samedi 26 juillet 2008

Lisez «Ce Glob Est Plat»

Le touriste qui visite le nord de l'Italie passe immanquablement par le lac Majeur et fait nécessairement une halte culturelle sur lsola Bella. Le touriste qui pose les pieds sur Isola Bella ne peut éviter de photographier l'île des pêcheurs (Isola Pescatori), face au débarcadère. Et Le touriste qui photographie ainsi l'île des pêcheurs diffuse innocemment la publicité de l'auberge Verbano, dont le nom est peint en grosses lettres blanches sur la façade rouge de l'établissement, au premier plan. Et ils sont des dizaines de milliers chaque année. Imaginez l'impact, qui a dû faire rêver plus d'un investisseur, si on pouvait substituer un message publicitaire, par exemple «Lisez Ce Glob Est Plat» (Leggete, en italien), à l'annonce actuelle. Ainsi, pour compléter notre billet vénal de la semaine dernière, proposons-nous aujourd'hui ce projet mercantile.

vendredi 18 juillet 2008

Nuages (10)

Les actionnaires de Ce Glob Est Plat ne voyant toujours pas venir l'ombre d'un dividende, ont menacé de ne plus soutenir notre action. Nous avons alors envisagé d'apporter notre soutien médiatique à une entreprise française dont les actions humanitaires et les efforts pour l'environnement sont hélas mésestimés, mais dont la prospérité financière est indiscutable. Ce sera notre contribution à la cause planétaire.

mardi 15 juillet 2008

Les perles de l'Encyclopédie (2.2)

Ce qui suit est la fin de la chronique commentant les articles écrits par l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot.

ATHÉES :

Cet article et le suivant sont la quintessence de la production Yvonesque. Il y concentre sa bêtise, sa mauvaise foi, sa rouerie, son venin.
Il commence par démontrer que l'athéisme n'existe pas à l'état naturel, premier élément pour prouver que c'est une perversion. L'historien Strabon et quelques témoignages de voyageurs affirment qu'existeraient des peuples ignorants et stupides vivant comme des bêtes, sans religion; Yvon rejette ces récits comme peu fiables et ajoute que si on a l'impression que tous les chinois sont athées, c'est parce qu'on ne comprend pas le chinois. Puis il démontre que tous les athées sont en réalité des croyants qui simulent: «Il ne saurait assurément y avoir d'athée convaincu de son système; car il faudrait qu'il eût pour cela une démonstration de la non existence de Dieu, ce qui est impossible.».
Enfin il conclut par un interminable sermon moral sur la vertu. La vertu est difficile. Elle n'apporte pas les satisfactions immédiates que procurent le vice et la réalisation de nos désirs réels et imaginaires. La religion imprime un frein à la satisfaction débridée de ces désirs, qui est un ferment du désordre social. Ainsi, les athées sont dangereux pour la société car ils ne croient pas qu'il existe un châtiment perpétuel qui les persuaderait de calmer leurs instincts. C'est le sermon préparatoire à l'appel au meurtre de l'article suivant.

ATHÉISME :

Ici l'abbé se déboutonne allègrement. Abandonnant les règles les plus élémentaires de la logique qu'il professe dans l'encyclopédie, il exige des athées qu'ils prouvent l'inexistence d'un dieu. Admirons la subtilité de l'argumentaire:
«C'est à l'athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu'il est impossible qu'un tel être existe; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l'être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l'athée les preuves du contraire; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c'est à lui à nous montrer le contraire; c'est le devoir de celui qui nie d'alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l'athée; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d'en démontrer la contradiction. Or, ajoutons-nous, c'est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l'assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être doit nécessairement exister, l'existence étant comprise parmi ces réalités: mais il faut renvoyer à l'article Dieu le détail des preuves de son existence
De nombreux auteurs attribuent l'article DIEU à Yvon, malgré l'absence de sa signature. On y retrouve effectivement son style et ses références. Lisez plutôt: «L'existence de Dieu étant une de ces premières vérités qui s'emparent avec force de tout esprit qui pense & qui réfléchit, il semble que les gros volumes qu'on fait pour la prouver, sont inutiles... Pour contenter tous les goûts, je joindrai ici des preuves métaphysiques, historiques & physiques de l'existence de Dieu.». Hélas, ses principaux arguments ont perdu toute pertinence avec les découvertes de l'archéologie et des sciences de l'évolution et de la génétique. Yvon avait même prédit leur invalidation: «Si on prouve que le monde ait existé avant le temps marqué dans cette chronologie, on a raison de rejeter cette histoire». Par Chronologie il entendait celle décrite dans les textes bibliques, qui dataient de 6 à 7000 ans la création de la terre et des humains.

Il continue sa démonstration, juge les systèmes athées trop complexes et difficiles à comprendre comparés à la simplicité de la solution religieuse qui dissout toutes les questions, affirme que l'athéisme avilit et dégrade la nature humaine, et couronne son raisonnement par cette mémorable profession de foi humanitaire:
«L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas, que le magistrat n'ait droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, & de les faire périr même, s'il ne peut autrement en délivrer la société... Par conséquent le magistrat doit avoir droit de punir, non seulement ceux qui nient l'existence d'une divinité, mais encore ceux qui rendent cette existence inutile, en niant sa providence, ou en prêchant contre son culte, ou qui sont coupables de blasphèmes formels, de profanations, de parjures, ou de jurements prononcés légèrement. La religion est si nécessaire pour le soutien de la société humaine, qu'il est impossible, comme les Païens l'ont reconnu aussi bien que les Chrétiens, que la société subsiste si l'on n'admet une puissance invisible, qui gouverne les affaires du genre humain.»
Tout est dit.



On raconte parfois que les gargouilles représentent les êtres égarés sans le secours de la foi, rejetés par l'église. L'incroyant a donc le choix: périr par la justice humaine suivant les conseils de l'abbé Yvon ou finir pétrifié pendant quelques siècles dans une pose grotesque, comme ces gargouilles de Notre-Dame de l'Épine, en Champagne.

ATOMISME :

Nous finirons un peu plus légèrement cette balade dans les idées de l'abbé Yvon, par la conclusion de son petit article sur l'Atomisme.
«Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, & les espèces se perpétuent les mêmes par hasard; le tout se dissoudra un jour par hasard; tout le système se réduit là. Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités.»

Vous n'avez pas rêvé. Tout cela a été écrit dans la grande Encyclopédie du siècle des lumières par l'abbé Yvon. Le lecteur qui désirera poursuivre la lecture de ces sophismes et démonstrations fumeuses, dont les raisonnements recueillent encore une étonnante considération auprès de certains athées contemporains, en trouvera la liste complète en suivant ce lien, et je lui conseillerai de débuter par la description des monstrueuses conséquences de l'adultère dans la société.

Enfin au lecteur qui s'exclamera «C'est facile de se moquer des erreurs du passé!», je répondrai «Oui». Et je lui suggérerai de rechercher et corriger lui-même les erreurs du présent, au hasard dans la célébrissime et omniprésente encyclopédie participative Wikipedia, qui en fourmille. Par exemple, l'article sur la ville de Jéricho. Tout le monde connaît le récit biblique du petit air de Louis Armstrong qui, joué sept fois consécutives, fit s'écrouler les murailles millénaires qui protégeaient la ville. Le 2 juillet 2006, ce récit était dans le chapitre Histoire de l'encyclopédie Wikipedia. Le 4 juillet un lecteur plus rigoureux créait un chapitre Mythologie et y déplaçait le récit. Le 10 juillet un lecteur croyant (ou conciliant) remplaçait le titre du chapitre par Récit biblique, solution molle qui a l'avantage de ne plus choquer personne.

samedi 12 juillet 2008

Les perles de l'Encyclopédie (2.1)

Il y eut un temps où la preuve ontologique faisait taire les contradicteurs. Quand Descartes disait «si j'ai en moi l'idée d'un Dieu infini alors que je suis un être fini, c'est nécessairement qu'un Dieu infini existe» Tout le monde le croyait sur parole. Personne n'aurait osé lui opposer que les éléphants roses qu'il voyait lorsqu'il abusait de la bière devaient alors également exister.
Puis avec le siècle des lumières, les grandes questions métaphysiques suscitèrent des argumentaires plus techniques, plus scientifiques, comme dans les articles de l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot. Diderot avait recruté Yvon et quelques autres ecclésiastiques pour rédiger les articles les plus délicats, démarche stratégique à une époque où la religion instituée avait le pouvoir de faire envoyer les incroyants en prison, voire en enfer. Mais la collaboration d'Yvon ne dura que quelques mois et 45 définitions ; il s'arrêta fin 1751 au mot Censure, au moment où, mêlé à l'affaire de Prades, il dut fuir la France, et où les deux premiers volumes de l'Encyclopédie étaient interdits de vente et de détention.

Feuilletons donc un petit florilège des démonstrations lumineuses de l'abbé Yvon dans l'Encyclopédie, qui était destinée à faire rayonner l'esprit français pour l'éternité.

ABDUCTION :

C'est un type de raisonnement logique. Ici Yvon commence fort sa première collaboration alphabétique, en affirmant dans son exemple «Tout ce que Dieu a révélé est très certain; c'est une de ces premières vérités que l'esprit saisit naturellement, sans avoir besoin de preuve.» On remarquera que nombre d'articles de l'encyclopédie dans le domaine de la logique utilisent des exemples avec Dieu, ce qui les rend incompréhensibles, voire absurde aux incroyants. Remarquons également qu'il entend par révélation les choses que la raison naturelle n'enseigne pas et qui ont été dévoilées par Dieu à ses prophètes et consignées dans la Bible. On retrouvera régulièrement cet «argument» chez Yvon.

ACATALEPSIE :

C'est un article sans intérêt particulier d'Yvon et Diderot, mais qui renvoie vers l'article anonyme PROBABILITÉ, qui est un délice de lecture, influencé par l'esprit d'Yvon, où on apprend que les lois de la nature sont de pure convenance et que Celui qui les a établies peut les éteindre le soir quand il se couche. «Nous savons que Dieu a établi lui-même les lois de la nature, qu'il est constant dans l'observation de ces lois; ainsi l'esprit répugne à croire qu'elles puissent être violées. Cependant nous savons aussi que celui qui les a établies a le pouvoir de les suspendre; qu'elles ne sont pas d'une nécessité absolue, mais seulement de convenance. Ainsi nous ne devons pas absolument refuser notre confiance aux témoins ou aux preuves extérieures du contraire.»

Sur ce cliché d'une statue perchée sur une cimaise de la cathédrale de Reims, pris au moment précis où Dieu avait la tête ailleurs et suspendait momentanément les lois de la nature, on reconnaîtra peut-être un éléphant qui a pu servir à prouver sinon l'existence de Dieu, au moins celle des éléphants.

AGIR :

L'article est amusant. Il utilise presque 1800 mots pour expliquer qu'il ne sait pas définir le mot «Agir», s'embourbe dans une tentative d'associer les actions de l'âme et de Dieu à des effets dans le monde réel, pour conclure sagement «La vraie Philosophie se trouvera fort abrégée, si tous les Philosophes veulent bien, comme moi, s'abstenir de parler de ce qui manifestement est incompréhensible.»

ÂME :

Article étrange. D'abord très historique et scolastique, où pendant de longues pages il réfute les plus grands philosophes (Thalès, Aristote, Épicure, Spinoza, Locke...) pour démontrer que l'âme est immatérielle et immortelle, l'article se termine par un coup de théâtre qui peut faire soupçonner qu'il a été partiellement révisé, peut être par Diderot.

L'abbé commence donc par une longue démonstration décousue sur les divers aspects de la question (l'âme est-elle une qualité ou une substance unique, matérielle, nuageuse ou spirituelle, universelle, éternelle, étendue ou ponctuelle, contient-elle des morceaux de Dieu...), et agrémentée de lumineux éléments de dialectique.
Il apporte par exemple, sur l'immatérialité de l'âme, la preuve qui tue : «L'esprit de l'homme est de sa nature indivisible. Coupez le bras ou la jambe d'un homme, vous ne divisez ni ne diminuez son esprit, il demeure toujours semblable à lui - même, & suffisant à toutes ses opérations comme il était auparavant. Or si l'âme de l'homme ne peut être divisée, il faut nécessairement que ce soit un point, ou que ce ne soit pas un corps... Ce serait une extravagance de dire que l'esprit de l'homme fût un point mathématique, puisque le point mathématique n'existe que dans l'imagination... Puis donc que l'âme de l'homme ne peut être divisée, & que ce n'est ni un atome ni un point mathématique, il s'ensuit manifestement que ce n'est pas un corps.»

Sur la manière dont l'âme interagit avec la matière il se trouve un peu à court d'argument et préfère faire appel à la révélation divine: «Cette dépendance mutuelle du corps & de ce qui pense dans l'homme, est ce qu'on appelle l'union du corps avec l'âme; union que la saine Philosophie & la révélation nous apprennent être uniquement l'effet de la volonté libre du Créateur.»

Puis, à la fin de l'article, survient le retournement.
Après avoir épuisé 20000 mots pour réfuter les philosophes et affirmer sa définition d'une âme immatérielle et immortelle, il termine par la description d'expériences et de constats médicaux qui démontrent l'impact des défauts du cerveau sur les fonctions de l'âme. Cette «conclusion» déconcerte par son humeur noire et désabusée, et sa contradiction avec le reste de l'article: «Voilà donc l'âme installée dans le corps calleux, jusqu'à ce qu'il survienne quelque expérience qui l'en déplace, & qui réduise les Physiologistes dans le cas de ne savoir plus où la mettre. En attendant, considérons combien ses fonctions tiennent à peu de chose; une fibre dérangée; une goutte de sang extravasée; une légère inflammation; une chute; une contusion; & adieu le jugement, la raison, & toute cette pénétration dont les hommes sont si vains.»

Cette scène, sculptée sous un porche latéral de la cathédrale de Reims, illustre cruellement jusqu'où pouvaient aller les différentes expériences conduites par le clergé pour tenter de prouver le bien-fondé des hypothèses sur l'immatérialité et la localisation de l'âme.

Signalons en passant que l'ÂME des bêtes fait l'objet dans l'encyclopédie d'un article distinct sévèrement argumenté (presque 13000 mots) par Yvon en personne, où on découvre un abbé progressiste qui s'oppose courageusement à Descartes et considère que même les bêtes possèdent une âme immatérielle, puis qui s'empêtre dans des justificatifs bancals pour lui nier toute immortalité. «L'immortalité de l'âme des bêtes est une opinion trop choquante & trop ridicule aux yeux de la raison même, quand elle ne serait pas proscrite par une autorité supérieure, pour l'oser soutenir sérieusement.» Il faut lire la suite dans le texte pour savourer le problème de logique soulevé par cette question, et la pirouette habituelle de la révélation divine qu'il utilise pour s'en sortir.

À SUIVRE...

Lecteur qui n'imaginiez pas ainsi l'Esprit des Lumières, vous n'avez encore vu que des frivolités. Vous apprendrez dans notre prochaine parution comment l'abbé Yvon, en vrai progressiste, propose de faire périr une partie de l'humanité, et qu'il l'écrit dans l'Encyclopédie.