dimanche 25 décembre 2022

La vie des cimetières (106)

Sempé, En double file (détail, dans Des hauts et des bas, 1970)

On disait à D…, médecin mesmériste : 
— Eh bien ! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir.
— Vous avez, dit-il, été absent ; vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri.
Nicolas Chamfort, Caractères et anecdotes, 1795

Comme tous les ans maintenant, alors que l’année n’était révolue qu’à 95%, Le Journal des Arts a supposé que plus aucun nom célèbre ne mourrait d’ici le 31 décembre et a publié dès le 13 un florilège des personnalités du monde de l’art disparues en 2022

Il y en aurait eu 39, dont 15% de femmes, faible pourcentage, mais en constante progression, ce qui est encourageant.
La moyenne d’âge au moment du décès a considérablement augmenté, passant de 80 à presque 85 ans, mais n’allons pas en déduire qu’il suffit de dissuader les vieillards de sortir, de les masquer quand ils le font, et de les vacciner souvent, pour que leur espérance de vie bondisse, n’oubliez pas qu’il ne s’agit que de 39 personnalités choisies parmi les mieux nanties, autrement dit peu représentatives. 

Parmi elles retenons Antonio Recalcati, peintre, sculpteur, graveur, qui fut un des assassins de Marcel Duchamp en 1965 (l’affaire était relatée ici), et mort le 4 décembre, juste à temps pour participer à ce florilège du Journal des Arts. 
Retenons également Pierre Soulages, évidemment, grand peintre officiel aux funérailles nationales, dont nous avions parlé alors

Mais surtout il y eut la disparition, le 11 aout, de l’inoubliable Jean-Jacques Sempé, peut-être inconnu des jeunes générations parce que ses années les plus fécondes sont déjà loin, autour de 1970 et 1980. 

Génie inclassable, rangé à l'étroit parmi les auteurs de dessins d’humour, il réussissait, sur une grande page d’un dessin incertain accompagné d’un court monologue, à exprimer sur la destinée humaine ce que les meilleurs écrivains parviennent difficilement à dire au long de centaines de pages. 
C’était La Bruyère, ou Pascal, en moins sentencieux et beaucoup plus drôle.

(les 3 dessins de Sempé reproduits ou en lien sont extraits de l’album "Des hauts et des bas" publié en 1970 par les éditions Denoël)

lundi 19 décembre 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (26)

Alternance de la nativité de Piero della Francesca avant et après restauration (cliquez pour les détails)
 
La bienpensante National Gallery de Londres sort au moment propice sa surprise de Noël. Elle expose pendant les fêtes, dans un nouveau cadre et isolée dans une petite salle, la naissance de Jésus, peinte en Toscane par Piero della Francesca vers 1480 et invisible depuis 2019 pour restauration.
Réalisée vers la fin de sa vie elle résume parfaitement le style épuré, limpide, solennel et désincarné de Piero.

Dans l’illustration animée ci-dessus (un va-et-vient de 2 secondes au format Gif), on remarquera en zoomant que les choses se déplacent légèrement entre les deux états du tableau. C’est dû aux défauts des reproductions photographiques, car en principe une restauration ne modifie un tableau que dans l’épaisseur. Mais il y a des exceptions, et c’est le cas ici. Les deux versions du tableau n’ont pas la même largeur. Elle a été augmentée de 2 ou 3 millimètres. 
La restauratrice, qui considérait que l’ovale de la rosace du luth à droite ne correspondait pas à l’orientation du reste de l’instrument, chose peu plausible chez ce mathématicien et maitre de la perspective qu’était Piero, a compris que la largeur du tableau avait été réduite. Lors de son transport au 19ème siècle le panneau de bois avait été séparé verticalement en 2 parties dans un axe passant par le visage du musicien, la rosace et les mains de l’enfant (curieux traitement pour un tableau d’à peine 123 cm ! Aurait-il voyagé en fraude ?)
À Londres, les deux parties ont été recollées, mais il manquait l’épaisseur de la lame de scie, que la restauratrice a donc recréée. Probante sur l’ovale de la rosace, sa manipulation l’est nettement moins sur la bouche et l’œil du musicien, et devient amusante quand on note que le majeur et l’index droits de l’enfant esquissent maintenant la lettre V.

Lors d’une ancienne tentative de lessivage un peu trop volontaire, les visages des deux paysans avaient presque disparu. Là encore la restauratrice les a reconstitués. Le résultat est décevant. Même s’ils sont dans l’ombre de l’auvent, Piero les aurait-il peints avec si peu de relief, si plats et aussi rouges ?
Petite remarque à l’attention des mécréants, le jeune paysan sous l’abri ne lève pas la main pour interpeler le chauffeur d’un hypothétique autobus qui parcourrait la campagne toscane. Il désigne en réalité un trou dans le toit de paille par où serait passé l’Esprit saint, ou le doigt de Dieu, ou peut-être l’enfant même. Reconnaissons que son témoignage n’est pas très clair. 

La disparition de la corne du bovin est aussi mystérieuse. Un commentaire du Giornale dell’arte affirme que Piero l’aurait peinte, puis effacée. Elle aurait donc été révélée lors d’une ancienne restauration, et enfin effacée par la restauratrice actuelle qui connaitrait les intentions du peintre ? Remarquable ! 
Il est en revanche certain que l’âne qui brait en direction du trou est un repentir de Piero (et peut-être aussi le bovin). Il l’a peint par dessus un mur de pierre achevé mais pas totalement sec, et comme toujours dans ce cas la couche supérieure a été partiellement absorbée faisant lentement réapparaitre les pierres. La restauratrice en a atténué l’effet. 

Il y a nombre d’autres détails à observer dans ce jeu des 7 erreurs, comme l’apparition d’un plectre entre les doigts du musicien à gauche, mais le plus notable cadeau de cette opération de maintenance, c’est l'illumination de l'ensemble. Un merveilleux air frais a balayé le voile d'impuretés grises et jaunes incrustées dans les couches de vernis.

On pourrait affirmer aujourd'hui, pour paraphraser Cioran à propos de Jean-Sébastien Bach, "S’il y a quelqu'un qui doit beaucoup à Piero della Francesca, c'est bien Dieu". Y a-t-il une manière plus belle de représenter la féérie, l’irrationnel, que par ces lignes pures, ces couleurs douces, ces visages distants, impassibles, ces personnages légendaires qui ne projettent pas d’ombre, cette paix ? 

En prime, en cliquant sur la vignette ci-dessus, vous pourrez télécharger (11Mo), imprimer en taille réelle et accrocher au-dessus de la cheminée ou d'un radiateur la splendide reproduction de la National Gallery. C’est gratuit (sauf l’impression).

Mise à jour le 7.01.2023 : La restauration d'une œuvre importante crée systématiquement une polémique. Dès le 17 décembre, un article du Guardian stigmatisait le nouveau Piero, insistant sur le visage repeint des deux bergers.
Mise à jour le 22.12.2023 : La polémique persiste, on demande toujours dans Il giornale dell'arte qu'une commission d'experts internationaux se prononce sur les deux paysans avinés reconstitués par la restauration de la National Gallery.

dimanche 11 décembre 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (25)



L’église Saint-Vincent du Mas d’Agenais, village sur la Garonne entre Bordeaux et Agen, abritait, depuis le don en 1805 d’un officier de l’armée napoléonienne, un tableau sombre de taille moyenne, accroché à plus de 3 mètres de hauteur et figurant le prophète de la religion chrétienne, dans une situation manifestement douloureuse au moment le plus désagréable de son histoire, "chétif et misérable" dit la conservatrice des Monuments historiques. 

En 1959 un restaurateur découvrait au centre du tableau, peint sur le bois au pied de la croix, un paraphe illustre, les lettres RHL imbriquées pour "Rembrandt fils d’Harmens, de Leyde" et une date, 1631.
Sans aucune protection mais jamais volé pendant 200 ans, à peine mieux protégé derrière une vitre de 2002 à 2016, le tableau vient de séjourner 6 ans dans la salle sécurisée du trésor de la cathédrale de Bordeaux, le temps de lui construire dans l’église Saint-Vincent un écrin blindé et vidéo-surveillé à outrance, avec des petits trous pour l’hygrométrie, homologué par les instances.  

Son retour au Mas d’Agenais le 24 mai 2022 fut une fête. Sur le site de la mairie la revue de presse en est impressionnante. La planète entière sait maintenant que le village possède, dans l'église accessible tous les jours pour des repérages, une chose invendable mais estimée 90 millions d’euros (ou "70 ans de budget de la commune"). De quoi donner des démangeaisons à tous les monte-en-l’air amateurs d’art et de sensations. On sait que l’épithète "invendable" ne les arrête plus.

Le 7 aout, dans l’église romane renaissante, une messe filmée par la télévision néerlandaise (Rembrandt est la fierté des Pays-Bas à l’égal de leur fromage) se concluait par une scène irréelle qui mérite d’être relatée (à 13:45 sur la vidéo) : un homme âgé couvert d’une cape vert-olive et d’une jolie petite calotte fuchsia au sommet du crâne, faisait vers la vitre qui protège le tableau des gestes mystérieux avec un petit marteau de métal argenté, puis balançait dans la même direction un appareil précieusement ciselé suspendu à une chainette et qui fumait un peu. Le commentaire en hollandais ne permet pas de savoir ce qu’il se passait mais la ferveur des chœurs en fond sonore soulignait l’importance de cet étrange cérémonial.

Importance au moins économique, car cet été, aux dires d’une commerçante du bourg, il fallait presque réserver pour aller prendre un café au Bistro de la Halle, et l’église voyait alors passer pas loin de 100 touristes par jour, "essentiellement des cyclistes", y compris en semaine. 
On entend même qu’un boulanger s’installerait dans le village. Il semble pourtant y en avoir déjà un, discret, au bout de la rue du beurre, et une boulangerie sans boulanger, abandonnée au coin de la Grand-Rue. L’euphorie et les micros-trottoirs font parfois dire n’importe quoi.
  

dimanche 4 décembre 2022

Tableaux singuliers (16)


Gustave Caillebotte était un riche héritier. Entre autres passions, avec la philatélie, l’horticulture, le nautisme et les régates, il aimait peindre et réalisa, d’après Wikipedia, 475 tableaux (477 était le premier décompte du catalogue raisonné chez Wildenstein en 1978, mais la révision de 1994 en dénombre 565, soit 88 de plus dont le n°80)

Il aida considérablement ses amis impressionnistes, finança certaines des premières expositions du groupe, leur acheta beaucoup de tableaux, et établit leur renommée en mourant jeune et léguant sa collection aux musées nationaux à la condition (à moitié respectée) qu’elle sera exposée au musée du Luxembourg ou au Louvre sans être dispersée (aujourd’hui à Orsay).   

Son propre style était d’un impressionnisme modéré et ses sujets et angles de vue étaient souvent recherchés et originaux. Il ne peignait pas pour en vivre.
Son pays l’a longtemps considéré comme un amateur et n’a commencé à prendre sa peinture au sérieux que 100 ans après sa mort, dans une rétrospective de 116 numéros au Grand Palais, en 1994.

Cette longue indifférence a fait la rareté des tableaux de Caillebotte dans les musées français. Ainsi la plus grande part de son œuvre est encore entre des mains privées, essentiellement sa famille, et on découvre chaque année deux ou trois de ses tableaux en ventes publiques, de plus en plus convoités, fréquemment entre 1 et 15 millions de dollars. "Homme de dos à la fenêtre" a même atteint 53 millions en novembre 2021. Gustave Caillebotte entrait, alors en 85ème position, dans la liste mouvante et vaine des 100 tableaux les plus chers.

La toile en illustration ici représente bien la singularité du style de Caillebotte. On y retrouve son penchant vers des sujets quotidiens sans anecdote et la touche légère du premier impressionnisme, mais aussi son passage dans l’atelier du très académique Léon Bonnat, et son gout pour une certaine rigueur classique.
Elle représente, entre 1875 et 1878, deux jardiniers dans le vaste potager de la grande propriété Caillebotte à Yerres (vendue en 1879), 20 km au sud-est de Paris. 
Christie’s vient d’en d’obtenir une enchère à 7 millions de dollars le 17 novembre 2022, ce qui nous gratifie d’une très belle reproduction quasiment aux dimensions réelles du tableau (117 centimètres).

jeudi 24 novembre 2022

Une inconnue célèbre

Le musée de Nivaagaard près de Copenhague au Danemark consacre actuellement deux salles à une petite rétrospective d’une vingtaine de toiles de Sofonisba Anguissola, suivi par le Rijksmuseum d’Amsterdam à partir de février 2023. 
Ils qualifient pompeusement la portraitiste de "miracle oublié de l’histoire" et ont intitulé l’exposition de son seul prénom, Sofonisba. Condescendance ou extrême révérence comme pour les plus célèbres, Raphaël, Michel-Ange ou Rembrandt ?

Le grand public qui ne la connait pas parlera peut-être de honteuse discrimination, pourtant Sofonisba Anguissola était une des plus célèbres portraitistes d’un temps chiche en femmes peintres, la Renaissance italienne et espagnole. Sans doute a-t-elle été oubliée pour les mêmes raisons qu'Artemisia Gentileschi, parce qu’il reste d’elles assez peu d’œuvres identifiées, et parce qu’elles sont d’une qualité modérée. Mais l'encyclopédie Wikipedia dont on dit tant de mal ne l’a pas oubliée, qui lui consacre un article complet et bien illustré.

Anguissola peignit des portraits de l’aristocratie de son temps, pape, reines et rois, des portraits de sa famille et des autoportraits. Malgré une raideur de style et d’expression, ses tableaux les plus réussis ont un charme certain, comme cette partie d’échecs de 1555 au musée de Poznan en Pologne où elle a figuré ses sœurs et une servante, ou cet autoportrait de la collection Frits Lugt à Paris.

Tout cela suffirait déjà à établir l’intérêt de cette petite exposition, s’il n’y avait en plus ce coup d'audace des commissaires, qu'on remarque à la vue des cimaises sur le diaporama du site du musée…

En déplacement à  Palerme en 1624 pour faire le portrait d’un vice-roi, le peintre Anton Van Dyck visite Anguissola et réalise son  portrait à 92 ans (détail, collection National Trust).


C'est que les cimaises sont libres de tout cartel ou texte ! Les organisateurs ont transgressé la tradition en exposant les tableaux seuls, sans leur accoler ces habituels cartels, étiquettes, plaques couvertes d’inscriptions savantes, qui se trouvent ici reléguées sur des présentoirs en retrait. 

Dans le cadre de l’exposition d’un nombre raisonnable de peintures ce mode de présentation apporte deux avantages sensibles : la contemplation d’un tableau n’est plus perturbée par les personnes que la curiosité poussait à s’approcher pour lire des informations parfois copieuses et en petits caractères, et la première impression du spectateur qui ne connait pas une œuvre sera d’autant plus fraiche et originale qu’elle ne sera pas immédiatement contaminée par la connaissance du nom de l’artiste, du titre de l’œuvre ou des circonstances de sa réalisation. 
D’aucuns répliqueront que ce savoir peut ajouter du sens et enrichir la perception d’une œuvre. Bien entendu, mais les deux étapes, premières sensations et approfondissement, ne peuvent pas être interverties dans le temps

samedi 19 novembre 2022

La vie des cimetières (105)

Camille Martin, Après l'enterrement 1889 (Musée des beaux-arts de Nancy).
Puis avec un peu de chance on tombe sur un véritable enterrement, avec des vivants en deuil et quelquefois une veuve qui veut se jeter dans la fosse, et presque toujours cette jolie histoire de poussière…
Premier amour, Samuel Beckett. 

L’enterrement est un évènement pittoresque dans l'ennui des cimetières. Les peintres le représentent généralement au moyen de noir, de gris, et de beaucoup de bruns.

Pour Gustave Courbet, dans le gigantesque Enterrement à Ornans du musée d’Orsay, c’est l’occasion d’une imposante galerie de portraits agglomérés en une frise sans perspective, massive et sombre, sur 21 mètres carrés. Un style monumental, antiquisant sans l’idéalisation de l’antique. Il en fait le manifeste du réalisme social en 1849. Vaste programme.

Pour Camille Martin, modeste peintre naturaliste lorrain ami d’Émile Friant, qui expose Après l’enterrement au salon de 1889, aujourd’hui au musée de Nancy, c’est surtout l’occasion pour quelques vieux amis du défunt de se retrouver sous la pluie d’hiver et se crotter les souliers en chœur dans la boue du cimetière.

Que la scène se passe après l’enterrement ne parait pas tout à fait évident si on cherche à reconstituer l’anecdote.
La tombe se trouverait ainsi au fond, dans l’axe vertical sous la fumée blanche. On y distingue derrière les trois personnages une masse de personnes en noir tous parapluies ouverts. L’assistance commence à se disperser et suit le corbillard vide sur la route carrossable (ce qu’on pourrait prendre pour le cercueil n’est alors que le catafalque surélevé). La dispersion est attestée par la dame la plus à gauche après le bosquet, qui monte manifestement dans la direction opposée.

Toujours dans cette hypothèse la direction de la bande d’anciens amis ou collègues au premier plan est plus difficile à identifier. Ils auraient quitté la cérémonie sans suivre le convoi, descendu le chemin non carrossable et boueux vers le spectateur, et se seraient arrêtés de façon désordonnée pour attendre ceux qui remontaient leurs bas de pantalon (à l’extrême droite)
Le personnage de face, qui écarte les bras d’un air de signifier à l’homme de dos et aux pantalons ostensiblement retroussés "Qu’est-ce que vous faites, on vous attend ?", lui demanderait seulement "Mais où allez-vous ?".
Se retournant l’interpelé lui répondrait alors "On prend le raccourci du bistro, on va méditer au chaud sur les fragilités de la condition humaine."

On voit par là que ça n’est pas toujours le tableau le plus monumental, le plus révolutionnaire, le plus chargé de sens, qui s’avère le plus philosophe.
Et toc !

dimanche 13 novembre 2022

Nouvelles de l’autre monde

NB : Pour un lectorat inaccoutumé aux grands nombres, l’unité de mesure de cette chronique sera le million de dollars noté M$ (aujourd’hui 1M$ égale 1M€)

Vous l’avez certainement lu dans la presse unanime et admirative. Nous rêvions tous d’un monde sans guerre, sans maladies, sans grèves, sans inflation, sans intempéries. Les grandes religions l’avaient promis, et l’Agence France Presse vient de nous l’apporter sur un plateau d’or, agrémenté de chiffres mirobolants : la vente aux enchères par la maison Christie’s à New York des tableaux de la collection Allen, milliardaire regretté, fondateur de la société Microsoft voilà 50 ans avec Gates.

1622987500 de dollars pour 155 œuvres (en 2 journées). Essentiellement des tableaux. Tout est parti. Ah, vous non plus n’arrivez pas à lire ce nombre, vous ne fréquentez pas l’autre monde ? On peut l’écrire 1 622 249 500$, ou 1,622,249,500$, comme font les américains, pour faire croire que ce n’est qu’une suite de petits nombres. Soyons clair, ça fait un milliard et demi de dollars, en gros (ou 15 à 20 Airbus A320)

Détailler les tableaux, les records, comme l'ont fait certains journaux, ne serait que du remplissage. On trouvait dans la collection Allen tout ce que tout milliardaire américain bien élevé doit posséder, surtout des peintres américains, abstraits et contemporains, et des français de l’époque impressionniste et des alentours. Et puis on n’était pas là pour acheter un tableau peint par untel, mais un tableau de la prestigieuse collection du milliardaire Untel. La liste, les prix et les images sont en ligne (journée 1 et journée 2).

Présentons néanmoins pour les connaisseurs quelques remarques et de belles reproductions (n’oubliez pas qu’on ne reverra peut-être plus ces tableaux qu'à l'occasion du décès des milliardaires qui viennent de les acheter).


Tout d'abord, tableau célèbre mais incongru dans cette collection, un beau tondo de Botticelli, la Madone du Magnificat (un détail ci-dessus à gauche) est parti pour un prix dérisoire (49M$), si on le compare à deux Botticelli vendus récemment par Sotheby’s, en 2022 pour le même prix un Christ pleurnichard peint à la chaine par l’atelier, et en 2021, pour le double du prix, un joli portrait fraichement repeint (il faut dire qu'il existe 4 ou 5 versions d'atelier de ce tondo. L'original serait celui du musée des Offices). 

Puis une très belle reproduction du tableau record de cette vente record, le petit (55cm) tableau des Poseuses dans son atelier par Seurat, reproduit ci-dessus à droite et dans tous les journaux, mais pas dans cette qualité (ici deux fois ses dimensions naturelles).

Enfin un Le Sidaner féérique et vénitien (illustré plus haut) et très grand (presque 2 mètres). Le Sidaner, qui n’aura jamais vu autant d’argent (2,1M$), et qui pourtant fait beaucoup baisser la moyenne de la vente (10M$ par œuvre).

Voilà, vous n’avez qu’entraperçu l’entrée du paradis, on raconte dans les couloirs du royaume céleste que la richesse de Paul Allen n’atteignait pas le dixième de la fortune personnelle de Bill Gates. Imaginez la collection !
Après déduction du prélèvement de l’organisateur et des taxes, grossièrement 300M$, le produit de la vente sera consacré à la philanthropie, claironne le même organisateur. On n’en saura pas plus, mais notre monde ici-bas en ira nécessairement beaucoup mieux... 

C’est déjà sensible.

samedi 5 novembre 2022

Hommage (Soulages)

L’exercice du pouvoir est toujours accompagné de faste et d’apparat, d’évènements exaltés dans de somptueux décors, destinés à montrer sa grandeur et sa force à l’électeur ébahi.
L’artiste, soucieux de son propre bien-être comme tout organisme vivant, ne refuse généralement pas de collaborer à ces grandioses célébrations. Choisi par le politique, il est souvent médiocre, car le principal critère de choix du pouvoir est le monumental, qui s’accorde rarement avec la finesse.

Avec Pierre Soulages, distingué par la République depuis la fin des années 1970, le choix n’était pas des pires. Ses œuvres sont souvent décoratives, parfois propices au recueillement, voire à la méditation.

Sa carrière avait été exemplaire. Très vite, à 30 ans, le succès, les expositions, une rétrospective à 50 ans, une autre à 60 ans, les commandes officielles, des tapisseries, les vitraux de l’abbatiale de Conques (7 ans de recherche dit Wikipedia pour créer un verre dont on loue l’étonnante propriété de laisser passer la lumière), et une peinture de plus en plus noire et de plus en plus monumentale au fil des années qui s’accumulaient en grand nombre. 
Puis on lui consacra un timbre-poste (ce qui peut paraitre ironique vu la dimension du timbre)
À 90 ans c’était la rétrospective des rétrospectives, à Beaubourg Paris, 500 000 visiteurs, ses tableaux étaient devenus intransportables.
On lui construisait un musée de son vivant à 95 ans, à Rodez, qui connut immédiatement une belle fréquentation (150 000 visites par an).
À 100 ans on l’honorait au cœur du musée du Louvre, privilège rarissime, ses tableaux étaient à la hauteur du lieu, presque 4 mètres, sans parler de leur épaisseur.

L’art officiel est un art de la surenchère, inévitablement. On n’imagine pas une commémoration qui serait moins mémorable que la précédente. Alors on produit, on ne peut plus se retenir, il y a une telle demande, et puis des traites à payer. On produit de plus en plus grand et on manque de place dans l’atelier. Il faut se débarrasser, on multiplie les dons, 100 ou 200 mètres carrés de grands panneaux noirs pour le musée Fabre à Montpellier, et plus de 500 œuvres pour le musée qui porte son propre nom à Rodez, c’est la moindre des choses.

On a bientôt 100 ans et on fabrique toujours, on ne sait par quel miracle de la nature, d'immenses panneaux de 10 mètres carrés et 25 centimètres d’épaisseur d’une matière qui ressemble à du bitume.
Et puis fatalement on meurt.
Le président de la Nation en profite pour faire une cérémonie discrète, dans la Cour carrée du Louvre évidemment, avec des tas de ministres et de personnalités du monde des arts, une sorte d'hommage à soi-même. Applaudir l'arrivée de la veuve centenaire (c'est l'Agence France Presse qui le dit) était peut-être limite, c’est vrai, mais comment retenir son émotion lors d'un moment pareil ?

Et maintenant, il va falloir entretenir la mémoire du grand artiste, se débrouiller pour ranimer ce musée à Rodez dont la fréquentation décline déjà, comme tout musée de province, passées les premières années de visibilité médiatique, et puis s'occuper de ces portions d’autoroute suspendues au plafond ou aux murs des musées à travers le monde, quand elles commenceront à se déformer et s’abimer sous leur propre poids. 



Vous aurez noté que l’article de Wikipedia ne reproduit pas de tableau de Soulages, à l'exception d'une vue d'ensemble d'une salle du musée, et encore cette image est-elle discutée au sein de l'encyclopédie et sans doute bientôt supprimée comme illégale parce qu'il n'y a pas de complète liberté de panorama en droit français. C’est ballot, pour un peintre, mais c’est la loi. Il faudra attendre encore 70 ans que s'éteignent les droits d'auteur. Au musée Fabre de Montpellier, ci-dessus, la photo n'était pas interdite en 2016. Le peintre était encore vivant. Feignons l’ignorance.

vendredi 28 octobre 2022

Vénus et le domaine public

Il y a longtemps que nous n’avons parlé de "copyfraud", cet abus de pouvoir des états qui vendent ou louent le domaine public, parce qu’il y avait bien d’autres sujets déprimants à évoquer, et puis parce que depuis quelques années, les sites consacrés à la surveillance des violations du domaine public se sont assoupis, parfois profondément.

La chose offre pourtant encore régulièrement des occasions de rire des gouvernements et autres autorités, ce qui fait du bien au moral. C’est par exemple toujours une des spécialités des institutions italiennes de se ridiculiser en exploitant abusivement leur considérable héritage artistique.
On se souvient de l’Académie de Florence qui poursuivit en justice un voyagiste international, non parce qu’il vendait les tickets d’entrée au musée à un prix exorbitant, mais parce qu’il ne voulait pas en reverser une partie aux prétendus droits de reproduction de la célèbre sculpture de Michel-Ange exposée dans le musée et qui illustrait sa publicité. En dépit des conventions internationales sur le domaine public signées par l’État italien, la justice nationale avait donné raison au musée. Rappelons encore le scandale international de ce marchand d’armes américain qui utilisa l’image de la même sculpture pour la promotion de ses engins de mort, et d’un ministre italien officiellement outragé par cette violation des valeurs morales de son pays, mais en réalité vexé que le marchand ait refusé de payer les mêmes soi-disant droits de reproduction.

L’histoire se répète aujourd’hui, toujours à Florence, décidée à user son patrimoine jusqu’à la corde, et prête aux plus grandes petitesses pour faire parler d’elle, cette fois avec la Naissance de Vénus de Botticelli, au musée des Offices. En 2018 déjà, voyant les succès de l’Académie devant les tribunaux et appuyé par le maire de Florence, le gérant des Offices s'était déclaré prêt à se lancer dans une campagne de poursuites judiciaires, ralentie entretemps par la crise de la pandémie.


Détail de la Naissance de Vénus par Sandro Botticelli
 (Copyfraud Musée des Offices, Florence, Italie).

Or au printemps 2022, la marque de couture Jean-Paul Gaultier sortait une collection de vêtements au tissu largement imprimé avec la mièvre demoiselle nue sortant de sa coquille géante, ainsi qu’avec un détail en sépia du plafond de la chapelle Sixtine au Vatican par Michel-Ange, ou un gros plan sur les "trois grasses" de Rubens, comme le font depuis toujours les fabricants de mode vestimentaire, de boites de chocolats, les marchands de posters et les rayons de souvenirs des boutiques de musée.   

Ayant flairé le bon pigeon, le musée toscan annonçait le 10 octobre son intention de poursuivre la marque en justice, en arrosant toute la presse de sa version des faits : une obscure loi italienne de 2004 (l’article 108 du Code des biens culturels) manifestement en désaccord avec les conventions internationales et les directives européennes interdirait toute reproduction commerciale des œuvres du domaine public italien sans le paiement de royalties, comme le fait la loi française de 2017 - le décret Chambord - qui ne concerne pour l’instant que les bâtiments publics. Inutile de préciser que tout l’internet et les réseaux sociaux s’assoient résolument chaque jour sur cet article 108, mais il est potentiellement plus rentable de cibler une célèbre fabrique d’objets de luxe attentive à son image de marque.
Le musée dit avoir écrit à la contrevenante afin de négocier des "droits de reproduction", mais, sans réponse depuis 6 mois, aurait décidé l'action judiciaire (et d'en faire tout un tintouin).
Toute la presse, dévouée à l’AFP, s’en est émue et a répété à la lettre termes et arguments du musée italien, insistant sur le fait que la marque n’avait pas demandé son autorisation, et sans s’interroger un instant sur le bien-fondé de la réclamation. Seul Télérama s’est posé les bonnes questions et a demandé - sans succès - son point de vue à la maison de couture.

Et après ?

Le droit européen (et international) autorise la libre utilisation par tous des œuvres des domaines publics, même à des fins commerciales, mais certains états ont détourné ce principe en se mitonnant en interne des interprétations personnalisées. C’est le cas, entre autres, de la France avec le décret Chambord, et de l’Italie avec le code des biens culturels. 

Pour l’instant le musée florentin fait tinter toutes les casseroles médiatiques pour intimider la marque et tenter d’obtenir un accord commercial sans avoir à se lancer dans un procès hasardeux. Le vacarme aurait d’ailleurs logiquement dû réveiller un ministre italien, comme en 2014, histoire de donner à la chose une dimension diplomatique. 
La marque (maintenant espagnole), préserve les arguments de sa défense et reste silencieuse, mais semble néanmoins avoir retiré les produits incriminés de son site internet (à confirmer), ce qui pourrait constituer une sorte d’aveu, au moins sur son incertitude quant au dénouement de l’affaire. C’est un peu bête au moment où le musée de Florence fait gratuitement la promotion de ses produits !

En réalité personne n’a vraiment d’intérêt dans une poursuite judiciaire, l’issue en matière de domaine public dans un cadre international en serait incertaine. Jugée par un tribunal italien, ce serait, comme en 2017, en faveur du musée de Florence, alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne, de son côté, statuerait sans doute à l’avantage des principes du droit européen, donc de la marque espagnole. 

Attendons la suite, mais signalons à ces cupides florentins que la marque Nestlé, qui à notre connaissance n'a jamais versé le moindre centime au Rijksmuseum d’Amsterdam, a certainement plus fait, par ses yaourts "La laitière", pour la renommée du tableau de Vermeer - qui en est devenu une icône - et du musée hollandais qui l’héberge, que toutes les actions jamais entreprises auparavant pour le promouvoir (que ce soit un bien ou un mal est une autre histoire).

Aux dernières nouvelles le Vatican n’a pas réclamé d’argent à la marque pour la reproduction non autorisée de l’Adam de Michel-Ange, ni le musée du Prado pour les Grâces de Rubens. 

samedi 22 octobre 2022

jeudi 13 octobre 2022

Un Vermeer de plus ou de moins

Pour ne pas encore ennuyer le lectorat avec une reproduction du sempiternel Vermeer, voici un détail pas mal non plus par son collègue de l'époque à Delft, Pieter de Hooch, actuellement à la Gemäldegalerie de Berlin.


Examinons aujourd’hui les dernières nouvelles extraites du site Essential Vermeer, dont le nom signifie "le Vermeer de première nécessité", et qui pourchasse à travers la planète tout ce qui concerne ce peintre qui fascine tellement les amateurs que Ce Glob en a parlé deux fois en septembre dernier, et en 2021, et en 2018, 2017…, ce qui est excessif, il faut bien le dire, en regard de sa production si réduite. Mais n’est pas Picasso qui veut, qui bouclait 650 à 700 œuvres quand Vermeer en finissait à peine une. 

Le Louvre, qui n’en détient que deux - l’Astronome ou astrologue, et la Dentelière - n’aura bientôt plus de Vermeer à mettre sous les yeux du touriste, pour une longue période. 
Dans un entrefilet non daté mais probablement de l’été 2022, Essential Vermeer signale que l’Astronome - avec 49 autres œuvres - se trouve actuellement à 7000 km de Paris, au Louvre Abu Dhabi, prêté pour un an sans doute. Il sera donc absent de la rétrospective Vermeer à Amsterdam en 2023, comme il l’avait été de la rétrospective de 1996 à La Haye. 

Le Louvre chérit ses deux Vermeer (jusqu’à un certain montant, bien sûr), et il n’avait pas envisagé de se séparer de sa Dentelière en 2023. Mais il vient, au dernier moment de changer d’avis, d’après Essential Vermeer sur la même page, et aurait promis de la prêter pour la rétrospective, ce qui porterait à 28 sur 34 le nombre de Vermeer alors regroupés à Amsterdam ! Enfin plutôt 28 sur 35, car Essential Vermeer considère que le catalogue du peintre comporte 35 œuvres certaines (et 2 très douteuses), alors que nous en avions annoncé 34, un peu légèrement, le 20 septembre dernier.

On apprend cependant, toujours sur la même page d’Essential Vermeer un peu plus bas, que la National Gallery of Art de Washington (NGA), qui détenait jusqu’à présent 4 tableaux de Vermeer, n’en aurait plus que trois vrais, et un faux ou plutôt "attribué à Vermeer", ce qui est pire qu’un faux dans les degrés de la déchéance, le faux conservant le prestige d’avoir réussi à tromper un temps les experts. 
Le musée annonçait en effet le 7 octobre qu’après deux années d’analyses d’une haute scientificité, au moyen de la "technologie innovatrice de la reflectance hyperspectrale", son 4ème Vermeer, la Jeune fille à la flute, n’en était plus un (définitivement cette fois, car il y avait déjà un doute sur sa paternité), que bien que peint exactement avec les matériaux et la technique des vrais tableaux de Vermeer, il n’était pas réalisé avec le même "niveau d’expertise". Le musée en conclut que c’est l’œuvre d’un proche ou d’un atelier (on ne lui connaissait ni élève ni atelier). Il n’envisage pas l’hypothèse d’une esquisse, d’une ébauche, alors que d’autres tableaux fermement attribués au peintre sont aussi peu finis que cette femme à la flute et au curieux chapeau chinois. 

L'affirmation est courageuse, certainement parce que la NGA est le seul musée américain financé par l’État fédéral. Tout autre musée, financé par des fonds privés, des donations, aurait détecté une foule d’indices justifiant une attribution certaine à Vermeer, histoire de ne pas dévaloriser sa collection. 

Ainsi le nombre de Vermeer vient de repasser à 34. Il suffisait d’attendre. Le décompte des œuvres de Vermeer est une science exigeante, faite d’observations scrupuleuses et de patience.

mardi 4 octobre 2022

Promenade à Detroit

André Kertész, Homing ship, photographie, New York 1944 (Detroit institute of Arts).

Notre civilisation, fière de ses avancées, réalise qu’elles la conduisent inévitablement vers l’abime. Alors elle commence à réagir par de petites mesures sur les conséquences plutôt que sur la cause. Il semble bien que nous devrons désormais, habitants sans privilèges de l’Europe de l’ouest, renoncer à aller visiter ces musées du Nouveau Monde qui nous auront fait rêver, Chicago, New York, Boston, Philadelphie, Detroit… 
Qu’à cela ne tienne ! C’est le rôle des rêves de ne jamais se réaliser. Tant que nous avons un reste d’électricité et un logiciel de navigation (et aussi des tas de serveurs informatiques dans des paradis fiscaux). Les musées américains sont éloignés mais leurs sites sur internet sont prodigues. 

Le Detroit Institute of Arts, un des 10 premiers musées des États-Unis par l’ampleur de ses collections, en partage une grande partie dans de belles reproductions copiables et aux dimensions honorables (2048 pixels).  

Constituée depuis les années 1880 par les magnats et bienfaiteurs de l’humanité, de la presse et de l’automobile que furent les Dodge, Firestone ou Ford, la collection était estimée plus de 8 milliards de dollars en 2014, lorsque la ville de Detroit qui la gérait, en faillite après l’abandon de ces mêmes bienfaiteurs de l’humanité, menaça d’en mettre une partie à l’encan, la plus vendable, Brueghel, Rembrandt, Van Gogh, Matisse. Des solutions de financement furent finalement trouvées, mais l’administration du musée était toujours instable quand survinrent la pandémie de 2020, puis la crise économique. Depuis, nous n’avons plus de nouvelles (pour être honnête, nous n’avons pas cherché à en avoir, afin de maintenir cet optimisme qui fait la marque de fabrique de Ce Glob).  

S’il faut croire l’encyclopédie Wikipedia en anglais, l’évènement marquant de la vie du musée advint le 24 février 2006, quand un garnement colla son chewing-gum sur un grand tableau de 2 mètres d’Helen Frankenthaler. Après 4 mois d’acharnement la toile restaurée par le laboratoire de conservation du musée était comme neuve. On aura frôlé la catastrophe. Par chance le scandale a été oublié car c’était également le jour où les Detroit Pistons ont vaincu les Chicago Bulls.

Pratique : 
La visite des collections se fait par pages de 8 à 9 vignettes, ce qui est assez laborieux, par exemple quand la recherche des mots "de La Tour" annonce 5417 pages. Par chance les premiers affichés seront les résultats qui comportent les 3 mots recherchés (pour trouver une expression exacte, entourez-la de guillemets doubles).
Il faudra également renoncer à déambuler comme dans les salles d’un musée. Pas de consultation de l’ensemble du catalogue en vignettes ; ici, il faut savoir ce que l’on veut. Mais la fonction de recherche est assez généreuse si on saisit des mots anglais suffisamment généraux comme painting, watercolor, etching, pastel, sculpture, french, et si on utilise les filtres fournis, par collection et par date.

Notez enfin qu'il n'est pas rare, après un peu d'attente, de recevoir temporairement et aléatoirement, au lieu de la page demandée, une page "Pardon our dust", qui signifie "pardonnez notre poussière" ou prosaïquement "Site en travaux, revenez dans un temps indéterminé".


Karel Dujardin, détail de la Sainte famille de retour d'Égypte, 1662 (Detroit institute of Arts).
 
Voilà une litanie de liens qui allécheront alphabétiquement le chaland :

Bouguereau, ouvrons avec les mièvres Cueilleuses de noisettes, car il parait que c’est, comme la Joconde au Louvre, de loin le tableau favori des visiteurs du musée (nous ne commenterons pas). Breton, Jules, un curieux incendie dans une meule de blé. Bronzino, 3 belles choses. Pieter Brueghel l’ancien, la fameuse Danse de mariage et de nombreux détails (voir les flèches en haut à gauche dans la fenêtre de zoom). Butinoneâmes sensibles, évitez ce lien - le Massacre des innocents. Caravage, Marthe et Marie-Madeleine. Church F.E, la côte de Syrie. Jan de CockLoth et ses filles. Karel Dujardin, Retour d’Egypte. Fussli, le célèbre Cauchemar. Orazio Gentileschi, Femme au violon. Henri Gervex, Café à Paris. Ghiglia - La rose artificielle (il y a un piège dans le titre). Hammershøi, encore une femme dans un intérieur. M.J. Heade, un Paysage de mer. Holbein, un portrait de femme. André Kertész, beaucoup de belles photos dont la magnifique Homing ship

Pause détente, avec le Salvator Mundi présumé de Léonard de Vinci. Pour qui regretterait la disparition du tableau à 450 millions de dollars dans le désert saoudien, Detroit en possède un clone très ressemblant, aussi inexpressif, attribué un temps à Léonard, puis à son "fils adoptif" Salaï, puis à Giampetrino. Mais où s'arrêteront-ils ?

Reprenons avec Alfred Leslie, une violoniste. Detroit possède peut être l'intégrale des gravures de Martin Lewis, et nombre de dessins préparatoires. Nous en parlions en 2009, mais la plupart des liens sont morts. En voici quelques autres : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Liotard, portrait au pastel de Marie-RoseThomas Moran, une Venise à la Turner. Rembrandt Peale, un homme lisant à la chandelle. Jan Provost, un délicieux Jugement dernier. De Rauhauser une longue série de photos, dont Car wreck. W.T. Richards et sa Long Branch Beach. Jacob van Ruisdael, le célèbre Cimetière juif. Gilbert Stuart, les beaux portraits de la famille Todd. Un Ter Borch rare, l'homme lisant. Une extraordinaire scène goyesque avant Goya d'Adriaen van de Venne, Quaet slagh ou Angry blows (?) Un étrange portrait d'homme par Velázquez. Une mer calme de Simon de Vlieger. Un intérieur de Vrel. De Richard Wilson, un paysage avec un moine blanc difficile à distinguer. Enfin, les spectaculaires Bottes marines d'Andrew Wyeth.

lundi 26 septembre 2022

Enfin libres !

 

Temps de lecture : 2 minutes (indéterminable si vous lisez les dates, peut-être interminable)

Depuis 16 ans, au moins, Gougueule, développeur, hébergeur, administrateur et censeur du présent blog et de millions d’autres, réduisait automatiquement les dimensions des illustrations publiées par ses administrés à un maximum de 1600 pixels par côté. Les images plus grandes n’étaient pas interdites, mais leur publication demandait des connaissances quasi divines et des manipulations particulières.
Gougueule (Que ses bienfaits ruissellent sur nous comme du miel !) pensait ainsi déjà à l’avenir du climat de la planète en limitant la consommation d’énergie de ses adeptes irresponsables.  

Or depuis quelques semaines, ou quelques mois ou quelques années - qui sait ? Gougueule, n’a pas à informer ses fidèles des miracles qu’il dispense - notre Maitre bien-aimé donc a effacé cette limite à notre liberté et nous laisse aujourd’hui publier des images de plus grande dimension. Nous ne savons pas si cette liberté a encore des limites, car seul notre Prophète peut approcher l’infini. 

Qu’Il en soit néanmoins béni ! 
Profitons-en pour illustrer enfin en haute définition et en deux versions, dans de meilleures conditions qu’au musée même, l’un des deux Vermeer du Louvre, l’Astronome (ou Astrologue).
Signé par l’auteur et daté de MDCLXVIII, au centre derrière la main droite (vous ne déchiffrerez ce nombre ésotérique qu’avec une longue pratique des langues mortes), le tableau, volé par Hitler à une famille milliardaire française en février MCMXLI et retrouvé en mai MCMXLV dans une mine de sel en Autriche, à Altaussee, avec des milliers d’autres objets d’art, a été restitué à la famille puis donné au Louvre en MCMLXXXIII pour payer des droits de succession.

Reproduit ici en deux versions pour s’adapter aux biais courants de colorimétrie des écrans, leur aspect dépendra des qualité et réglage de votre matériel. 
L’œuvre originale mesure 45 par 51 centimètres. Les reproductions sont 3 fois plus grandes (9 fois en surface). C’est dire le cadeau que nous fait Gougueule (Loué soit notre dieu unique !)

N'hésitez pas à faire des remarques, l'auteur ne peut plus protester depuis MDCLXXXVII.

mardi 20 septembre 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (24)

S’il a effacé l’étagère de cruches derrière la tête de la Femme versant du lait, le minutieux Vermeer a laissé dans le mur les traces de clous.

Le Rijksmuseum, premier musée d’art d’Amsterdam, ouvre dans 4 mois la plus grande exposition Vermeer jamais réalisée, qui réunira 27 des 34 tableaux généralement acceptés dans le catalogue du peintre. "Ce sera la première et la dernière fois que le public pourra voir 27* Vermeer réunis" avertit M. Dibbits, directeur du musée, qui a déjà ouvert la vente des billets, à 1,11€ euro par tableau, mais le tarif inclut, après l’exposition, la visite des collections permanentes.

La rétrospective de 1996 au Mauritshuis de La Haye en montrait 23, et l’exposition lamentablement organisée en 2017 par le Louvre, seulement 12.

C’est l’occasion pour le musée de remettre une nouvelle fois sur la table d’opération les tableaux qu’il détient, dont la fameuse Femme versant du lait (qu’on appelle parfois impertinemment Laitière, voire yaourtière dans l’industrie agroalimentaire). 

Pour tenter de comprendre le savoir-faire si particulier du peintre, les experts ne cessent de l’éplucher avec des outils toujours plus modernes et indiscrets, et d’inventer à chaque examen un nouveau mystère que personne ne cherchait et qui trouve ainsi au même instant sa propre révélation. Les mots mystère, secret, révélation et découverte sont les moteurs de toute promotion bien pensée. 

Sous l’influence d'une lubie de l’authenticité, et parce que ces spécialistes pensent connaitre les intentions d'un peintre mort et oublié depuis 350 ans, au lieu de se contenter de remplacer un vernis un peu sombre, ils se sont mis à transformer ses tableaux, ajouter des personnages, y refaire la décoration à leur propre gout, sous prétexte que d’autres avant eux l’auraient fait au mépris de ce qu’ils estiment aujourd’hui avoir été l’inspiration originale du peintre. 

Dans le cas de la Femme lisant une lettre du musée de Dresde, persuadés que le tableau peint au fond de la pièce avait été masqué après la mort du peintre (donc sans son consentement), les experts ont restauré le Cupidon grassouillet et allégorique caché dans le mur, éliminé ainsi tout doute sur le contenu de la lettre, et surchargé le fond du tableau (ce que Vermeer, il est vrai, faisait généralement).
Dans leur élan, les experts de Dresde ont même proposé à ceux de Berlin, qui hébergent un des rares murs restés libres dans les tableaux de Vermeer, de les aider à faire réapparaitre la carte géographique dont on sait, par la radiographie, qu’elle ornait ce mur dans l’idée originale de Vermeer. 
Prudemment, Berlin a répondu que la carte n’était certainement qu’une esquisse effacée par le peintre (de son vivant, donc). 

Or cette année, en prévision de la grande rétrospective en 2023, et au moyen de la réflectance infrarouge à courte longueur d’onde (c’est nouveau, c’est militaire dit l’AFP), l’expertise vient de révéler très clairement les repentirs que recouvre le mur blanc derrière la dame versant du lait et au sol au fond de la pièce, et qui en deviennent ainsi terriblement énigmatiques. En réalité on en connaissait l’existence, on les distingue à l’œil nu (au séchage les repentirs ressortent toujours).
Mais cette technique sophistiquée a dévoilé avec précision que le peintre avait prévu, derrière la petite chaufferette pour pieds, un grande panière de séchage du linge, et sur le mur derrière la tête de la dame, une longue étagère et des cruches suspendues.
Et le procédé technique est si puissant que M. le directeur du musée, lyrique, a distinctement entendu les paroles du peintre devant son tableau : "Après réflexion, Vermeer s'est dit - cela fait une composition trop chargée, je vais la repeindre" a-t-il déclaré. 

On remarquera donc qu’en 2022, à Amsterdam, les motivations stylistiques attribuées au peintre sont à l'exact opposé de ses intentions profondes imaginées à Dresde en 2019. Aujourd’hui, le peintre chercherait à éviter l’atmosphère intimiste et confinée, surchargée d’objets, et aspirerait à la monumentalité, à l’épure.

On ne se plaindra pas de cette interprétation. Il ne reste que 2 ou 3 intérieurs de Vermeer dont le mur du fond encore vide renforce (pour un œil moderne) la présence palpable du personnage dans la pièce, l’isole dans l’espace sans le noyer au milieu d’un assemblage d’ornements et de bibelots.


Le type d’étagère que Vermeer prévoyait derrière la dame versant du lait (modèle réduit du Rijksmuseum).

mercredi 14 septembre 2022

Le marché au détail (3 de 3)


Encore quelques détails d’œuvres passées en vente publique ces dernières années. Aujourd’hui des scènes infernales et de sorcellerie du 17ème siècle en Hollande, entières cette fois. 

À la suite de Jérôme Bosch puis de la lignée des Brueghel, les peintres flamands et hollandais des 16ème et 17ème siècles, en moralistes astucieux, moquaient l’humain, ses conceptions délirantes et son agitation hystérique, tout en faisant croire aux autorités religieuses qu’ils peignaient le monde futur imaginé pour menacer les mécréants. 
Ça devait être un plaisir bien divertissant que de peindre ces scènes surréalistes avant l’heure, pleines de sorcelleries et de bestialités en tout genre, de choses grouillantes et de congénères grignotés par des monstres antipathiques. Ça les changeait des angelots grassouillets et des vierges immaculées.

En haut, Cornelis Saftleven, une superbe "scène animalière" vendue par Christie’s 10 fois l’estimation, en mai 2012.
On a retenu le nom de Cornelis Saftleven pour ses curieux tableaux de genre, folies animales, allégories moralisatrices, et on oublie qu’il était un maitre de son art, de l’envergure d’un Rembrandt, comme dans cette scène, ou celle-là. Pour mémoire, il n’y a plus guère que sur le site monstrueux de l’illustrateur Aeron Alfrey, MonsterBrains, qu’on trouve des reproductions acceptables de Saftleven.

À gauche, une scène de sorcellerie de Van Wijnen, dit Ascanius, habitué du genre, vendue par Sotheby’s en juillet 2016. Ascanius était aussi pourvoyeur de scènes bibliques délirantes, carrément cosmiques comme cette Tentation de saint Antoine, ou cette Création (admirez la partie de billard électrique au centre, une sorte de Salvador Dalí du 17ème siècle). Les bonnes reproductions de Wijnen semblent introuvables. 

Enfin à droite, une scène de sorcellerie par un peintre hollandais non identifié actif à Rome au 17ème, mise aux enchères vers 2020, et en bas une scène de l’Enfer dans le style de l’école hollandaise au 17ème, en vente chez Sotheby’s en janvier 2021.
Toutes ces informations sont d’une précision douteuse, convenons-en, mais quelques détails sont amusants.