mercredi 30 juin 2010

La vie des cimetières (30)

Il n'est pas rare, cherchant une tombe particulière dans un cimetière, de ne pas la trouver quand on possède pourtant son adresse précise et un plan détaillé. Parce que les tombes se déplacent pendant la nuit. C'est un fait bien connu des écumeurs de cimetières. Longtemps pris pour une légende, nous en apportons la preuve aujourd'hui sur ce cliché exceptionnel. Un défaut de direction assistée, dans un virage un peu difficile à négocier, fut la cause pathétique de cette épave échouée au milieu d'une allée du Cimetière Monumental, à Milan. Si le conducteur ne fait rien, sa tombe sera vite dépouillée par les pilleurs nocturnes. À moins qu'il ait été blessé dans l'accident et qu'immobilisé sous l'éboulis de pierres il ne puisse pas même appeler à l'aide.


vendredi 25 juin 2010

Le visiteur à l'état fluide

Voilà. Dorénavant, entrant dans le musée d'Orsay (1) après avoir payé votre droit de visite et acheté une réserve de jetons d'un euro à la caisse idoine (2), vous pénétrez dans une immense galerie réaménagée et méconnaissable, baignée d'une reposante pénombre, ponctuée de petites oasis intermittentes de lumière. Les approchant, vous réalisez que ce sont les tableaux et sculptures du musée, momentanément éclairés par l'obole du visiteur précédent. Un jeton glissé dans une ingénieuse tirelire à minuterie donne droit à deux minutes d'éclairement par objet, comme cela se pratique depuis longtemps dans certaines églises richement dotées. Pour compléter le dispositif, un discret parcours lumineux au sol informe et oriente le touriste.

Florence, église Santa Felicità. Cette déposition de croix de Pontormo (ici un détail) considérée comme un de ses plus beaux tableaux, est enfermée au fond d'une petite chapelle latérale, dans le noir. Un euro versé dans une tirelire à minuterie éclaire la chapelle pour cinq minutes, mais n'ouvre pas les grilles.


Ne vous inquiétez pas, le système n'est encore qu'un projet. Ça n'est pour l'instant que l'ironique suggestion de F. P., professionnel déçu qui s'attriste dans le livre d'or du site du musée. Car une chose est en revanche certaine : les gestionnaires d'Orsay viennent soudainement d'interdire toute photographie à l'intérieur du musée, œuvres et architecture du site, sous le prétexte facilement réfutable de la fluidité du visiteur.

On ne reviendra pas sur l'illégalité du procédé, elle a largement été démontrée en 2005 lors de l'affaire de l'article 33 du règlement de visite du Louvre, où l'autorisation de photographier est encore aujourd'hui dans une situation incertaine. La photographie y est interdite mais tolérée, dans l'attente peut-être d'un incident qui justifierait alors l'application stricte du règlement.

Comme le ressent N.D. de B., un des nombreux scandalisés qui se soulagent sur le livre d'or, ne pas autoriser la photographie dans un musée, c'est comme demander au visiteur d'effacer ses souvenirs en sortant. Cette nouvelle manifestation de la longue série des petits abus de pouvoir et des détournements du bien public ne mérite que le mépris et évidemment l'irrespect.

Actualité du 05.12.2010 : Didier Rykner (La Tribune de l'Art) couvre une périlleuse manifestation pacifique dans le musée d'Orsay (15 participants) organisée avec le soutien de LouvrePourTous.fr, en protestation contre l'interdiction de photographier.
Six mois après sa publication au Journal Officiel le 22.06.2010 sous le numéro 81937, la question écrite au ministre de la Culture n'a toujours pas de réponse.
Actualité du 15.03.2011 : Le Sinistre de la culture vient de répondre à la question écrite 81937. On en parle ici, hélas !


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(1) Célèbre établissement public parisien présentant des œuvres principalement françaises créées entre 1848 et 1914.
(2) Le maximum autorisé par visiteur est de 50 jetons, surnommés «photons» par le personnel du musée.

jeudi 17 juin 2010

Proverbe congolais


« Lorsque les éléments commencent à se confondre, le ciel, la terre, et l'eau, le sage apprend à nager, le fou apprend à voler, le canard reste impassible. »


dimanche 13 juin 2010

79 avenue du docteur Goût

Une rue de Carcassonne porte son nom, près des rues Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne. Les 3000 pages et 6 volumes du Dictionnaire Universel de la peinture (Robert, 1975) ne le citent pas, même parmi les peintres post-impressionnistes, pointillistes ou divisionnistes. Le musée d'Orsay qui possède quatre toiles de lui, n'en expose aucune et ne les reproduit pas sur son site, mais précise dans sa notice n°16296 que c'était un homme, français, né en 1861 et mort en 1944 dans l'Aude, et peintre. C'est tout.

Achille Laugé, petit bouquet de fleurs et vase, 1892. Histoire d'aider un peu plus la reconnaissance du peintre, les photographies de l'exposition n'étaient pas autorisées. Il est donc possible que des ayant-droits réclament un jour le retrait de cette illustration.Il faut admettre qu'Achille Laugé a mis beaucoup de soin à se faire oublier, déjà de son vivant. Il ne peignait que des sujets peu spectaculaires, des motifs ressassés, des portraits austères et des perspectives de prunus en fleurs. Pas une fois il n'a succombé au ridicule de représenter les grandes idées, comme l'ont fait ses amis célèbres pour obtenir des commandes officielles. Sa vie entière fut retirée dans un bourg du sud-ouest de la France. Seuls deux ou trois amis fidèles et influents l'aidèrent de quelques commandes, par exemple des cartons de tapisseries pour la manufacture des Gobelins.
Son style, son obstination, était de géométriser, simplifier les formes ainsi que les couleurs qui en deviennent souvent étranges, atones, théoriques, dominées par des roses fades et lie-de-vin. Les tableaux d'Achille Laugé sont des surfaces décoratives que les lois de la nature effleurent à peine. Ses paysages de printemps ont le dépouillement et la raideur glaciale de l'hiver.

Le musée de la chartreuse de Douai dans son assistance à la résurrection des peintres post-impressionnistes vient de clore une magistrale rétrospective (1) consacrée à Laugé, à la hauteur des expositions passées sur Le Sidaner et Henri Martin.

La rue Achille Laugé à Carcassonne (Copyright Google Street View)Cette histoire démontre qu'avec beaucoup de rigueur et de ténacité, on finit par être récompensé et par obtenir, de manière posthume, une rue à son nom dans une ville de province d'importance relative, dans un quartier parsemé d'habitations à loyer modéré. La rue Achille Laugé débute au croisement du 79 avenue du docteur Goût.

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(1) Goûtez ce reportage digestif de France3, nappé de harpe et de flûte, pour promouvoir le passage de l'exposition à Carcassonne et à Limoux (patientez pour son chargement).

dimanche 6 juin 2010

Chapardage au musée d'art moderne

Celui qui visite un musée entre dans une sorte de grenier dont les propriétaires ont disparu. On y montre avec mille coquetteries des objets leur ayant appartenu, qu'on agrémente d'étiquettes surannées pour se rappeler leurs noms. Les gardiens des lieux, inanimés, s'y ennuient comme dans les tableaux de Paul Delvaux.
Les musées ne retracent jamais que le passé, c'est leur raison d'être. Leur désuétude palpable, à peine camouflée par l'odeur de cire fraiche des boiseries, est justement la condition nécessaire au fonctionnement du rituel que s'invente chaque visiteur, à la persistance du passé. Tous les musées devraient être vétustes, démodés, mal équipés, un peu poussiéreux et habités de fantômes neurasthéniques. Ils le sont souvent.

Il est donc logique que se produisent de temps en temps des chapardages comme ce vol récent de quatre tableaux, dont un Picasso, au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Leur caractère spectaculaire est exagéré volontiers, car tout le monde profite de l'opération. Dans la presse, les œuvres volées sont surévaluées et leur cote multipliée par 5 ou 10, quand elles ne sont pas attribuées à un maitre alors qu'elles étaient, avant le larcin, tout juste qualifiées de copies ou «de l'école de...». Les journaux, intrépides, dénoncent le scandale. Le service chargé de la surveillance exhume alors un rapport d'audit jauni qui pointe avec précision, dans une note de bas de page d'une annexe, un dangereux manque de personnel qualifié et de moyens technologiques appropriés. Tout le monde est absous. Le responsable sera l'électeur qui change si souvent d'avis et aura choisi l'autre couleur politique, créant ainsi une discontinuité fatale à une saine administration du patrimoine.

Le musée Correr, Piazza San Marco à Venise, trois globes (encore) et un lustre.
Pourtant les vols d'œuvres d'art ne sont pas si fréquents, parce qu'ils ne sont pas rentables. Connues et documentées, elles sont invendables et réapparaissent généralement après quelques années d'occultation. Les rançons sont rarement payées, ou alors très discrètement. Bien sûr certaines œuvres ne reparaissent jamais, mais elles représentent peu en regard des milliers anéanties par les guerres et pillées par les armées et les trafiquants. Les grands musées débordent encore des razzias du passé. Sur 15000 pièces volées (et beaucoup plus de détruites) dans le musée de Bagdad en 2003 sous les yeux de l'armée américaine indifférente, 6000 seulement ont été restituées.

Face au saccage des vestiges de l'antique Mésopotamie, première civilisation de l'écriture, et après l'incendie de la bibliothèque de Bagdad, la disparition d'une œuvre de Picasso fait un peu figure de «chien écrasé». Il en restera encore près de 23000 dans les musées et collections du monde entier, et non des moindres, comme ce pathétique hommage à Joseph Staline, dessiné au lendemain de la mort du héros soviétique, inventeur du bonheur des peuples, plus lumineux que le soleil, plus haut que les espaces célestes, le 5 mars 1953.