lundi 27 mars 2017

Cueco, la fin d'un homme discret

Henri Cueco - Brûlures du paulownia été 2003, détail.

Que reste-t-il sur internet d’un peintre relativement inconnu ?

Henri Cueco vient de mourir le 13 mars 2017.
Peintre des collections obsessionnelles, écrivain, philosophe facétieux, on l’avait beaucoup entendu dans les émissions oulipiennes de « divertissements littéraires à contraintes » de Bertrand Jérôme sur la radio France culture, « Les décraqués », quotidiens, et « Les papous dans la tête », hebdomadaires. C’était l’époque, avant 2004, où on y entendait encore Roland Dubillard, Georges Perec, Hervé Le Tellier, Roland Topor, Christian Zeimert, et le génial Jacques Rouxel, émissions d’anthologie conservées jalousement dans les immenses archives de la radio, et rarement partagées.

Il reste un réjouissant abécédaire réalisé en 2010 par Pascal Lièvre et financé par le musée Ingres de Montauban. En 26 entretiens de 2 à 3 minutes, Cueco improvise sur un mot, qu’il découvre à chaque séance, à la fois avec gravité et légèreté.
C’est une leçon de liberté de pensée, qu’on peut prendre à petite dose, une lettre par jour par exemple, sans respecter l’ordre alphabétique, en commençant par dieu, puis yeux, géométrie, vérité, humour, mémoire, quête, toile, peuple, web… On pourra aussi écouter les autres lettres, animal, beauté, couleur, espace, figure, idéologie, joie, kaléidoscope, lumière, narration, organisme, raison, série, utopie, X, et zéro.
L’ensemble complet ordonné se trouve sur le site de Pascal Lièvre.

On trouvera enfin sur Youtube un petit entretien rural de 13 minutes, et quelques tableaux montrés furtivement, comme l’aura été l’existence de cet homme discret.

samedi 18 mars 2017

Monuments singuliers (5)



Le monument aux morts pacifiste de Saint-Appolinaire

Saint-Appolinaire est un petit village sans histoire du département du Rhône dont la courbe démographique a bien du mal à atteindre la barre des 300 habitants. Elle la passait encore en 1911 avant que la « Grande Guerre » de 1914-1918 et la grippe espagnole de 1918-1919 ne réduisent la population de 25%.
On qualifiait cette guerre de Grande sans doute pour le nombre de morts, près de 20 millions, et on qualifiait la grippe d’espagnole car c’était le seul pays dont l’information sur la pandémie n’était pas censurée et dont les chiffres étaient connus. Avec ses 60 millions de morts (jusqu'à 100 millions d'après certains) on aurait pu l’appeler la Grande Grippe.

Un jour de 1977 le nouveau maire fit ériger à Saint-Appolinaire un modeste monument aux morts, une stèle de granit rose sur laquelle on égrena le nom des 25 « victimes de la guerre » conservés jusqu'alors sur une plaque commémorative. Et il y avait seulement 15 noms de famille. Les frères avaient été enlevés l’un après l’autre.
On grava en bas un aphorisme extrait des Cahiers de Paul Valéry qui exprimait clairement la réprobation amère et pacifiste des commanditaires du monument « La guerre est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui eux se connaissent, mais ne se massacrent pas ».

La citation est habituellement masquée par un bac de géraniums ou pélargoniums, parfois de pensées, mais le maire accepte sans hésitation qu’on le déplace momentanément pour la photographier, si on parle de sa commune.


mardi 14 mars 2017

Vermeer au Louvre, prêts pour un record ?

Le musée du Louvre exhibe actuellement 12 Vermeer, parmi d’autres merveilles.
Il a justifié le chaos des réservations et de l’accueil des visiteurs en déclarant que 9400 personnes étaient venues pour voir l’exposition le jour de l’ouverture, 22 février 2017. Il n’affirme pas qu’elles l’ont vue, mais qu’elles « se sont présentées », car l’aire du hall Napoléon consacrée aux expositions temporaires ne peux pas accueillir autant de visiteurs. Les plus gros triomphes du Louvre font état de pics entre 4000 et 5000 visiteurs, certains jours.

Laissons-nous aller à un petit calcul récréatif.

Les toiles de Vermeer seront exposées du 22 février au 22 mai, soit pendant un total de 856 heures, à raison de 4 jours de 9 heures et 2 jours de 12h45 par semaine, et en tenant compte des nocturnes supplémentaires promises pour calmer les irritations.
Supposons qu’un visiteur stationne 1 minute et 20 secondes devant chaque tableau (c’est une moyenne), soit 1h30 par visite. 856 heures d’exposition autoriseront ainsi 570 visites de 90 minutes (856 / 1,5).

Il reste à déterminer le nombre de visiteurs simultanés.

Les normes de sécurité (notamment incendie) dans les lieux recevant du public, musées ou expositions, interdisent de dépasser une personne pour 5 mètres carrés accessibles au public, sauf autorisation d’une commission de sécurité.
Dans le cas du hall Napoléon du Louvre, l’aire d’exposition faisant 1350 mètres carrés, la moitié étant dévolue aux 45 immenses toiles de Valentin de Boulogne, l’autre moitié, dédiée aux 70 petits tableaux de l’exposition Vermeer, ne devrait donc pas accepter plus de 135 visiteurs en même temps.

Ainsi, en respectant les normes de sécurité, 77 000 personnes seulement verraient les Vermeer (570 x 135), dans des conditions acceptables pour une admiration sereine, à raison de 2 personnes en permanence devant chaque tableau.

Si le Louvre se permet quelque liberté avec les normes, histoire de se rétablir un peu après sa mauvaise année 2016, et autorise en permanence 5 personnes devant chaque tableau, 3 au premier plan et 2 derrière qui regardent dans l’espace entre leurs épaules, alors 200 000 personnes verront les Vermeer, soit 2100 à 3000 par jour.
C’est la limite haute des grands succès du Louvre (n’oublions pas que les records affichés de 4000 à 5000 visiteurs par jour valent pour l’ensemble de la surface disponible, dont l’exposition Vermeer n’occupe que la moitié). Parmi ces 200 000 personnes, nombreuses sont celles qui auront du mal à apercevoir les 12 Vermeer, tant ils seront monopolisés.

Enfin, la plupart des œuvres mesurant moins d’un mètre en largeur, cadre compris, et l’écartement qui les sépare étant encore moindre, toute configuration qui excèderait 200 000 personnes (5 par tableau) ne permettrait pas aux couches supplémentaires de spectateurs de voir les œuvres. Pourtant si l’on s’appuie sur les 9400 prétendants du premier jour, on peut sans risque estimer qu’au moins 750 000 fanatiques seraient prêts à se lancer dans l’aventure hautement aléatoire d’une visite de l’exposition (voir les 1 200 000 en 4 mois et demi qui ont visité la collection Chtchoukine).

En conclusion, le Louvre a organisé, dans un espace pouvant accueillir dans les pires jours 2000 à 2500 personnes, une exposition dont il a fait une abondante promotion et dont il savait pertinemment que la même exposition à l’Orangerie de Paris en automne 1966 (« Dans la lumière de Vermeer » réunissait également 12 Vermeer) avait attiré 6000 visiteurs par jour.
On pourrait rappeler à ces organisateurs-nés l’humilité du musée Mauritshuis de La Haye qui en 1996, dès les premiers jours de la grande rétrospective qui regroupait 23 Vermeer (et 400 000 amateurs, près de 5000 par jour), avait en quelques heures réaménagé et augmenté d’un quart la surface de l’exposition, sous la pression des visiteurs.

Mais ne rêvons pas, tout a été au Louvre tellement sous-dimensionné qu’il n’y a plus rien à faire, et il serait impensable d’interrompre brutalement et reporter l’exposition jumelle de l’infortuné Valentin de Boulogne, même si elle ne voit certainement passer quasiment aucun visiteur, les amateurs étant empêchés ou découragés par la désorganisation du système commun de réservation.

Autre exemple de gestion brillante de l’accueil des visiteurs dans un musée parisien, en 2012 le musée d’Art moderne ferme pendant la rétrospective Robert Crumb, en ne prévenant quasiment que par affichage sur place.

jeudi 9 mars 2017

La vie des cimetières (75)

Le tombeau du facteur Cheval par le facteur Cheval, 
au cimetière de Hauterives dans le département de la Drôme.

C’était l’époque des colonies françaises de Cochinchine, de la redécouverte des temples exubérants de l’Inde et de l’empire khmer dont les gravures envahissaient les magazines illustrés comme le « Magasin Pittoresque », encyclopédie populaire que l’administration des postes et télégraphes distribuait aux abonnés.

C’était l’époque où Ferdinand Cheval, simple facteur mégalomane, transcendait l’art du « nain de jardin » en édifiant lentement dans sa cour un énorme temple de pierre et de ciment, débordant d’enjolivures de « style nouille » et d’aphorismes candides. Il l’appelait le « Palais idéal » et aurait souhaité y être enterré, ce que la loi interdisait.
Alors exalté par le succès touristique de l’ouvrage de sa vie il achetait une concession au cimetière du village et y édifiait son propre tombeau, durant 8 ans, dans le style naïf et luxuriant qui avait fait sa renommée.

Depuis, le monument est devenu historique et la concession perpétuelle. Le village de Hauterives entretient soigneusement le Palais, le mausolée, et les 150 000 visiteurs qui s’y rendent tous les ans.