lundi 30 octobre 2023

Histoire sans paroles (47)

Encore un drame de la mer, dans la plus parfaite indifférence.

samedi 21 octobre 2023

Et où était le peintre ?

Fischer L.H., Le Taj Mahal au couchant c.1890, 94cm., marché de l'art

Ce tableau aurait pu illustrer plusieurs des chroniques irrégulières de Ce Glob, comme "Ce monde est disparu", puisqu’il doit disparaitre en vente publique le 24 octobre à partir de 18h, chez Dorotheum à Vienne, sous le numéro 67. Il représente un mausolée funéraire et pourrait aussi illustrer la "Vie des cimetières". 
Il ira dans la catégorie "Où était le peintre ?", trop peu fréquentée.

Le peintre, graveur parmi nombre d’autres activités et connu pour ses aquarelles de paysages et d’architecture, délicates et conventionnelles, s’appelait Ludwig Hans Fischer. 
Né en Autriche, Fischer est étiqueté à raison orientaliste, pour avoir illustré ses nombreux voyages autour de la Méditerranée. Mais il voyagea aussi de la Norvège à l'Inde. Il se laissait parfois aller à une inspiration lyrique, mais avec retenue, comme dans cette tempête de sable du désert, le Khamsîn, peinte en 1891 (vente Christie’s 2020), dans cette vue des célèbres falaises de l’ile de Møn au Danemark (Møns Klint), ou cette superbe vue du Taj Mahal donc, au soleil couchant.

Reconnaissons qu’il n’est pas trop difficile de faire un beau tableau quand on y colle la silhouette du Taj Mahal. On l’a écrit ici-même, l’espèce humaine ne serait qu’une grossière bévue de l’évolution s’il n’y avait eu Georges de La Tour, Jean-Sébastien Bach, et le Taj Mahal (ou Vermeer, Mozart et la cathédrale d’Orvieto, à la limite).

À Agra, Fischer a choisi un point de vue original et peu fréquenté sur le monument. 
Pour y accéder de nos jours il faut prendre le chemin à partir de l’entrée Est du Taj jusqu’à l’Aga Khan Ki Haveli, maison de maitre d’un officiel au moment de la construction du Taj, aujourd’hui délabrée. 
Là, l’entrée est interdite, par sécurité et parce que le domaine est protégé depuis 2018, mais les amateurs d’exploration urbaine vous montreront les chemins dérobés. Si le portail est fermé ou gardé, il sera peut-être nécessaire de longer sur 50 mètres ce qui ressemble à une sortie d’égout qui "alimente" la Yamuna, la rivière sacrée qui longe le Taj - en réalité la voie royale des eaux usées et des pires infections de la capitale située en amont, Delhi (*) - mais la récompense mérite le détour : un point de vue rare sur le mausolée, de la plateforme d’un kiosque en rotonde où poser son chevalet.

En réalité Fischer ne s’y est pas arrêté, il a continué en longeant la berge vers l’est pour s’installer 50 mètres plus loin, sur une terrasse un peu surélevée. Le soleil se couchait derrière le Taj, c’était l’hiver 1889-1890 en fin d’après-midi (en été le soleil se couche beaucoup plus au nord, sur la droite derrière la Yamuna). Le kiosque est au premier plan en contrejour. 

Fischer n’a certainement pas peint le tableau à l’huile sur place. Il mesure presque un mètre de large, et les détails ont été ajoutés sur un fond déjà sec. Il a plus probablement fait des aquarelles, technique rapide et précise pour noter les couleurs et les ambiances, peu encombrante en voyage, peut-être des photographies pour les détails, et réalisé le tableau en atelier, de retour d’Inde.

D’autant qu’il existe au moins un autre tableau similaire de Fischer (illustration ci-dessous), encore plus grand (1,20m), vendu par Christie’s en 2008, du même point de vue, légèrement plus éloigné à l'est. La brume s’est levée, le mausolée est éclairé cette fois par la lumière du matin. Les fleurs du premier plan ne doivent pas tromper, le climat d’Agra est doux en hiver et il ne gèle jamais.

(*) L’encyclopédie Wikipedia est sujette à une curieuse dissonance cognitive sur l’environnement du Taj Mahal. La version anglaise de l’article sur Agra fait état des conditions abominables de l’eau et de l'air, de la rivière, et des graves conséquences sur les fondations et le marbre du Taj, quand le même article, dans sa version française, est réduit aux amabilités d'un dépliant fourni par l’office du tourisme.

Fischer L.H., Le Taj Mahal le matin c.1890, 120cm., coll. privée (?)

Mise à jour le 4.11.2023 : le tableau a été remporté par une enchère raisonnable de 29 000$, 2 fois l'estimation basse.

jeudi 12 octobre 2023

Un faux fait est-il un fait ?

Avertissement : cette chronique abordant un sujet délicat relatif à la justice et au rôle d’un homme politique italien influent, les épithètes éventuellement désagréables qu’elle contient sont à précéder systématiquement de l’adjectif "présumé" accordé convenablement, afin d’éviter qu’on ne retrouve l’auteur lourdement lesté au fond du golfe de Gênes.

Un œil pressé aura peut-être l’impression, à la lecture de Ce Glob, qu’il ne se délecte que des malheurs de la société. Ce serait une erreur de perspective. Avant-hier encore nous louions le comportement optimiste des spéculateurs en art, pourtant confrontés à une conjoncture préoccupante. Et pour montrer notre bonne foi, voici aujourd’hui encore une bonne nouvelle, que vous n’avez certainement pas vu passer dans vos journaux. 

Ah ils étaient tous sur le pont ! rappelez-vous, ces quotidiens charognards (et Ce Glob aussi), en juillet 2017, quand une vingtaine de tableaux de Modigliani étaient brutalement arrachés à une exposition populaire par la police italienne à Gênes, emportés dans le même fourgon que deux ou trois officiels responsables de l’évènement.   
Rappelez-vous cette surenchère d’annonces catastrophistes, parfaitement résumées dans un récapitulatif sonore en 2 minutes de la radio suisse RTS: "Le plus grand scandale de l’histoire de l’art moderne […] de vulgaires croutes de piètre facture […] le monde de l’art tombe de haut, le choc est immense […] ça fait toujours ça quand on admire des croutes […] l’enquête de Falò démontre" (Falò était un magazine de la RTS).
Et puis plus rien pendant 5 ans… C’est normal, la justice doit se préserver des influences du temps.
Mais pour se préserver également des langueurs de l’inaction, la justice s’est finalement prononcée cette année. 

Au mois de juin le tribunal a conclu : Tout est bien qui finit bien (comme dans l’histoire invraisemblable contée par Shakespeare), pour le grand soulagement de tous, et du secrétaire d’État italien à la culture qui ne cessait depuis le début d’aboyer sur les juges les accusant d’instruire un faux procès sur de fausses informations à l’aide d’experts incompétents (Il faut préciser pour le lectorat d'en-deçà des Alpes, que le secrétaire d’État italien à la culture, collectionneur d'art, est probablement la pire crapule de la politique et des médias après le légendaire Berlusconi).


Jusqu’où ira l’audace des faussaires ? 
Dans ce détail, flouté pour d'évidentes raisons, d’une photo de Lucca Zennaro (Associated Press) peu avant l’ouverture de l’exposition de Gênes en 2017, une présumée mystérieuse personne apporte les dernières retouches à un présumé prétendu tableau de Modigliani. 






Pour résumer la décision de justice, seuls 8 des 21 tableaux séquestrés sont jugés faux. Ils seront néanmoins restitués aux propriétaires et devront porter (probablement au revers de la toile) une mention particulière. Les 6 prévenus, menacés de 6 mois à 6 ans de prison, sont acquittés parce que "le fait n'existe pas" et "parce que le fait ne constitue pas un crime" dit le site ilfattoquotidiano qui cite les conclusions du procès (sans référencer sa source).

Comme les bonnes nouvelles sont toujours diffusées très discrètement quand elles viennent contredire de précédentes mauvaises nouvelles publiées à grand bruit, on dispose de très peu de sources pour comprendre les motifs insolites de cette décision. Peut-être signifient-ils simplement "Les seuls faits constatés, les 8 tableaux jugés faux, ne constituent pas un crime dont les prévenus assignés seraient coupables". Mais ça n’est pas beaucoup plus clair, notamment si on se souvient qu’en mars 2019, après 2 ans d’enquête, les mises en examen et un vaste système de "blanchiment" de faux Modigliani - dont les 20 tableaux séquestrés - étaient confirmés par le procureur et la police (voir la mise à jour à la fin de notre chronique de 2018).

En tout cas c’est une bonne nouvelle, non ?
Ils s’en sortent bien, les 6 innocents et les 13 Modigliani blanchis authentiques, et puis les prisons débordent déjà de personnes qui n’ont rien à y faire, sinon apprendre à mériter d’y revenir, alors on ne va tout de même pas y enfermer des faussaires, aussi honnêtes soient-ils.

mercredi 4 octobre 2023

La vie des cimetières (108)

On aura beau truffer d'interdictions absurdes les règlements des cimetières (comme celle de photographier), ou lorgner de coups d’œil suspicieux le taphophile solitaire qui s’y promène, il restera toujours une longue liste de raisons honnêtes de fréquenter assidument ces lieux de repos éternel, comme disent les poètes inspirés. 


On compte parmi ces raisons respectables le besoin de se rendre auprès du peu qui subsiste de tangible de personnalités qui ont eu un jour leur nom dans les médias ou les livres d’histoire. Et il ne reste généralement d'accessible et palpable qu'un nom gravé sur une tombe.

L’internet fournit force ressources à ceux qui en sont atteints, et il n’est pas de site taphophile sérieux qui n’offre une fonction de localisation des personnalités enterrées. 


☠️  Cimetières de France et d’ailleurs, le site monumental et foisonnant de Philippe Landru, propose une liste classée dans l'ordre alphabétique, mais l'inventaire pour chaque lettre n'est plus alphabétique, si bien qu’il est plus efficace d’utiliser le dialogue Rechercher dans le site en haut à droite de la page.

Le résumé biographique illustré des personnalités est généralement remarquable.  


☠️  Pas un jour sans une tombe, le site biscornu et vaguement commerçant de Bertrand Beyern propose une recherche par "Personnages célèbres" à peu près incompréhensible ou réservée aux amateurs de la bicyclette sportive.

Sa rubrique "Où reposent-ils", propice à la flânerie, présente une carte de France désignant près de 400 cimetières visités par l’auteur, chacun faisant l’objet d’une promenade illustrée et commentée autour de personnalités inhumées. 400 cimetières sur 43 000 - en ne comptant que les français - le projet est sisyphéen !    

Beyern est l’auteur de quelques ouvrages sur le sujet, notamment d’un livre léger et très agréable, Carnet de dalles, rempli d’épitaphes, d’anecdotes et d’impressions de visite chez des locataires renommés. Il a également écrit un Guide des tombes d’hommes célèbres dont on suppose que s’y sont invitées quelques femmes célèbres (elles meurent aussi). 


☠️  Les passionnés des lieux de sépulture des personnalités de haute extraction - sinon royales - et de leurs tribulations aristocratiques opteront pour le riche et instructif site de Marie-Christine Pénin. Une véritable et magistrale encyclopédie illustrée ! Il se nomme Tombes et sépultures des personnalités qui ont fait notre monde (en tout cas le monde de l’auteure).


☠️  L'encyclopédie Wikipedia connait 1649 personnalités et leur emplacement approximatif (le numéro de la division ou le casier du columbarium) au cimetière du Père-Lachaise. Elle est nettement moins informée sur les autres cimetières parisiens.


☠️  Finissons par le site indispensable, multinational, le planétaire Find a Grave "trouver une tombe", à dominante anglo-saxonne, mais par endroits traduit en français. Il vous attirera vers les tombes de William Shakespeare (il en connait 196) ou de Walt Disney (pas plus de 36), mais saura aussi trouver celle - unique - d'Alexandre Vialatte.


***

Illustrons cette chronique taphophile et confraternelle par quelques tombes dont le nom de l’hôte n’est pas toujours lisible ou évident à déchiffrer. La première nous rappellera cette inscription promotionnelle, au Père-Lachaise, citée (ou peut-être imaginée) par Robert Sabatier dans son Dictionnaire de la mort "Ci-gît M. X… qui fut bon père et bon époux. Sa veuve inconsolable continue son commerce…" suivie de l’adresse précise dudit commerce.