lundi 30 septembre 2019

Distrayons-nous avec l’ICOM

L’ICOM (International council of museums ou Conseil international des musées), est une association internationale des professionnels de musée (non commerçants), régie par la loi française de 1901, et dont le rôle est de réunir régulièrement, en un forum où ils parlent de musées, les acteurs du métier, s’ils ont payé leur cotisation annuelle.

Une association étant tenue de définir son domaine et son objet, en l’occurrence le musée, l’ICOM avait statué en 2007 sur l’énoncé suivant :
« Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation.  »

En gros, le musée est une institution qui préserve et diffuse le patrimoine. Définition simple, claire et sans arrière-pensée, sinon l'ambigüité du mot patrimoine (étymologiquement, ce qui appartenait au père, la mère n’ayant rien à transmettre, bien entendu).
Et terminer sur le mot délectation était une idée savoureuse, presque voluptueuse.

Mais les modes tournent, et pour pimenter cette année 2019, un comité désœuvré de l’ICOM a proposé d'adopter sa nouvelle définition, où le musée est désormais pluriel (attention, ça va un peu piquer le cortex préfrontal:

« Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire. »

Si vous ne saviez pas ce qu’était un musée avant de lire cette définition, vous ne le savez probablement pas plus maintenant, mais vous savez un peu mieux ce qu’est la poésie, car la formulation est imprégnée du flou, de l’indécis qui font les délices des poèmes de Mallarmé ou de Rimbaud.

D’ailleurs tout est poésie dans cette définition ; « Les passés et les futurs », ce pluriel qui signifie aux humains qu’il peuvent encore modeler leur destinée (s’ils fréquentent les musées), et tous ces mots sublimes et définitifs (mis en relief par l’auteur de cette chronique), « polyphoniques », « égalité mondiale »,  et ces « musées transparents », que l’image est belle ! Tout serait à surligner !
Deux petites remarques toutefois, le mot patrimoine est encore présent, malgré ses connotations phallocrates, et puis, finir une définition par l’épithète « planétaire » peut sembler un peu réducteur. Nous proposerions « universel », qui est plus inclusif.

Cette définition œcuménique a pourtant provoqué un séisme dans le milieu (plutôt conservateur, par obligation) des musées, et généré une opposition virulente, relayée par le monde des chroniqueurs de l’art, Noce, Rykner, Dumont.
Elle a donc été, sans surprise, rejetée par plus de 70% des membres de l’Assemblée générale extraordinaire de l’ICOM.

En réalité, elle n’a pas été rejetée, mais reportée sans échéance certaine, ce qui la nimbe d’un voile supplémentaire d’indétermination. Or l’irrésolu sied exactement à une définition, puisqu’elle autorise ainsi tous les sens et sera comprise de tous.
Et c’est bien la vocation d’une association internationale sans but lucratif que de faciliter les échanges de vues entre les humains, accompagnés d’alcools, de petits fours et de mignardises, quand le budget le permet.

mercredi 25 septembre 2019

Toutankhamon, un fiasco

Malgré un considérable matraquage publicitaire et médiatique durant des mois, de numéros spéciaux en émissions spéciales, près de 65 600 000 Français n’ont pas visité l’exposition Toutankhamon, à Paris, dans la Grande Halle de la Villette, qui vient de fermer après 6 mois de journées à rallonge.

Cependant, avec force communications de l’Agence d’État (AFP), que les journaux les plus sérieux diffusent sans le moindre examen critique, l’entreprise américaine qui organise ce Barnum international pour le compte du ministère des Antiquités égyptiennes vient d’annoncer un record de fréquentation en France, 1 423 170 visiteurs, en insistant sur les 1 246 975 seulement pour la même exposition, à Paris en 1967, au Grand Palais (l’extrême précision des nombres est empruntée à Étienne Dumont, remarquable et régulier chroniqueur des arts du magazine suisse Bilan.ch).

Sans ergoter sur la durée respective des expositions et l’étendue de leurs horaires, la victoire reste bien courte, si on considère que 52 années d’opulence culturelle et médiatique séparent les deux évènements, et que depuis, les plus grands chefs d’œuvre des arts (le 7ème, par exemple, avec Titanic, les Ch’tis, Avatar), n’ont été boudés que par 45 à 50 000 000 de Français, pas plus.


Au lieu d’illustrer cette chronique par l’image éculée d’un pharaon qui fut tout de suite oublié, au point de ne jamais avoir été profané ni pillé, et qui n’aura pas laissé d’autre trace dans l’histoire que bijouterie, colifichets et fanfreluches, voici plutôt la statue monumentale au British Museum d’un de ses successeurs les plus glorieux, Ramsès 2, grand bâtisseur qui régna 66 ans, à qui on doit l’obélisque de la place de la Concorde à Paris et la responsabilité d’avoir tant persécuté Moïse qu’il finit par se déclarer prophète, fuir dans le désert et inventer une religion planétaire avec une poignée d’insoumis, s’il faut croire le récit biblique.


Tentons de comprendre les causes de ce surprenant discrédit.

On pensera d’abord au contenu de l’exposition, parait-il intelligemment mis en valeur, mais plutôt secondaire. Les organisateurs et la presse n’ont pas pu cacher que les pièces majeures du tombeau du pharaon, le grand sarcophage et ses 110 kilos d’or pur ouvragé, la fragile momie, le célèbre masque funéraire qui avait été le couronnement de l’exposition de 1967, n’étaient pas exposés.
Mais l’argument est un peu faible, car on sait que la qualité de son contenu ne fait plus partie des critères qui déterminent le succès d’une exposition. Le public s’y presse désormais à l’aveugle.

On songera alors aux propos involontairement inquiétants du ministre des Antiquités égyptiennes qui ont pu être perçus comme un chantage, et refroidir certaines ardeurs.   
Pour attirer le client, il annonçait que cette exposition était la dernière occasion d’admirer des merveilles qui ne quitteront plus jamais l’Égypte, et qu’il faudra dorénavant venir les voir à Gizeh près des pyramides, dans un futur Grand Musée égyptien, dont on sait qu’il est en construction depuis 2001, et que l’instabilité politique du pays en repousse régulièrement l’ouverture. 

On imaginera surtout que les tarifs, pharaoniques pour une exposition finalement assez ordinaire, auront découragé nombre d'enthousiasmes. 24€ par personne les samedis et dimanches (quand l’entrée de l’exposition Léonard du Louvre est à 17€), et 20€ pour les enfants de 4 à 14 ans, sans compter 6€ l’audioguide et 3€ pour un vestiaire.

Saluons tout de même sportivement ce modeste record national déjà dépassé à l’échelle internationale. Car Paris n’était que la deuxième station d’une grande tournée mondiale, jusqu’en 2024, dans 10 métropoles, dont la troisième dès novembre sera Londres. Or Londres détient déjà depuis 1972 le record de fréquentation pour une exposition consacrée à ce populaire pharaon d’opérette, au British Museum, avec 1 600 000 ou 1 700 000 visiteurs, selon les sources.
 

lundi 9 septembre 2019

Nuages (46)


Un nuage disgracieux et désorienté erre au dessus des arènes d’Arles, ou cherche peut-être à les éviter.
Amphithéâtre romain il y a bientôt 2000 ans, habité par les déshérités il y a 500 ans, enfin réhabilité en arènes voilà 200 ans, on y pratique régulièrement depuis un spectacle sanguinaire explicitement interdit par le code pénal (art. 521) mais autorisé par les institutions les plus sérieuses et les politiciens les plus influents, parce que c’est une tradition du sud de la France, et que ce patrimoine est sacré.

mercredi 4 septembre 2019

Longue occultation au Lacma



Le LACMA (Los Angeles County Museum of Art) est un des plus beaux musées d’art au monde. C’est ce que disent les Américains, les Californiens surtout. Et c’est certainement vrai quand on constate, sur le site du musée, les collections qu’il possède, arts asiatique, africain, égyptien, européen, américain, contemporain.

Mais depuis plus d’un an, sur 105 500 œuvres cataloguées, moins de 200 sont exposées (le nombre varie en permanence). Quelques Rodin, deux ou trois Picasso et 20 tasses avec leur soucoupe. Les voyagistes restent discrets sur le sujet.
Les voyageurs se montrent contrariés, voire amers. Car les grands peintres américains et européens d’avant le 20ème siècle, qui font une part notable de la renommée du musée, au moins en Europe, sont invisibles.
Et ils le resteront certainement longtemps, plus de 4 ou 5 ans, si tout va bien et si le musée parvient à financer en totalité son vaste projet de refonte architecturale, ce qui n’est pas certain. Les futures surfaces d’exposition ont déjà été révisées à la baisse après la crise financière de 2008.

Par chance, le LACMA est un musée américain moderne, et comme son proche voisin le musée Getty, il présente l’intégralité de sa collection sur un site internet où chaque œuvre peut être consultée et téléchargée, souvent en haute qualité (1). Naturellement, aucune image des œuvres qui ont moins de 100 ans ne peut être vue en grand format, ni téléchargée. C’est l’Amérique.

Voici, pour mettre en appétit, dans le désordre alphabétique et chronologique, un petit florilège des merveilles des siècles passés qui ne sont plus visibles que dans le nuage électronique.

Pour la peinture américaine (dont un seul tableau est exposé sur 372), le portrait de sa femme par JW. Alexander, Rhode Island shore par MJ. Heade, Boston Harbor de FH. Lane, Alas poor Yorick de WM. Harnett, Cliff dwellers par George Bellows.

Pour la peinture européenne (dont aucun tableau n’est exposé sur 418), escalier et fontaines dans un parc d’Hubert Robert (2), le lac de Genève par Turner, la Madeleine à la flamme fumante de Georges de la Tour, un champ de céréales de Ruisdael, la pourvoïeuse, un trompe-l’œil de Moulinneuf, une vierge priant de l’atelier de Massys, trois musiciennes par le Maitre des demi-figures, un intérieur d'église de nuit par De Lorme et De Jongh, un Christ moqué de Van Honthorst, la plage de Scheveningen par Adriaen van de Velde, sainte Cécile de Saraceni, la résurrection de Lazare de Rembrandt, le souffleur de bulles de savon de Chardin, de Rorbye (Rørbye) l’entrée d’une auberge et une admirable nature morte de Willem Kalf.

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(1) Pour télécharger les images, cliquez sur « Download image », puis choisissez la qualité JPEG ou TIFF. Attention, les fichiers TIFF pèsent de 15 à 300 mégaoctets pour certains !
(2) Les illustrations de cette chronique sont des détails de certains tableaux cités dans ce florilège européen, dans l’ordre Kalf (en haut), puis ci-dessous Adriaen Van de velde, Jacob Ruisdael, Hubert Robert, Rorbye, De Lorme & de Jongh, le maitre des demi-figures, Georges de la Tour et Rembrandt.