samedi 28 août 2010

Encore un coup de Trafalgar

Le rideau se referme sur un Christ qui n'est plus qu'une grisaille, détail des «Ambassadeurs» peint par Hans Holbein en 1533. (© National Gallery London)

Cela se passe place Trafalgar, c'est l'adresse à Londres d'un des plus beaux musées de peinture, «The National Gallery». L'entrée est gratuite.
Et les anglais viennent encore une fois de ridiculiser la conception française étriquée et corrompue (1) du «patrimoine artistique» en mettant en ligne, sur le site internet du musée, l'intégralité de la collection de peintures dans des reproductions d'une dimension et d'une qualité impressionnantes.

On y découvrira des détails qu'on remarquait à peine devant les tableaux originaux. On pourra, pendant des jours, contempler jusqu'au plus petit brin d'herbe les merveilles de Gerard David ou se noyer des heures dans les détails des naufrages de Claude-Joseph Vernet sans appréhender la courtoise insistance des gardiens qui annoncent à heure fixe la fermeture du musée.



Quelques détails remarquables de la collection : de Philips Wouvermans une réjouissante scène de bataille, de Salvator Rosa des sorcières font signer un squelette, de Verrochio un chien fantomatique chemine aux pieds d'un ange, de Gainsborough le regard de ses filles. (© National Gallery London)

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1. Nous avons déjà évoqué ici et, la forte tendance en France (ou en Italie comme on le verra bientôt) à considérer le patrimoine artistique comme la propriété de ses administrateurs, des élus politiques et de leurs amis.

dimanche 22 août 2010

Mars, ou la blague du 27 aout

Ce mois-ci, le 27 à minuit-trente, dans le ciel nocturne s'il est bienveillant, au lieu d'une, vous verrez deux lunes. La deuxième sera la planète Mars, exceptionnellement proche de la Terre par une rarissime concordance des effets de la gravitation. C'est ce que prédit un courrier électronique que vous avez nécessairement reçu ou que vous recevrez bientôt (1), car on a toujours autour de soi des amis sympathiques et peu rigoureux.

Cette histoire est une blague, un bobard, une sottise. Elle se répand sur l'internet dès que l'été arrive, régulièrement depuis 2003. La petite histoire dit que l'origine en est un texte d'astronomie spécialisé, érudit, qui décrivait un fait absolument authentique : le 27 aout 2003 Mars était effectivement au plus près de la Terre, comme elle ne l'avait pas été depuis des milliers d'années et comme elle ne le sera plus avant longtemps. Le texte aurait été tronqué, par erreur peut-être, puis interprété par une personne prévenante, probablement sympathique et peu rigoureuse.

Image très légèrement arrangée, mais entièrement de bonne foi.Une vérification sommaire (par exemple avec le logiciel Stellarium encensé ici) suffisait à démontrer que la Lune serait cette nuit-là totalement invisible, trop proche du soleil sous l'horizon, et que Mars brillerait seule, du crépuscule à l'aube, minuscule point rougeoyant, comme une étoile, un peu plus brillante qu'à l'habitude.
Et si un jour l'Humanité voyait Mars aussi grosse que la Lune, c'est qu'elle contemplerait sa propre fin. Mars ne serait alors qu'à deux fois la distance actuelle de la Lune, le système solaire aurait subi de telles perturbations gravitationnelles que Mars percuterait bientôt la Terre. Déjà, raz-de-marée et déformations de l'écorce terrestres auraient certainement anéanti toute espèce vivante évoluée.

Vous vous exclamerez certainement, outré, « Cuistre ! Pédant ! Tout le monde n'a pas la chance de savoir. Et puis, c'est aimer bien peu l'espèce humaine que de mettre en doute systématiquement les choses merveilleuses que nous annoncent les gens bienveillants, qui n'en retirent ni intérêt ni prestige, et qui ne nous informent que par altruisme ! »
Sur la question de la connaissance, c'est juste, et Ce Glob Est Plat, trop incompétent lui-même, ne s'amusera jamais de l'ignorance d'autrui (sauf négligence). L'innocent, le candide, l'ingénu, le crédule ne peuvent pas se douter que la Terre tourne autour du Soleil, quand l'évidence leur montre l'inverse. D'ailleurs 56% du public invité sur la première chaine de télévision française ne s'y sont pas trompés et l'ont affirmé en chœur lors d'une émission mémorable.

Mais il faut cependant se demander quel est ce besoin vital de merveilleux qui empêche l'humain de se satisfaire d'un monde avec une seule Lune. Serait-il contenté avec une deuxième que le besoin d'une troisième surgirait. Puis il réclamerait des anneaux autour, quelques comètes à heures fixes, des éclipses tous les jours. Il convoite tant ce qu'il n'a pas, qu'il désire même ce qui n'existe pas. Trop d'imagination, trop peu de discernement. En fait il ne désire que désirer. Une question d'hormones sans doute.
Méfions-nous donc des informations amicales. Remettons-les en question, et dès lors fâchons nos amis à l'esprit critique engourdi.


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1. Voici un des modèles du message qui envahit les boites électroniques de la planète : «Le 27 août prochain, à 0:30 minutes, regardez dans le ciel. La planète Mars sera la plus brillante dans le ciel étoilé. Elle sera aussi grosse que la pleine Lune. Mars sera à 34,65 millions de miles de la Terre. Cela nous apparaîtra aux yeux nus, comme si la Terre possédait 2 Lunes. La prochaine fois cet événement se reproduira l’année 2287, puis l'année 25695. Partagez cette information avec tous vos amis car PERSONNE en vie aujourd'hui ne pourra voir cela, une seconde fois.»

dimanche 15 août 2010

Nuages (22)

Orvieto est une petite ville d'Ombrie perchée sur un rocher italien, près des frontières de la Toscane et du Latium. Un peu éloignée des grands centres artistiques que sont Pise, Florence ou Rome, elle fait rarement partie des itinéraires obligés que parcourt le touriste en bêlant.
On peut ainsi, même en été, y contempler sereinement celle que certains (notamment l'office du tourisme d'Orvieto) appellent la plus belle cathédrale du monde.

Effectivement, bien que surchargée de sculptures, de bas-reliefs, de mosaïques, sa façade montre une distinction, une élégance incomparables à côté de quoi celle de la cathédrale de Sienne fait figure de gâteau d'anniversaire, lourd et indigeste avec ses bougies dégoulinantes.

À Orvieto, les gracieuses sculptures de bronze, les bas-relief délicats, et la conception de la façade sont sans doute de la même main, celle de Lorenzo Maitani, maitre d'œuvre de la cathédrale de 1310 à sa mort en 1330. Et puis dans la chapelle droite du transept, Luca Signorelli a peint de 1499 à 1502 son extraordinaire et fantastique cycle de fresques de la fin du monde.


dimanche 8 août 2010

Le culte du soleil

L'hélianthe (hélianthus annuus!), appelée tournesol ou soleil par le vulgaire, est décidément une merveille de technologie et de haute précision. Comme toutes les inventions majeures dans l'histoire de l'humanité, du bas nylon à la fermeture éclair, elle nous vient évidemment d'Amérique du nord.

Cette superbe plante ne s'épanouit que dans les régions correctement ensoleillées. Et le génie de la chose est qu'elle héberge, pendant sa période de croissance rapide, avant la floraison, une hormone (l'auxine) qui favorise l'allongement des cellules, mais déteste le soleil. Fuyant opiniâtrement la lumière, l'auxine s'ingénie à migrer dans les endroits ombragés de la tige et des feuilles, et partout où elle passe la plante croît. Ainsi, comme les cellules situées à l'ombre s'allongent plus rapidement, la tige se courbe et la tête penche humblement vers l'autre côté et pivote d'est en ouest au long de la journée, donnant l'impression hypocrite de rendre un hommage quotidien au soleil (l'héliotropisme).

Ce paradoxe d'un peuple végétal qui se prosterne unanimement vers le soleil sans réellement y croire ne dure que jusqu'à la floraison. Alors, les lourdes têtes fécondées, chargées de graines, s'immobilisent, définitivement inclinées vers le levant.

Horde de tournesols adultes résignés, courbés vers l'est, sous un ciel de plomb fondu, en Toscane.

Les croyants ont développé une formule savante bourrée d'arctangentes et de cosinus pour diriger, sans erreur de navigation, leurs implorations quotidiennes vers la maison de leur dieu, la Mosquée sacrée. Il est vrai qu'en tant que boussole le champ de tournesol est peu fiable. Versatile au printemps, il n'indiquera la divine direction qu'en été, et seulement en Europe. Pour les tournesols incroyants de l'extrême-orient, qui s'obstinent, à la floraison, à tourner le dos au Prophète, il conviendra de leur trancher la tête. Il parait justement que les meilleurs cierges sont fabriqués avec l'huile des graines de tournesol.

Pour terminer, voici un conseil pratique pour tirer avantage d'une autre propriété du tournesol, sa puissante capacité d'absorption des déchets minéraux. En cas d'apocalypse nucléaire, ou simplement de grave excès de plomb et de radioactivité dans l'eau et la terre, plantez-le en quantités dans les zones contaminées ou irradiées. À la fin de l'été, quand ses profondes racines auront pompé et retenu tous les éléments toxiques, fauchez, arrachez, et vous retrouverez en-dessous un sol purifié et fertile. Et surtout, pour ne pas contaminer l'air, n'incinérez pas les plantes mortes, enterrez-les plutôt discrètement chez un voisin qui vous est déplaisant.

Mise à jour du 01.04.2015 : Finalement, d'après des tests effectués en réel à Fukushima, les racines de tournesol n'absorberaient pas les matières radioactives, comme on l'a cru, en tous cas pas le césium.


Face à un champ de tournesols déterminés, on se sent réellement observé, épié. On comprend que des artistes fragiles comme Vincent van Gogh y aient perdu l'esprit jusqu'à se découper une oreille.