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samedi 31 mai 2025

Ce monde est disparu (19)

Katsushika Hokusai, le mont Fuji vu d'Ejiri dans la province de Suruga, estampe 38 cm, 1831, vente Sotheby's 07.2023, 34k$.

Hokusai (Katsushika), mort en 1849 à 88 ans, est le plus admiré sans doute des dessinateurs, peintres et graveurs au Japon. 

Il aura dessiné des centaines de fois le mont Fuji, volcan explosif à la retraite depuis janvier 1708, le plus haut sommet du pays, que 2 à 3 millions de pèlerins gravissent chaque année, montagne sacrée pour les Japonais comme le camembert pour les Français. 


La plus fameuse série d’estampes réalisée vers 1830 par Hokusai comprend 46 vues gravées, regroupées sous le nom très approximatif de 36 vues du mont Fuji(voir ici la méthode de gravure sur bois)

Plusieurs centaines (voire milliers) d’exemplaires des vues les plus célèbres ont été imprimées. Les grands musées en possèdent parfois plusieurs versions. Chacune est unique. Le site ukiyo-e.org compare l'état et les couleurs de certaines, comme la "Vue d'Ejiri, province de Suruga".

On la trouve régulièrement dans les salles de ventes, comme en juillet 2023 chez Sotheby’s à Londres, où elle est partie contre 34 000$, un prix bas comparé aux 410 000$ de la célébrissime Vague lors de la même vacationpeut-être dû a son état de conservation (illustration ci-dessus). 


Elle reste l’une des images les plus originales parmi les milliers réalisées par Hokusai. 

On lui préfèrera peut-être la version verte de la Bibliothèque nationale de France (illustration ci-dessous), ou l’une des impressions bleu de Prusse conservées au British museum de Londres, en meilleur état et plus lisible (illustration plus bas).


Katsushika Hokusai, le mont Fuji vu d'Ejiri dans la province de Suruga, estampe 38 cm, 1831, Bibliothèque Nationale de France.

Katsushika Hokusai, le mont Fuji vu d'Ejiri dans la province de Suruga, estampe 38 cm, 1831, British museum.

dimanche 14 juillet 2024

Le Louvre restaure à tour de bras

Hans Holbein, portrait d'Anne de Clèves en 1539, 48 x 65cm, détrempe sur vélin, restauré au Louvre en 2024. 

Alors qu’au printemps dernier il communiquait fort sur le délicat décrassage qu’il venait de réaliser du seul tableau de Van Eyck en France, le Louvre oubliait d’annoncer, ou alors trop discrètement, qu’il venait aussi de débarbouiller un tableau de mêmes dimensions, moins prestigieux mais pour certains aussi beau, et peut-être plus fragile encore parce que peint à l'eau sur vélin, le portrait d’Anne de Clèves par Hans Holbein. 
On l’a su d’un site suisse qui l’avait appris d’un site belge. L’information est pourtant véridique ; le Louvre a mis sa base de données à jour, en y ajoutant sans autre explication trois reproductions très moyennes du résultat. Une photo de meilleure résolution, qu’il a fallu adoucir pour se rapprocher de celles du Louvre (notre illustration), circule sur Wikipedia (30Mo, 78Mpix, long chargement).


À sa vue on s’exclame "Ah, ils ont enfin mis une ampoule au plafond et changé le papier peint. Le bleu, c’est moins triste". Car depuis 250 ans probablement quand le tableau entrait dans la collection de Louis 14, tout le monde l'a vu ambre et verdâtre, comme on le trouve reproduit sur les photos de 2017 de la base de données du Louvre (à la suite des nouveaux clichés). Seuls les heureux élus qui avaient pu voir le même modèle peint par Holbein sur une miniature de 5 centimètres, à l’aquarelle, sur vélin également, au Victoria & Albert museum de Londres mais non exposée, pouvaient se douter de ce bleu. 


Pour l’anecdote, répétons succinctement après tant d’historiens le contexte de réalisation du tableau.

En 1539, Le roi d’Angleterre, Henri 8, qui avait perdu sa troisième épouse Jeanne Seymour en 1536, en quête d’une quatrième et conseillé par Cromwell, demandait à Holbein, portraitiste fidèle de la grande bourgeoisie anglaise et qui avait fait le portrait de Jeanne, de lui rapporter du duché de Kleve le portrait d’Anne de Clèves et de sa jeune sœur Amélie.

Quelques mois plus tard Holbein revenait des bords du Rhin avec les deux portraits (celui d’Amélie a disparu). Henri choisissait Anne. Elle arrivait en Angleterre fin 1539, et le roi fut très déçu. Anne le fut tout autant. Le mariage se fit tout de même mais était annulé après 6 mois, en juillet 1540, pour absence de consommation. Hans termina tout de même le portrait d’Henri, pendant officiel du portrait d’Anne, mais à l'huile et aux dimensions réelles du modèle. 

Nonobstant ce fiasco, Anne et Henri demeurèrent bons amis, et Hans était toujours peintre du roi quand il mourut en 1543, vers 46 ans, lors d'une des innombrables épidémies de peste de Londres.  


En novembre, quand vous retournerez à Paris pour tenter de déguster le Van Eyck nouveau (après avoir vérifié s’il est exposé, peut-être en salle 600), n’oubliez pas de monter un étage et de franchir les 250 mètres qui vous sépareront de la salle 809, pour passer voir la nouvelle Anne. Vous la reconnaitrez de loin, à son fond bleu.


samedi 22 septembre 2018

L'art officiel

Concept de couleur constituée de 47% de bleu Klein IKB et de 53% de noir Kapoor Vantablack, déposé à l’INPI sous le n°WO2056110109.
Le créateur l’a nommé « Bleu qui va cartonner en dollars ».


Parlons un peu d’art officiel. Il n’y a aucune raison de négliger l’art officiel.
On le côtoie tous les jours dans les lieux publics. Il est posé là pour faire réfléchir le citoyen, pour lui rappeler un évènement ou une personnalité, qu’il n’a même pas connus, ou pour détourner son attention dans un environnement urbain ingrat. Parfois les deux.
Il est financé par les impôts ou par de généreuses entreprises qui en obtiennent une large et durable publicité et de substantielles ristournes fiscales.

Anish Kapoor, par exemple, est un artiste très officiel, couvert d’honneurs, de prix et de médailles surtout britanniques.
Essentiellement sculpteur et contemporain, il exprime sa vision du monde avec des moyens contemporains : gigantisme des productions, formalisme simpliste facile à communiquer, bienfaits du droit d’auteur (copyright), maniement ingénieux de la provocation et de la presse (voir l’affaire du vagin de la reine, à Versailles en 2015).

Il expose généralement de grandes choses géométriques et monochromes qui tiennent à peine dans les lieux d’exposition, et de gigantesques objets de métal, polis comme des miroirs ou rouillés, et dont on ne sait trop comment se débarrasser une fois l’évènement consommé.
Ses œuvres se mesurent à la tonne. Cloud Gate, miroir en forme de haricot, entreposé à Chicago, pèse 100 tonnes (et 23 millions de dollars).

Après une période d’objets rouges, et comme Yves Klein, qu’il admire, l’avait fait en son temps avec une peinture bleue particulière dont il avait l’exclusivité commerciale, Kapoor a acquis la propriété industrielle d’une peinture d’un noir spécifique très absorbant (Vantablack) qu’aucun autre artiste au monde n’a désormais le droit d’utiliser sous peine de poursuites judiciaires.
Ainsi tranquillisé par son dépôt de brevet auprès des institutions idoines, Kapoor en dispose des trous partout où il passe, creusés dans le sol, de 2 mètres de diamètre et 2,5 de profondeur, et dont la paroi est couverte de ce noir mystérieux. Les visiteurs s’y inclinent, de loin, avec appréhension. Il appelle cela « Descente dans les limbes ».

Pour démontrer que l’art contemporain n’est pas fait que de concepts et que le noir Vantablack absorbe réellement toute la lumière, un visiteur soixantenaire est tombé récemment dans le trou, à la fondation Serralves, à Porto. Hospitalisé quelques jours, il ne peut pas porter plainte, car le Figaro dit que tout visiteur signe une clause de renonciation aux poursuites en cas d’accident.
Un trou similaire, exposé dans le parc de Versailles en 2015, avait été prudemment protégé de barrières.

Kapoor dit que ses travaux évoquent les grandes dualités, comme Terre-Ciel, Matière-Esprit, Lumière-Obscurité, Visible-Invisible, Conscient-Inconscient, Mâle-Femelle, Corps-Âme, Réalité-Reflet, et ainsi de suite.
Mais l’art est une expérience intime, et les objets de Kapoor expriment certainement aussi, pour d’autres que le créateur, d’autres dualités fondamentales, comme Débit-Crédit, Public-Privé, Assurance-Mutuelle, voire Sucré-Salé, ou Fromage-Dessert.
Et c’est là la puissance des concepts. Ils s’ajustent à tous les publics et toutes les circonstances.

jeudi 2 juin 2016

Améliorons les chefs-d'œuvre (10)

Voyant les dessins de Jean-Baptiste Oudry exposés au Louvre dans cette succulente exposition sur les jardins d’Arcueil, il est difficile d’imaginer qu’ils étaient tous réalisés sur du papier bleu. Le catalogue de l'exposition l'affirme.

Les feuilles sont aujourd’hui bistre, sépia, ocre, jaunes, orange, et pour les moins décolorées ou oxydées, d’un gris glauque.
Quelle teinte était utilisée il y a 250 ans ? L’indigo comme pour les maitres italiens ? Il est difficile de restituer la couleur d’origine sans l’analyse chimique des pigments.

Risquons la reconstitution imaginaire d’un des plus beaux dessins de la série, conservé au musée Paul Getty de Los Angeles.
Le bistre d’aujourd’hui était peut-être alors un pâle clair de lune.

 

Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, passage du grand parterre de la Faisanderie à la terrasse supérieure (musée Paul Getty, Los Angeles). Comme pour la musique baroque recréée aujourd'hui avec des instruments d'époque, procédé en vogue, la couleur bleue originale du papier a été simulée artificiellement.

lundi 5 septembre 2011

C'est beau, la nature


Le morpho, papillon bleu iridescent qui batifole imprudemment dans les forêts d'Amérique du sud n'a décidément pas de chance. La nature l'a doté, dans sa dernière métamorphose, de couleurs si précieuses, comme un métal enchanté dans un film de Walt Disney, que collectionneurs et naturalistes n'ont jamais pu se retenir d'en décorer à profusion vitrines et musées.
Et tandis qu'un brave papillon commun flanqué de couleurs vulgaires prend tous les matins le chemin du bureau, vit paisiblement ses quelques mois d'existence, butine au passage et se reproduit comme tout le monde en dizaines de petits papillons également communs, l'éblouissant morpho quant à lui finit généralement jeune, épinglé dans une boite poussiéreuse, au dessus d'une étiquette qui précise, d'une écriture cursive et appliquée, le petit nom de l'animal et le paradis où il a été chassé, agrémentés d'un commentaire affligé sur la disparition de l'espèce.

Moralité : il n'y en a pas.