vendredi 30 octobre 2015

Nuages (38)

Colonnades de l’agora dans les ruines d’une des plus belles cités de l’antiquité grecque puis romaine, Pergé, aujourd’hui au sud ouest de la Turquie, à 17 km d'Antalya. À l'horizon la chaine occidentale des monts Taurus.

dimanche 25 octobre 2015

Mais pourquoi tant de haine ?

Mark Antokolski, Socrate mourant, 1875, parc municipal de Lugano, Suisse.


Mark Antokolski était un sculpteur lituanien de la fin du 19ème siècle, donc russe, et croyant aux idéaux du naturalisme ou du vérisme, bref du réalisme.

Ainsi quand il décida de représenter la mort de Socrate, sujet émouvant qui avait inspiré tant d’artistes avant lui, au lieu de l’imaginer traditionnellement buvant la cigüe dans une grande scène théâtrale où le philosophe entouré de ses amis en larmes désignerait le ciel d’un geste grandiloquent, il choisit de le représenter mort, avachi comme un ivrogne endormi, et seul.

Il exposa le résultat à Paris en 1878, en obtint un succès certain, une médaille d’or et quelques commandes. Le marbre original est au Musée russe de Saint-Pétersbourg, et une des répliques qu’il en fit repose aujourd’hui à l’ombre d’un bosquet dans le parc municipal de Lugano, offerte à la ville par la famille de l’acquéreur en 1917.

En 1881, Antokolski qui décidément aimait à déshonorer les plus grands philosophes représentait Baruch Spinoza comme une vieille femme impotente et transie.

dimanche 18 octobre 2015

Beaucoup de bruit pour presque rien

Anonyme du 17ème siècle - Reniement de Pierre, copie d'une gravure d'après un tableau de Gérard Seghers, attribuée étourdiment à Georges de La Tour sur le nouveau site Images d'art de la Réunion des musées nationaux.

À l'heure où les grands musées de la planète partagent déjà gratuitement en ligne des reproductions de leur collection, le ministère de la Culture et de la Communication réalisant le retard de la France et les carences de ses grands musées en la matière vient de déployer son savoir-faire dans le lancement d'un site internet, Images d'art, consacré au partage des images des collections des musées français.
Et quand on se rappelle l'ingéniosité (les mauvais esprits diront l'ingénuité) avec laquelle il a récemment imposé la liberté de photographier dans les établissements publics nationaux récalcitrants, on peut s'attendre au meilleur.

Les réseaux sociaux bien dressés bruissent depuis quelques jours du slogan du ministère « Découvrez, collectionnez, partagez les œuvres des musées français. »
En arrondissant les nombres, Images d’art présente 12 000 sculptures, 22 000 gravures, 13 000 aquarelles, 85 000 dessins de toutes techniques et 21 000 peintures.

La première mission du site est de faire découvrir la richesse des collections françaises. En effet chaque lancement de la page d’accueil affiche 20 vignettes différentes, mais tirées au hasard parmi un nombre limité des grandes locomotives des musées français, si bien que pour découvrir quelque chose, mieux vaut connaitre à l’avance ce qu’on cherche.
En revanche après une recherche, quand une vignette est sélectionnée, le site détaille l’œuvre et en suggère 20 autres qu’on suppose lui être liées par de subtiles affinités. L’association d'idées qui les choisit n'est pas vraiment limpide et parfois incongrue, mais c’est peut-être cela la découverte, de ne pas connaitre les règles et de les confondre avec le hasard.

Il faudra néanmoins veiller à ne pas considérer comme des découvertes certaines attributions hasardeuses ou carrément erronées, comme ce tableau en illustration fièrement attribué sans réserve à Georges de La Tour, quand il y a bien longtemps que plus personne n’ose le lui attribuer.

La deuxième mission du site, collectionner, est facilitée par des fonctions de création d’albums personnalisés, de diaporamas, ou de téléchargements d’images. Mais elles sont soumises à la création d’un compte utilisateur et à des procédures ennuyeuses de saisie d’information. Toutefois si quelque chose ne fonctionne pas dans ces démarches (comme lors de nos tests), leur contournement est aisé car les fonctions de copier ou de glisser-déposer des images n’ont pas (encore) été inhibées.

Remarquons que les reproductions proposées gracieusement sont en basse définition (maximum 750 pixels, donc de qualité médiocre ne permettant pas d’examiner les détails des œuvres) alors qu’on peut les trouver parfois en meilleure définition sur internet.
L’achat à usage personnel de reproductions en moyenne définition (2 à 3000 pixels) est proposé, mais il n’est disponible que pour de très rares œuvres (non identifiées, il faut appuyer sur un bouton malaisé pour s’en rendre compte) et semble ne pas fonctionner non plus.

La troisième mission du site, partager, est encouragée par les divers boutons qui accompagnent chaque image, cependant la lecture des CGU (conditions générales d’utilisation) découragera certainement les élans les plus optimistes.
D’abord, tout usage commercial, avec ou sans bénéfice financier, des images d’œuvres qui sont dans le domaine public est strictement prohibé. La Réunion des musées nationaux s’arroge ici la plupart des droits d'auteur des œuvres qui sont dans le domaine public (CGU.2.4), opération illégale comme cela a été maintes fois commenté (copyfraud). Le plus cynique est que la vérification de l’appartenance des œuvres au domaine public, ou au contraire de l’existence de droits d’auteur encore actifs qui interdiraient toute publication et tout partage, est laissée à la charge de l’utilisateur, à ses risques et périls (CGU.2.1).
Petite curiosité, CGU.2.2 déclare qu’il faut avoir atteint la majorité de 18 ans pour visiter le site, ou être sous la surveillance de parents ou de responsables légaux. C’est dire la perversité des collections nationales.

Enfin, CGU.2.7 et CGU.4 interdisent à peu près toute publication sur un site ou un blog faisant preuve de la plus légère indépendance d'esprit, qui diffuserait « des propos diffamants à l'égard d'une personne morale (CGU.2.7.5) », ou « des informations polémiques ou pouvant porter atteinte à la sensibilité du plus grand nombre (CGU.4) ». Ne riez pas !

Reconnaissons tout de même que si l'interface vieillotte du site mérite corrections et améliorations, la flânerie n'y est pas désagréable, comme dans un vieux dictionnaire illustré. On se croit de retour aux débuts de l’internet, dans un musée qui sent la cire et la poussière. Certaines salles y sont fermées par manque de personnel de surveillance. On contemple de loin un panorama certes lacunaire mais évocateur.
Cependant l’amateur rigoureux, le scientifique exigeant et le journaliste intègre auront intérêt, comme le signale Didier Rykner dans la Tribune de l’art, à faire leurs recherches plutôt sur le site de l’agence photos de la Réunion des musées nationaux, l’original du site Images d’art, moins brouillon et plus complet, ou dans les collections du site Culture.fr réellement plus professionnel et exhaustif.
De son côté SavoirCom1 fait aussi une limpide revue critique d'Images d'art.

Mais c’est peut-être après tout la seule ambition du ministère, que de proposer une promenade virtuelle lénifiante au bon peuple distrait, celui qui fréquente assidument et exclusivement Facebook ou Twitter, puisque les autres réseaux sociaux sont explicitement exclus de l’autorisation de partager ses images. C’est ce que précise CGU.2.4.3.
 

samedi 10 octobre 2015

Le Maitre de Moulins

Jean Hey ou Hay (alias le Maitre de Moulins) : trois anges du panneau central du triptyque de la Vierge de l'apocalypse, vers 1500. On ne trouve pas de bonne reproduction du triptyque sur internet.


Il ne fait pas de doute que si le triptyque de Jean Hey, la Vierge de l'Apocalypse, était exposé au Louvre de Paris, sur un mur normalement fréquenté et sous une honnête lumière zénithale, il éclipserait rapidement les plus grands chefs-d'œuvre du musée.
On viendrait des antipodes admirer ses fines nuances colorées, la suavité de ses volumes, la grâce naturelle des visages, notamment des douze anges du panneau central, douze fois le même modèle, qui mime avec application les poses et les sentiments demandés par le peintre sans parvenir à vraiment masquer, à l'égard de la scène qu'il simule, son orgueilleuse indifférence.

Mais en réalité le triptyque est conservé depuis cinq cents ans dans la cathédrale de Moulins-sur-Allier, en Auvergne, aujourd'hui rassemblé dans la Chapelle des évêques, sur le flanc nord.

Un guide obligatoire muni d'antiques clefs vous conduit dans la salle d'exposition, derrière une vieille porte sonore.
Sur le mur de gauche, deux répliques en grandeur réelle reproduisent le revers des deux panneaux latéraux du triptyque, peints en grisaille, et que des précautions de conservation empêchent de manipuler. Ce sont des photographies fantomatiques délavées par les années.
Et à droite, sur une estrade élevée de quelques marches trône le triptyque, le trésor de la ville de Moulins, cinq mètres au-delà d’un cordon infranchissable.

N'imaginez pas que vous pouvez alors contempler sereinement le joyau de Jean Hey. Car une malédiction poursuit les plus beaux chefs-d'œuvre de la peinture conservés dans les édifices religieux, l'ignorance (et peut-être l'économie). On croit qu'il est plus convenable de les exposer dans la pénombre, alors qu'en vérité la peinture à l'huile jaunit dans l'obscurité et revit à la lumière indirecte du jour.
L'amateur qui a visité dans la cathédrale Saint Bavon de Gand le polyptyque de l'Agneau mystique de Van Eyck, avant qu'il soit démembré et lessivé dans la longue phase de restauration actuelle, se rappellera la déception d'avoir peiné à distinguer quelques vagues formes dans l'ombre, alors que le peintre s'est ingénié à couvrir chaque centimètre carré de son immense œuvre de détails d'une merveilleuse perfection naturaliste, peints pour être admirés.

Le triptyque de Moulins subit la même punition. L'éclairage est déficient, la distance trop respectueuse, la récitation du guide sans répit et l'exhibition minutée.
On devra donc le vénérer plutôt que le contempler.
Le photographier est également interdit. L'ordre en viendrait de Paris. On peut excuser le mensonge, parce que les conditions de prise de vue seraient de toute manière trop difficiles, et qu'il faut bien additionner quelques ventes de cartes postales aux maigres recettes des billets d'entrée, pour payer la femme de ménage qui l'époussète de temps en temps.

Le sort du triptyque ne serait d'ailleurs pas meilleur s'il était hébergé à quelques pas de la cathédrale, dans le Musée des beaux-arts Anne de Beaujeu, car la collection de peintures, exclusivement du 19ème siècle, y est entassée comme dans un cabinet des siècles passés, en couches successives jusqu'au plafond, et dans une obscurité presque complète.

Cependant la renommée de l'œuvre est maintenant planétaire et il ne serait pas étonnant que quelque édile en quête de visibilité électorale fomente un jour un plan machiavélique pour soustraire le joyau aux griffes du clergé moulinois.
Le rêve d'un triptyque baigné de lumière sur les cimaises d'un grand musée régional, voire du Louvre, se réaliserait alors.

Et puis, après quelques années, sa trop grande notoriété obligerait les conservateurs à le confiner, comme la Joconde, dans une cage de verre blindé à l'abri des touristes fanatisés, cinq mètres au-delà d'un cordon infranchissable.
 

Charles Guilloux, lever de lune sur un canal, détail, vers 1900 
Moulins, musée Anne de Beaujeu.