dimanche 30 juillet 2017

Des dés et de leur destinée

L’histoire se passe aux confins de la terre, où elle ne peut pas aller plus loin et se dissout en milliers d’ilots rocheux façonnés par le vent et la pluie, de telle manière que le promeneur en est émerveillé.
Il y voit des formes inattendues, des lapins, des dragons, des objets quotidiens, des casseroles, des sorcières.

Il y a, à Trégastel en Bretagne, entre la Grève blanche et la plage du Coz-Pors, au sommet d’un vague corps de rochers granitiques rongés par les ans, une tête entre le gris et le rose, hautaine comme celle du Sphinx dans le désert égyptien, qui ressemble aussi à une boite de conserve cabossée rappelant un crâne dessiné par Tim Burton, ou à un vieux poste de télévision design à tube cathodique, selon le point de vue.

L’opinion, et la cartographie, l’ont appelé le Dé, parce qu’il est plus ou moins cubique, sous certains angles de vision. En fait, vu de satellite, c’est un trapèze, mais peu importe, tous les dés ne sont pas cubiques, et c’est plutôt à l’équilibre menaçant de ses 1000 tonnes qu’il doit ce sobriquet.

Et comme cette instabilité s’accentue forcément depuis des siècles ou des millénaires, il y aura bien un jour une tempête exceptionnelle, comme celles de 1999 ou de 2008, qui jettera le dé. On dit de ces intempéries inhabituelles qu’elles le sont de moins en moins.










Il reste à organiser les paris sur la face qui sera alors visible de satellite, après que le dé aura versé. Le poste de télévision, la boite de conserve, la tête de mort ou la mystérieuse face aujourd’hui invisible ?
Il est cependant probable que l’espèce humaine ne sera alors plus là pour constater pertes et gains.

jeudi 20 juillet 2017

Monuments singuliers (7)



Le hêtre pleureur de Bayeux

Au milieu de la prairie verte, l’ombre de cet arbre ressemble à une ile. Passant, reste où tu es, là-bas !
Entre la route que tu suis et cette ombre qui tourne lentement, il y a peut-être un abime infranchissable.

Omar Khayyam - Quatrain 142
(Robaiyat CXLII pour les conservateurs impénitents)

Y a-t-il plus vénérable qu’un très vieil arbre monumental, un arbre qui a abrité de son ombre des générations d’humains, pendant des siècles, parfois 1000 ans, sans dire un mot ?

Partout ces arbres sont respectés, on les protège, on les soigne, on leur colle un label « arbre remarquable de France », on installe un panonceau explicatif pour prévenir le passant qu’il côtoie un fragment d’Histoire, et enfin on les classe dans la catégorie convoitée et paradoxale des « monuments naturels ». Un monument étant par définition une construction humaine, une production de la nature ne mérite le statut de monument que si elle attire le touriste par des particularités extraordinaires, des qualités dignes du génie incomparable du « roi de la Création ».

Et ces arbres vénérables font évidemment l’objet de sites amateurs également remarquables par la quantité des informations soigneusement classées par emplacement géographique, ou par espèce, et la profusion de photographies, comme « Arbres monumentaux », « Krapo arboricole » et son héritier, « les têtards arboricoles ».




Et puisque la saison incline au tourisme, arrêtons-nous quelques instants au jardin public de Bayeux, dans le Calvados.
C’est un jardin botanique modeste par ses dimensions mais riche d’un grand nombre d’arbres monumentaux, séquoia, tulipiers, marronniers et surtout du célèbre « hêtre dit pleureur » planté là vers 1860.

Dès le départ, en tant que chose naturelle, il était mal parti, car les spécialistes disent que c’est une sorte de chimère, une greffe, un croisement entre un hêtre commun pour le tronc et un fau ou tortillard de Verzy pour les branches.
Et il eut certainement quelques années de gloire, mais ses branches désordonnées devenues trop pesantes se mirent à tomber et ramper autour du tronc.
À 78 ans, en 1938, on lui imposa une armature métallique, un exosquelette pour le forcer à contenter les promeneurs qui souhaitaient s’abriter du soleil ou de la pluie sous son feuillage.

En 2001, à 141 ans, voyant qu’il souffrait et risquait de mourir de l’armature rouillée qu’il commençait à absorber dans sa chair, on le libéra de son squelette artificiel pour le remplacer par des fils de marionnettiste, des dizaines de câbles qui descendent de quatre grands pylônes. Lourde opération qui a été filmée pour la postérité.
Les caoutchoucs qui ceignent ses branches ont été changés en 2009.

Le vieil arbre est porté ainsi par une toile d'araignée d'acier, jusqu’au périmètre de la petite place qu’il ombrage, à 20 mètres du tronc, après quoi il est laissé à son penchant naturel, la gravité, qui lui donne une apparence pleureuse.

vendredi 14 juillet 2017

Monuments singuliers (6)



Le monument aux fusillés pour l'exemple de Vingré

Le 27 novembre 1914, dans le nord-est de la France près de la localité de Vingré, dont l’article est vide dans l’encyclopédie Wikipedia, un sous-lieutenant quelconque dans un régiment d’infanterie qui avait perdu en trois mois plus de 60% de ses effectifs, donne l’ordre de repli à 24 fantassins pris sous la pluie d’un bombardement allemand.
Le commandant de la compagnie, contrarié, lui demande alors de ramener les hommes en première ligne.

Informé, le général de corps d’armée décide de fusiller les 24 fantassins, histoire de faire un exemple. Le sous-lieutenant oublie de mentionner son ordre de repli à ses supérieurs. Pour mémoire le mot fantassin a la même origine latine que les mots infanterie, enfant ou fantoche, « infans, celui qui ne parle pas ».

Le 3 décembre, le Conseil de Guerre désigne finalement 6 hommes au hasard parmi les 24, et les condamne à la peine de mort pour abandon de poste en présence de l’ennemi.
Le lendemain se déroule dans un champ la parade d’exécution. Un millier de fantassins atterrés défilent devant six cadavres encore chauds et lestés de treize balles (12 fusils par condamné et le coup de grâce du sous-officier).
Le journal des opérations du régiment fait état ce jour-là de 6 morts et 2 blessés.

Il y aurait eu quelques centaines de ces exécutions pour l’exemple pendant la Grande guerre. 600 ou 700 soldats. 42 seulement ont été reconnus innocents, entre 1920 et 1930. Parmi eux figurent les fusillés de Vingré, dont le « jugement » est annulé par la cour de Cassation, qui déclare en 1921 « décharger leur mémoire de cette condamnation » (Jugement pp. 54-57).

Le monument de l’absolution est inauguré le 5 avril 1925.
Depuis, leur souvenir est commémoré, ils sont devenus citoyens d’honneur du département en 2004, visités régulièrement par les officiels les plus éminents, et désormais flotte en permanence sur leur mémoire, dans le champ d’orge de leur calvaire, en haut d’un mât, immaculé, l’emblème altier de la Patrie.



dimanche 9 juillet 2017

De quelques méandres d'été

Tous les jours de l’été en témoignent, ce sont eux, le soleil et la chaleur, les responsables de notre nonchalance.
Tout se met à paresser, à tendre vers sa nature profonde qui est de divaguer. L’épicier du coin griffonne à la hâte un mot d’excuse avec une date de reprise sur sa porte close, l’auteur de blog peu inspiré expose ses photos de vacances et les fleuves les plus indolents renoncent aux efforts qu’impliquerait la ligne droite.

Dans le département de la Manche, la Vire fainéante autour du Grand val de Viré, et le photographe averti s’installe sur un des rochers de Ham pour tourner le dos au soleil de midi.



Dans le Puy-de-Dôme, à Queuille, il choisit la même orientation et emprunte le petit chemin derrière l’église qui mène à un vaste belvédère artificiel. Là il contemple la Sioule, alanguie, opulente, engourdie par la présence du barrage voisin.



Dans la Somme, le fleuve a poussé la paresse jusqu’à porter le même nom que le département. Il ne s’efforce pas même de suivre un quelconque lit et se répand en étangs et marais au pied de la Montagne de Vaux. Bien malin qui verra ses méandres.
Le photographe, philosophe, attendra la chute des feuilles pour se faire une opinion. En juin et juillet, il patientera en grappillant dans les groseilliers plantés en nombre à l'entrée du belvédère par une municipalité prévoyante.