mercredi 27 juin 2012

Un sacrilège

Y a-t-il artiste plus conciliant que Pablo Picasso ? Lui qui disait « Quand je n'ai pas de bleu, je mets du rouge » ? C'est dire son œcuménisme. Et sa détermination. Et pourtant il y a des aigris qui lui en veulent encore, et qui, près de 40 ans après son décès, exercent leur rancœur sur ses œuvres.
Ainsi à Houston, au Texas, le 13 juin dernier, un de ces effrontés peu recommandables taguait à l'aide d'un pochoir et d'une bombe de peinture noire un inestimable tableau de l'illustre espagnol, au musée de la collection Menil. Le gribouillis, fait à la hâte, représentait un vague taureau signé du mot Conquista.
Un témoin filmait de loin l'opération, s'exclamait grossièrement, puis s'approchait et filmait l'œuvre défigurée, regardait l'étiquette, réalisait qu'elle était de Picasso et à nouveau s'exclamait grossièrement. Le gardien qui n'avait pas remarqué les frais stigmates sur le tableau lui signifiait gentiment qu'il n'était pas autorisé à le filmer.
Depuis, la peinture fraiche à été nettoyée sans dommage pour l'originale. L'anarchiste fanfaronne parait-il sur le réseau FaceBook où il se dirait admirateur de Picasso.

On est bien sûr outrés de tant d'impertinence. Et cependant on tolère tous les jours, à notre porte même, des profanations autrement plus conséquentes.

La mairie de Paris vient par exemple d'accorder à la Fédération Française de Tennis le droit de détruire définitivement une partie des serres d'Auteuil et du superbe jardin botanique qui les abrite, afin d'agrandir le complexe sportif de Rolland-Garros.
Dix serres chaudes seront rasées avec quelques arbres et des bâtiments techniques, et remplacées par un grand stade. Et tous les ans pendant un mois autour du tournoi international de tennis, au moment de la plénitude parfumée des lilas, des azalées et des premières roses, 500 000 amateurs de balles jaunes auront le privilège de piétiner gaiement ce qu'il subsistera de ce petit paradis et de ses collections botaniques.
Le public qui venait d'ordinaire y regarder gratuitement s'épanouir le printemps n'aura alors plus accès aux serres ni au jardin. Il lui restera le petit square des Poètes, contigu, d'où il entendra le brouhaha et les clameurs partisanes.

Les passionnés d'architecture et de chlorophylle ont peut-être encore un recours administratif car le site est partiellement classé comme Monument Historique.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

L'entrée du jardin des serres d'Auteuil bientôt fermé au public non sportif, un mois par an au plus beau de sa floraison.

vendredi 22 juin 2012

Manoir balnéaire

Les uns disaient que c'était un vieux Château où il revenait des Esprits, les autres que tous les Sorciers de la contrée y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion était qu'un Ogre y demeurait, et que là il emportait tous les enfants qu'il pouvait attraper, pour pouvoir les manger à son aise...
Perrault Charles, La Belle au bois dormant, 1697

Villa La Garde vue de la promenade Robert Surcouf à Dinard 


Quel cœur simple n'a jamais désiré habiter le château de la Belle au bois dormant ? Pas pour toute la vie bien sûr, parce que les contes de fées sont ennuyeux, et assez idiots, mais pour quelques jours.

Beau temps, pluie, tempête, peu importe. On remonte d'une promenade sur la plage de Dinard, levant les yeux vers la silhouette féerique. La vue est gênée par un contrejour. Dans quelques minutes on sera là-haut dans le salon de la Belle au bois dormant, à siroter un breuvage indéterminé et regarder une chaine de télévision au hasard. Par la fenêtre, la baie de Saint-Malo, au loin les remparts couronnés de milliers de petits yeux blancs si bien alignés. Et partout la mer et le ciel.

Tout cela n'est pas inaccessible. Les tarifs de location d'un grand appartement dans la villa La Garde, sur la pointe du Moulinet, sont décents.

samedi 16 juin 2012

Divagations municipales

Le panneau ci-dessus établit qu'il est interdit à toute chose qui ressemblerait vaguement au chien en peluche de Tintin, idole des adolescents, d'errer sur la plage de la Grève Blanche près de Trégastel en Bretagne. 
En revanche les rochers ont le droit de s'y échouer pour peu qu'ils s'alignent approximativement, histoire de laisser la plage aux algues tueuses, à qui elle n'est pas prohibée.
Et ce du 15 juin au 15 septembre. L'année n'est pas précisée.

dimanche 10 juin 2012

La platitude de l'Univers


Les dernières mesures de la savante Shirley Ho, relatées par la revue Ciel & Espace dans son récent numéro 505, le démontrent : dans l'Univers l'énergie noire est trois fois plus puissante que les forces d'attraction de la matière. C'est certainement irrévocable.

Ne demandez pas aux savants ce qu'est l'énergie noire (ou sombre). Ils n'en savent rien pour l'instant et s'en sortent en invoquant une énergie du vide. Cependant elle est là, et domine les forces de l'Univers, de sorte que les galaxies s'éloignent globalement les unes des autres, et de manière accélérée. Ainsi un jour la matière n'aura plus assez d'énergie et se délitera, les électrons quitteront les atomes, le vide deviendra encore plus vide, le froid plus définitif.

On avait quelques temps espéré que le grand gâchis thermodynamique de l'Univers ralentirait un jour, passerait par une phase de stabilité, puis s'inverserait dans une grande implosion, pour recommencer un nouveau cycle avec de la matière fraiche, ce qui était, au moins intellectuellement, assez satisfaisant. Mais les conclusions de Shirley Ho sont sans appel, car elle les obtient par l'observation minutieuse des oscillations acoustiques de la matière ordinaire. C'est dire.
On a beau savoir, la Lune s'éloignant puis le soleil explosant bientôt, que la vie sur Terre n'en a pas pour très longtemps, disons un à deux milliards d'années ce qui n'est déjà pas terrible pour certains projets personnels, il est tout de même vexant d'apprendre que tout cela n'aura servi à rien, puisque tout s’éteindra irrémédiablement.

Et puis, une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule (axiome hautement scientifique), les calculs de Shirley Ho ont également confirmé la topologie de l'Univers, sa forme globale. Il est plat.
Les lignes parallèles ne s'y rencontreront jamais. Pythagore et Euclide en seraient ravis. Et toutes les autorités de l'antiquité et du moyen-âge qui affirmaient que le Monde était plat, raillées quand il a été prouvé que la Terre - qui n'est qu'un accident local - était ronde, tous ces penseurs avaient donc raison.
Ajoutons qu'il suffisait de constater la banalité des résultats du concours de la chanson de l'Eurovision, des prix littéraires ou de l'élection présidentielle, et de tant d'autres jalons de notre civilisation, pour se convaincre de la platitude, de l'ennui de cet univers.