dimanche 30 janvier 2011

Score : neuf à deux

Autour du Grand Palais à Paris, dans les parterres et sur les bancs, des employés municipaux vêtus de combinaisons vertes ramassent les restes congelés des touristes qui avaient espéré visiter l'exposition consacrée à Claude Monet.
900 000 visiteurs, se vante l'administration du musée. Un véritable triomphe. On ne dit pas le nombre de ceux qui n'ont pas résisté aux cinq heures d'attente dans les courants d'air hivernal, sans abri sous la pluie glacée (les abonnés à l'autobus parisien ont droit à plus d'égards). Plus de 900 000 visiteurs. Tout a été fait vers cet objectif : pas de jour de repos, horaires étendus, nuits complètes, contrôles sécuritaires allégés... Deux semaines supplémentaires, et on atteignait le million symbolique, pas si loin de l'intouchable Toutankhamon de 1967, au Petit Palais.

Monet - La pie dans la neige (détail, 1869 musée d'Orsay)Au même instant, à 1317 mètres de là, les employés du musée d'Orsay décollent les derniers chewing-gums séchés sur les cadres des tableaux et les fesses des sculptures de Jean-Léon Gérôme, avant de les remballer. Car Orsay vient de dédier une importante rétrospective, la première en France, à cet ennemi héréditaire de Monet et des impressionnistes, qui s'est plus ridiculisé par ses positions d'arrière-garde que par ses personnages en caoutchouc, inexpressifs et disposés dans des mises en scène parfois sensationnelles. Ses clichés kitsch et sans pathos qui illustraient nos livres d'histoire, largement imaginaires mais hantés par le détail réaliste, auront tout de même suscité l'intérêt de plus de 200 000 amateurs.

Gérôme - Bonaparte devant le sphinx (détail, 1868 Hearst castle, San Simeon Californie)Si Jean-Léon Gérôme, comme Louis-Ferdinand Céline, est la honte de notre sainte Patrie, Claude-Oscar Monet en est la fierté, le phare, le Soleil. Chaque touche de son pinceau dépose un pétale de rose qui parfume l'image de la France. C'est pourquoi les fonds économisés sur le bien-être des visiteurs ont été investis dans une extraordinaire vitrine virtuelle, où presque tous les tableaux de l'exposition sont reproduits en détails jusqu'aux poils de pinceau collés dans la pâte. Et ce superbe site fera certainement regretter tous ceux qui ont eu le privilège d'avoir été frigorifiés, oppressés, puis bousculés, écrasés, et finalement déçus d'apercevoir à peine les tableaux dont ils avaient rêvé depuis tant d'années.

lundi 24 janvier 2011

Carthago reficienda est *

Lorsque vous êtes un petit despote médiocre, que vous avez, de votre passé de ministre de l'intérieur, créé un réseau policier aussi dense et servile que corrompu, et que vous avez confisqué beaucoup des ressources du pays au profit de votre famille et de vos amis, c'est évidemment une erreur que de verser le sang du peuple, à qui il reste bien peu à perdre.
Le président à vie (jusqu'à présent) de la Tunisie vient de l'expérimenter. Au lieu de prendre conseil auprès de ses collègues en corruption, français ou italiens, et d'accepter l'assistance « de notre savoir faire en matière de maintien de l'ordre » que lui proposait la consternante première diplomate de France, il a perdu son sang-froid et fait fusiller des dizaines de manifestants. Il s'est sottement comporté en tyranneau médiéval là où ses amis chefs d'état, pourtant moins expérimentés et pris parfois au cœur d'intenses remous sociaux, réussissent à faire gober sans douleur, lois iniques, népotisme, faveurs et combines.

Le drapeau tunisien flotte un peu chiffonné sur Carthage outragée, Carthage colonisée, Carthage pillée mais Carthage libérée.Résultat, le président est en fuite. Un printemps précoce fleurit au nord de l'Afrique, et comme après une finale de coupe du monde de football l'exaltation populaire est au zénith.

Rassurez-vous, Messieurs, O ministres intègres, qui possédez là-bas villa en bord de mer, si vous ne commettez pas l'erreur d'héberger en France l'exil de votre infortuné confrère, si vous affichez ostensiblement une certaine désapprobation, et si vous n'intervenez pas trop dans les tentatives de restauration de l'ordre par les séides de l'ancien régime sortis de l'obscurité, vous aurez toutes chances de recouvrer bientôt la jouissance de vos palais carthaginois à l'ombre des moucharabiehs.
Et si néanmoins le printemps s'éternisait un peu trop en Tunisie et remettait en cause vos droits de propriété, vous pourriez toujours, par un décret bien ajusté, vous rembourser sur les biens du despote et de sa famille, que vous avez pris soin de consigner en France.

***
* Carthago reficienda est : Carthage doit être reconstruite.

mardi 11 janvier 2011

La vie des cimetières (34)

« Qui suis-je ? » Dit sa Majesté. « Ah! Vraiment! Je suis Baal-Zebub, prince de la Mouche. Je viens à l'instant de te tirer d'un cercueil en bois de rose incrusté d'ivoire. Tu étais bien curieusement embaumé, et étiqueté comme un effet de commerce. C'est Bélial qui t'a envoyé, Bélial, mon Inspecteur des Cimetières. »
Extrait de Le Duc de l'Omelette,
dans les
Derniers Contes d'Edgar Allan Poe.




Le grand cimetière d'Orléans est de ces vastes nécropoles ennuyeuses où jamais rien ne se passe. Pas de sépulture kitsch et outrancière, pas de monument aux morts emphatique et surchargé, seulement d'interminables allées uniformes et des morts, partout.
L'adjoint du Diable, l'inspecteur des cimetières, s'est retiré depuis longtemps et a laissé ici le véritable enfer. Pas un mouvement, pas une pensée, le froid définitif.

dimanche 2 janvier 2011

Ga.. Bu.. bip.. bip.. Zo.. Meu...

Le métier de chercheur est généralement ingrat. Et plus encore pour les chercheurs d'intelligences extra-terrestres. Ils sont la risée de leurs camarades scientifiques et font l'objet de blessants quolibets, comme par ce sénateur américain, lors d'un vote pour reconduire le budget du projet SETI de détection de signaux artificiels, qui se serait exclamé « Avant de chercher des intelligences extra-terrestres, essayons déjà d'en trouver dans notre assemblée ! ».

On les moque comme on le ferait de croyants adeptes d'une quelconque religion monothéiste, alors qu'ils ont pour eux la faveur des probabilités. En effet si les dieux ont toutes les chances de n'être que les lubies de personnalités psychotiques (les preuves sérieuses de leur existence étant actuellement égales à zéro), les statistiques les plus pessimistes admettent qu'il existe au moins un exemplaire d'organisation de la matière ayant conduit à des êtres évolués. La preuve se trouverait actuellement sur la Terre. L'idée ne relève donc plus de la croyance. Il est vrai qu'à la vitesse où les civilisations modernes se détruisent sur Terre, la seule preuve irréfutable risque de devenir bientôt très discutable.

Et bien ces chercheurs qu'on a si longtemps plaisantés pourront désormais marcher tête haute et le regard droit, car des signaux d'intelligence extra-terrestre auraient été captés. C'est du moins le gros titre du numéro de janvier (le 488ème) de la revue « Ciel & Espace ». Il s'agit bien sûr de la revue éditée par l'AFA, l'irréprochable Association Française d'Astronomie reconnue d'utilité publique, et pas de n'importe quelle publication de vulgarisation scientifique dont les gros titres toujours alléchants nous font croire que les virus du sida, de la faim dans le monde ou des années bissextiles ont été vaincus.

On pensait donc que tous les programmes d'écoute du cosmos qui se sont succédés depuis 50 ans étaient restés infructueux, conformément aux principes Rouxeliens de la logique Shadok « C'est en essayant continuellement qu'on finit par réussir, ou en d'autres termes, plus ça rate, et plus ça a de chances que ça marche ». Balivernes, car « Des signaux extraterrestres auraient été captés ». Et c'est le créateur de ces programmes, Francis Drake, spécialiste reconnu, auteur de la célèbre équation d'estimation du nombre de civilisations extra-terrestres dans la galaxie, qui le déclarerait dans un entretien exclusif.
Certes le public avale couramment des informations plus incroyables encore, ne serait-ce que les truismes des horoscopes ou les promesses des politiciens, mais si la déclaration de Francis Drake est confirmée et prouvée, la chose est d'importance et méritait bien un gros titre.
Imaginez l'enrichissement des discussions de palier. Figurez-vous la régénération des conversations de comptoir.

Alors, Francis Drake a-t-il réellement identifié des signaux extra-terrestres ?
Bien entendu, nous ne dévoilerons pas ici le contenu de l'article, afin de ne pas porter préjudice à une revue immémoriale qui, rappelons-le, contrairement à Ce Glob est Plat, existait déjà au millénaire précédent.

Ci-dessus, le message extra-terrestre capté par Francis Drake grâce à l'immense radiotélescope d'Arecibo. Malgré la puissance des super-calculateurs utilisés pour le déchiffrer et tournant sous Windows 98, son sens n'est pas encore élucidé, mais le rythme si particulier de ses symboles exclurait, d'après les philologues, toute intervention du hasard ou de la nature.