jeudi 30 janvier 2014

Nuages (31)

Regarde ! Écoute ! Une rose tremble dans la brise. 
Un rossignol lui chante un hymne passionné.
Un nuage s’est arrêté. 
Buvons du vin ! 
Oublions que cette brise effeuillera la rose, 
Emportera le chant du rossignol
Et le nuage qui nous donne une ombre si précieuse.
Omar Khayyam (1048-1131), Quatrain 114 (Robaiyat)

Dinard, 26 mai 2012.

dimanche 26 janvier 2014

Vallotton et les nombres

Vallotton, Poivrons 1915 (détail), Kunstmuseum Solothurn (Suisse)

À Paris, les portes du Grand Palais se sont fermées sur l'exposition rétrospective du peintre franco-suisse Félix Vallotton.
Les organisateurs se déclarent forcément satisfaits de la fréquentation. 308 000 visiteurs, trois fois moins que Claude Monet, deux fois et demi moins que Salvador Dalí ou Edward Hopper, mais moitié plus que Jean-Léon Gérôme.

Malgré ce demi-insuccès, les visiteurs interrogés témoignent de conditions pénibles, de salles surpeuplées. On parle de 3166 visites par jour, ce qui fait (en comptant 2 heures par client et 10 heures d'ouverture par jour) 500 à 1000 personnes simultanément, c'est à dire 3 à 10 en permanence devant chaque tableau. Les plus beaux étaient souvent inaccessibles. Seul était satisfait le visiteur qui avait le privilège de faire l'ouverture, passait assez rapidement les premières salles puis s'efforçait de ne pas se faire rattraper par le raz-de-marée des moins fortunés.

Par ailleurs le contenu de l'exposition, décevant, n'était pas à la hauteur de la qualité du peintre. Au lieu d'adopter la méthode sage et éprouvée de l'exposition chronologique de l'œuvre, le parti pris était de subdiviser Vallotton à travers dix thèmes abstraits et hétéroclites. Et pour équilibrer chaque concept, on a fait entrer de force des choses sans intérêt dans les thèmes déficients et en contrepartie exclu des toiles majeures des thèmes les plus riches.

Résultat, un catalogue désolant, où les grands nus caoutchouteux et les délirantes scènes mythologiques ont pris la place des magnifiques paysages épurés qui marquent les vingt dernières années de la vie de Vallotton, et qui étaient ici assez rares.

En résumé, une bien belle exposition à ne pas rater.

dimanche 19 janvier 2014

Des vérités intemporelles

Ce Glob est Plat affirmait jadis des vérités définitives sur la notion de vérité. Il était temps après de longues années et une visite instructive au musée d'Archéologie nationale du château de Saint-Germain-en-Laye, de faire le point sur cette question essentielle.

Entre 1850 et 1860, alors que les plus hautes autorités ecclésiastiques et les livres d'histoire les mieux documentés affirmaient que la création de la Terre et donc des hommes datait de 6000 ans (doctrine partagée par une bonne part des Américains ou des Turcs encore aujourd'hui), une sorte d'illuminé français, Jacques Boucher de Perthes, inventait la Préhistoire, prétendant preuves à l'appui que des hommes et des animaux étranges, exhumés des couches géologiques, avaient vécu des dizaines ou centaines de milliers d'années avant le Déluge.

La création du musée de Saint-Germain-en-Laye en 1866 consacra, peu avant sa mort, la reconnaissance des magistrales déductions de Boucher de Perthes, en exposant sa collection d'antiquités antédiluviennes.
Et l'esprit curieux qui cherche aujourd'hui les traces de son propre passé ne sera pas déçu de sa visite. Il remontera, au long des vitrines et des couloirs, les âges du fer, du bronze, de l'agriculture et des pierres polies, et atteindra l'époque lointaine et mystérieuse des pierres taillées, des premières traces d'humanité.

Étreint par tant de millénaires, touché par tant d'antiquité, ému par les réalisations de son ancêtre comme devant un enfant qui fait ses premiers pas, il s'assiéra, pensif.
Fatale erreur ! Laissant errer sans but son regard désœuvré, il examinera machinalement les légendes des cartouches qui commentent les objets exposés. Mal lui en prendra ! On ne devrait jamais lire les étiquettes dans les vitrines des musées. Combien de rêves brisés par la connaissance des terribles informations qu'elles recèlent ?
Car il découvrira alors qu'un grand nombre de pièces exposées, notamment les plus émouvantes, sont des reproductions moulées et peintes. Et il aura soudain la sensation que le musée est un vaste facsimilé, un Disneyland de la préhistoire, une boutique du Louvre pleine de répliques pour cadeaux de Noël, et que ce troublant voyage dans le temps n'était en fait qu'une mystification.

Un fidèle lecteur de Sénèque ou d'Épicure lui dirait certainement « Pourquoi te tourmenter ainsi pour un fait révolu, tu aurais pu ne jamais connaitre ce qui maintenant te peine ? », car le docte ami des philosophes tutoie toujours son interlocuteur.
L'impertinent visiteur pourrait bien sûr lui rétorquer « Vous précipiteriez-vous pour admirer une exposition de photographies, même fidèles, des tableaux d'un peintre que vous vénérez ? »

Et si le sage métaphysicien, pour avoir le dernier mot, lui répliquait « Ce moment était agréable quand tu l'as vécu, il est gravé ainsi dans ta mémoire », le touriste déçu pourrait encore lui objecter quelque chose comme ...

Le concept de vérité ne s'en trouverait pas vraiment éclairci.


La Dame à la capuche, provenant de la grotte de Brassempouy (Landes), premier portrait connu, ivoire sculpté il y a 25 000 ans, haute de 3,65 cm. Laquelle, à gauche ou à droite, est la copie exposée à Saint-Germain-en-Laye ? (certaines différences de forme peuvent être dues aux déformations de l'objectif photographique).
 

dimanche 12 janvier 2014

Histoire sans paroles (10)


Depuis 2003 à Nerja sur la côte andalouse, au bout de la grande place du Balcon de l'Europe, est nonchalamment adossée au parapet la statue en pied et en bronze du roi d'Espagne Alphonse 12, roi de son retour d'exil en 1875, fin de la première et courte république espagnole, à sa mort de la tuberculose à 28 ans en 1885.

dimanche 5 janvier 2014

Tous égaux

Le 27 décembre 2013, étendu, raide et froid comme un fusil mitrailleur, couvert de breloques rutilantes et multicolores comme un sapin qu'on aurait laissé allumé après les fêtes, Mikhaïl Kalachnikov ne sentait plus rien. À son chevet, Vladimir Poutine, despote de toutes les Russies, versait une larme théorique sur des souvenirs communs.

Diane chasseresse se couvrait d'un voile de deuil.


Chaque année emporte avec elle son lot de bienfaiteurs de l'Humanité. Ainsi, l'année qui s'achève a vu disparaitre Margareth Thatcher, Otto Beisheim, Paul Aussaresses, Mikhaïl Kalachnikov.

Né en 1919, Mikhaïl était l'inventeur, en 1947, du célèbre fusil automatique AK-47 et de tous ses avatars, la gamme des Kalachnikov. On dit qu'il en a fabriqué plus de 100 millions d'exemplaires, et qu'il y en aurait autant de copies, autorisées ou non. Et les avis compétents sont unanimes : c'est une arme simple, robuste, fiable, inusable, d'un entretien aisé, et bon marché.

Sur le plan de la rentabilité il est cependant malaisé d'obtenir des informations fiables. On parlerait, avec tous les conditionnels qui conviennent, de 10 ou 20 millions de victimes. Ce qui finalement, n'apporte pas la preuve d'une grande efficacité. Neuf Kalachnikov sur dix n'atteindraient jamais leur cible.
Mais rendons-lui justice, il n'est pas toujours nécessaire de tirer, la menace suffit généralement. D'ailleurs guérilleros, bandits, terroristes, fanatiques religieux, soldats des armées régulières et amateurs de jeux vidéos affirment acquérir par son usage une fière contenance, voire une extrême virilité.

Un autre grand inventeur d'armes, Samuel Colt, qui vendait ses révolvers aussi bien aux nordistes qu'aux sudistes esclavagistes pendant la guerre de Sécession américaine, déclarait avoir, par son invention, rendu les hommes égaux alors que Dieu les avait créés dissemblables.
Kalachnikov ainsi, en dépit du regret qu'il a exprimé de ne pas avoir inventé plutôt une tondeuse à gazon, aura lui aussi rendu les hommes plus égaux, surtout les morts.