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dimanche 13 novembre 2022

Nouvelles de l’autre monde

NB : Pour un lectorat inaccoutumé aux grands nombres, l’unité de mesure de cette chronique sera le million de dollars noté M$ (aujourd’hui 1M$ égale 1M€)

Vous l’avez certainement lu dans la presse unanime et admirative. Nous rêvions tous d’un monde sans guerre, sans maladies, sans grèves, sans inflation, sans intempéries. Les grandes religions l’avaient promis, et l’Agence France Presse vient de nous l’apporter sur un plateau d’or, agrémenté de chiffres mirobolants : la vente aux enchères par la maison Christie’s à New York des tableaux de la collection Allen, milliardaire regretté, fondateur de la société Microsoft voilà 50 ans avec Gates.

1622987500 de dollars pour 155 œuvres (en 2 journées). Essentiellement des tableaux. Tout est parti. Ah, vous non plus n’arrivez pas à lire ce nombre, vous ne fréquentez pas l’autre monde ? On peut l’écrire 1 622 249 500$, ou 1,622,249,500$, comme font les américains, pour faire croire que ce n’est qu’une suite de petits nombres. Soyons clair, ça fait un milliard et demi de dollars, en gros (ou 15 à 20 Airbus A320)

Détailler les tableaux, les records, comme l'ont fait certains journaux, ne serait que du remplissage. On trouvait dans la collection Allen tout ce que tout milliardaire américain bien élevé doit posséder, surtout des peintres américains, abstraits et contemporains, et des français de l’époque impressionniste et des alentours. Et puis on n’était pas là pour acheter un tableau peint par untel, mais un tableau de la prestigieuse collection du milliardaire Untel. La liste, les prix et les images sont en ligne (journée 1 et journée 2).

Présentons néanmoins pour les connaisseurs quelques remarques et de belles reproductions (n’oubliez pas qu’on ne reverra peut-être plus ces tableaux qu'à l'occasion du décès des milliardaires qui viennent de les acheter).


Tout d'abord, tableau célèbre mais incongru dans cette collection, un beau tondo de Botticelli, la Madone du Magnificat (un détail ci-dessus à gauche) est parti pour un prix dérisoire (49M$), si on le compare à deux Botticelli vendus récemment par Sotheby’s, en 2022 pour le même prix un Christ pleurnichard peint à la chaine par l’atelier, et en 2021, pour le double du prix, un joli portrait fraichement repeint (il faut dire qu'il existe 4 ou 5 versions d'atelier de ce tondo. L'original serait celui du musée des Offices). 

Puis une très belle reproduction du tableau record de cette vente record, le petit (55cm) tableau des Poseuses dans son atelier par Seurat, reproduit ci-dessus à droite et dans tous les journaux, mais pas dans cette qualité (ici deux fois ses dimensions naturelles).

Enfin un Le Sidaner féérique et vénitien (illustré plus haut) et très grand (presque 2 mètres). Le Sidaner, qui n’aura jamais vu autant d’argent (2,1M$), et qui pourtant fait beaucoup baisser la moyenne de la vente (10M$ par œuvre).

Voilà, vous n’avez qu’entraperçu l’entrée du paradis, on raconte dans les couloirs du royaume céleste que la richesse de Paul Allen n’atteignait pas le dixième de la fortune personnelle de Bill Gates. Imaginez la collection !
Après déduction du prélèvement de l’organisateur et des taxes, grossièrement 300M$, le produit de la vente sera consacré à la philanthropie, claironne le même organisateur. On n’en saura pas plus, mais notre monde ici-bas en ira nécessairement beaucoup mieux... 

C’est déjà sensible.

dimanche 4 août 2019

Vous étiez prévenus

En 2013 et 2015, Ce Glob est Plat s’alarmait de l’expansion d’un nouveau mode de commercialisation des données numériques (logiciels, livres, musique), voisin de la location.
Le procédé consiste à ne plus vendre les applications, les fichiers de musique, les journaux et revues, au client, mais à lui accorder un droit d’usage temporaire sur ces objets virtuels. Une location nominative.

Le commerçant n’y trouve que des avantages, le client fort peu. Il ne possède plus rien, ne peut plus partager sa musique, ni imprimer ses livres, ni même copier pour une citation plus d’une phrase à la fois. Le prix de location de la chose est régulièrement révisé, et le client peut tout perdre, sans raison, du jour au lendemain.

Ne croyez pas qu’enfin s’est réalisé le rêve de Proudhon ; la propriété n’a pas disparu, elle s’est seulement concentrée dans quelques mains.
Au moment de sa mort, il restera à planter en terre les restes du client à qui plus rien n’appartient dans un petit sachet biodégradable, et on invalidera ses autorisations de prélèvement mensuel.

Les marchands ont enfin inventé le mouvement perpétuel. On s'arrange pour que le client soit prisonnier de la boucle de fourniture d'un service dont on rend la sortie difficile, par exemple en le mêlant à un fouillis de services complémentaires. La référence ingénieuse en la matière est la location de voiture avec option d'achat (LOA), pourtant plus chère que l'achat d'une voiture à crédit, et dont on ne sort jamais.


Vous connaissez certainement la société Microsoft, créée par Bill Gates que Wikipedia dit philanthrope, et ses logiciels Windows, Word, Excel qui équipent 1,5 milliard d’ordinateurs. Devenu milliardaire, il a constitué une fondation humanitaire qui est en réalité un trust fiscalement optimisé, et qui investit dans les pires industries de la planète. Il aurait ainsi décuplé son capital.
La société Microsoft vend toujours ses applications bureautiques, mais peut-être plus pour longtemps, car elle déploie résolument sa version « en location », Office 365, qui a déjà séduit un troupeau de 220 millions de clients tondus à date fixe.

Et comme le font ses concurrentes pour les livres ou la musique, Apple, Amazon, Google, Spotify, Deezer et tant d’autres, Microsoft vend depuis 2 ans des livres numériques, selon le procédé de l’autorisation temporaire de lecture.
En fait, le verbe est à conjuguer à l’imparfait. Elle vendait. Car considérant que cette activité ne lui rapportait pas suffisamment, elle vient de l’arrêter en juillet 2019. Ce qui signifie que même téléchargés, les livres de la bibliothèque Microsoft ne sont maintenant plus lisibles par les clients qui les ont achetés, car l’autorisation de lecture ne leur est plus accordée par le système de verrouillage.

Et comme Microsoft ne pouvait pas voir sa bibliothèque se répandre librement sur internet en déverrouillant tous les livres vendus, elle a déclaré rembourser les clients qui en feraient la demande.
Il existe heureusement des moyens variés et relativement simples, mais qu’on ne peut pas citer ici, de contourner ces protections, et les infortunés lecteurs de la bibliothèque Microsoft un peu débrouillards qui se feront rembourser pourront ainsi doubler leur mise.

Cet épisode n’est qu’une petite alerte, désagréable pour les amateurs de lecture qui ont fait confiance à une grande entreprise, mais lorsque les mastodontes de la location de livres et de revues en ligne, comme Amazon (Kindle) ou Apple, verront s’éroder leurs bénéfices sous la pression d’une nouvelle concurrence, ou d’un changement de comportement des consommateurs, ne pensez pas que leur altruisme ira jusqu’à rembourser leurs centaines de millions de clients.

Il y a dès maintenant nombre de moyens de ne plus consommer comme on ouvre un robinet d’eau tiède, de consommer sans se soumettre, en achetant un bien et non un droit d'usage. Rester propriétaire des objets culturels numériques est encore possible. Il suffit de chercher un peu.

mercredi 7 septembre 2016

Dormez, on s'occupe de tout

Entre autres textes, la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 et la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 dans son Article 9 encouragent l’administration française, l’école et l’enseignement supérieur à privilégier l’utilisation des logiciels libres.
Sage décision. Les logiciels libres sont gratuits, respectent l’égalité des chances de l'utilisateur et l’indépendance commerciale de l’administration, ils sont souvent de grande qualité, ne récoltent pas les informations personnelles de l’utilisateur pour les monnayer, permettent la compatibilité des données entre eux et les logiciels commerciaux, et enfin leur code source est publiquement diffusé et les spécialistes peuvent ainsi y vérifier l’absence de portes dérobées qui permettraient d’espionner les actions de l’utilisateur.

C’est certainement dans le respect de la loi et en vertu de ses principes républicains voire humanitaires que le Gouvernement français, par la plume de la ministre de l’Enseignement, a signé le 9 novembre 2015 un énième accord de coopération avec la société Microsoft.
Cette fois-ci l’entreprise américaine fournit gratuitement des services de formation, d’accompagnement au changement vers l’éducation numérique, et met à disposition sa célèbre suite logicielle Office 365 avec toutes les ressources et technologies nécessaires pour son fonctionnement.

On connait l’adage éculé « si un logiciel ou un service sont gratuits c’est que les informations fournies par l’espionnage du comportement et des données du client qui les utilise constituent le produit ». Le client devrait être rémunéré pour cela.
Cohérent, Microsoft met gratuitement ses ressources à la disposition des écoles. Cela lui couterait 13 millions d’euros pour une phase de 18 mois. Des miettes pour une société qui sait que former les enfants dès l’école à l’utilisation des logiciels de la marque revient à les enrégimenter définitivement. Adultes ils les retrouveront (ou les réclameront) en entreprise où leur utilisation aura alors un prix, récurrent, mensuel et pour des décennies.

Nombre de commentateurs ont fait remarquer que le partenariat Microsoft serait comparable à faire enseigner la biologie et la chimie par la société Monsanto, ou à confier les cantines et l’alimentation des écoliers à la société Mac Donald.
Rappelons que Microsoft avec son système d’exploitation Windows 10 et sa suite logicielle Office 365 ne respecte ouvertement pas les principes humanitaires cités plus haut, d’ailleurs l’accord du 5 novembre instaure déjà la mise en place d’une « plateforme d’analyse des données d’apprentissage ».

Mais la vie privée sera respectée, insiste-t-on, car une Charte de confiance (en projet seulement lors de la signature) sera rédigée (sans précision de date).

Il faut lire, sur le blog de la ministre, les 237 commentaires qui fleurissent la nouvelle de cette coopération. Souvent clairement motivés, les plus indulgents se disent déçus ou honteux, beaucoup insinuent ou l'accusent ouvertement de corruption. Certains l'injurient. 

Ce cliché est la photo officielle et solennelle de la signature de l’accord du 9 novembre 2015. À gauche la ministre de l’Éducation, à droite le président de Microsoft France. Comment imaginer une seconde que ces deux splendides spécimens en pleine action pensent à autre chose qu’à l’épanouissement des écoliers ?