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samedi 6 novembre 2021

Il n’y a plus d’Antidote (billet d’humeur)

Distributeur de sodas dans un monde sans dictionnaire (c'est assez terrifiant), Demeure du chaos, 2015.
 
Il est malheureux, pour un blog considéré en moyenne par 100 à 200 visites hebdomadaires (1), de perdre du jour au lendemain sa principale source d’inspiration, un bon dictionnaire, et pour un motif certes classique, mais vulgaire, la cupidité ! 

(1) Les statistiques de Gougueule déclarent 630 visites par chronique, mais étalées sur 15 ans. Et doit-on croire des chiffres fournis par l’entreprise qui en est la première bénéficiaire, et qui envoie systématiquement dans le piège sa cohorte de robots de surveillance et parfois un internaute égaré, qui presse immédiatement, éberlué, le bouton de retour en arrière ?

Un peu de technique pour les profanes. 
Pour être agréable à lire, un texte doit être fluide comme la pensée, mais plus précis qu’elle, qui cahote généralement dans une mare de confusion. Il faut, dans ce but, la figer dans le mot exact, qui aura bien entendu un sens différent à la lecture de chacun, mais on n’y peut rien. 

Le vieux Boileau peut toujours affirmer fièrement, au vers 153 de son art poétique, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », pour l’auteur d’un blog qui ne dispose que d’un cerveau moyen de 1300 grammes tout mouillé et dont la rumeur dit qu’il n’en utilise que 130, les outils informatiques, qui apportent instantanément orthographe, synonymes, antonymes, définition, genre, citations et conseils grammaticaux, sont vitaux. 

Antidote, outil linguistique produit par les Canadiens (2), était le couteau suisse de ce blog depuis presque 10 années. Les adeptes comprendront pourquoi. 

(2) Les Canadiens du Québec, peut-être parce qu’il sont menacés de l’intérieur par l'anglais, défendent mieux la langue française que les grands classiques français, Robert ou Larousse, dont l’offre numérique est indigente (à l’exception du CNRTL, mais qui aurait besoin d’un bon renouvèlement).
  
Or à l’instar de Photoshop, puis de la suite Microsoft, et maintenant de la plupart des logiciels à qui la réussite financière a montré le début d’un orteil, Antidote change aujourd’hui de modèle économique. 
Afin de racler définitivement les phynances du brave blogueur bénévole, il cesse de maintenir le dictionnaire acheté (et qui mourra doucement d’obsolescence en peu d’années, ou quelques mois) et le transforme en un rutilant droit d’utilisation du logiciel (3), payé par un abonnement à prélèvement, renouvellement et résiliation automatiques.

(3) Cette année, Antidote supprime le logiciel sans abonnement sur les téléphones et tablettes seulement, pas encore sur ordinateur (où subsiste l’achat de la mise à jour en option). 
Vous trouverez la description des avantages de ce nouveau modèle économique abusif et totalement déséquilibré dans notre chronique de 2013, Légère retouche au modèle, à propos de Photoshop.  

5 euros par mois ! Un détail, direz-vous. Mais un détail de plus. C’est ainsi qu’on tolère sans le remarquer, jour après jour, le resserrement des chaines de notre propre captivité.
Écoutons plutôt Étienne de la Boétie et abandonnons rondement ce dictionnaire pour un autre, peut-être moins agréable, moins commode, mais notre indépendance vaut bien ce petit effort, sans quoi Ce Glob serait vite contaminé par l’anarchie ; la faute d’orthographe, la pauvreté des épithètes, les clichés de langage, les barbarismes y pulluleraient.

Et à cela, à l’image du sort inéluctable du climat de la Planète, il n’y aurait plus la moindre antidote.

vendredi 27 décembre 2019

Passons, passons...

Passons, passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Guillaume Apollinaire (Cors de chasse, dans Alcools)
Ici s'élève un grand débat entre la science et le vulgaire. La science prétend que les hommes sont répandus sur le pourtour de la terre, qu'ils ont les pieds à l'opposite les uns des autres, que partout le ciel est également sur leurs têtes, et que partout le point de la terre foulé par les pieds de ses habitants est le centre pour chacun. Le vulgaire demande pourquoi les hommes placés à l'opposite ne tombent pas : comme s'il n'était pas facile de répondre qu'eux aussi ont le droit de s'étonner que nous ne tombions pas ! Il y a une opinion intermédiaire, et que la foule si indocile trouve probable : c'est que le globe est inégal, semblable pour la figure à une pomme de pin, et que la terre est habitée tout autour de cette espèce de cône. 
Pline l’ancien, Histoire naturelle, Livre 2, (an 77 de l’ère actuelle)

Visiteur, qui pose pour la première fois ton regard sur ce blog, sache que tu arrives dans un endroit peu fréquentable (et d’ailleurs très peu fréquenté). Sous une apparence austère parfois attrayante, tu constateras qu’il peine à respecter les valeurs dites sacro-saintes, les nations, les drapeaux, les religions, les institutions.
Tu noteras qu’il méprise les souverains affublés d’un numéro, en l’écrivant en chiffres arabes, qu’il ne fête pas les dates anniversaires des grands hommes, ni des grandes femmes, qu’il informe sur les expositions généralement après leur fermeture, et surtout, qu’il escamote l’accent circonflexe sur les mots aout, gout, abime ou maitre.

Bref, tu abordes un blog inconvenant.
Si, en dépit de cet avertissement, tu as décidé de poursuivre, apprends qu’il va faire, sous tes yeux, un pas supplémentaire dans l’ignominie et piétiner ses principes en célébrant son propre anniversaire.


Le 27 décembre 2006, dans un premier billet balourd mais déjà assoiffé de vérités scientifiques et… disons artistiques, le blog réclamait des images, que jamais il n’obtint, du verso d’une admirable statue d’Arsinoë 2, qui venait de sortir des eaux de Canope, ville engloutie près d’Alexandrie dans la baie d’Aboukir. Elle gisait là parmi d’autres débris dans un dépotoir à statues dont la religion était périmée, sauvée d’un recyclage moins noble par l’engloutissement de la cité.
Toutes ses représentations, sur internet et dans la presse, la montraient de face, de trois-quart, très rarement de profil, et jamais de dos. Personne depuis n’a proposé de dévoiler ce secret.

Tu penses certainement, visiteur, que le titre du blog comporte déjà une faute d’orthographe et une ambigüité, soit une inversion de lettres s’il entend écrire le mot blog, et dans ce cas ce serait un anglicisme inélégant, soit une faute d’orthographe s’il veut parler de la Terre, hypothèse plausible à la vue de l’illustration du bandeau de titre.

L’équivoque était délibérée.
À un blog ambitieux, il fallait des lecteurs susceptibles d’accepter n’importe quoi. Et c’est dans les exclus, dont on entendait déjà que l’internet et les réseaux sociaux étaient envahis, chez ceux qui souffrent d’être dévalorisés, socialement, affectivement, et qui sont prêts à adhérer à n’importe quelle explication qui ne serait pas celle de la société qui les ignore, que le blog pensait trouver des lecteurs.

Les adeptes de la Terre plate étaient parmi les mieux inspirés. Leur refus pathologique d’accepter la réalité quand elle ne coïncide pas avec leur vision du monde a quelque chose de Don Quichotte, leur opiniâtreté à réécrire autrement les règles les plus élémentaires de la science a tout de la poésie pataphysique et des prémices d’une grande religion. À n’en pas douter, c’était l’avenir.

Un sondage fameux et très respectable, réalisé avec beaucoup de sérieux, de mathématiques, et de biais de toutes sortes par l’Ifop a largement confirmé ce choix depuis.
Il se proposait, souvenons-nous, de mesurer la croyance des Français dans les grands mensonges supposés manipulés par les pouvoirs occultes des sociétés secrètes ou des gouvernements corrompus. Pour donner un exemple de la qualité des questions imaginées par l’Ifop, parmi les complots proposés (liste p.99), étant sous-entendu que tous sont faux, la question suivante était posée « Êtes-vous d’accord ou pas avec l’affirmation que Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10 000 ans ? », et 18% des sondés y répondaient positivement.
Vous noterez que ceux qui pensent qu’un dieu à créé l’ensemble il y a plus de 10 000 ans, hélas nombreux, ne pouvaient pas se prononcer, ni ceux, rares sans doute, qui pensent que tout cela s’est créé sans aide extérieure il y a moins de 10 000 ans. On mesure là toute la finesse de la méthode.

La question qui regarde le blog était plus claire « Êtes-vous d’accord ou pas avec l’affirmation qu’il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école ? »
9% des sondés ont répondu positivement. Ce qui fait beaucoup de lecteurs potentiels.
Hélas, le sondage lui-même était noyauté par les servants d'un vaste complot mondial, car en 13 ans de chroniques d’une régularité astronomique, aucun adepte de la Terre plate n’a jamais pris contact ni laissé un commentaire sur le blog. Pas un lecteur de plus. Les spécialistes pensent aujourd'hui qu’il n’y a en réalité que quelques milliers de fidèles, et essentiellement aux États-Unis (Flat Earth Society).

Pourtant le blog avait concocté une documentation pointue destinée à soutenir les adeptes de la planéité, et déniché à l’appui de leurs certitudes le témoignage inestimable d’Augustin d’Hippone, le fameux Saint Augustin, lointain héritier des chimères de l’imputrescible Platon, et le plus grand penseur du christianisme. Il écrivait dans La cité de Dieu (16-9) au début du 4ème siècle :
« Quant à leur fabuleuse opinion qu’il y a des antipodes, c’est-à-dire des hommes dont les pieds sont opposés aux nôtres et qui habitent cette partie de la terre où le soleil se lève quand il se couche pour nous, il n’y a aucune raison d’y croire. Aussi ne l’avancent-ils sur le rapport d’aucun témoignage historique, mais sur des conjectures et des raisonnements, parce que, disent-ils, la terre étant ronde, est suspendue entre les deux côtés de la voûte céleste, la partie qui est sous nos pieds, placée dans les mêmes conditions de température, ne peut pas être sans habitants. Mais quand on montrerait que la terre est ronde, il ne s’ensuivrait pas que la partie qui nous est opposée ne fût point couverte d’eau. D’ailleurs, ne le serait-elle pas, quelle nécessité qu’elle fût habitée, puisque, d’un côté, l’Écriture ne peut mentir, et que, de l’autre, il y a trop d’absurdité à dire que les hommes aient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde. »
On comprend aisément qu'un argumentaire aussi robuste ait pu influencer plus de 1000 ans de science en Occident ! D’ailleurs Augustin mériterait d’être le parrain de ce blog. Car il ne faut pas blâmer les apôtres de la Terre plate. À leur manière, excentrique et malhabile, ils essaient de refaire l’histoire de la science. Les aurait-elle écoutés, l’espèce humaine n’aurait peut-être jamais réussi à transformer ce petit caillou, fut-il plat ou globuleux, en enfer.

Un autre échec de l’histoire du blog, parmi tant d’autres, fut la recherche pathétique du nom d’un sculpteur dont la signature peu lisible est gravée sur la statue d’une fillette assise sur une tombe, dans le cimetière monumental de Milan, en Italie du nord.
Pas la moindre proposition depuis 10 ans. Effrayant silence des espaces infinis de l’internet !

Mais ne nous attardons pas sur ces revers, et réjouissons-nous, puisque cette chronique célèbre un anniversaire. Voici une surprise, en vidéo. Elle dure 4 minutes. Le commentaire n’est qu’en anglais, mais à une minute et 13 secondes, vous verrez qu’on peut se passer de tout commentaire. Elle a été filmée en novembre 2016 au British Museum, à Londres, mais aurait pu l’être à Saint Louis, dans le Missouri, au printemps 2018 (à 15min.20) ou à l’Institut du monde Arabe de Paris, fin 2015 (à 20min.57) ou peut-être de retour au musée des antiquités de la Bibliotheca Alexandrina d’Alexandrie, en Égypte, qui sait ?


Enfin rappelons aux lecteurs de tout genre qu’une petite zone de saisie « Rechercher dans ce blog » permet d’y trouver n’importe quel mot incongru et de flâner parmi 680 chroniques richement illustrées, qui peuvent être lues avec des années de retard sans que la constance de leur futilité encyclopédique n’en pâlisse. Ils y dénicheront des informations insoupçonnées et inactuelles sur la peinture, le droit d'auteur et les cimetières, et sur toutes sortes d’animaux et de végétaux, éléphants, autobus, Tati, Kubrick, et même Mozart (mais que les inconditionnels de la planéité ou de la platitude ne cherchent pas les mots Terre ou globe, ils en ressentiraient sans doute de l’amertume).

samedi 20 février 2016

Le Mètre a pensé (l'orthographe)

Mais les générations prochaines
Qui n'mettront plus d'accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
Pierre Perret 1992, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine
Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils [les imprimeurs] suivent l’ancienne, ny de la punctuation. 
Montaigne, Essais Livre 3, chapitre 9, de la vanité (vers 1588)

Les réseaux sociaux, dont l’orthographe n’est pourtant pas le souci majeur, frétillent depuis deux semaines, scandalisés par la nouvelle d’une réforme arbitraire et soudaine de l’orthographe imposée par le gouvernement français.
La vérification de l’information ne semble pas non plus être de leurs soucis.

On attendait en revanche plus de circonspection de la part de celui qui est depuis quelques années l’autre philosophe le plus médiatisé, le libertaire, le subversif de la Contre-histoire de la philosophie qu’on écoutait en extase quand il nous contait en 2003 ou 2005 les mésaventures de Démocrite, de Lucrèce ou de Spinoza.
Mais Onfray a vendu tant de livres où il pense, que les médias l’ont couronné spécialiste en idées sur les choses du monde (il ne les a pas contredits) et l’invitent sans discernement dès qu’il est question de penser. Jusqu’à la radio France Culture qui comme pour dire l’oracle à Delphes a créé une émission qu’elle a intitulée « Le Monde selon Michel Onfray », avec une majuscule à Monde. Tous les samedis de 12h45 à 12h50, l’auditeur ingurgite les sentences du prophète avec des cuillérées de ragout.

Fatalement, le Maitre a été consulté le 6 février sur le sujet brulant de la « réforme de l’orthographe ». Mais, alors que les grandes philosophies murissent lentement, durant des siècles, de leur confrontation à la réalité, Onfray n’a eu que trois jours pour y penser. Dès lors il en parle sans réfléchir.

Avant de recevoir l’augure, et pour résumer succinctement l'affaire, personne n’est mieux placé que Michel Rocard alors Premier ministre et coordinateur de l’entreprise de simplification de l’orthographe (car ces rectifications que tous découvrent aujourd’hui datent en fait de 1990), simplification présidée et validée par l’Académie française et annexée à la 9ème édition du Dictionnaire en 1992, contrairement aux récentes dénégations d’académiciens alors somnolents ou devenus depuis oublieux par la force des choses.
Rocard en fait le récit pittoresque au cours d’un entretien « À voix nue » sur France culture en 2013 (13 minutes savoureuses à écouter ici). Il en avait déjà discuté avec brio en 2000, notamment du traitement informatisé de la langue française et de la conservation et la diffusion du patrimoine.

À présent observons quelques extraits de la pensée de Maitre MO (certaines phrases ont été regroupées par thème, dans un ordre logique).

Le journaliste lui demande d’abord s’il est pour ou contre la « réforme » de l’orthographe. « J’ai presque pas envie de répondre à la question pour ou contre » répond MO. On constatera néanmoins dans 5 minutes qu’il y aura répondu, par la négative, mais peut-être est-ce difficile à avouer immédiatement quand on est un rebelle certifié. Ou peut-être veut-il nous dire ici que la vérité est ailleurs, et qu'il sait où elle se trouve.

Il part alors dans une envolée vibrante sur la nécessité d’apprendre par cœur. « L’apprentissage concerne le cerveau, moins on apprend, moins on sait de choses c'est une évidence, mais moins on fait fonctionner son cerveau, moins le cerveau fonctionne, ça parait évident. […] Dans notre civilisation il n'y a plus d'apprentissage par cœur, on passe aujourd'hui l'épreuve de mathématiques du bac avec une calculette. […] Et on va avoir aujourd'hui une orthographe qui est une espèce de vanne ouverte […] Il faut apprendre du par cœur, et parfois même du par cœur pour du par cœur, on sait bien que plus on apprend de choses par cœur, plus le cerveau devient efficace, mais dans une civilisation où on nous invite à ne pas penser, à ne pas réfléchir, à ne pas poser la question du pourquoi parce que après on aura un comment et que expliquer c'est déjà tout justifier […] Je crains qu'avec la disparition de l'orthographe, de la grammaire, du calcul, de l'apprentissage du par cœur, on fabrique un cerveau facile à gouverner. »

On devine ici la réaction de qui a surmonté la souffrance d’apprendre une orthographe absurdement compliquée, sans la comprendre ni la remettre en question et qui aimerait inconsciemment que les autres en souffrent, désir masqué par un argumentaire dont la cohérence défaille sérieusement.
Résumons sa pensée : l’apprentissage par cœur fait travailler le cerveau et le rend efficace, mais notre civilisation, pour nous soumettre encore plus, nous invite à ne pas réfléchir en n'imposant plus d'orthographe au point que nos encéphales ne fonctionnent plus. MO est bien le dernier à croire que l’apprentissage par cœur fait progresser l’intelligence, alors qu’il fait surtout travailler la mémoire aux dépens de la réflexion, car il évite d’avoir à réfléchir à la méthode ou aux outils qui permettraient de reconstituer les mêmes données.
Maitre MO accuse la civilisation, par sa complaisance, de nous empêcher de poser des questions, quand c'est au contraire le résultat du « par cœur », car apprendre par automatisme revient à renoncer à comprendre les règles, et à rendre ainsi les cerveaux faciles à gouverner, l'inverse de ce qu'affirme MO.

Puis il poursuit. « La simplification n’est pas une bonne raison, simplifier nénuphar qui est un mot qu'on n'utilise pas, pourquoi pas changer les mots qu'on utilise plus souvent, et avoir le courage de tout écrire en phonétique, ce qui est une manière de simplifier, donc de massacrer. […] C’est dommage qu'on ne se permette pas cet apprentissage de la règle (il accentue le mot), parce que la vie en communauté ça suppose des règles (il accentue le mot), parce que la république dont tout le monde se gausse aujourd'hui ça suppose des règles (il accentue le mot) et là on dit bah finalement y'a plus de règles, y'a la règle qu'on voudra, on aura des orthographes diverses et multiples, on n’est plus capable aujourd'hui de proposer une règle en disant c'est la même pour tout le monde. »

Ici Maitre MO a peut-être écouté les réactions indignées des réseaux sociaux et des journaux réactionnaires sans s’informer sur les raisons et le périmètre de ces simplifications de l'orthographie, puisqu’elles visent principalement la rectification d’exceptions, d’anomalies qui n’étaient pas fondées, et qui justement ne respectaient pas les règles.

Quand il dit qu’il n’y a plus de règle, il vise également le caractère facultatif des rectifications. En effet, et ce depuis 1990, les diverses directives de l’Éducation nationale ont toujours affirmé, sur les conseils impérieux de l’Académie, que les deux orthographes étaient autorisées et donc non fautives, même si la nouvelle devait être préférée.

Et si l’affaire ne survient qu’aujourd’hui c’est parce que les éditeurs scolaires profitent de la très discutée réforme du collège et des contenus de la rentrée 2016, qui les oblige à remanier les manuels, pour intégrer à moindre frais les rectifications préconisées en 1990 et qu’ils avaient jusqu’à présent mises au placard.
Seuls les principaux dictionnaires électroniques (Antidote, Robert) et les correcteurs orthographiques des traitements de texte (notamment l’omniprésent Microsoft) les avaient intégrées. Ils acceptent les deux orthographes depuis 2008 au moins. Vous écrivez probablement ainsi les mots « règlementaire, relai, chaine, weekend, évènement, piqure » depuis des années sans savoir que vous appliquez les rectifications de 1990 car les correcteurs d’orthographe ne les soulignent plus d’un pointillé rouge accusateur.

Sur ce point Maitre MO a raison, l’Académie et l’Éducation nationale n’ont pas osé imposer une graphie, attendant sagement que la force de l’usage s’en charge. Mais ce laisser-faire ne concerne finalement que 1300 mots. Le cas du mot nénufar est anecdotique mais exemplaire. D’origine arabe et non grecque, il s’écrivait nénufar au 18ème siècle quand on lui imposa le « ph » car on le pensait par erreur d’origine hellénique.

Le journaliste s’étonne ensuite de cette défense éperdue de la norme et lui oppose le besoin de créativité face à des règles bien souvent arbitraires.

Maitre MO rétorque. « Quand je prends la voiture je suis très heureux qu'il y ait un code de la route, chacun convient qu'il faut des règles [...], je dis que ce refus de la règle est semble-t-il généralisé, mais on ne prend jamais un avion qui est piloté par quelqu'un qui n'a pas son brevet de pilote. [...] La république c'est l'idée qu'une multiplicité d'individus consentent à une règle commune. La liberté n'est pas la licence, ça se construit avec de l'intelligence, de la mémoire, avec de l'histoire, avec du patrimoine, avec bien sûr de l'invention et de la créativité, je ne suis pas sûr qu'avec la licence on invente beaucoup plus qu'avec la liberté. »

Là encore Maitre MO se laisse emporter par l'élan de son exaltation originelle, et compare les règles orthographiques à celles qui contrôlent la circulation aérienne. Subtile analogie qui insinue ainsi que les risques en sont comparables. 
Car pour lui les choses sont limpides, la rectification de l'orthographe est du laxisme, de la licence, c'est à dire le dérèglement des mœurs, le désordre moral, l'anarchie.
Ainsi avec le temps, comme sous l’effet de la cuisine normande, l’homme des envolées libertaires s’est naturellement épaissi, et sa pensée aussi. Il est devenu ce qu’il condamnait. Il est prêt pour un ministère.

Décidément, ce sujet pourtant prosaïque et futile a fait dépasser toute mesure aux réseaux sociaux, aux journaux, à l’Académie des Immortels et aux plus grands philosophes vivants. Mais ces débordements nous auront finalement confirmé que les ruminations de nos penseurs appointés ne nous paraissent perspicaces qu’à la mesure de notre méconnaissance du sujet.

samedi 25 avril 2015

La vie des cimetières (62)

Paris, promenade dans le cimetière du Père-Lachaise...

L’humanité n’est pas sacrée... Les lois de la physique, de la chimie et de la biologie s’exercent dans un autre champ que celui de la foi, de la morale ou de la politique. La nature n’est ni gaie, ni triste ; ni remplie d’espérance, ni désespérée. Elle anéantira notre espèce en toute innocence.
Yves Paccalet (L’humanité disparaîtra, bon débarras ! 2006) 




Sur le billet au centre est écrit « Ne touche plus aux chapelles ou je ramasse plus les bouteilles des paralysés de France. » 



dimanche 23 juin 2013

Le ministre et le nénufar

La réforme de l'orthographe 
Contrarie les paléographes 
Depuis qu'un L vient d'être ôté 
À imbécillité.
Pierre Perret, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine (1992)

Michel Rocard est un homme d'état convaincu, gestionnaire avisé, internationaliste passionné.
À 83 ans il résume sa vie en 5 épisodes de 30 minutes diffusés sur France-culture dans l'émission À voix nue, du 17 au 24 juin, et les enregistrements sonores en sont disponibles. Clarté, verve, éloquence.

Dans le 4ème épisode, il est premier ministre de la France et pilote la rectification de l'orthographe française de 1990. Il revient longuement sur les intentions commerciales et géopolitiques de la réforme, les anecdotes, les règles absurdes, le délire des défenseurs de l’inviolabilité de l'orthographe sacrée, les coups bas de Mitterrand, de François Cavanna, de Jean Dutourd et les trois camions de policiers chargés de protéger des rectifications si minimes que personne, vingt ans après, ne les connait ni ne les applique, excepté les grands dictionnaires, les correcteurs des logiciels de traitement de texte, et Ce Glob est Plat.
C'est entre la 9ème et la 23ème minutes de l'épisode.

Après quoi vous ne serez plus surpris de trouver ainsi écrits boite, chaine, aigüe, ambigüité, règlementaire, ile, joailler, imbécilité, serpillère, charriot, ognon, flute, gout ou aout, avec 1400 autres mots.


Le 8 juin 1985, le président de la république des Seychelles, Albert René France, inaugurait l'électricité sur l'ile paradisiaque de La Digue. L'évènement se déroulait en créole.

samedi 31 mars 2012

La vie des cimetières (42)

L'histoire de la naissance de l'image animée compte nombre de personnages étranges, d'ingénieux précurseurs aussitôt oubliés, des usurpateurs prétendant avoir inventé le cinéma, et quelques visionnaires.
Il y eut l'improbable Louis Le Prince, véritable inventeur du cinéma, auteur du premier film jamais réalisé, le 14 octobre 1888, puis disparu étrangement le 16 octobre 1890 dans le train express Paris - Dijon.
Parmi les usurpateurs, Thomas Edison, l'entrepreneur aux 1000 brevets, qui inonda l'Amérique de films volés à Georges Méliès.

Et puis Méliès, inventeur du spectacle cinématographique, comme le dit justement sa tombe (qui cite Louis Lumière) dans le cimetière du Père-Lachaise. Il fut le créateur des trucages et des premiers films fantastiques.
Mais le cinéma est allé plus vite que lui. Dépassé, ruiné, enseveli par la première guerre mondiale, oublié, on le retrouvera par hasard en 1926, vendeur de jouets et de bonbons dans une boutique de la gare Montparnasse.
Redevenu alors pionnier du cinéma, embaumé vivant, Méliès finira sa vie au château d'Orly, premier pensionnaire de la maison de retraite de la Mutuelle du cinéma. Ses féeries n'amusaient plus le public, mais il était entré dans les dictionnaires et les livres d'Histoire.

Martin Scorsese en a fait un joli film très mièvre, en 2011, un hommage assez peu réaliste. Il altère au passage l'orthographe de son nom en oubliant l'accent grave sur le deuxième E, quand l'automate de Méliès dessine la célèbre lune éborgnée par l'obus, et signe le dessin.
Il n'est pas le premier. C'est en 1954 probablement, quand un certain Carvinnari sculpta le buste de Méliès, que la stèle qui le supporte fut gravée. Le ciseleur traça soigneusement les accents aigus des É et omit l'accent grave du È.

Isolée, malaisée à repérer, la tombe de Georges Méliès sans accent grave et sa famille, au cimetière du Père-Lachaise, 64ème division.

Détail d'un générique de l'époque de Méliès avec accent grave.

samedi 27 février 2010

Piette qornichue ilililsbe

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Nicolas Boileau, L'art poétique, Chant 1.

Viloà qelsuqeu mios, à porops d'nue crihonque de la siére «la vie sde cetmeieirs», dnas un cartomimene sur lse feutas d'harthropoge, nuos mttnoies une licercte au dfei de rusésir à lrie aessz aniésmet un ttxee puqsree ilililsbe.
Le pérocéd n'est pas naouevu. C'est un ménalge de centrèpoterie, d'aamerangme et de doryphorgathise. Il est spoupsé mertron qeu, dnas le glanage éirct, une benon pirate de l'ofornimatin tse linuite à la chionméporsen. Nominanés sand le teetx que vsuo êste en tiran de lier, le baligaulore a été égarexé et des mtos ont été soireenusmont térfarsmons pour remblesser à d'artuse et fiare béruchter le lecture. (Il ets pissbole qu'il stere ecorne neu ou xude featus d'harthropoge.)

Cretinas indecis dnas ctete igame aeesntttt qu'il s'agti du potirart d'nue des sulp cérèbles horïènes de la bielb. On torurave cttee pluscurte sur la culée sud ouste du pnot du ritalo, à envies.

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Mise à jour du 23 mars :
Un mois après la publication de ce billet, et sans la moindre réclamation de lecteurs déconcertés, il est aisé de conclure que personne ne lit plus Ce Glob Est Plat. Aussi pour l'hypothétique lecteur égaré qui tombera un jour sur ces lignes, et afin de le retenir un peu, voici la traduction de cette petite chronique illisible.

Voilà quelques mois, à propos d'une chronique de la série «la vie des cimetières», dans un commentaire sur les fautes d'orthographe, nous mettions une lectrice au défi de réussir à lire assez aisément un texte presque illisible.
le procédé n'est pas nouveau. c'est un mélange de contrepèterie, d'anagramme et de dysorthographie. Il est supposé montrer que, dans le langage écrit, une bonne partie de l'information est inutile à la compréhension. Néanmoins dans le texte que vous êtes en train de lire, le brouillage a été exagéré et des mots ont été sournoisement transformés pour ressembler à d'autres et faire trébucher le lecteur. (Il est possible qu'il reste encore une ou deux fautes d'orthographe).
Certains indices dans cette image attestent qu'il s'agit du portrait d'une des plus célèbres héroïnes de la Bible. On trouvera cette sculpture sur la culée sud ouest du pont du Rialto, à Venise.

jeudi 19 février 2009

La raiforme de l'ortografe

Dans les sous-sols du palais du CNIT, à La Défense, on n'apprend l'alphabet que jusqu'à la lettre DManet a peint un piquenique empreint d'ambigüité, Monet des amoncèlements de nénufars, Gauguin les iles, et Van Gogh des potpourris d'ognons bien murs, de cèleris et de giroles. Bosch a peint un charriot de foin, Vermeer une dentelière, Harnett un révolver pas complètement règlementaire, Samuel Van Hoogstraten des enfilades de pièces dont chacune doit sans doute recéler pêlemêle un porteclé, un tirebouchon, une serpillère, un faitout voire un curedent. Goya a certainement imaginé une chauvesouris et un millepatte dansant une valse douçâtre devant un parterre de cent-dix-sept sconses, sous les notes suraigües de quelques jazzmans atteints d'exéma, ou d'autres scénarios aussi infernaux où l'abime côtoie la voute étoilée. Ces peintres ont libéré leurs fantasmes, leurs tocades, les ont laissé faire et ont ainsi créé cette pagaille d'artéfacts qui hante désormais notre imaginaire.

Arrêtons-là cette énumération de quincailler et dont vous soupçonnez surement l'apriori : c'était une espèce de gageüre, enchainer un grand nombre d'embuches du français en respectant les prescriptions de la «rectification» de l'orthographe de 1990.

Si, pris d'un doute abyssal, vous avez demandé au hautparleur de votre ordinateur de sonner chaque faute d'orthographe de ce mémento (dont on conçoit que la sècheresse ne vous plait guère), il est probable qu'il n'aura pas cessé de sonner indument. C'est que vous ne l'avez pas autorisé à tenir compte de cette évolution de l'orthographe. Certains correcteurs le permettent.

Depuis bientôt vingt ans ces rectifications ont peu subi le véto des médias ou la piqure des boutentrains des chaines de télévision, et si elles n'ont pas atteint les maximums de protestation ou de haine qu'on aurait pu prévoir, c'est parce qu'elles sont des recommandations, certes appuyées, mais autorisant l'alternative. Et si la dictée de votre enfant est sanctionnée pour avoir employé l'une des deux orthographes admises, vous pouvez être surs de votre droit et assoir votre protestation sur un texte officiel dument estampillé.

Sauf erreur cette chronique contient allègrement 60 mots dont l'orthographe a été modifiée en 1990. Regrettons de ne pas avoir pu y placer «diésel, ponch, placébo ou relai».
Vous trouverez derrière l'icône ci-contre le corrigé de l'exercice. Après cela les plus inconscients s'aventureront sous ce lien et y dénicheront plus de 1300 mots rectifiés supplémentaires, parait-il.

dimanche 22 juillet 2007

La vie des cimetières (8)

« NE DÉPOSEZ RIEN SUR LA VOIE PUBLIQUE
TRIEZ VOS DÉCHETS
UTILISEZ LE BAC APPROPRIÉ *»

* Ce Glob Est Plat s'est permis de corriger légèrement l'orthographe du message sur la poubelle, et signale à la Mairie de Paris qu'en français les majuscules devraient comporter les accents, comme le conseille ce texte limpide de l'Académie française.