mercredi 20 septembre 2017

La Bible d'Amiens (2 de 2)

Illustrations : portails ouest (et sud) de la cathédrale d'Amiens, le populaire (suite de la chronique précédente qui montrait les aristocrates).

Anges et ressuscités (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

Ange, démon et ressuscités (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

Ressuscités (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

Ressuscités (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

Démons et victimes (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

Scène curieuse (cathédrale d'Amiens, portail sud)

Peut-être l'architecte (cathédrale d'Amiens, portail ouest-méridional)

mardi 19 septembre 2017

La Bible d'Amiens (1 de 2)

La cathédrale d’Amiens en Picardie est une des plus renommées de l’art gothique, pour ses dimensions (la plus vaste de France, 7 700 mètres carrés habitables loi Carrez, 42 mètres sous plafond, prévoir travaux), pour ses stalles de chêne gigantesques historiées de scènes où plusieurs milliers de personnages rejouent les plus fameux tableaux bibliques, et surtout parce qu’elle est un des sept ou huit édifices religieux (d’après Wikipedia) à revendiquer la détention du crâne (complet ou non) de saint Jean Baptiste, cet autre prophète du christianisme, concurrent malheureux de Jésus, décapité par l’envahisseur romain.
Et c’est bien la ferveur lucrative des foules de pèlerins, attirés par la relique depuis 1206, qui a permis le financement de la plus grande et la plus voyante des cathédrales de toute la chrétienté, en remplacement de l’ancienne devenue trop petite et détruite par les flammes en 1218.

Pour ces raisons, et un tas d’autres, la cathédrale d’Amiens est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, ce qui signifie que c’est un monument exceptionnel dont la perte, en cas de mauvais entretien, de guerre, ou d’anéantissement de la planète, occasionnerait une grande affliction pour la communauté internationale qui ne manquerait pas d’en admonester les responsables.

On dit que la relative rapidité d’édification de la cathédrale lui donne, malgré les interventions mégalomaniaques de Viollet-le-Duc au 19ème siècle, une grande unité stylistique. En tout cas, les personnages, par centaines, des trois portails de la façade qui regarde le couchant sont d’origine, c’est à dire sculptés entre 1220 et 1230.
On le remarque à la fraicheur candide des expressions et la simplicité arrondie des formes.
La scène du tympan du portail central figure pourtant un jugement dernier, avec ses morts qui sortent des tombes et qui sont aiguillés vers les délices de l’enfer ou l’ennui du paradis, mais l'indolence des attitudes évoque plutôt une file d’attente devant chez le boulanger, un dimanche matin.
Tout est calme, les prophètes sont sereins et les anges souriants et bienveillants. Jésus au centre, sur le trône, semble dire qu’il préfèrerait ne pas se mêler de tout cela.

Illustrations : portails ouest de la cathédrale d'Amiens, l'aristocratie (prophètes, saints, anges et dieux). Le peuple sera illustré dans la chronique à suivre.

Anges et prophètes (cathédrale d'Amiens, portail ouest-septentrional)

Ange et martyrs (détail du précédent)

Prophète (détail du premier)

Ange et Vierge (cathédrale d'Amiens, portail ouest-méridional)

Jésus et saints (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

lundi 11 septembre 2017

Histoire sans paroles (25)

À la grande époque de la colonisation massive de l’Afrique, de l’Asie et des Amériques, quand l’Européen réalisa que la terre était bien plus vaste et féconde que son imagination, il voulut montrer les richesses de la création à ses semblables. 
Et le moyen de présenter cette profusion des êtres vivants fut de les empailler et de les ranger soigneusement étiquetés dans les vitrines de nouveaux muséums, consacrés aux souvenirs zoologiques, botaniques et ethnographiques des grands voyageurs, commerçants ou militaires. 
Un siècle ou deux plus tard, il ne reste plus grand chose de ces cabinets de curiosités. Les plus riches collections ont été transformées en musées d’histoire naturelle, et les autres ont fermé, à l’exception de quelques villes de province qui les entretiennent encore par habitude ou par un souci un peu suranné et désintéressé de l’instruction publique. 
On y retrouve, aujourd’hui, plus que les restes fanés de la créativité de la nature (que l’on a découverte depuis avec plus de détails et de présence sur les écrans de télévision ou d’ordinateur), un peu de la mémoire de notre propre enfance, quand nous croyions que le monde au complet, bigarré et inquiétant, était classé définitivement là, par ordre alphabétique, immobile et muet, dans ces salles vert pâle où bruissaient nos chuchotements et où résonnaient sous nos pas les craquements du parquet luisant et odorant.

lundi 4 septembre 2017

L'Angélus de Portbail



L’attirance vers les épaves de bateaux est sans doute un penchant universel. Leurs carcasses décharnées ne devraient évoquer que la tristesse, la solitude des cimetières, or on distingue dans le regard de qui les approche un mélange de compassion et d’admiration, et un peu de la mélancolie des rêves de voyage inassouvis.

Mais la puissance publique craint en permanence d’être jugée responsable si un jour un enfant qui a joué près d’une épave est retrouvé grimaçant et fiévreux, divaguant dans les dunes, animé de grands gestes tétaniques et luisant de sa propre bave.
Alors elle s’en décharge à grand renfort d’injonctions administratives avec accusé de réception, en réclamant régulièrement aux propriétaires la destruction de leurs épaves.

Ainsi le riche littoral breton a vu disparaitre, lentement, depuis 20 à 30 ans, nombre de bateaux en ruines qui se désagrégeaient sur ses estrans et dans ses estuaires. Lentement, car tous les subterfuges sont bons pour faire retarder la fatale échéance administrative, et les frais inhérents.


L’histoire de l’Angélus de Portbail est exemplaire.

De son vivant, il était chalutier de bois de 40 tonneaux (113 mètres cubes) et près de 17 mètres. Usé par 42 ans de pêche et d’activités moins nobles, il était acheté en 1995 par un passionné qui avait rêvé de le remettre en état mais n’en eut pas les moyens et l’échoua peu après dans le havre de Portbail, au nord-ouest du Cotentin.

Dix ans plus tard, en septembre 2007, la Direction des affaires maritimes demandait l’enlèvement de l’épave qui « présentait un danger pour les usagers de l’estran ». Le propriétaire gagnait alors un peu de temps en le « sécurisant », enlevant le pont effondré et quelques clous, et surtout en créant une association de défense de l’épave, un site internet, et en sollicitant auprès de la Fondation du patrimoine maritime et fluvial le label de « Bateau d’intérêt patrimonial, B.I.P.», qu’il obtint promptement, ce qui préserva l’épave jusqu’au 31 décembre 2011, protection prolongée depuis jusqu’à fin 2016.

À l’époque déjà le bateau n’était plus qu’un squelette, mais c’était devenu une des attractions les plus pittoresques du site de Porbail.
De l’épave, on admirait la perspective du pont « au 13 arches » qui enjambent le havre, prolongée par l’hôtel restaurant homonyme surplombé par les formes épurées de la curieuse église Notre-Dame.
C’était le décor des photos de mariage et des cartes postales de l’Office de tourisme, le motif favori des photographes amateurs ou professionnels de la région et de leurs sites sur internet.



De nos jours le décor a peu changé. Le bateau, devenu une ruine officielle, un zombie estampillé, s’émiette un peu plus à chaque marée et à chaque averse. La baleine bleue peinte sur son flanc bâbord est maintenant presque effacée. Les sites internet des photographes, désuets, s’affichent laborieusement par absence d’entretien. Le portail de l’association de défense de l’épave est inactif depuis deux ans. Le label B.I.P. n’a pas été renouvelé.

Il est temps qu’un nouveau bateau, désaffecté, s’échoue dans le havre, et présente durablement au spectateur un flanc aux couleurs encore vives, artistiquement disposé. L’Etacq de Cherbourg, petite épave peinte de rouge, déjà sur place à 147 mètres au sud-sud-ouest de l’Angélus, ferait l’affaire, s'il avait l’envergure d’un successeur.