vendredi 25 mars 2022

Ce blog avait deux ans...


Ce blog avait deux ans ! ➊ Et déjà, de la carte,
Faillit être rayé par l’erreur 404 ➋.
Ses liens vers l’extérieur, déjà, en maint endroit
Menaient vers le néant, sans faire ni une ni trois.
Alors pour conjurer cette grippe espagnole
On dut diligenter un contrôle bénévole.
À des juges savants, certes dignes de foi,
On confia la gageüre. Ils restèrent sans voix ;
D’un billet de douze ans, sur dix liens éphémères,
Il n’en restait pas un, conclusion douce-amère,
Pas un pour retrouver sa voie dans le réseau.

Si la neurologie nous dit que le cerveau
Efface le passé pour toujours le revivre,
Permanent palimpseste ➌, d’internet, le grand livre,
Le Ouèbe, quoi ! — 
            Lui aussi, s’oublie, jour après jour,
Se consomme et se chie, tel le topinambour ➍.
Comment ne pas avoir foi en l’instantané
Et sur l’éternité sans fin ratiociner,
Quand l’électricité peut faillir - n’est-ce pas ?
- Et faire passer tout ça de la vie au trépas ? 
 
Hugo Victor, dans Les Pages d'automne


***
 Hugolisme oulipien, Oulipisme Hugolien, ce poème est la reprise presque exacte (pour les rimes, la ponctuation, et si possible le champ lexical et la sublime inspiration) du poème original (reproduit en bas de page)écrit par Hugo en 1831, premier d'un recueil qui s'appelait alors "Les feuilles d'automne". Les spécialistes s’interrogent encore sur l’auteur(e) de la présente version du poème et du changement de titre en "Pages d'automne". Hugo aurait-il, la relisant sur ses vieux jours, trouvé cette rédaction de jeunesse lourde et sentimentale ? C’est plausible
L’illustration est de Carl Spitzweg (c. 1850, version du musée de Milwaukee).
➋ Fichier non trouvé, page inexistante.
➌ Manuscrit effacé et réinscrit plusieurs fois. Les travaux récents sur le cerveau et la conscience montrent que la mémoire ne fonctionne pas comme le pensaient les vieilles conceptions d’il y a 100 ans, voire 50 ans. Ce n’est pas un endroit mystérieux où une conscience irait (ou craindrait d’aller) chercher des choses enfouies.
Le cerveau est plat, sans aucune profondeur dans le temps, n’a qu’un seul état, celui du présent, qu’il constitue à chaque instant et modifie en fonction des sensations du moment. Tout souvenir est une reconstitution complète.
Nick Chater écrit dans Et si le cerveau était bête ? (The Mind is Flat - The Illusion of Mental Depth and the Improvised Mind, 2018) « Croyances, motivations et autres habitants imaginaires de notre subconscient sont de pures inventions. […] L’esprit est, à l’inverse, un improvisateur de talent. Il invente des actions, des croyances et des désirs pour justifier ces mêmes actions avec une facilité déconcertante. Mais ces inventions passagères sont fragiles, fragmentaires et contradictoires. Elles ressemblent à un décor de cinéma qui paraît solide dans un plan de caméra, alors qu’en réalité il ne s’agit que d’une façade en carton
On présente souvent les travaux de Chater comme une approche révolutionnaire, mais c’est pour vendre son livre, car toutes les découvertes scientifiques qui appuient ses idées modifient déjà depuis un moment les conceptions des neurosciences. Évidemment il sera encore controversé - comme l’a été Spinoza - tant que les inventeurs des vieilles lunes vivront encore de leurs fables.
➍ Tubercule nourrissant comme la pomme de terre. 

***
Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi. —
Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Épandait son amour et ne mesurait pas !

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Brillant !
pi

Costar a dit…

Merci !