mardi 26 janvier 2010

La vie des cimetières (26)

Alexandre, Pompée, Caïus César, après avoir tant de fois ruiné des cités entières, après avoir massacré un nombre incalculable de cavaliers et de fantassins, ont dû à leur tour, un jour, quitter la vie. Marc-Aurèle, Pensées, Livre 3-3.

« Tous égaux dans la mort ».

Slogan sinistre destiné à faire supporter les inégalités de la vie à ceux qui en souffrent le plus. C'est la propagande des danses macabres, et les penseurs les plus malins s'y sont laissés prendre, tel Marc-Aurèle, ou Ronsard qui ne ratait pas une occasion...

Mais c'est un mensonge. Même les plus humbles cimetières, comme celui de Pentidattilo en Calabre, offrent des conditions de villégiature inégalitaires. Tout le monde n'a pas la vue sur la mer. Les locataires des étages inférieurs auront à se lever pour contempler l'éternité du panorama.

mardi 19 janvier 2010

Guide de la Venise secrète

Pourquoi ce guide ?
Souvent Ce Glob Est Plat s'est plaint (ici ou ) des gardiens français de la culture qui s'approprient des droits sur le bien public, en interdisent les photographies et parfois s'en réservent l'accès. Ces déboires ne sont rien face à ceux du malheureux qui visite Venise, car si les musées français respectent moyennement le quidam, les vénitiens s'en moquent comme de leur premier Carpaccio. Tous leurs musées interdisent la photographie, et on trouve toujours un surveillant zélé pour vous le rappeler en aboyant dans une langue indéchiffrable. Dans ces conditions, il était impensable, sans une image, de réaliser le rêve de tout blog qui se veut cultivé, faire une chronique sur la peinture vénitienne.
Aussi avons-nous demandé à notre reporter, afin de rentabiliser malgré tout les frais engagés, de confectionner le seul guide illustré que les musées vénitiens permettent au blog impécunieux, le guide de leurs toilettes, de leurs lieux d'aisances.
L'amateur averti d'art moderne, le spécialiste de Marcel Duchamp et son urinoir, ou de Piero Manzoni et ses conserves, y trouvera son avantage, et sans conteste un côté pratique. Il y constatera également que le musée le plus désuet n'a pas nécessairement les commodités les moins accueillantes.

Cliquez sur le plan de Venise pour en découvrir tous les détails.


LISTE DES PRINCIPALES CURIOSITÉS
(classées dans l'ordre d'intérêt décroissant)


VAUT LE VOYAGE : Ca' Rezzonico, musée du 18ème siècle vénitien (œuvres (1) de Longhi, Tiepolo, Guardi, Canaletto).
Chaque cabine, spacieuse, propose à l'usager tous les outils nécessaires aux ablutions les plus complètes, et la vétusté relative de l'ensemble ne nuit pas à l'indéniable convivialité des lieux. Enfin, c'est le seul établissement à fournir de l'eau chaude.



VAUT LE DÉTOUR : Collection Pinault, Palais Grassi et bâtiment de la Douane de mer (œuvres de Jake & Dinos Chapman, Fucking Hell, 80 caprices de Goya rectifiés, Murakami, personnages de mangas hypertrophiés, Maurizio Cattelan, trophée de cheval).

D'une propreté engageante mais d'une hygiène qui n'est pas à la hauteur d'une fondation qui se dit moderne (toutes les commandes sont à contact manuel). Notez toutefois la conception bien venue de la balayette brosse, «à la Morandi». Enfin, opportunité dont il convient de profiter sans retenue, c'est le seul service dont l'usage est gratuit dans la visite de cette collection où il faut presque payer pour respirer (2).


INTÉRESSANT : Accademia, Peinture vénitienne du 14 au 18ème (œuvres de Bellini, Giorgione, Carpaccio, Tintoret, Tiepolo, Previtali). L'hygiène générale du lieu et l'ascétisme de l'outillage sont assez peu encourageants, mais certains apprécieront l'atmosphère distante et sans passion, digne des tableaux de Vittore Carpaccio ou de Benedetto Diana.


INTÉRESSANT : Palais des doges, demeure historique des gouvernements de Venise. Spartiates, minimalistes, et désagréables à cause du manque de confort et d'une agressive et persistante odeur d'eau de Javel, les lieux bénéficient cependant d'un cadre unique couvert d'histoire et de toiles du Tintoret (1) et méritent une courte halte.


INTÉRESSANT : Ca' Pesaro, Musée d'art moderne et d'art oriental (œuvres (1) de Morbelli, Khnopff, Medardo Rosso, Caffi, Sorola, Bonnard, Hokusai).
Ensemble d'un abord un peu froid, qui ne manque pas de style mais commence malheureusement à afficher les stigmates du temps.


À ÉVITER : Collection Peggy Guggenheim (œuvres de Magritte, Ernst, Dali, Giacometti, Miro, Duchamp, Kandinsky) et Musée Correr (sorte de musée napoléonien, œuvres (1) de Canova, Antonello, Carpaccio, Bellini, Bissolo).
De ces deux établissements, nous resterons discrets sur les toilettes qu'il sera prudent d'ignorer.


Enfin, le véritable amateur de sanitaires couronnera son voyage dans les toilettes hospitalières de l'Aéroport Marco Polo de Venise où tout est démesuré, le rouleau de papier d'une dimension déconcertante, et où les opérations se font avec un salubre minimum de contacts manuels. Seul l'environnement culturel y est un peu déficient, quoique les plus grandes marques de vêtements, de cosmétiques et d'objets de luxe y rivalisent d'élégance et de chic.
Nous n'illustrerons pas cette étape dans ce guide, afin de préserver, pour le pèlerin blasé, un peu du plaisir de la découverte et la fraicheur de la première impression.

Notez : 7 somptueuses sérigraphies numérotées, imprimées sur papier spécial de luxe double épaisseur molletonnée, représentant le plan de Venise et les plus belles vues de ce guide, sont en vente dans les principaux kiosques et musées de la ville ou auprès de Ce Glob Est Plat (à partir de 699 euros l'unité).


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(1) Sélectionnez le bouton «cerca» pour obtenir la liste complète en italien des œuvres du musée.
(2) À titre de comparaison, les prix d'entrée dans les musées vénitiens se situent entre 6 et 12 euros. Pour visiter cette collection astucieusement partagée dans deux lieux, il faudra débourser 20 euros, sans compter deux fois 3 euros pour les vestiaires (les seuls payants de tout Venise) quasi obligatoires (on vous impose sinon, pour de mystérieux motifs, de tenir votre sac à dos à bout de bras...), sans oublier le prix du transport par vaporetto entre les deux lieux.

lundi 11 janvier 2010

Message promotionnel


Cette ville inoubliable est sans doute la plus visitée au monde, la plus arpentée et la plus photographiée. Elle cache pourtant encore des lieux à découvrir, des sites ténébreux, des recoins secrets qu'on côtoie sans les remarquer.
Et bien Ce Glob Est Plat révèlera tout sur ces endroits mystérieux, leur localisation et leurs particularités, dans un véritable et irremplaçable «Guide de la Venise secrète» à l'occasion de sa chronique à venir.

Alors ébruitez-le autour de vous et connectez-vous la semaine prochaine sur Ce Glob Est Plat. L'inattendu est garanti.

vendredi 1 janvier 2010

Les naufragés de l'information


Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d'assister du rivage à la détresse d'autrui.
Lucrèce, De la nature des choses, Livre 2.1




Le spectateur de Ce Glob Est Plat qui a jeté sa télévision aux ordures aura raté un moment de jubilation. Un de ces débats qui sont le secret de la télévision de gavage où le public, choisi, applaudit les affirmations les plus imbéciles.
C'était le soir du 18 décembre 2009 sur la télévision publique. Étaient réunis les plus grands penseurs de la République. Le thème : fustiger Internet, parce que c'est l'anarchie et que tout le monde peut y dire n'importe quoi sur tout, sans avoir de carte de presse et sans respecter les règles policées de la bienséance et du renvoi d'ascenseur.
Pour enrichir le débat, le meneur de revue fera deux citations. D'abord Finkielkraut, phare consternant de philosophie «Internet, cette poubelle, ce lieu d'anarchie est en train de contaminer les médias traditionnels civilisés», puis Olivennes, marchand de culture en tube et serviteur des causes bénéficiaires «Internet, le tout-à-l'égout de la démocratie»
Le décor est planté.

Ne détaillons pas la vacuité des argumentaires et la petitesse d'esprit des accusateurs comme des défenseurs, tellement le spectacle en est réjouissant, et conseillons plutôt d'en lire d'abord un compte rendu désopilant et objectif dans le blog de Seb Musset, avant de barboter sans retenue dans la pure réalité. En 20 minutes, tout est dit. Vous y verrez le naufrage accablant des pontifiants penseurs de l'information, ceux qui brandissent les règles mais ne les appliquent pas (1). Vous entendrez ce brouhaha d'agonisants tremblant de perdre (ou même partager) un pouvoir, une parole, usurpés depuis des décennies. Et c'est un spectacle divertissant que de les voir se débattre.

Seul à s'amuser de ce grouillement, Guy Sorman survole le désastre, souriant, calme et conciliant «...et je dis moi que le monde actuel est meilleur que le monde ancien parce que tout le monde a droit à la parole et en dépit des dérapages je me réjouis que toutes les dissidences (puissent) s'exprimer, je trouve ça formidable, en dépit des anecdotes.»
«Tous les médias à un moment donné pensent la même chose, c'est comme ça, c'est un phénomène de société. Dieu merci il y a les bloggueurs et les internautes qui pensent autrement.»
«Le Web est un monde supplémentaire qui ne détruit pas l'ancien, c'est un monde de plus et ça devrait être une grande joie.»

Et pourtant Sorman sait que ce monde libre ne durera pas, et deviendra semblable à celui qu'il remplace «Il va y avoir des régulations par le public, en raison même du foisonnement d'Internet.... Il y a des blogs qui sont légitimes et qui sont professionnels et reconnus comme tels, c'est la même évolution que pour la presse écrite, et on va vivre ensemble...»

Les commentaires ne sont pas autorisés sur le site où ce débat est diffusé. Bientôt, les naufragés de l'information réaliseront leur ridicule et en interdiront la diffusion. Alors copiez-le dans vos archives personnelles. Il va devenir un modèle. Vous pourrez alors dire «J'ai été témoin de la fin d'une espèce.»

Au muséum d'histoire naturelle passe la procession des espèces disparues.

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(1) Par exemple, leur description unanime du journaliste «Quelqu'un de compétent qui sait mettre en contexte, vérifier, faire du contradictoire, voir des gens qui ont des opinions différentes, faire une synthèse, appliquer des règles de bon sens pour essayer de donner une certaine honnêteté intellectuelle». On y reconnait là toutes ces qualités qui seraient absentes d'Internet mais qu'illustrent si bien les médias traditionnels affiliés aux capitaux et aux politiques.