samedi 23 novembre 2013

La vie des cimetières (52)


S'il est un reproche qu'on peut adresser au cimetière du Père-Lachaise, et à tous les cimetières en général, c'est que rien n'y est fait pour attirer la jeunesse. Les personnalités qui les habitent sont, sinon oubliées de tous, au moins inconnues du public adolescent qui se désintéresse alors des lieux.
Il existe cependant des exceptions, des tombes qui cristallisent les sympathies de la jeunesse parce que leurs locataires symbolisent, à tort ou à raison, les amours inavouées, les martyres de la liberté d'expression, le refus des normes, la souffrance de se sentir différent.

C'est le cas du tombeau d'Oscar Wilde.

Né dans la haute bourgeoisie irlandaise et élevé comme une fille jusqu'à sept ans, Oscar Wilde adulte devint un dandy spirituel et vaniteux, poète décadent, esthète et brillant dramaturge. Il connut succès et renommée jusqu'à un sordide procès pour sodomie affichée qui le condamna à deux années de travaux forcés et le dépouilla de ses biens. Sorti de prison il erra trois années en Europe pour mourir à Paris, en novembre 1900, à 46 ans.

On dit que son tombeau au cimetière du Père-Lachaise, non loin de l'entrée est, représente un taureau assyrien à l'effigie d'Oscar. À bien regarder, il ressemble plus à un ange écrasé contre un autobus.

On raconte encore que lors de son érection en 1912 le taureau arborait un sexe phénoménal, détruit ou dérobé en 1961.

Depuis quelques années le mausolée était devenu l'objet du culte de toutes les adolescences incomprises, constellé de baisers au rouge à lèvres, de cœurs, de prénoms et de dictons de comptoir, jusqu’en novembre 2011 quand il fut décapé et enclos d'une protection de verre sur une hauteur d'un mètre cinquante.

Il parait que d'irréductibles désespérés se hissent encore au-delà pour exprimer leur mal de vivre.

mercredi 20 novembre 2013

Parabole ligure

L'amateur de vieilles croutes qui déambule dans les musées de Gênes, déserts, ou de Florence, surpeuplés, sera probablement attiré par quelques peintures nocturnes et religieuses de la main d'un certain Luca Cambiaso.
Des formes épurées, des volumes simplifiés parfois jusqu'à la raideur géométrique, presque cubiste, et une lumière brutale qui découpe l'ombre comme au couteau.

Ce Cambiaso aura bien retenu les leçons de Caravage et de ses suiveurs, Honthorst d'Utrecht, La Tour de Lunéville, Trophime Bigot d'Arles. Il a d'ailleurs comme ce dernier le trait un peu fruste, la manière un peu naïve.

À gauche, Luca Cambiaso, le Christ devant Caïphe, musée de l'académie ligure des beaux-arts, Gênes piazza De Ferrari. 
En haut, Vierge à l'enfant, musée de l'académie ligure des beaux-arts (une version proche se trouve au musée des Offices de Florence).
En bas, Vierge à la chandelle, Musei di Strada Nuova, Palazzo Bianco, Gênes.


Et l'amateur de vieux tableaux se penche alors vers le cartel et y lit :
« Cambiaso Luca, né à Moneglia (près de Gênes) en 1527, mort à San Lorenzo de El Escorial en 1585 ».

Ainsi, quand Cambiaso peignait ces scènes éclairées à la bougie, dans les années 1570, Honthorst, La Tour ou Bigot n'étaient pas nés, et Michelangelo Merisi, qu'on nommera plus tard Le Caravage, courait encore après les lézards, en culottes courtes, dans la campagne Milanaise, au nord de Gênes.

 















La ville de Gênes a érigé en 1935, dans l'entrée de l'académie ligure, un hommage au grand artiste. Équipé de culottes bouffantes et d'un gros pinceau de peintre en bâtiments, Cambiaso scrute le ciel et semble s'inquiéter de l'immensité de la tâche et de la quantité requise de peinture bleue.

dimanche 3 novembre 2013

Vialatte ou l'art du rahat-loukoum

Il y a des écrivains dont chaque phrase est une friandise. On revient en arrière, on la relit plusieurs fois comme on suçote une confiserie, avec le même plaisir que l'auteur eut à la ciseler. On s'émerveille du sens, des résonances inattendues.
C'est le cas de La Bruyère, de Céline, Cioran, Flaubert parfois, et sans doute d'Alexandre Vialatte.
On peut aussi bien les dire ou les réciter, au théâtre par exemple. On y perd peut-être la faculté de s'arrêter pour les déguster, mais quelque chose de fulgurant se produit à les entendre, comme une musique amplifiée. Le petit plaisir solitaire s'en trouve multiplié.

Charles Tordjman a demandé à trois grands acteurs d'interpréter un florilège des chroniques de Vialatte sur la petite scène de la Grande salle du théâtre de la Commune, à Aubervilliers. Et pendant trois semaines, en 18 représentations, près de 3000 chanceux ont savouré ce miel durant 90 minutes, en octobre.
Le spectacle s'appelle « Résumons-nous, la semaine a été désastreuse ». On le verra encore le 3 décembre à Clamart, les 6 et 7 à Clermont-Ferrand, puis quatre jours à Nancy, un jour à Sète, deux à Luxembourg en 2014, enfin quatre à Amiens en février.

Alexandre Vialatte a écrit plus de 1100 chroniques entre 1950 et 1971, publiées dans divers journaux, principalement La montagne de Clermont-Ferrand et Le spectacle du monde. Elles parlaient de tout et de rien. Surtout de riens de l'actualité qu'il élevait, en moraliste, au rang de presque riens, mais avec lyrisme. Et aussi de grandes choses qu'il exaltait avec dérision. Il en naissait une profonde mélancolie.