47% de bleu Klein IKB et de 53% de noir Kapoor Vantablack, déposé à l’INPI sous le n°WO2056110109.
Le créateur l’a nommé « Bleu qui va cartonner en dollars ».


Parlons un peu d’art officiel. Il n’y a aucune raison de négliger l’art officiel.
On le côtoie tous les jours dans les lieux publics. Il est posé là pour faire réfléchir le citoyen, pour lui rappeler un évènement ou une personnalité, qu’il n’a même pas connus, ou pour détourner son attention dans un environnement urbain ingrat. Parfois les deux.
Il est financé par les impôts ou par de généreuses entreprises qui en obtiennent une large et durable publicité et de substantielles ristournes fiscales.

Anish Kapoor, par exemple, est un artiste très officiel, couvert d’honneurs, de prix et de médailles surtout britanniques.
Essentiellement sculpteur et contemporain, il exprime sa vision du monde avec des moyens contemporains : gigantisme des productions, formalisme simpliste facile à communiquer, bienfaits du droit d’auteur (copyright), maniement ingénieux de la provocation et de la presse (voir l’affaire du vagin de la reine, à Versailles en 2015).

Il expose généralement de grandes choses géométriques et monochromes qui tiennent à peine dans les lieux d’exposition, et de gigantesques objets de métal, polis comme des miroirs ou rouillés, et dont on ne sait trop comment se débarrasser une fois l’évènement consommé.
Ses œuvres se mesurent à la tonne. Cloud Gate, miroir en forme de haricot, entreposé à Chicago, pèse 100 tonnes (et 23 millions de dollars).

Après une période d’objets rouges, et comme Yves Klein, qu’il admire, l’avait fait en son temps avec une peinture bleue particulière dont il avait l’exclusivité commerciale, Kapoor a acquis la propriété industrielle d’une peinture d’un noir spécifique très absorbant (Vantablack) qu’aucun autre artiste au monde n’a désormais le droit d’utiliser sous peine de poursuites judiciaires.
Ainsi tranquillisé par son dépôt de brevet auprès des institutions idoines, Kapoor en dispose des trous partout où il passe, creusés dans le sol, de 2 mètres de diamètre et 2,5 de profondeur, et dont la paroi est couverte de ce noir mystérieux. Les visiteurs s’y inclinent, de loin, avec appréhension. Il appelle cela « Descente dans les limbes ».

Pour démontrer que l’art contemporain n’est pas fait que de concepts et que le noir Vantablack absorbe réellement toute la lumière, un visiteur soixantenaire est tombé récemment dans le trou, à la fondation Serralves, à Porto. Hospitalisé quelques jours, il ne peut pas porter plainte, car le Figaro dit que tout visiteur signe une clause de renonciation aux poursuites en cas d’accident.
Un trou similaire, exposé dans le parc de Versailles en 2015, avait été prudemment protégé de barrières.

Kapoor dit que ses travaux évoquent les grandes dualités, comme Terre-Ciel, Matière-Esprit, Lumière-Obscurité, Visible-Invisible, Conscient-Inconscient, Mâle-Femelle, Corps-Âme, Réalité-Reflet, et ainsi de suite.
Mais l’art est une expérience intime, et les objets de Kapoor expriment certainement aussi, pour d’autres que le créateur, d’autres dualités fondamentales, comme Débit-Crédit, Public-Privé, Assurance-Mutuelle, voire Sucré-Salé, ou Fromage-Dessert.
Et c’est là la puissance des concepts. Ils s’ajustent à tous les publics et toutes les circonstances.

samedi 8 septembre 2018

Améliorons les chefs-d'œuvre (13)

Quand l’indignation des réseaux sociaux aura changé de pâture, quand les médias auront levé le siège de l’église San Miguel d’Estella, dans le nord de l’Espagne (à 140km de Borja), quand le prêtre, commanditaire de la restauration, le maire de la ville et les experts du ministère auront refermé leur parapluie à responsabilité et leur feinte surprise, l’Église rouvrira peut-être la chapelle latérale et dévoilera au public l’objet de tant d’emportements (moyennant une petite obole, comme pour la visite du Christ massacré de Borja).

C’était une sculpture sur bois du 15ème siècle figurant saint Georges à cheval, grandeur nature, renversant un dragon. On en parlait dans les guides sur la Navarre, on la disait de style gothico-flamand.
Restaurée par l’école d’artisanat Karmacolor à la demande du curé de la paroisse, la vieille statue a été soigneusement arasée, poncée et plâtrée, puis recouverte d’une peinture résistante, tentant d’approcher les couleurs d’origine dont les traces étaient encore bien visibles, et en modifiant certaines pour faire joli. L’expression hébétée du saint original n’a pas été dénaturée.

Les experts, réveillés depuis, disent l’amélioration irréversible. Ils l’ajoutent à leur musée des horreurs de la restauration rapide et déplorent une perte irrémédiable pour l’héritage culturel Navarrais. Admettons. Mais chaque jour détruit une part du passé, et plus définitivement.
Hier encore, l’incendie du musée national du Brésil à Rio de Janeiro, largement prédit, a détruit une des plus grandes collections historiques et archéologiques du continent américain, avec sa bibliothèque.
Et il ne reste que les larmes, et l’énorme météorite de fer de Bendego, intacte, qui en a vu d’autres et survivra même à la fin de l’Humanité.

Dans le cas du Saint Georges d’Estella, c’est une sorte de renaissance. Et s’il n’est pas étonnant que tous les notables esquivent, il est curieux que les médias et réseaux sociaux s’indignent et reprochent à la statue son aspect désormais disneyen, son air de figurine de personnage de bande dessinée qu’ils comparent à Tintin ou Wallace et Gromit, comme à une infamie.
Car ce sont les mêmes qui encensent la modernité et l’espièglerie juvénile de chaque réalisation des ateliers de Murakami ou Koons, qui louent la force expressive des détournements, par les frères Chapman, des tirages originaux des gravures de Goya, qui admirent les couleurs clinquantes des fresques de la chapelle Sixtine depuis leur lessivage immodéré des années 1980, et que ne surprend pas la trivialité des couleurs appliquées, sous contrôle d’experts, aux « reconstitutions » des antiquités grecques ou des sculptures du moyen-âge.

Alors il n’y a aucune raison que ce saint Georges rajeuni ne devienne pas, avec le temps, comme le Christ outragé de Borja ou les boudins de Koons, un emblème lucratif, une incarnation de l’art le plus contemporain, décomplexé, goguenard, populaire enfin.


« Reconstitution des couleurs originales » par projection de lumières sur la façade de la cathédrale d'Amiens en 2017.

mercredi 5 septembre 2018

Histoire sans paroles (30)




Oui, Venise encore.
Oui, crépusculaire, encore.
Et un peu stylisée, en outre.
Et alors ?