mardi 14 mai 2024

Œuvre incomplet ou incomplète ?

Ponce Pilate, préfet romain de la Judée dans les années 30 de l'ère actuelle, crucifiait de temps en temps un opposant à l’empire envahisseur, et notamment un délinquant vaguement prêcheur qui aurait mis un peu de désordre dans le temple et qui est devenu une célébrité posthume, faisant du même coup la notoriété de son juge. Dans l’illustration, Pilate désigne le coupable avant sa crucifixion en annonçant au peuple Voici l’homme - Ecce homo en latin. Les sources de cette histoire sont néanmoins peu crédibles. 


Vous aviez fait l’acquisition d’un beau livre aux belles reproductions et au titre définitif, "Caravage, l’œuvre complet, 40ème édition", qui se disait catalogue raisonné exhaustif et détaillé de l’œuvre du peintre. Ou peut-être était-ce un autre catalogue.
Et voilà que le musée du Prado de Madrid annonce exposer jusqu’au mois d’octobre prochain un tableau de Caravage que vous ne connaissiez pas et ne retrouvez pas dans votre catalogue.

Ça n’est pas le premier tableau redécouvert et attribué à Caravage qui manque au catalogue. 39 éditions l’ont précédé. Le phénomène n’est pas si rare. 
En 2014 une des multiples répliques de la Madeleine pénitente reparaissait, affirmée être l’originale par les responsables - légèrement manipulateurs - de la découverte. En 2019 à Cavaillon c’était l’apparition de deux Caravage du Luberon, et la même année se concluait la fantasque aventure de Judith décapitant Holopherne déclaré en 2016 Trésor national par le ministère de la Culture puis négligé et finalement abandonné au marché. 

Ces apparitions nimbées de suspicion font rarement l’unanimité des spécialistes sur leur authenticité, contrairement à celle que proclame aujourd’hui le Prado autour de l'Ecce homo qu’il expose comme un authentique Caravage des dernières années, vers 1605-1610.
On aurait même trouvé une trace écrite de son existence dans la collection de Philippe 4 d’Espagne en 1664. Les faussaires utilisent parfois ce type d’information pour mystifier les experts ravis de confirmer leurs hypothèses et ainsi moins méfiants lorsque l'œuvre est découverte. 

Il s’agit d’une huile sur toile de 111 centimètres par 86, de style caravagesque, représentant Pilate, le Christ couronné d’épines et un personnage le couvrant d’une étoffe rouge.
Repéré lors d’une vente de la maison Ansorena en avril 2021 sous le numéro 229, estimé 1500€ comme peint dans le cercle de Ribera, le tableau était alors interdit d’exportation en tant que bien d’intérêt culturel, expertisé et restauré sous contrôle public, acheté par un anonyme privé en 2024 et prêté au grand musée national pour y être exposé pendant 6 mois
Son authenticité en sera consolidée. Une 41ème édition du catalogue raisonné sera peut-être envisagée.

samedi 4 mai 2024

Où étaient les peintres ? (7)

Trois vues du dos de Florentine, peintes par - dans l’ordre alphabétique - Eckersberg, Henriques et Smith, placées ici en fonction de la position supposée de chaque peintre devant la scène, donc pas nécessairement dans l’ordre des noms.

Faisons comme si vous étiez en train de lire cette chronique. Il est possible que ce ne soit pas le cas ; vous êtes peut-être déjà dans cet univers potentiel où la déesse Gougueule l'aura censurée, parce que l'illustration en est au moins trois fois plus osée que ce que les obsessions puritaines de son réseau et son intelligence postiche supportent habituellement. D’ailleurs une des 3 images qui la composent, qui illustre les publications d’un fameux musée danois, aurait été menacée d’interdiction vers 2016 sur un autre réseau social multimilliardaire en adhérents.  


La question de savoir où étaient les peintres n’est qu’un prétexte, bien sûr. On devine sans effort qu’ils étaient au même endroit, au même moment.


D’ailleurs ces séances de pose sont bien documentées dans le journal tenu par Eckersberg à l’époque. 

Elles se déroulaient, comme d’autres séances depuis le milieu des années 1830, dans une salle de l’Académie royale des beaux-arts danoise, à Copenhague, entre le 9 aout et le 16 septembre 1841. Le professeur, C.W. Eckersberg - on en parlait ici et  - enseignait par l'exemple la peinture d’après un modèle féminin dont l’histoire n’a retenu que le sobriquet, Florentine, à un groupe d’élèves, dont Salomon Henriques et Ludvig Smith.


La version du professeur Eckersberg, une toile de petit format (33cm. x 26), est devenue depuis 1895 où elle trône dans la salle 1 du musée de la collection Hirschsprung à Copenhague, une sorte de Joconde danoise. Eckersberg est souvent qualifié de père de la peinture danoise.


La version de Ludvig Smith, haute de 120 centimètres, achetée aux enchères en 2003, est une des 151 œuvres danoises de l’étonnante collection privée du banquier américain John Loeb Junior, constituée depuis les années 1980 quand il était ambassadeur au Danemark, et dont le catalogue raisonné en ligne est remarquable.


La version de Salomon Henriques, haute de 87 centimètres, aurait pu faire l’objet d’une chronique de la série Ce monde est disparu puisqu’elle devrait disparaitre sous les enchères dans quelques jours, chez Christie’s à New York le 23 mai, contre 20 à 30 000 dollars, pense-t-on.


Quant à la position précise des peintres lors de ces séances, le commentaire du catalogue raisonné de la collection Loeb considère qu’Eckersberg était à gauche, Smith au milieu et Hendriques à droite, comme sur notre illustration. Le modèle ne pouvant pas garder exactement la même attitude au long des multiples séances de pose nécessaires, il semble qu'à certains détails cette affirmation, particulièrement sur la position des deux élèves, pourrait être discutée. Nous ne le ferons pas.


On dit que J.C. Dahlpaysagiste norvégien ami de Friedrich à Dresde, était présent à ces séances de 1841, parmi d'autres artistes. Il n’est pas impossible que des versions perdues du dos de Florentine reparaissent un jour, du fond d’un débarras ou d'une brocante.