samedi 25 novembre 2017

Tripoter des extraterrestres (1 de 3)

Ce blog ne parlant jamais que des réalités démontrées de notre monde, les monuments, l’orthographe, les cimetières, les musées, les épaves, les cathédrales et les vélos, il fallait bien qu’il aborde un jour le sujet des extraterrestres.
Et l’actualité en donne aujourd’hui l’occasion, car 350 d’entre eux sont réunis à Paris, jusqu’à juin 2018, et exposés au public.
Les lecteurrices se récrieront avec véhémence : comment, à une époque de bouleversement de la grammaire, quand on s’efforce d’établir une identité entre le genre des mots et ce qu’ils désignent, peut-on encore traiter des êtres en les exhibant de la sorte parce qu’ils ne nous ressemblent pas ?
Et on imagine leur indignation quand ils apprendront qu’il est permis de les palper, les caresser, les soupeser.

En fait, ces extraterrestres ne sont pas regroupés à Paris au titre d’une quelconque discrimination, mais au contraire pour leur offrir, dans un milieu scientifique contrôlé, des conditions idéales et des moyens modernes d’exprimer leur particularité, de faire comprendre leur présence parmi nous. N’oublions pas que certains ont fait le trajet depuis la Lune, Mars, et même Vesta ou des planétoïdes plus éloignés encore, voire des comètes.

Et pourtant, ils débarquent sur terre à des vitesses dépassant de 50 à 100 fois les vitesses autorisées par la règlementation aérienne, atterrissent - il faut bien le reconnaitre - un peu n’importe comment, parfois sur une vache comme à Valera, sur un être humain à Sylacauga, généralement en pleine mer, ils se cachent le plus souvent des autorités, en souvenir de l’époque traumatisante où leur existence était niée. Bref, ils se comportent en résistants ou en conquérants.



Un bolide extraterrestre en provenance d’Alkaid, dans la Grande ourse, lors d'un atterrissage démonstratif et tonitruant (installation dans les sous-sols de la grande galerie du Muséum d'histoire naturelle).  

Mais il est loin ce temps où les autorités religieuses, séculières et même scientifiques, leur refusaient jusqu’au droit d’exister, prétendant que rien d’impur ne pouvait venir du ciel et qu’ils n’étaient que les hallucinations ou les affabulations de paysans incultes (surtout parce qu’ils ne se présentaient pas avec une jolie robe blanche, des ailes pleines de plumes et une incandescente auréole au néon).

Aujourd’hui, les mentalités se sont ouvertes à l’altérité, à la marginalité, et presque tous les groupes sociaux admettent que les météorites sont des morceaux extraterrestres détachés d’autres corps du système solaire, que leur errance et les lois de l’attraction ont amenés à croiser l’orbite de la Terre.

Au point que le Muséum d’histoire naturelle de Paris leur consacre pendant 8 mois une riche et réjouissante exposition ludique. L’objectif est nettement pédagogique. Il s’agit de faire ressentir aux plus jeunes que ces morceaux de caillou et de fer, gris anthracite et rouille, d’une apparence si banale, sont en réalité des aventuriers venus du plus lointain des temps, d’une époque où les seuls êtres vivants sur terre étaient des choses informes et flasques, et qu’ils ont traversé des étendues où l’espèce humaine n’ira certainement jamais.

On y apprendra qu’après les avoir un peu éventrées, décortiquées puis irradiées, les météorites nous ont enseigné l’humilité, en nous prouvant que les premières poussières qui se sont formées autour de notre étoile, et de quoi nous sommes tous nés, on commencé à s’agréger voici 4 567 000 000 d’années précisément, à quelques minutes près.

C’est pourquoi les deux prochaines chroniques rendront hommage à quelques-unes de ces valeureuses navigatrices à la triste mine.

mercredi 15 novembre 2017

Tableaux singuliers (6)

Enoch Perry fut un peintre américain, né en 1831 à Boston, dans une famille de marchands aisée et influente. Il a beaucoup voyagé, d'abord pour parfaire sa formation, puis par gout.
Doué d’une inspiration modérée mais d’une technique solide et d’une manière classique et épurée, voire rigoriste, il rencontra une certaine réussite dans le portrait, le paysage et la scène de la vie quotidienne américaine. Il est mort en 1915 à New York et reste aujourd'hui, dans les ventes aux enchères, un peintre abordable.










Une chronologie approximative des grandes étapes de sa vie découpe une silhouette assez précise du personnage (extraits du catalogue d’œuvres des peintres américains du Metropolitan museum of arts de 1816 à 1845 par Natalie Spassky, pp. 342-348).

1831 New Orleans. Jeunesse et première formation
1852 Düsseldorf, enseignement à l’Académie par Emanuel Leutze, auteur de grandes sagas à l’huile pompeuses et édifiantes
1854 Paris. Atelier du bon portraitiste Thomas Couture
1855 Rome
1856 Düsseldorf. Rencontre des paysagistes, Whittredge et Haseltine
1857 Venise. Il y est nommé consul des États-Unis par l’influence de son père
1857 Rome. Retrouve les paysagistes Whittredge et Bierstadt
1858 Philadelphie. Ouvre un atelier et expose avec succès à Boston et Philadelphie des portraits et des scènes très prisées de la vie américaine
1860 New Orleans. Installe un atelier de portraitiste, peint notamment le portrait du futur président de la confédération et commençe un grand tableau qui devait célébrer l’acte de sécession des états confédérés (le frère de Perry est médecin dans l’armée confédérée)
1863 Yosemite Valley, avec Bierstadt
1864 Royaume d’Hawaï (appelé alors iles Sandwich). Nombreux paysages et portraits
1865 Californie, Salt lake city. Portraits de Mormons
1867 New York. Dans l’atelier de Bierstadt
1868 Nommé à l’Académie nationale de New York (N.A. of design)
1878 San Francisco. Portraits de magnats des chemins de fer
1882 Retour à New York
1899 Épouse à 68 ans Fanny Field Hering (qui avait écrit en 1892 une biographie illustrée du peintre JL. Gérôme)
1915 Meurt à 84 ans

Le Metropolitan museum de New York expose en permanence deux toiles d’Enoch Wood Perry. La très exemplaire et un peu nostalgique « Talking it over » (En discuter) qui représente deux fermiers américains désœuvrés à l’effigie des présidents George Washington et Abraham Lincoln (voir ci-dessus), et une œuvre singulière intitulée « The true american » (Le véritable américain).

Cette dernière (ci-dessous) figure le portrait de six humains et deux animaux dont les têtes sont cachées, par un hasard soigneusement mis en scène, ici par un volet ou un journal ouverts, là par un décollement du papier sur le mur.


Son attribution à Perry est discutée car, si on y reconnait aisément toutes les caractéristiques de sa manière, son histoire est incertaine (il réapparait dans une vente en 1944), il n’est pas daté, il est signé d'une façon unique dans son œuvre par un monogramme des lettres EWP entremêlées, et les motivations du peintre - disent les commentateurs - restent très énigmatiques.

Le titre donné au tableau est celui du journal lu par les hommes à gauche, « The true american ». De nombreux journaux américains portaient ce titre, mais la graphie sur le tableau correspond à un journal de Lexington (Kentucky) qui défendait l’abolition de l’esclavage à la fin des années 1840, une douzaine d’années avant la guerre de Sécession.

Si les intentions précises du peintre n’ont pas été retrouvées, on peut tout de même constater qu’il s’agit d’une caricature où l’auteur se moque d'abolitionnistes oisifs et prospères qui se « voileraient la face ». La biographie lapidaire de Perry (plus haut) suffirait à appuyer cette interprétation.
Peut-être préfère-t-on ne pas l'évoquer sur le cartel d’un tableau mis en valeur dans un des plus prestigieux musées des États-maintenant-Unis.

Et puis, pour le spectateur qui ne connait pas l’histoire, ce tableau produit le charme des scènes anecdotiques dont on a perdu l’anecdote. Le champ des hypothèses s’ouvre alors sur un infini. Ce petit vertige est le plaisir esthétique.

mardi 7 novembre 2017

Monuments singuliers (8)



L’hommage aux caporaux fusillés pour l’exemple à Suippes

La Grande guerre de 1914-1918 a été un des carnages les plus efficaces perpétrés par des humains pour détruire une partie de leur propre espèce.

À Souain dans la Marne, les soldats de la 21e compagnie du 336e régiment d’infanterie reçoivent l’ordre de reprendre à l’ennemi une position située derrière un terrain couvert de barbelés et de cadavres de leurs camarades mitraillés qui ont tenté l’opération.
Alors ce 10 mars 1915, les soldats, même menacés d’être abattus sur place par les officiers, refusent de quitter la tranchée. L’attaque est reportée de 12 heures. Le brave général Réveilhac, loin du front, ordonne (mais refuse de le confirmer par écrit) que des obus arrosent les tranchées rétives.
À l’aube les soldats refusent toujours de partir pour l’abattoir.

Une semaine plus tard, quatre caporaux choisis plus ou moins au hasard sont hâtivement fusillés à Suippes devant le régiment au complet, surveillé par une compagnie de cavaliers. Ils n’avaient pas 30 ans. Un ordre de surseoir à l’exécution pour demande de recours en grâce est, parait-il, arrivé trop tard.

Toutes les civilisations (enfin, c’est ainsi qu’elles se nomment) ont toujours exalté le sacrifice, l’offrande publique de vies humaines, histoire d’enfoncer dans la tête des peuples bornés et récalcitrants les idéaux magnifiques de soumission qu’elles ont imaginés pour eux.

Après des années d’efforts des familles des fusillés, le 2 mars 1934, la justice reconnaissait que « l’ordre était irréalisable et que le sacrifice dépassait les forces humaines ».

Le lourdement médaillé général Réveilhac s’éteignait dans son lit le 28 février 1937, à 86 ans.


Le monument de Suippes en mémoire des 4 caporaux fusillés pour l’exemple est inauguré le 1 décembre 2007. Le sculpteur Melden les a représentés comme des sacs de pommes de terre sans vie, uniformes jusqu’aux visages semblables.


Le monument aux morts officiel de Suippes, entre la mairie et l'église, sculpté par Desruelles (comme à Commentry), inauguré le 26 octobre 1930. On remarquera l’absence d’accent sur le « A » de la dédicace, une erreur qui transforme le sens de la phrase.



mercredi 1 novembre 2017

Premier novembre, fêtons la mort

Le 19 septembre 2014, à 16 heures 33 minutes et 48 secondes précisément, dans la grande banlieue de Moscou, à Lioubertsy, au croisement de la rue de Moscou et de la rue de l’Armée rouge, alors qu’elle avait toutes les chances dans sa main squelettique, la Faucheuse s’est lamentablement vautrée, là où n’importe quelle Parque débutante aurait fait un sans faute.

Elle avait pourtant tous les atouts.
Arrivant du fond de la scène une camionnette de livraison de produits laitiers était décidée, malgré la présence du panneau et de la priorité, à ne pas cédez le passage à une voiture rouge, et le chauffeur, qui avait aussi oublié d’attacher sa ceinture, déporté au moment du choc à la place du passager, ne contrôlait plus son volant.
Au même moment, au centre de la scène, le personnage principal, appelons-le Alexeï, pourtant prudent, n’avait plus les moyens de maitriser son destin, comme dans toute bonne tragédie grecque.



La critique cinématographique, surprise par le dénouement imprévu, a évidemment cherché des anomalies dans cette séquence, des ficelles qui révèleraient qu’elle n’était qu’une mise en scène destinée à émouvoir le spectateur.

Et elle n’eut pas à explorer bien loin, car la caméra se trouve devant une immense affiche de l’opérateur de téléphonie AVK Wellcom, la société même qui administre et pilote le réseau de caméras de surveillance qui a filmé l’action, et qui la diffuse ostensiblement sur internet.
Et s’il fallait un complément de preuve, AVK Wellcom publiait quelques jours plus tard un entretien exclusif avec Alexeï, le rôle principal. On le voit sous la pluie, traverser le même passage protégé en courant et saluant d’un signe ironique de la main ladite caméra, « l’œil du destin ».

Naturellement, cet échec de la Camarde a été tellement diffusé sur internet, décortiqué au ralenti et dans tous les sens, qu’Elle risque de le prendre sans humour, et tenter de se rattraper un peu n’importe comment dans les temps à venir.

À suivre donc sur le réseau AVK Wellcom.