vendredi 25 février 2011

La vie des cimetières (35)

Où on apprend pourquoi dans l'antiquité il n'était pas obligatoire d'être aveugle pour devenir empereur romain ou philosophe grec...
Illustration 1 : détail d'un athlète courant, copie romaine en bronze trouvée à Herculanum dans la célèbre villa des papyrus (Naples, musée national d'archéologie). Illustration 2 : Portrait d'un inconnu, marbre, vers 140 de notre ère (Naples, musée national d'archéologie). Illustration 3 : Portrait d'homme sur une stèle (Milan, cimetière monumental, vers enclos ouest - secteurs 15-16).
 
 
Le citoyen moderne qui déambule parmi les ruines antiques ou médiévales apprécie qu'elles aient été blanchies par le temps, que l'architecture et la statuaire qui ne sont pas de son siècle aient été lessivées par les intempéries au point de ressembler à d'immenses squelettes de pierre. Le passé lointain est forcément incolore. 
Or on sait depuis longtemps déjà que cette vision est fausse, que les temples, les cathédrales, les statues étaient généralement multicolores. Que les yeux des portraits sculptés, quand ils n'étaient pas incrustés de pierreries polychromes étaient certainement peints (illustration 1)
 
Cependant le visiteur qui parcourt les salles d'un musée d'antiquités a l'impression, devant les bustes alignées, de traverser un long hôpital peuplé d'aveugles aux yeux inhabités. Même Antonio Canova, adepte tardif de l'antiquité presque vingt siècles plus tard, la copiait au point d'orner généralement les visages de ses statues de globes lisses et inexpressifs pour tout regard. 
 
Pourtant les bustes modelés au même moment par Jean-Antoine Houdon respiraient, vivaient, et vivent encore, grâce à un procédé qu'on pourrait croire neuf mais dont il avait probablement observé les prémices à Rome sur quelque buste antique (illustration 2)
Dans le globe oculaire, l'iris est creusé comme une coupelle, légèrement si les yeux doivent être clairs, à l'exception d'une petite saillie qui accroche plus de lumière et simule un reflet d'humidité. Parfois l'effet est rehaussé en creusant un trou au centre pour marquer la pupille et en striant légèrement l'iris de lignes concentriques (illustrations 3 & 4).
 
 
Illustration 4 : Portrait de femme, d'une statue pédestre (Milan, cimetière monumental, vers enclos ouest - secteurs 15-16)
 
 
Et quand l'astuce est réussie, comme sur certains bustes funéraires du cimetière monumental de Milan, où que soit placé le spectateur, les yeux de la statue présentent l'illusion de la transparence et la profondeur d'un vrai regard. 
 

samedi 19 février 2011

Muséographie électronique

La chose n'aura pas échappé aux vrais amateurs d'art, la polémique fait des bulles dans le petit monde des images sur internet.

Et c'est encore à propos de Gougueule, qui vient de s'entendre avec quelques musées avertis pour photographier en ultra haute résolution un tableau de leur choix et le présenter, avec d'autres de moindre qualité, dans une sorte de pinacothèque, de site des musées, nommé Google Art Project. Ça n'est pas nouveau. On se rappellera le Prado. Dessein philanthropique ou besoin mercantile, l'obsession de Gougueule a toujours été de numériser le monde entier en haute définition, et donc le contenu de tous les musées du monde.

Les reproches pleuvent, dont ceux de Wikimedia, ce qui peut surprendre de la part d'un organisme défenseur de la liberté des droits de l'image. Ils allèguent que le site de Gougueule, dont les images ne sont pas copiables, ferait régresser la notion de domaine public car il risque de détourner les musées dans leur démarche de libéralisation de la diffusion de leurs œuvres. En réalité, comme toute image affichée sur un ordinateur, elles sont copiables et feront de splendides fonds d'écran. On en trouve même dans leur format original, immense, sur le site de ceux qui dénigrent le projet, Wikimedia !

Ces arguments légèrement orientés et certainement byzantins n'émouvront pas le quidam utilisateur. La curiosité de l'être humain est aussi vaste que l'univers, mais ses enjambées sont minuscules et son souffle bref. Alors, comme dans un roman d'aventures, il attend qu'on lui apporte sur un coin de table l'air de l'océan, le goût des embruns et le détail ciselé des plus beaux coquillages des endroits où il n'ira jamais.

Et Google Art Project, comme Google Earth ou Panoramio, lui procurera cet émerveillement. On raconte que seulement dix-sept musées ont eu l'intelligence de se lancer dans cette entreprise, et qu'il n'y a que mille œuvres reproduites. C'est peu, décevant même, mais ça représente déjà quelques heures de flânerie et de délectation.


En haut d'article, détail du retour du fils prodigue, de Rembrandt (Saint-Pétersbourg, Hermitage),
copyright Google Art Project ainsi que tous les détails ci-dessus (et ci-dessous).

Piero di Cosimo, Andromède libérée par Persée (Florence, Uffizi), Jacob van Ruisdael, Chênes au bord d'un lac et nénuphars (Berlin, Gemaldegalerie), Vassily Verechtchaguine, Apothéose de la guerre (Moscou, galerie Tretyakov), Vermeer, Jeune femme au collier de perles (Berlin, Gemaldegalerie), Rembrandt, La ronde de nuit (Amsterdam, Rijksmuseum), Van Eyck Jan, Madone dans une église (Berlin, Gemaldegalerie), Klinger Max, The walker (Berlin, Alte Nationalgalerie), Botticelli Sandro, Naissance de Vénus (Florence, Uffizi), Van Gogh, Nuit étoilée (New York, MoMA), Oehme Ferdinand, Scharfenberg la nuit (Berlin, Alte Nationalgalerie), Brueghel Peter, Les proverbes (Berlin, Gemaldegalerie), Arnold Böcklin, L'ile des morts (Berlin, Alte Nationalgalerie).


Mise à jour du 14 mars 2014 : Le projet s'enrichit de jour en jour, s'appelle plutôt Google Institut Culturel et se trouve à cette adresse.

dimanche 13 février 2011

Morbelli encore

En complément à la chronique du 11 février sur Angelo Morbelli, deux œuvres probablement toujours en collection privée, à Milan : La sedia vuota - la chaise vide (1903, huile sur toile), et Le Parche - les Parques (1904, pastel).

vendredi 11 février 2011

Le tableau interdit

Faisons aujourd'hui un hommage aux téméraires résistants d'OrsayCommons, qui ont bravé à deux reprises déjà les débonnaires gardiens du musée d'Orsay, en exhibant leurs minuscules mais redoutables appareils photo numériques, malgré la prohibition impérieuse et les centaines de panonceaux rouges disséminés comme à la frontière des deux Corée, et afin de manifester leur désapprobation devant l'interdiction illégale et discrétionnaire de photographier les lieux.
Et cet évènement est l'occasion de parler enfin d'un peintre peu connu, régulièrement oublié, dépoussiéré tous les 20 ans pour illustrer quelque exposition sur le post-impressionnisme en Lombardie, Angelo Morbelli (Alessandria 1853 - Milan 1919), peintre italien étiqueté divisionniste et réaliste.

Morbelli Angelo, Jour de fête à l'hospice Trivulzio, 1892, médaille d'or à l'exposition universelle de 1900, actuellement au musée d'Orsay. Par fraternité pour les manifestants d'OrsayCommons, cette photo d'une œuvre du domaine public a été ignominieusement prise sans autorisation, depuis l'annonce de l'oukase vénal et félon du musée d'Orsay.

En librairie ou sur Internet, on ne trouve quasiment rien sur Morbelli.
Sur les quais, à Paris, le vieux catalogue italien d'une rétrospective à Alessandria au printemps 1982 (75 œuvres), dans un coin mal éclairé du musée Ca' Pesaro à Venise une vue mélancolique de l'hospice Trivulzio, une autre sur un mur inapprochable du palais Pitti à Florence, un ou deux tableaux à Milan ou Turin, quelques liens déjà morts autour d'une exposition à Turin, en 2001.

Et puis il y a ce site émouvant sur le village de Colma di Rosignano et les témoignages touchants des descendants d'Angelo Morbelli, sur sa maison et son atelier préservés avec affection.
C'est tout.
On se rappellera un jour, au hasard d'une exposition, que c'était un grand styliste, et comme Georges de La Tour, Chardin, ou Jean-Baptiste Millet, un peintre des choses et des êtres modestes et silencieux, éclairés par un soleil de fin du jour.

4 tableaux de Morbelli, de gauche à droite et de haut en bas : In risaia 1901 (Boston, museum of fine arts), Il natale dei rimasti 1903 (Venise, Ca' Pesaro), Il capitello 1919 (Milan, Coll. privée), Angolo di giardino 1912 (Rome, galerie nationale d'art moderne).

dimanche 6 février 2011

Les fous du dessin

Depuis quelques années fleurissent sur internet des sites (souvent des blogs américains) qui numérisent à outrance les pulp magazines et les revues de bandes dessinées et noient l'amateur de dessin sous un flot d'images sans fin. On se demande d'ailleurs comment ils se débrouillent avec les inspecteurs des reproductions interdites, particulièrement rapaces aux États-Unis.
« Golden Age Comic Book Stories » est parmi les plus productifs de ces maniaques de l'illustration. Il a fait revivre, depuis plus de deux ans, des milliers de pages qui ne trainaient plus que dans la mémoire de rares nostalgiques.
Et il y a là des génies du dessin, Bernie Wrightson, Virgil Finlay, William-Heat Robinson, Harry Clarke.

Wrightson Bernie (1948-), illustrateur d'horreur (Frankenstein) et auteur de bandes dessinées (notamment de «La chose du marais»)


Finlay Virgil (1914-1971), auteur de couvertures et illustrations de pulp magazines, essentiellement de science-fiction et d'horreur.

Robinson William-Heat (1872-1944), illustrateur anglais connu encore maintenant pour ses machines absurdes et inefficaces.
Illustrations pour
«Le songe d'une nuit d'été» de Shakespeare.


Clarke Harry (1889-1931), créateur de vitraux et illustrateur irlandais renommé.Illustrations (détails) extraites des contes d'Edgar Poe (autre lien avec des scans de qualité de l'intégrale des illustrations).