jeudi 30 avril 2015

Made in China, la suite

L’imposteur chinois du musée de Dulwich a été démasqué.

Doug Fishbone, organisateur et artiste totalement conceptuel, expérimentait depuis le 10 février la substitution d'un tableau original par une copie fabriquée en chine et exposée au milieu des œuvres du musée.
Il en avait fait un jeu de devinette et en attendait un approfondissement du regard du visiteur, une plus grande circonspection du touriste, et des réponses aux questions fondamentales sur l'Art « Qu'arrive-t-il quand un objet est accroché dans un musée ? Qu'est-ce qui définit l'authenticité d'une œuvre ? Qu'est-ce qui lui donne sa valeur ? »

Fishbone vient de dévoiler la vérité dans une émission de télévision people sur BBC one (1). Le faux était un portrait de jeune femme, assez honnêtement imité d'une esquisse brossée un peu vite par Honoré Fragonard vers 1769.

Portrait de jeune femme, par Fragonard, et sa copie par un atelier chinois, exposés actuellement côte à côte au musée de Dulwich. Ah zut, le commentaire du musée qui précisait lequel était l'original et lequel la copie a été égaré. C'est trop bête.

Bilan de l'opération, la fréquentation du musée a été multipliée par 4 pendant ces deux mois et demi. 3000 visiteurs ont tenté d'identifier l'imposteur chinois. Plus de 12% ont réussi. Il était de loin le tableau le plus cité.
Financièrement encourageante, l'expérience n'a cependant pas résolu les grandes interrogations existentielles de l'artiste. Il pense sans doute les éclaircir lors d'un débat public qu'il programme le 16 mai à 10h30, avec quelques éminents experts (2). Le tarif d'entrée sera de 26 euros et le petit déjeuner offert.

Pour conclure, Fishbone a déclaré « Si cela peut avoir laissé dans l'esprit des gens le soupçon que ce qui leur est présenté n'est peut-être pas tout à fait ce qu'il semble, et que nos expériences peuvent être manipulées à notre insu, l'opération aura été bénéfique. »

D'ailleurs, le tableau copié, l'original, est-il réellement de Fragonard ? On y lit nettement à droite la signature de Grimou, bon portraitiste français du début du 18ème siècle, et les lettres « FRago » moins nettes légèrement au dessus. Les experts et les conservateurs du musée, prompts à l'attribuer au plus coté des deux, y voient une facétie de Fragonard pour taquiner les connaisseurs, disent-ils.

Doit-on les croire ?

***
(1) The One Show le 27.04.2015 à 19h20 (autorisée en territoire anglais seulement il vous faudra utiliser un VPN pour voir cette émission en France). 
(2) Notons qu'un des experts invités est Adam Lowe, directeur de Factum Arte, responsable du facsimilé imprimé des Noces de Cana de Véronèse tant admiré à Venise. « Tout se tient » dirait le voisin de palier.  

samedi 25 avril 2015

La vie des cimetières (62)

Paris, promenade dans le cimetière du Père-Lachaise...

L’humanité n’est pas sacrée... Les lois de la physique, de la chimie et de la biologie s’exercent dans un autre champ que celui de la foi, de la morale ou de la politique. La nature n’est ni gaie, ni triste ; ni remplie d’espérance, ni désespérée. Elle anéantira notre espèce en toute innocence.
Yves Paccalet (L’humanité disparaîtra, bon débarras ! 2006) 




Sur le billet au centre est écrit « Ne touche plus aux chapelles ou je ramasse plus les bouteilles des paralysés de France. » 



samedi 18 avril 2015

Le Louvre, un boum de 25% !

Le Louvre, musée superlatif qu’on a toujours chanté sans réserves, arrive encore à nous surprendre.
Près de 10 millions de visiteurs parcourant tous les ans 14 kilomètres de galeries où sont entassées 40 000 œuvres d’art, que pouvait-il inventer de plus pour nous émerveiller ?
Une filiale décentralisée à Livarot ou Saint-Nectaire, une nouvelle aile consacrée à un art délaissé, un kilomètre de vitrines de chefs d’œuvre en canevas ou en bouchons de plastique… Enfin, des prodiges qui le placeraient définitivement au pinacle des institutions de l’Univers.

Eh bien non. Rien de tout cela. Car ce qui va changer c’est le cœur même de l’établissement, son moteur, qui fait les deux tiers de ses ressources propres, en bref, sa billetterie. En effet, le 1er juillet prochain, le billet d’entrée au musée du Louvre augmente de 25% (vingt-cinq pour cent) en passant de 12 à 15 euros et devient un billet unique comprenant l’accès aux collections permanentes et aux expositions temporaires.
L’annonce par l’Agence France Presse, reproduite partout à l'identique, noie soigneusement le poisson en l’entourant de mesurettes insignifiantes, en le comparant à des choses non comparables, et en lui assignant une mission ronflante, la synergie entre les expositions et la collection.
La vente de billets jumelés (collection plus expositions) étant très limitée, de mauvais esprits appelleront cela de la vente forcée plutôt que de la synergie.

De la vente forcée, est-ce possible ?

Pour répondre munissons-nous du dernier rapport d’activités disponible de l’établissement public, celui de l’année 2013. La billetterie y a récolté 61 millions d’euros, 60% des ressources propres du musée. La répartition des 9,2 millions de visiteurs entre collection et expositions y est très lourdement à l’avantage de la première, presque 95%. Une telle distribution rend illusoire (voire hypocrite) le réarrangement des prix des différentes formules de billets.


Résultat, le Louvre haussera donc à compter de juillet le prix du principal billet de 25%, et par conséquent sa recette de billetterie de 24% et ses ressources propres de 15%, pour une grande part au préjudice des touristes étrangers, qui constituent 70% de la totalité des visiteurs et fréquentent très peu les expositions temporaires.

Une bien belle opération, artistique et patriotique (2).

***
(1) En prenant comme valeurs 82% de visites payantes pour les expositions et 62% pour les collections (qui sont les chiffres du rapport p.98), le calcul de la recette présente un écart de 8 millions d’euros probablement dû aux billets à tarif réduit et à l’achat des billets jumelés qui ne sont pas chiffrés dans le rapport. On a donc baissé les taux respectivement à 73% et 54% pour obtenir la recette en billetterie du rapport 2013 (on notera d’ailleurs un écart de 1 million d’euros entre le tableau p.152 et le graphe censé l’illustrer p.151). Puis on a appliqué le même taux aux prévisions pour 2015, sans tenir compte des mesurettes, qui ne peuvent pas influencer sensiblement le résultat.

(2) Quelques chiffres amusants :
Sur 8 visiteurs, le Louvre reçoit 2 français, 1 américain et 1 quart de japonais (ça n’est pas une faute d’orthographe).
D’après le site Louvre pour tous, depuis 2011 le billet est passé de 10 euros à 15, soit une hausse de 50%, et dans le même temps la fréquentation du musée doublait quasiment.

lundi 13 avril 2015

L'art de la reproduction

Véronèse, Noces de Cana, détail.

Tandis que les adorateurs de la vérité attendent dans l'anxiété les conclusions de l'expérimentation de la « copie chinoise de Dulwich », on apprend aujourd'hui, par la revue Télérama, qu'une reproduction imprimée des Noces de Cana a été inaugurée avec force pompe et cérémonial il y a déjà sept ans, au réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore à Venise, et qu’à l’instar des facsimilés des grottes préhistoriques et leurs peintures rupestres, elle y est admirée avec la dévotion qu’on réserve d’habitude aux œuvres originales.

L’histoire remonte au 6 octobre 1653 quand le peintre Paolo Caliari, dit Véronèse, reçoit des moines bénédictins de San Giorgio le paiement d’une immense toile qu’il vient de terminer en 16 mois. Elle couvre le mur du fond du réfectoire, sur 9.90 mètres par 6.66.
Elle représente un repas de noce à Cana où l’un des invités nommé Jésus a fait livrer six jarres de vin qu’on commence à servir aux convives. À 35 ans Véronèse est déjà célèbre pour ses immenses scènes bibliques et architecturales débordant de personnages puissants et colorés.

Puis en 1797, le jeune Bonaparte vainqueur de l’Italie, déjà obsédé par tout ce qui est grand, fait découper la toile en sept morceaux pour la transporter jusqu’au Louvre à Paris où elle est reconstituée.
Elle y est toujours exposée, et les tentatives diplomatiques de restitution à Venise échouent régulièrement.

C’est alors qu’en 2006 une entreprise madrilène spécialisée dans la « conservation des héritages culturels », Factum Arte, armée d’appareillages photographiques et d’imprimantes sophistiqués, de colle, de ficelle, et assistée de beaucoup de main d’œuvre et des autorisations et finances requises, se lança dans la création d’un facsimilé (1) des Noces de Cana.

Et le 11 septembre 2007, l’objet était dévoilé devant les yeux embués d’un parterre d’aristocrates et d’ecclésiastiques. Tous étaient certainement conscients de ne regarder qu’une photographie de luxe, mais la reproduction pharaonique de cette toile gigantesque les émut fort, dit-on.

Comme on le voit, la fausse caverne de Pont d’Arc en Ardèche, la copie chinoise de Dulwich, la réplique espagnole de Venise, sont les indices d’une évolution des mentalités. La valeur émotionnelle souveraine, idolâtre, fétichiste, accordée à l'œuvre originale n’a peut-être plus longtemps à vivre.

***
(1) On distingue généralement copie et facsimilé. Un facsimilé est une reproduction exécutée avec les moyens les plus modernes dans le but d'obtenir un résultat extérieurement identique à l'original. Une copie est fabriquée avec les mêmes moyens que l'original. 
Le facsimilé démontre les capacités de la technologie employée. La copie, parce qu'elle est réalisée à la main, fait la preuve de la virtuosité d'un copieur, et c'est certainement pourquoi elle est mieux placée dans l'échelle des valeurs. Une copie acquiert parfois le statut d'œuvre originale quand les dates de sa réalisation et de celle de son modèle commencent à se confondre dans le temps, comme pour les copies romaines de la statuaire grecque.

dimanche 5 avril 2015

Histoire sans paroles (15)

Puteaux, rue Anatole France, 1er janvier 2002.