samedi 30 août 2008

Jusqu'où ira la civilisation ?

Cette image figure l'élan inéluctable vers l'avenir de la science et du progrès. Les mauvais esprits feront remarquer qu'ils écrasent un peu le parterre de fleurs au passage. C'est un hommage à M. Binocle à qui je dois la révélation de la technique des commentaires flottants sur les images. Que la déesse Gougueule le bénisse. Si les ours-momies, les masques respiratoires USB ou les mille-pattes géants vous passionnent, vous serez divertis par son blog où pétillent l'ingéniosité de l'espèce humaine et les excentricités de la nature. (pour exemple cliquez son nom sous l'image).Le progrès chevauchant la science sur un parterre de fleurs jaunes
Hommage à Paul Binocle (voir le commentaire flottant sur la photo).

vendredi 22 août 2008

L'arbre aux huit A

Ces étranges silhouettes aux formes de méduses, flottant entre ciel et terre, sont sans doute familières à l'amateur de préhistoire. Il aura déjà vu des dinosaures extravagants se dandiner lourdement sous ces hautes ombrelles, dans des documentaires anglais.
C'est une espèce survivante, un des rares conifères à avoir échappé aux bouleversements climatiques des dernières centaines de millions d'années, aux glaciations, au volcanisme, aux extinctions massives. Les botanistes le nomment «Araucaria auracana», les autres «pin du Chili».




On le trouve en quantité, pétrifié, sur tous les continents. Mais peu de survivants. Les derniers s'étaient regroupés dans quelques forêts d'Amérique du sud, au Chili et en Argentine, sur les versants des Andes, quand quelques graines comestibles furent emportées par un botaniste anglais au 18ème siècle. Ils devinrent alors des objets décoratifs à la mode dans les jardins anglais froids et humides, puis partout dans le monde. (1)

On dit qu'ils peuvent vivre au-delà de 1000 ans et que leur cime peut atteindre 50 mètres. On dit aussi qu'il y en a plus dans les jardins anglais, domestiqués, qu'à l'état sauvage dans les quelques forêts chiliennes protégées (2) où ils se raréfient. Ce dinosaure qui a résisté au feu des volcans et aux ères glaciaires meurt sur ses terres d'origine.
Souhaitons que persiste cet engouement ornemental et qu'on verra longtemps encore se balancer son profil de monstre marin. (3)

***

(1) Ces informations proviennent d'une excellente source, en anglais. Dans l'index des plantes, cherchez «Monkey puzzle tree»
(2) Les populations locales en tirent le bois de chauffage et de construction, la résine aux propriétés médicinales, les graines (pignons) nourrissantes pour l'homme et le bétail. Cet usage a été réglementé en 2002 ; le pin du Chili était déclaré espèce en danger par le CITES.

(3) Un anglais malheureux qui a vu dépérir de maladie un Auracana de 80 ans dans son jardin de Dartmoor, au pays de galles, a créé un blog le 27 octobre 2006 pour y faire le récit en images de sa mort et de son tronçonnage, comme dans les plus mauvais films d'horreur.

Araucaria auracana au milieu d'un route des Andes, entre le Chili et l'Argentine (passe Mamuil Malal, mars 2008) SOURCE

mercredi 13 août 2008

Gutenberg et la bombe atomique

Le Projet Gutenberg est un projet humanitaire. Son objectif est de mettre gratuitement à disposition sur Internet toute la littérature libérée des droits d'auteurs. Son catalogue est donc constitué de milliers de textes sans valeur économique, et généralement sans valeur littéraire non plus.
22 323 textes en anglais, 1207 en français, 1 en breton et quelques uns dans les autres langues.
N'y cherchez pas des livres qui auraient moins d'un siècle, mais si vos goûts pervertis vous attirent vers la mauvaise littérature farcie de clichés des 18 et 19ème siècles, n'hésitez pas à vous fournir chez Gutenberg. Vous connaîtrez la délicieuse impression d'entrer dans un vieux grenier poussiéreux et de fureter dans des malles pleines d'expressions surannées et d'imparfaits du subjonctif fossilisés (lisez par exemple, en apéritif, le prologue de «La tombe de fer» d'Henri Conscience). On avait oublié que cette époque avait existé. On est d'abord amusé, puis un peu effrayé par ce tableau de la littérature transmis aux générations à venir (1). On y trouvera un opuscule sur les ordres de chevalerie serbes en 1902, une étude très scientifique d'Émile Hureau en 1920 sur la transmission de pensée, un livre sur les procès contre les animaux de 1858, suivi de Peines, tortures et supplices de 1868, un manuel complet des «fabricans» de chapeaux en tous genres, une lettre de Daguerre à Arago en 1844 sur la manière de préparer la couche sensible des plaques photographiques, une quantité d'ouvrages de Georges Sand ou d'Émile Zola, et l'irremplaçable Bulletin de Lille publié sous le contrôle de la Kommandantur de Lille, en 1916.

Soyons juste, on y dénichera aussi quelques rares merveilles (2).
Et puis c'est malgré tout une véritable action humanitaire que de rendre le patrimoine de l'humanité à l'humanité (enfin, à celle qui a accès à un ordinateur avec une connexion Internet). Et aujourd'hui, à l'heure où une grande majorité de cette même humanité exalte ses instincts préhistoriques grégaires en applaudissant le spectacle d'une dictature qui a soumis des millions d'êtres humains par la crainte, il n'est pas inutile de rendre hommage à un vrai projet philanthropique.

Présentons donc une très récente publication du projet Gutenberg, en anglais hélas, mais d'un anglais simple et technique THE ATOMIC BOMBINGS OF HIROSHIMA AND NAGASAKI by The Manhattan Engineer District, June 29, 1946.

Monument aux morts, Orléans, parc Pasteur.
Si un lecteur érudit connaissait le nom du sculpteur...

Il s'agit d'un rapport d'expertise de l'armée américaine, assez court (3), décrivant scrupuleusement les effets des deux bombes atomiques larguées les 6 et 9 août 1945 sur le peuple japonais. C'est un plaisir d'y trouver cette rigueur détachée de tout sentimentalisme qu'on attend de militaires bien éduqués ; les effets destructeurs sur chaque ville sont soigneusement décrits et comparés ; le livre foisonne de chiffres, de poids, de distances, de températures et de longueurs d'onde. Mais un esprit rêveur sera également enchanté par quelques images d'une poésie spontanée.

Dans son introduction, l'auteur qualifie la bombe de «plus grand accomplissement scientifique de l'histoire (4)» et décompte «plus de 10 kilomètres carrés de la ville furent instantanément détruits et totalement dévastés, 66000 humains tués, et 69000 blessés.» Le décor est planté. Nous ne conterons pas ici l'intrigue, d'autant que tout le monde en connaît déjà la fin. Nous ne parlerons pas non plus des détails morbides comptabilisés avec soin, fièvres, brûlures, épilations, lésions, vomissements, diarrhées et hémorragies diverses. Nous nous contenterons d'illustrer quelques thèmes par des citations appropriées, pour allécher le lecteur.

La prévoyance et le sens de l'organisation «La première cible devait être relativement intacte de précédents bombardements de manière à déterminer sans équivoque les effets d'une bombe atomique». Il est aussi expliqué, dans le même esprit, que le choix a porté sur des villes construites essentiellement dans des matériaux susceptibles de produire le plus de dommages possibles par la violence du souffle et de l'incendie. (5)
La satisfaction du travail bien fait «Les bombes ont été placées de telle façon qu'il n'y avait pas d'autre emplacement plus destructeur» ou encore «en dépit de son importance extrême, le bombardement sur Hiroshima a été presque une routine.» (6)
Un suspense inattendu «Mais le sort était contre nous, car la cible était totalement masquée par la fumée et le brouillard (7)». En effet pour la seconde bombe la cible n'était pas Nagasaki. Mais la cible originale (8) était par malchance invisible. Nagasaki était la cible de secours.
Un peu de poésie lyrique «Les armatures d'acier des bâtiments étaient courbées comme par la main d'un géant... Les collines alentour étaient brûlées, ce qui leur donnait une apparence automnale (9
Une anecdote saugrenue, mais scientifique «Une caractéristique intéressante de la radiation de chaleur était le degré de brûlure des tissus en fonction de leur couleur ... une chemise rayée de bandes alternées claires et sombres avait les rayures sombres carbonisées alors que les claires restaient intactes. (10

Comme on le voit, si le projet Gutenberg ne publie pas tellement de bonne littérature, ça ne l'empêche pas de remplir avec une certaine fantaisie sa mission humanitaire.

***

(1) 70 000 livres sont téléchargés chaque jour.
(2) Le théâtre d'Aristophane, Les Caractères de La Bruyère, Don Quichotte de Cervantès, beaucoup de Shakespeare, Le neveu de Rameau de Diderot, De l'origine des espèces de Darwin, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, Les possédés de Dostoïevski, Le comte de Monte-Cristo de Dumas, les contes d'Edgar Poe, les chants de maldoror de Lautréamont, quelques livres de poésies de Verlaine, les deux premiers tiers de la recherche du temps perdu de Proust, Ubu roi de Jarry, Locus solus de Roussel, et quelques autres. Notons que les livres qui n'existent qu'en format texte (.TXT) demanderont un travail de mise en page pour devenir agréables à lire.

(3) 24 000 mots, dont 6 000 constitués par le témoignage dramatique d'un père catholique allemand qui a vécu l'événement.
(4) «greatest scientific achievement in history»
(5) «The first target should be relatively untouched by previous bombing, in order that the effect of a single atomic bomb could be determined», «the targets should contain a large percentage of closely-built frame buildings and other construction that would be most susceptible to damage by blast and fire»
(6) «The bombs were placed in such positions that they could not have done more damage from any alternative bursting point in either city», «Despite its extreme importance, the first bombing mission on Hiroshima had been almost routine»
(7) «But fate was against us, for the target was completely obscured by smoke and haze.»
(8) La première cible n'est pas citée dans le rapport. On apprendra dans un passionnant article modéré de Wikipedia que cette ville sauvée par les intempéries, était Kokura.
(9) «The steel frames ... were pushed away, as by a giant hand», « from the point of detonation ... The hillsides ... were scorched, giving them an autumnal appearance»
(10) «One more interesting feature connected with heat radiation was the charring of fabric to different degrees depending upon the color of the fabric ... a shirt of alternate light and dark gray stripes ... had the dark stripes completely burned out but the light stripes were undamaged»

samedi 2 août 2008

La vie des cimetières (13)

Il est loin le temps où nos dictateurs se faisaient appeler le «Petit Père du Peuple» ou le «génial Mécanicien de la Locomotive de l'Histoire» et ensevelir dans des mausolées colossaux. Ceux d'aujourd'hui grimpent sur des tabourets pour qu'on les aperçoive à la télé et épousent des chanteuses anémiques et creuses. Mais on trouve encore dans le cimetière Monumental de Milan des tombeaux de cette époque où les taureaux étaient ailés comme en Mésopotamie, les bœufs plus grands que nature, et les ouvriers stakhanovistes continuaient à travailler même après leur mort.