lundi 28 janvier 2019

Les fantômes de Bourges



La façade occidentale de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, avec ses cinq portails abondamment historiés, d’une inspiration et d’une finesse égales à celles de Reims, Amiens ou Chartres, a été sculptée entre 1240 et 1250. C’était la période magique, et très courte semble-t-il dans la statuaire gothique, où les anges se mettaient à sourire.

En 1564, au début des guerres de religion, les luthériens décapitaient la soixantaine de saints et saintes qui étaient alors alignés sur les piédroits au long de la façade.

Le temps a fait le reste. Les intempéries, les déprédations, et l’indifférence ont érodé les contours de la pierre, brouillé les visages, rongé les détails. Là où grouillait un peuple coloré de démons grimaçants, d’anges souriants, de prophètes, d’artisans, de paroissiens, ne sont plus que des zombis mutilés, blafards après le récent nettoyage, des spectres qui ont oublié leur rôle dans la monumentale mise en scène, oublié les croyances qui ont inspiré la construction de ce gigantesque mausolée, oublié jusqu'au souvenir des prélats vaniteux qui y sont ensevelis.

Pour les visiteurs, aujourd'hui, la cathédrale devient peu à peu incompréhensible, offerte à toutes les fantaisies de l'imagination, et d'autant plus mystérieuse et belle.

 
 

 

lundi 21 janvier 2019

Quoi de neuf sur Terre ?


Se rire des nuits sans sommeil, de la morsure des températures négatives, des malveillances de l’adversité, pour épier et rapporter au lecteur les informations les plus actuelles et les plus véridiques, c’est l’apostolat d’un blog véritablement scientifique.
Or cette nuit, entre 5 et 7 heures, pendant que ledit lecteur emmitouflé ronflait innocemment, le Soleil, la Terre et la Lune se sont alignés, parfaitement, comme cela arrive une à deux fois par an.

Et notre envoyé spécial sur terre était prêt. En réalité il dormait encore quand l’ombre de la terre commençait à se projeter sur la lune, mais il s’est éveillé comme la lune émergeait du cône d’ombre. Juste à temps, et c’est heureux pour son contrat de travail (voir les illustrations jointes).

Le flou relatif des images n’est pas dû à son demi-sommeil mais à la brume d’hiver, et la courbure du bord de l’ombre de la terre sur la surface de la lune vient probablement du fait que la terre est un peu sphérique. Enfin, c’est une hypothèse, affirmée par le philosophe Aristote (1) voici environ 2350 ans, et qui sera vérifiée dès que nous aurons recueilli les moyens d’envoyer notre reporter sur la lune.

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(1) On peut encore démontrer la sphéricité de la terre par les phénomènes qui frappent nos sens. Ainsi, si l'on supposait que la terre n'est pas sphérique, les éclipses de lune ne présenteraient par les sections qu'elles présentent, dans l'état actuel des choses ; car la lune, dans ses transformations mensuelles, affecte toutes les divisions possibles, tantôt demi-pleine [sous-entendu, séparée par une ligne droite], tantôt en croissant, tantôt pleine aux trois-quarts ; mais dans les éclipses, la ligne qui la termine est toujours courbe. Par conséquent, comme la lune ne s'éclipse que par l'interposition de la terre, il faut bien que ce soit la circonférence de la terre, qui, étant sphérique, soit cause de cette forme et de cette apparence.
Aristote, Traité du ciel, livre 2 chapitre 14 §13.

Montage, fait de 3 lunes à la fin de la phase de totalité de l'éclipse vers 6h50, et d'une 4ème, 20 minutes plus tard.

lundi 14 janvier 2019

Publicité inactuelle

La Seille, un beau jour à Vic-sur-Seille.

Ce blog s’est quelquefois amusé des turpitudes du monde de l’art, des experts aux faussaires, des commissaires aux gestionnaires de musée. Le profane pourrait croire, au ton ironique employé, ici, et puis , ou encore , que ces choses sont très exagérées, que le trait est grossi pour la beauté de la caricature.

Eh bien qu’il se détrompe. Car Vincent Noce (c’est un pseudonyme), spécialiste du marché de l’art et du patrimoine, qu’on rencontre fréquemment dans les médias, interrogé sur les radios nationales, et dont on lit régulièrement, la prose dans les principaux journaux et revues d’art, de Libération à Beaux Arts, et les billets d’humeur dans la Gazette de Drouot, Vincent Noce donc, vient de publier un livre captivant qui fourmille d’anecdotes et d’histoires navrantes sur le milieu des ventes aux enchères.
Il l’a intitulé avec esprit « Descente aux enchères, les coulisses du marché de l'art » (1). Sous une plume limpide et pondérée, on y retrouve, dans des situations très délicates, les plus grands noms d’experts et de commissaires-priseurs qui ont fait la renommée de l’Hôtel des ventes de la rue Drouot, fortement impliqués dans des affaires de détournement et des malversations variées, voire les organisant eux-mêmes.
Ces histoires sont véridiques, palpitantes et l’auteur est espiègle. Il définit par exemple ainsi la Valeur, dans un petit glossaire des ventes publiques : « VALEUR : d'éminents scientifiques ont élaboré des modèles prédictifs sur les variations de la valeur de l'art, qui ont le grand mérite d'expliquer le passé. »

Et puis, un auteur qui raconte, dans son chapitre 15, en quelques pages trop courtes, l’aventure de la découverte en 1993 d’un saint jean-Baptiste, peut-être le dernier tableau de Georges de la Tour (oublié depuis dans une salle sombre du musée de Vic-sur-Seille, sa ville natale), mérite inévitablement la curiosité de tous.

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(1). Vincent Noce, Descente aux enchères, JC Lattès éditeur,  2002 (2), disponible en ePub, moins cher et moins nocif qu’un paquet de 20 cigarettes.
(2). Oui, déclarer que Noce vient de publier ce livre, alors qu’il date de 17 ans, est un peu désinvolte, mais il est toujours disponible, et toujours d’actualité, la fascination de l’humain pour l’argent et l’accumulation des possessions n’ayant apparemment pas disparu entre 2002 et 2019.

mardi 8 janvier 2019

Tableaux singuliers (10)

Chaque œuvre du peintre flamand Petrus Christus justifierait son apparition dans cette chronique irrégulière dédiée aux tableaux singuliers. On lui en attribue moins d’une trentaine.

Devenu membre de la guilde des peintres à Bruges en 1444, peu après la mort de Van Eyck, il est peut-être le « Pietro Crista élève de Van Eyck » que cite Vasari dans Les Vies, ou le « Piero Cresci de Bruges », à Milan en 1456 quand Antonello de Messine y était, et qui lui aurait montré la technique inventée par Van Eyck, ce mélange d’huile et de résine pour lier les pigments colorés, qui remplacera bientôt les autres techniques dans toute l’Italie.


La particularité de Petrus Christus, c’est qu’il ne semble pas avoir été formé dans les grands ateliers de l’époque, chez Van Eyck ou Van der Weyden, mais qu’il s’efforce un peu maladroitement de leur ressembler.
De Van Eyck il n’a pas la solennité, ni de Van der Weyden la gravité. Ses volumes sont simples, presque naïfs, et ses personnages ont des poses un peu raides, ce qui leur donne l’aspect de santons dans des décors miniatures, mais fait la fraicheur ingénue de son style.
S’il respecte globalement les canons de l’iconographie, il surprend maintes fois par des inventions dans la perspective, ou dans l'intégration des figures dans l’espace.

Il suffit de piocher dans la série incomparable des 5 œuvres hébergées par le Metropolitan museum de New York pour remonter à chaque fois une pépite, comme l’incroyable portrait d’un moine chartreux auréolé d’une mystérieuse lumière rouge, une lamentation géométrique, ou un orfèvre corail.

Et puis il y a cette extraordinaire et unique scène d’Annonciation (illustrations), vue d’un point surélevé dans une légère perspective plongeante, comme d’un drone équipé d’une optique à grand angle survolant la scène, et surprenant un curieux conciliabule, sur le pas d’un porche annexe qui donne sur un jardin abandonné.



Post scriptum :
Qui connait l’œuvre de ce primitif flamand se sera peut-être étonné de ne pas trouver ici, plutôt que cette Annonciation dont l’attribution à Christus reste discutée (voir les nombreux avis d’experts - en anglais - au chapitre References), le portrait de jeune femme à l’étrange et singulière pureté, du musée Gemäldegalerie de Berlin.
C’est parce que ce petit panneau est une singularité parmi les singularités, unique dans l'histoire du portrait. Un hapax disent les linguistes. Et tous les mots pour en parler sont inutiles.