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mardi 14 mai 2024

Œuvre incomplet ou incomplète ?

Ponce Pilate, préfet romain de la Judée dans les années 30 de l'ère actuelle, crucifiait de temps en temps un opposant à l’empire envahisseur, et notamment un délinquant vaguement prêcheur qui aurait mis un peu de désordre dans le temple et qui est devenu une célébrité posthume, faisant du même coup la notoriété de son juge. Dans l’illustration, Pilate désigne le coupable avant sa crucifixion en annonçant au peuple Voici l’homme - Ecce homo en latin. Les sources de cette histoire sont néanmoins peu crédibles. 


Vous aviez fait l’acquisition d’un beau livre aux belles reproductions et au titre définitif, "Caravage, l’œuvre complet, 40ème édition", qui se disait catalogue raisonné exhaustif et détaillé de l’œuvre du peintre. Ou peut-être était-ce un autre catalogue.
Et voilà que le musée du Prado de Madrid annonce exposer jusqu’au mois d’octobre prochain un tableau de Caravage que vous ne connaissiez pas et ne retrouvez pas dans votre catalogue.

Ça n’est pas le premier tableau redécouvert et attribué à Caravage qui manque au catalogue. 39 éditions l’ont précédé. Le phénomène n’est pas si rare. 
En 2014 une des multiples répliques de la Madeleine pénitente reparaissait, affirmée être l’originale par les responsables - légèrement manipulateurs - de la découverte. En 2019 à Cavaillon c’était l’apparition de deux Caravage du Luberon, et la même année se concluait la fantasque aventure de Judith décapitant Holopherne déclaré en 2016 Trésor national par le ministère de la Culture puis négligé et finalement abandonné au marché. 

Ces apparitions nimbées de suspicion font rarement l’unanimité des spécialistes sur leur authenticité, contrairement à celle que proclame aujourd’hui le Prado autour de l'Ecce homo qu’il expose comme un authentique Caravage des dernières années, vers 1605-1610.
On aurait même trouvé une trace écrite de son existence dans la collection de Philippe 4 d’Espagne en 1664. Les faussaires utilisent parfois ce type d’information pour mystifier les experts ravis de confirmer leurs hypothèses et ainsi moins méfiants lorsque l'œuvre est découverte. 

Il s’agit d’une huile sur toile de 111 centimètres par 86, de style caravagesque, représentant Pilate, le Christ couronné d’épines et un personnage le couvrant d’une étoffe rouge.
Repéré lors d’une vente de la maison Ansorena en avril 2021 sous le numéro 229, estimé 1500€ comme peint dans le cercle de Ribera, le tableau était alors interdit d’exportation en tant que bien d’intérêt culturel, expertisé et restauré sous contrôle public, acheté par un anonyme privé en 2024 et prêté au grand musée national pour y être exposé pendant 6 mois
Son authenticité en sera consolidée. Une 41ème édition du catalogue raisonné sera peut-être envisagée.

jeudi 12 octobre 2023

Un faux fait est-il un fait ?

Avertissement : cette chronique abordant un sujet délicat relatif à la justice et au rôle d’un homme politique italien influent, les épithètes éventuellement désagréables qu’elle contient sont à précéder systématiquement de l’adjectif "présumé" accordé convenablement, afin d’éviter qu’on ne retrouve l’auteur lourdement lesté au fond du golfe de Gênes.

Un œil pressé aura peut-être l’impression, à la lecture de Ce Glob, qu’il ne se délecte que des malheurs de la société. Ce serait une erreur de perspective. Avant-hier encore nous louions le comportement optimiste des spéculateurs en art, pourtant confrontés à une conjoncture préoccupante. Et pour montrer notre bonne foi, voici aujourd’hui encore une bonne nouvelle, que vous n’avez certainement pas vu passer dans vos journaux. 

Ah ils étaient tous sur le pont ! rappelez-vous, ces quotidiens charognards (et Ce Glob aussi), en juillet 2017, quand une vingtaine de tableaux de Modigliani étaient brutalement arrachés à une exposition populaire par la police italienne à Gênes, emportés dans le même fourgon que deux ou trois officiels responsables de l’évènement.   
Rappelez-vous cette surenchère d’annonces catastrophistes, parfaitement résumées dans un récapitulatif sonore en 2 minutes de la radio suisse RTS: "Le plus grand scandale de l’histoire de l’art moderne […] de vulgaires croutes de piètre facture […] le monde de l’art tombe de haut, le choc est immense […] ça fait toujours ça quand on admire des croutes […] l’enquête de Falò démontre" (Falò était un magazine de la RTS).
Et puis plus rien pendant 5 ans… C’est normal, la justice doit se préserver des influences du temps.
Mais pour se préserver également des langueurs de l’inaction, la justice s’est finalement prononcée cette année. 

Au mois de juin le tribunal a conclu : Tout est bien qui finit bien (comme dans l’histoire invraisemblable contée par Shakespeare), pour le grand soulagement de tous, et du secrétaire d’État italien à la culture qui ne cessait depuis le début d’aboyer sur les juges les accusant d’instruire un faux procès sur de fausses informations à l’aide d’experts incompétents (Il faut préciser pour le lectorat d'en-deçà des Alpes, que le secrétaire d’État italien à la culture, collectionneur d'art, est probablement la pire crapule de la politique et des médias après le légendaire Berlusconi).


Jusqu’où ira l’audace des faussaires ? 
Dans ce détail, flouté pour d'évidentes raisons, d’une photo de Lucca Zennaro (Associated Press) peu avant l’ouverture de l’exposition de Gênes en 2017, une présumée mystérieuse personne apporte les dernières retouches à un présumé prétendu tableau de Modigliani. 






Pour résumer la décision de justice, seuls 8 des 21 tableaux séquestrés sont jugés faux. Ils seront néanmoins restitués aux propriétaires et devront porter (probablement au revers de la toile) une mention particulière. Les 6 prévenus, menacés de 6 mois à 6 ans de prison, sont acquittés parce que "le fait n'existe pas" et "parce que le fait ne constitue pas un crime" dit le site ilfattoquotidiano qui cite les conclusions du procès (sans référencer sa source).

Comme les bonnes nouvelles sont toujours diffusées très discrètement quand elles viennent contredire de précédentes mauvaises nouvelles publiées à grand bruit, on dispose de très peu de sources pour comprendre les motifs insolites de cette décision. Peut-être signifient-ils simplement "Les seuls faits constatés, les 8 tableaux jugés faux, ne constituent pas un crime dont les prévenus assignés seraient coupables". Mais ça n’est pas beaucoup plus clair, notamment si on se souvient qu’en mars 2019, après 2 ans d’enquête, les mises en examen et un vaste système de "blanchiment" de faux Modigliani - dont les 20 tableaux séquestrés - étaient confirmés par le procureur et la police (voir la mise à jour à la fin de notre chronique de 2018).

En tout cas c’est une bonne nouvelle, non ?
Ils s’en sortent bien, les 6 innocents et les 13 Modigliani blanchis authentiques, et puis les prisons débordent déjà de personnes qui n’ont rien à y faire, sinon apprendre à mériter d’y revenir, alors on ne va tout de même pas y enfermer des faussaires, aussi honnêtes soient-ils.

jeudi 27 avril 2023

Achetez des Basquiat

On peut prédire le succès parisien - plus d’un million de visiteurs, certainement - que va remporter l’association de ces trois noms, symboles du luxe et de la décoration d’intérieur, que sont Vuitton (LVMH), marchand de sacs à main et de parfums, organisateur dans son musée privatisé de l'exposition des œuvres que réalisèrent en commun les deux autres noms, Basquiat et Warhol, vers 1985. Cette réunion un peu forcée avait été organisée juste à temps par un des marchands de Warhol déclinant et de Basquiat au succès croissant (avec un troisième, Francesco Clemente). Les deux premiers artistes allaient mourir quelques mois plus tard. 
 
Au même moment - on parle ici du succès mondain actuel chez Vuitton - le marchand d’art de Los Angeles qui avait vendu les 25 tableaux de Basquiat exposés en grandes pompes au musée floridien d’Orlando en été 2022, et tous confisqués par le FBI avant la fin de l’exposition (l’histoire était relatée là), ce marchand donc vient de reconnaitre qu’il avait commandé en 2012 à un certain J.F. une trentaine de Basquiat, que l’artisan les avait fabriqués en un tournemain (5 à 30 minutes par peinture, déclare-t-il) et qu'il les avait aussitôt mis en vente sur eBay, fameux site de vente d’occasions, avec de faux papiers de provenance.
On suppose qu’il y a moyen, sur ce site, de réserver discrètement un objet pour un acheteur complice, puisque les propriétaires de ces Basquiat confisqués étaient bien connus des services du FBI. 


D’ailleurs une recherche sur eBay démontre qu’il y a toujours un certain nombre de Basquiat "authentiques et signés" disponibles, tout à fait présentables et à des prix d’ami, certes disparates, parfois un peu élevés, mais toujours largement inférieurs aux enchères des salles de ventes, qui se chiffrent maintenant en millions de dollars. L’œuvre de notre illustration par exemple, une acrylique de bonne facture (hauteur 65cm) qui conviendrait à un salon à l’ameublement plutôt moderne et aéré, est proposée à partir de 3500$, une misère, et bénéficie des facilités de paiement d’eBay, par exemple un crédit de 6,94% sur 2 ans (l'expert aura reconnu là une bonne copie du célèbre "Warrior" vendu 42 millions de dollars en 2021 par Christie's).

Alors n’hésitez pas, avec le succès de l’exposition les prix vont grimper, forcément. Il y a déjà 26 personnes à le convoiter, et il ne reste plus que 254 Basquiat originaux soldés, nous préviens le site.

mercredi 3 août 2022

"Détruire, disent-elles", une variante

Marc Chagall est un peintre très apprécié parce que ses tableaux sont frais et enfantins, que tout le monde s’aime et y vole dans les airs, humains, chevaux, et même les anges, et joue du violon. Les vaches aussi. Et il y a des couleurs, du bleu, du jaune, du rouge et du vert, notamment. C’est en quelque sorte le Peynet de la peinture moderne. Une telle simplicité suscite inévitablement des imitateurs.

Madame X, riche, distinguée et américaine, avait acheté aux enchères chez Sotheby’s en 1994, contre 180 000$ d'aujourd'hui, une aquarelle du maitre dont elle s’était amourachée jusqu’à l’accrocher dans sa chambre à coucher.
Pour la maison de ventes le pédigrée de l’œuvre ne faisait alors aucun doute et elle jugea inutile de le présenter au comité Chagall, organe créé en 1988, après la mort du peintre, par ses petites-filles devenues légalement juges ultimes en matière d’authenticité des œuvres de leur grand-père.

En 2020, par manque de place et par désaffection, madame X, toujours conseillée par Sotheby’s, décidait de se défaire de l’œuvre. Sotheby’s proposait de la soumettre à l’expertise du comité Chagall, simple formalité qui renforcerait grandement sa valeur marchande, et faisait signer à l’ingénue intéressée la clause classique d’irresponsabilité de la maison de ventes quant aux résultats de l’expertise.

Hélas, trop accaparée par une longue vie de réceptions et de bienfaisance, madame X n’avait pas eu le temps de lire notre chronique du 26 avril 2014, où la même maison d'enchères avait vendu en 1992, pour 240 000$ actualisés, un tableau du même peintre à un collectionneur anglais, et où croyant en tirer quelque profit, ledit amateur insulaire l’avait soumis 20 ans plus tard au comité du même nom, et s’était vu en retour prié par la justice de détruire l’œuvre devant huissier en tant que faux, et de payer tous les frais de procédure.

Le respect de la réglementation sur les droits d’auteurs interdit de reproduire ici des œuvres de Marc Chagall avant l'an 2056. C'est regrettable, c'est imbécile, mais c'est la loi. Il faut bien que les héritières du comité Chagall aient les moyens de payer les timbres des centaines de lettres de refus (parfois surtaxées vers l'étranger) et d'entretenir le bucher des œuvres qu'elles excluent du catalogue. En compensation, voici une photo de vacances absolument incongrue qui aurait mieux illustré notre rubrique d’histoires sans paroles stagnante depuis juillet 2021.


Le comité déclara en 2020 que l’aquarelle de madame X présentait effectivement les thèmes récurrents chers à Chagall, les amoureux, le bouquet, le cheval, le coq, le croissant de lune, mais qu’ils "manquaient de réelle présence" et que c’était un faux inspiré d’autres tableaux du maitre. Les mêmes causes ayant, en règle générale, à peu près les mêmes effets, le comité prévoyait, conformément à la loi française, d'en demander à la justice la saisie et la destruction. 

Évidemment fort déçue, madame X poursuit maintenant la société de ventes en justice.
Sotheby’s, qui en a vu d’autres, rétorque que l’action n’a aucun fondement juridique puisque le délai pendant lequel elle garantit l’authenticité des œuvres, qui est de 5 ans, est ici largement dépassé. Cependant magnanime, elle accorde à madame X un avoir de 18 500$, qui représenterait le bénéfice fait sur la vente de 1994.

Nous retiendrons donc de cette mésaventure qu’en matière d’œuvres d’art l’authenticité expire précisément 5 ans après la vente, après quoi elles peuvent bien être attribuées à n'importe qui, mais qu’une certaine part de repentir ou d'excuse du vendeur, représentant environ 20% du montant de la transaction, reste envisageable après ce délai, geste qui permet de réduire d'autant la déception de l’acheteur. 

Retenons également des bévues de la maison Sotheby’s sur Chagall qu’elle n’est pas véritablement experte en la matière. Depuis 9 ans, elle n’a proposé à la vente qu'environ 3200 Chagall dits authentiques, dont seulement 80 à 90 ont dépassé un million de dollars, et c’est un hasard si les 2 Chagall jusqu’à présent les plus chers en vente publique l’ont été le 14 novembre 2017, lors d’une même vente, pour 16 000 000$ et 28 500 000$, exactement à New York chez Sotheby’s.

mercredi 6 juillet 2022

Chronique sans surprise

Ça n’est pas une plaisanterie. Pas une ligne de cette chronique ne saurait vous étonner. Vous pourriez passer à autre chose.

Dans les conseils que nous dispensions aux aspirants faussaires voilà quelques années, le plus précieux était sans doute de rester modeste dans ses prétentions (C’était notre conseil numéro 8). Les plus grands génies du genre se sont fait pincer par excès d’ambition, tel Van Meegeren qui avait réussi à tromper les experts en Vermeer et exposer ses faux dans les plus grands musées hollandais, mais fut attrapé pour avoir vendu des trésors nationaux aux dirigeants nazis. Quel impair ! Il dut, pour sa défense, prouver qu’ils étaient de sa main.

C’est ce même appétit incontrôlé qui vient de trahir une sympathique coterie d’amateurs du peintre Jean-Michel Basquiat.

Basquiat était un jeune peintre d’avant-garde "mouvance underground" (mouvement à la fois culturel et contreculturel dit Wikipedia), parrainé par Andy Warhol vieillissant, mais néanmoins dépressif et mort de la cocaïne ou de l’héroïne en 1988, très jeune, très riche et très célèbre, laissant à ses parents devenus brusquement milliardaires plus de 800 tableaux et 1500 dessins.

On a déjà tous les ingrédients d’un bon scénario de série populaire. Ajoutez à cela le dynamique et fraichement nommé directeur du musée d’art d’Orlando en Floride, ville touristique qui ne connait dit-on que deux saisons (frappée parfois par un massacre au fusil d’assaut, il faut le reconnaitre)

Or quel meilleur endroit qu’une ville de province moyenne et son petit musée sans envergure quand on cherche à étoffer le pédigrée de deux ou trois tableaux de Basquiat inédits et presque neufs ?
Certes, mais sérieusement, pas pour y organiser une exposition dédiée à une collection de 25 peintures sur carton d’emballage totalement inconnue des spécialistes, et claironnée par de grandes affiches bariolées, alors que la cote du peintre en vente publique est devenue indécente et qu’il est depuis 2017, avant son vieil ami Warhol, membre de l’académie posthume des 30 œuvres à plus de 100 millions de dollars !

Alors qui eut le premier soupçon ? Certainement la section Art et bricolage du FBI. Tous leurs voyants ont dû s’allumer à la lecture du nom des propriétaires des œuvres exposées, qu’on retrouve semble-t-il dans les secteurs les plus variés des archives de la police judiciaire.

Le reste était la routine, la récolte de témoignages et de preuves.

C’est ici qu’apparait encore le nom de Gagosian, mais cette fois dans le rôle du gentil. Il a déclaré douter de l’authenticité des œuvres, car il était alors très proche de Basquiat, qui préparait une exposition dans sa propre galerie, à l’époque présumée de la création des 25 cartons peints (peut-être y a-t-il un moment où il faut limiter l’arrivage de produits frais, pour maintenir les prix du marché).

Et puis, les documents qui attestent l’origine de la collection étaient douteux. La police possédait une déclaration, peu avant sa mort en 2018, du premier collectionneur présumé (dont le nom fait le sous-titre de l’exposition), qui démentait avoir rencontré Basquiat en 1982 et lui avoir acheté quoi que ce soit. 

Ces doutes avaient déjà fait quelques titres dans la presse * quand le FBI arriva en force sur place, confisquant les 25 œuvres et tous les documents relatifs, papiers et électroniques. C’était le 24 juin, une semaine avant la clôture de l'exposition, qui aurait dispersé les pièces à conviction.

Il découvrait alors, sur certains des cartons, des textes préimprimés dont un ancien technicien du transporteur Fedex affirme que la police de caractères utilisée n’a été créée que 10 ans plus tard. Faute fatale (c’était notre conseil numéro 4), l’anachronisme ! Au cinéma il fait sourire, mais il n’est pas encore autorisé dans tous les arts.

Voilà l’histoire, banale, presque quotidienne
Et comme vous avez eu la patience de la lire jusqu’ici, vous méritez une anecdote croustillante.

Parmi les documents douteux du dossier, on trouve dans le catalogue les déclarations d’une experte diplômée en art américain moderne et ethnies, et spécialiste reconnue de Basquiat, consultée en 2019 et garantissant l’authenticité de toute la collection. Elle s’était pourtant opposée à la publication de son nom et de ses propos manifestement falsifiés (elle n'aurait donné un avis préalable positif que sur 9 des 25 cartons).
Or malgré son étincelante victoire, le FBI un peu mesquin a communiqué sur un point de détail peu reluisant extrait de la correspondance électronique du directeur du musée, sa réponse à la demande de retrait par l’experte de ses propres déclarations. Texte savoureux qu’un blog factuel ne peut que s’empresser de diffuser (vu le ton du message, le tutoiement s’impose dans la traduction) :

"Tu veux qu’on sorte que tu as touché 60 000 dollars pour écrire ça ? Alors la ferme ! Tu as pris l’argent. Ne te fais pas plus sainte que tu n’es. Fais ton truc d’experte et n’en sors pas.**"

Naturellement, la chose ayant paru dans la presse, le directeur a été immédiatement licencié par le conseil d’administration du musée. On ne s'adresse pas à une femme d'une façon si grossière.

***
Suite chronologique de l'affaire dans les articles de l'hebdomadaire local, Orlando Weekly, de la promotion de l'exposition le 16.02.22 à l'annonce du licenciement le 28.06.22 :  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
*"You want us to put out that you got $60 grand to write this? Ok, then shut up. You took the money. Stop being holier than thou. Do your academic thing and stay in your limited lane."

lundi 10 janvier 2022

Et l’art contemporain, dans tout ça ?

MSCHF Product Studio Inc (prononcez MiSCHieF, signifiant SoTTiSeS ou eSPièGLeRie), une jeune entreprise de New York, se dit collectif d’artistes activistes, et crée des évènements culturels, disons des canulars, à base d’objets d’art ou de produits de l’industrie.

Sa méthode est de profiter de la notoriété d’un artiste ou d’une marque fameuse en détournant de manière insolente et tapageuse un de leurs produits, et en le vendant plus cher que l’original. Le bourgeois jobard est convaincu d’acheter de l’art et se risque à un placement avant-gardiste.

Ainsi en 2019 MiSCHieF vendait des baskets de la marque Nike « customisées Jesus Shoes », avec en imprimé des références à la Bible, de l’eau du Jourdain dans les semelles et un crucifix suspendu aux lacets, 6 fois le prix d’achat, soit 1250$. 
La marque ne dit rien, mais elle portait plainte en 2020 quand MiSCHieF récidivait, cette fois avec les « Satan Shoes », garnies d’un pentagramme et du sang d’un rappeur à la mode. La quantité limitée, 666 à 1000$, disparaissait en quelques minutes sur internet.
Le juge en exigea la récupération auprès des clients, et leur remboursement. MiSCHieF y consentit avec le sourire. Elle savait que personne, après avoir acheté un objet maintenant renommé, revalorisé par un scandale mondain et devenu œuvre d'art, ne les retournerait.


En 2020 MiSCHieF achetait 30.000$ un multiple de la série Spots de Damien Hirst (la centaine d'employés de l’atelier Hirst en a produit des milliers), en découpait soigneusement les 88 ronds colorés, les écoulait promptement sur internet à 480$ pièce, et vendait le reste (illustration ci-contre) 172.000$ aux enchères.

Fin 2021 elle achetait contre 20.000$ un dessin d’Andy Warhol, Fairies, en faisait 999 facsimilés pratiquement indétectables dit-elle, les mélangeait et vendait en un instant les 1000 à 250$ la pièce. Outrée, la Fondation Warhol va sans doute réagir.

Si les principes moraux libertaires dont MiSCHieF enjolive ses actions, remise en cause de l’idée d’authenticité, rupture de la chaine de confiance, réappropriation (mot magique), paraissent flous et bien sympathiques, on rappellera néanmoins qu’ils ont été invoqués par quantité d’artistes depuis bientôt 100 ans sans que l’objet de leur anathème, le marché de l’art, n’en ait jamais ressenti le moindre frisson. Au contraire, rajeuni, revigoré, il repart à chaque fois de plus belle. La rhétorique est réchauffée et banale, en stigmatisant le marché, elle l'alimente, et profite largement et en toute conscience des travers qu’elle dénonce (sauf Banksy, peut-être)

Reste qu'il est rigolo de railler l'art établi et de voir comme il est simple de découper les pois colorés de Damien Hirst et de revendre l’œuvre en pièces détachées, « éparpillée par petits bouts façon puzzle » comme disait Bernard Blier.

lundi 17 août 2020

Des méfaits de la crédulité

On prétend que Léonard de Vinci a inventé le parachute (Appuyez page 1058 sur le mot VERSO). C’est une fiction. En vérité le parachute ascensionnel avait été inventé 15 siècles auparavant comme le prouve cette reconstitution de l’invention, dans la basilique de la Sagrada Família à Barcelone.

Avertissement : la plupart des liens de cette chronique sont dans la langue de Walt Disney. C'était inévitable. Notez que les traductions par Gougueule de l'anglais vers le français, proposées automatiquement par les principaux navigateurs internet, sont devenues très fréquentables.
 
Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu (Jean 20,29)
 
Aux États-Unis d’Amérique, pour entretenir la croyance dans les fééries les plus populaires, endiguer la fuite de la crédulité sous l’effet du confort matériel et de l’instruction publique, et en tirer des bénéfices, on trouve toujours des bienfaiteurs philanthropes pour créer des fondations scientifiques avec distribution de bourses et récompenses, des musées, voire des parcs d’attraction fantaisistes, histoire d’endoctriner dès le plus jeune âge. (1)
 
Monsieur Green est milliardaire, fils de prédicateur évangéliste, propriétaire d’une chaine de 932 magasins d’art et d’artisanat américains. Très croyant, il donne beaucoup d’argent aux fondations fondamentalistes ultra-réactionnaires, et un peu moins à ses employés. Il les aurait, à l'occasion de la pandémie, quasiment tous licenciés sans indemnités (2). C’est parce qu’il veut consacrer sa fortune à sa foi.
 
Ainsi il vient d’ouvrir en novembre 2017, avec son fils M. Green, un monumental musée de la Bible, au centre de Washington, qui a été béni par le pape François.
Il ne pouvait mieux choisir. La Bible est le livre sacré, le guide moral et intellectuel des juifs, des chrétiens et de quelques autres sectes et il aurait été vendu, toutes versions confondues, en plus de 5 milliards d’exemplaires. (3)

Pour décorer son musée, M. Green avait acheté depuis 2009 des milliers d’artefacts, pillés en Irak quand son pays s’y est installé de force en 2003, ou volés dans d’autres pays.
M. Green, qui croit que l’humain est bon naturellement, n’imaginait pas que ces objets avaient pu être subtilisés ou produits de fouilles illégales, bien qu’il en ait été averti par ses employés, ses avocats et enfin par le ministère de la Justice américain.

En 2014, M. Green achetait aux enchères contre 1,6 million de dollars une rarissime tablette mésopotamienne d’un épisode de l’épopée de Gilgamesh, gravée en caractères cunéiformes. La société de vente, réputée, en garantissait l’irréprochabilité.
M. Green, qui croit que l’humain est honnête naturellement, ne pouvait pas se douter que cette merveille appartenait au trésor national d’un peuple que son propre pays avait « civilisé ».

Plus récemment, M. Green achetait une bible microfilmée montée en médaillon. C’était la première Bible revenue de la lune en 1971 avec l’astronaute E. Mitchell. Il l’exposait fièrement dans son musée.
M. Green, qui croit que l’humain est fraternel naturellement, ne pouvait pas savoir qu’à l’instar du saint prépuce de Jésus ou de la plupart des reliques de son culte, il existait des dizaines de bibles miniatures descendues de la lune et de sévères querelles d’experts à leur sujet.

En 2002 apparaissaient sur le marché 70 confettis gribouillés qu’un certain nombre de spécialistes identifièrent comme des fragments des manuscrits de la mer Morte (4). Les prix s’envolèrent. Au début des années 2010, M. Green dépensait une fortune pour 16 de ces lambeaux qu’il exposera dans une sorte de sanctuaire aux lumières chaleureuses au sein du musée, aux dires du National Geographic.
M. Green, qui croit que l’humain est intègre et rigoureux naturellement, n'aurait pas pu imaginer que des spécialistes avaient, dès leur apparition, émis des doutes sur l’authenticité de ces fragments.

Alors il faut imaginer les ébahissements successifs de l’infortuné M. Green quand toutes ces acquisitions furent remises en cause l’une après l’autre, entre 2017 et 2020, d’abord par la justice et les douanes qui saisirent 3800 objets, ordonnèrent le retour en Irak et en Égypte de 11 500 autres, et lui infligèrent une amende de 3 millions de dollars. (5)

Il eut plus de chance avec l'experte qui remit publiquement en doute la Bible lunaire miniature, au motif qu’elle était numérotée sur 3 chiffres alors que les authentiques (dont elle-même possédait une dizaine) le sont sur 5 chiffres. Magnanime (et astucieuse) l’experte en a offert un exemplaire à M. Green qui l’expose désormais à la place de l’autre. Elle y gagne un pédigrée flatteur et certainement une cote rehaussée pour cette dizaine d’exemplaires.

Puis M. Green dut restituer en 2019 quelques objets volés (mais acquis de bonne foi), et subir en 2020 la saisie de la tablette de Gilgamesh par les autorités fédérales.

Devant tant de coups du sort, M. Green jugea approprié de lancer une opération d’absolution, qui passerait nécessairement par l’expertise de toute sa collection (ce qu’il en restait), et informa les médias de son innocence naïve et de sa confiance abusée.

Les 16 manuscrits de la mer Morte, déjà contestés, étaient les premiers à faire les frais de cette pénitence. Si certains se révélaient forgés, le musée pensait exposer côte à côte un authentique et un contrefait, pour démontrer au public, qui n’y verrait pas de différence, qu’il est si facile d’être trompé. Mais les experts ont conclu en mars 2020 qu’il n’y avait pas de fragment authentique. Les 16 étaient des faux modernes.

Un expert, qui les avait authentifiés dans un catalogue en 2016, explique au National Geographic « Je ne dirai pas qu'il n'y a aucun fragment inauthentique parmi les fragments du musée de la Bible mais, de mon point de vue, leur inauthenticité en tant qu'ensemble n'a pas encore été prouvée hors de tout doute. Ce doute est dû au fait que des tests similaires n'ont pas été conduits sur les manuscrits incontestés de la mer Morte afin de fournir une référence de comparaison… »
Quel style ! Quelle phrase ! Elle décolle avec une étourdissante triple négation, puis se maintient à un niveau où manque l’oxygène, si bien qu’il faut la relire deux ou trois fois avant de comprendre que le brave homme pédale en réalité dans la semoule.

Malgré cette collection de rebuffades, abondamment contées dans la presse, le musée dit avoir accueilli un million de visiteurs en 2019. Doit-on le croire ?
Certainement. La visite d’un musée est une récréation. Nous y allons en général pour nous divertir en flattant nos croyances, pas pour mettre en doute nos certitudes. Quel visiteur adulte et raisonnable de l’exposition sur les météorites, au Muséum d’histoire naturelle de Paris en 2017, n’a pas été tenté de toucher les supposés morceaux de la Lune et de Mars qui étaient exposés ?

*** 
(1) Soyons juste, la science, qui est une autre croyance, agit pareillement. La seule différence est qu'elle change régulièrement de croyance, dès qu’elle en trouve une nouvelle plus efficace que la précédente, et qu'elle aime ça, alors que la non-science considère qu’elle possède déjà la vérité définitive et se défend, souvent violemment, contre tout changement de vérité.
(2) Humaniste également, il a obtenu en 2014 une décision de la Cour suprême des États-Unis autorisant que certaines entreprises, en raison de préférences religieuses, soient exemptées de l’obligation de fournir à leurs employés une assurance maladie couvrant des moyens de contraception
(3) On notera que les records de vente de livres sont monopolisés par les sectes (au sens large), et que l’addition de leurs ventes, avec les 3 milliards de Corans et le milliard de Petits livres rouges du président Mao, dépasse largement la population mondiale, et qu’il est donc bien possible que certains possèdent plusieurs de ces livres sacrés, si vous voyez le sacrilège que cela représente, mais nous ne dénoncerons personne. Et il va sans dire que ces chiffres sont totalement hypothétiques, voire absolument faux mais il faut bien écrire quelque chose pour exprimer l’inimaginable
(4) Les manuscrits de la mer Morte sont un célèbre puzzle d’une centaine de milliers de pièces de parchemins, trouvées dans les années 1940-50 dans des grottes de Qumran en Palestine, et qui se révèleront, une fois reconstitués, être des extraits vieux de 1900 à 2300 ans de la Bible des Hébreux.
(5) En Amérique, la loi permet parfois de récupérer in extremis un bénéfice qu’on aurait laissé passer par étourderie. En 2003, trop occupées à mettre en place en urgence les moyens de s’approprier les ressources irakiennes en pétrole, les forces armées étatsuniennes avaient bêtement laissé piller le musée des antiquités de Bagdad par d’autres, sans y prêter attention. Finalement, une application vertueuse de la loi sur la contrebande d’objets d’art et la fraude fiscale autorise un tardif mais juste retour sur investissement.


lundi 20 juillet 2020

Arithmétique récréative au Louvre

Le mensonge, ou plutôt le « n’importe quoi pourvu que ce soit gros » a de tout temps été le moyen de communication favori des humains (remplacez gros, au choix, par grossier, simpliste, caricatural, primaire).
Les neurologues les mieux informés affirment que le cerveau humain préfère entendre ce qu’il sait déjà ou ce qu’il a le moins de mal à comprendre, comme cela il peut économiser son énergie et continuer à flotter doucement dans le formol de ses inclinations routinières.

Admettons, mais alors, quand le « n’importe quoi » est très gros à avaler, disons comme un autobus, toutes ses alertes devraient se mettre à sonner et le réveiller en sursaut « Attention, surcharge, on coule ! »
Il semblerait que non. Quelques moins crédules jetteront peut-être l’intrus par-dessus bord, mais pour la plupart, contre les lois les plus élémentaires de la physique, le poids de l’autobus renforcera la flottaison cérébrale.
Il en est même qui excusent cette conduite du cerveau en prétendant que l’humain n’aurait pas vécu bien longtemps s’il avait fallu qu’il doute de tout ce que ses sens lui rapportaient. C’est un peu facile.

Lorsque l’Agence d’État en voie de Privatisation (AFP) annonçait, dès le 25 février 2020, sous la dictée du président du musée Louvre, que l’exposition Léonard de Vinci avait reçu 1 071 840 visiteurs en 4 mois exactement, personne ne fut surpris. Le matraquage médiatique avait été si intense pendant les mois précédant l’exposition que pour tout le monde Léonard était un génie omniscient et universel, qui avait choisi de mourir en France, et de prendre le Louvre comme impresario, en lui confiant le plus grand nombre sur terre de ses chefs-d’œuvre immortels, dont la légendaire Joconde, connue même hors du système solaire.

Alors, une moyenne de 9783 visiteurs par jour, personne ne tiqua. Pourtant la chose était impossible.

Seul M. Rykner, la petite bête du site La tribune de l’art, qui ne cesse d’aller gratter les contrevérités des grandes institutions de l’art, s’en inquiétait 4 mois plus tard dans un long article plein de laborieux calculs de jauge et concluait tièdement qu’il restait un mystère.

Pourtant les calculs sont simples. Pour mémoire « Les normes de sécurité (notamment incendie) dans les lieux recevant du public, musées ou expositions, interdisent de dépasser une personne pour 5 mètres carrés accessibles au public, sauf autorisation d’une commission de sécurité ».
Dans le cas du hall Napoléon du Louvre, l’aire d’exposition de 1350 mètres carrés devait donc refuser plus de 270 visiteurs simultanés.

En prenant une moyenne, large, de 12 heures d’ouverture par jour (comptant les jours avec nocturne et les prolongations), et un temps de visite moyen par client d’une heure et demi (ce qui est déjà sportif, ça revient à consacrer 30 secondes seulement à chacune des 175 œuvres exposées), le nombre de visiteurs quotidiens n’aurait pas dû dépasser 2160 [(12 / 1,5) x 270].
Or le Louvre en déclare une moyenne de 9783, soit 4,5 fois la limite, c’est à dire 1200 personnes simultanément devant 175 œuvres. À peine plus d’un mètre carré par visiteur. Est-ce vraiment sérieux ?

À moins qu’une majorité de clients soient entrés, puis sortis immédiatement après avoir constaté que la Joconde, seul motif de leur visite, n’y était pas. Dans ce cas l’exposition serait plutôt un échec, puisque la Dame voit habituellement passer plus de 20 000 touristes par jour. C’était d'ailleurs exactement la raison invoquée par le président du Louvre pour justifier son absence « les espaces d’exposition ne permettent d’accueillir que 3 à 5000 personnes par jour ». Et ces espaces en auraient toutefois ingurgité près de 10 000 par jour sans interruption pendant 4 mois ?


À la revue de son royaume, quand il longe la cour intérieure où sont remisées les sculptures antiques, le président du Louvre ressent toujours un frisson de terreur devant cette statue chthonienne qui lui indique, menaçante derrière sa grille régulière comme les repères d’un graphique, la courbe que devront suivre sans faute les résultats de sa gestion du musée.

Ainsi les chiffres annoncés par le Louvre, et sans doute ceux d’autres grandes expositions, privées ou publiques, sont des bobards. Le billet unique ou jumelé permet de noyer les visites dans un grand nombre global qui évite les statistiques détaillées. Le seul objectif étant la surenchère, il suffit de déclarer plus que le voisin, et tout le monde le croit. Personne ne vérifiera, et les données réelles (billetterie, avis de la Commission de sécurité…) ne seront éventuellement publiques que s’il arrive une catastrophe, suivie d’un déballage médiatique où chacun essaiera de se défausser sur l’autre.

Et comment peut-on affirmer que ce sont des fables plutôt que des erreurs ?
C’est simple. Un mensonge est une donnée imaginaire, sans référence objective, et on doit donc le conserver précisément en mémoire, qui est faillible. Ainsi le 25 juin, 4 mois après la clôture de l’exposition et l’annonce du record de 1 071 840, le président du Louvre annonçait fièrement au New York Times, en anglais (*), que l’exposition Léonard avait accueilli 1 200 000 visiteurs. La fréquentation enregistrait alors une belle progression de 12%.

On ne saurait illustrer plus clairement qu’on peut raconter n’importe quoi.

***
(*) NYT : How much did your blockbuster Leonardo da Vinci exhibition, which closed right before the lockdown, bring in?
    JLM : We had 1.2 million visitors, which works out to about €2.5 million in revenue. That’s quite exceptional. Generally, exhibitions are loss-making, which is not a word I like to use. They cost us money.
 

mercredi 3 juin 2020

Deux ou trois vérités et quelques mensonges

Récemment encore l’espèce humaine errait sans repères, aveugle car elle ne connaissait pas la Vérité.

La révélation eut lieu entre 2010 et 2015 de notre ère, d’après la majorité des experts. Certains affirmant qu’elle s’est dévoilée peu à peu, d’autres qu’on l’a découverte par deux ou trois phénomènes remarquables, et ils citent comme évènement fondateur le jour de la création, en 2014, d’une rubrique appelée « Les décodeurs » sur le site internet du journal Le Monde, qui partait ainsi en croisade pour exterminer les contrevérités repérées dans les médias.

Par la suite, tout journal un peu responsable créa sa rubrique « la Vérité est ici », par exemple la page « CheckNews » sur le site du journal Libération.
Le gouvernement français aussi en fut piqué, avec la loi sur la « manipulation de l’information », fagotée en 2017, qui ne vise pour l’instant que les périodes électorales. Texte redondant qui permet au pouvoir d’enseigner un peu plus fermement la Vérité aux réseaux sociaux sur internet.
Ainsi armés, loi et médias, ceux qui ont les moyens d’imposer leurs idées pouvaient dormir d’un sommeil sans nuage. La Vérité était bien gardée.

Cependant, ranger parmi d’autres une rubrique consacrée à « démêler le vrai du faux », dans un journal ou sur un site d’information, ne pouvait qu’instiller le doute dans l’esprit des lecteurs sourcilleux. Doute sur les médias concurrents, ce qui est le but de la démarche, mais aussi doute sur les autres rubriques du site, qui ne font pas l'objet d'autant de scrupules.
Il y aurait donc plusieurs vérités, et les médias qui prétendent la vendre au singulier ne vendraient en réalité que du vent (ou des vents) ?

Ainsi, c’est sans doute à cette époque, grâce à l’intervention involontaire de ces pionniers de la Vérité, que se fit l'ultime révélation. L’humanité sut que la Vérité n’existe pas, que c’est un mot inutile dans le dictionnaire, mensonger au singulier, et qu’il convenait de le remplacer par des synonymes plus explicites, comme opinion, avis, point de vue, voire biais, préférences ou intérêts particuliers.


Sérieusement, au 3ème millénaire, avec l’encyclopédie électronique Wikipedia en ligne et un système de localisation en main, quand vous voyez ce genre de panneau sur votre chemin, vous y croyez encore ? Alors c’est parce que la réception est mauvaise et que vous n’avez pas de réseau.


Illustrons ce bouleversement cognitif d’un exemple à la mesure du sujet.

Le président de la France aurait déclaré, lors de la réclusion due à la pandémie, qu’en dépit de la fermeture des musées, les Français pouvaient tout de même visiter leurs magnifiques collections virtuelles en ligne. Et de citer le Louvre, Orsay, Versailles, Pompidou…
On l’aura mal informé sur ces sites, dont les outils de recherche et les reproductions sont médiocres, comparés aux grands musées internationaux. Il faut dire que la Vérité est un art dans la communication de ces baronnies opaques que sont les grands musées nationaux.

Prenons, au hasard, le Louvre. Il n’avait jamais imaginé, dans son élan vers l’infini (en nombre de visiteurs), que la source pourrait tarir et que ce nombre passerait brutalement, suite à un décret scélérat, de 30 000 par jour à 0 (zéro). Et ne connaissant pas d’autre public que celui qui se déplace et alimente sa trésorerie sur-le-champ, il n’avait jamais trouvé d’intérêt à faire de la collection publique qu’il conserve une présentation de qualité sur internet, agréable, exhaustive, didactique, conviviale et gratuite, comme l’ont fait beaucoup de musées étrangers moins prestigieux.

Alors cette subite solitude, l’absence de ces interminables files d’attente, le silence éternel de ces espaces inoccupés, ont affolé le Louvre, et on l’a vu se débattre, brassant le vide, recyclant de vieilles vidéos, raclant les fonds de tiroirs, et gesticulant bruyamment sur les réseaux sociaux.

On le croyait perdu, quand ce communiqué victorieux dicté à l’Agence d’État (AFP) inonda la presse, le 24 mai : « Le Louvre virtuel plébiscité par plus de 10 millions de visiteurs en 71 jours ».

Ainsi le Louvre n’était pas mort. Au contraire, il triomphait. « Ce musée, quelle réussite, quelle santé ! » retiendrait-on d’un tel titre.
La lecture détaillée du communiqué ne laisse pas la même impression. Il présente comme une belle réussite les 10 500 téléchargements de la dérisoire petite vidéo en réalité augmentée « En tête à tête avec la Joconde », alors que l’exposition Léonard de Vinci aurait accueilli plus d’un million de visiteurs, avant la pandémie (en réalité ce chiffre d'un million est un mensonge évident. Il dépasserait de 3 fois le maximum toléré par les réglementations de sécurité incendie).
Il s’étonne, sans proposer d’explication, que l’augmentation de la fréquentation du site ait pesé essentiellement sur les premières semaines de confinement et souligne une surabondance de connexions d’origine étrangère (90%), surtout américaine, ce qui n’est pourtant que le reflet à peine déformé des visites réelles.

Peut-être cet excédent de connexions qui rend le musée si fier, entre 3 et 4 fois la fréquentation habituelle, a-t-il été la norme pendant ces 10 semaines de réclusion pour certains sites de loisirs, d’éducation ou d’information. Et puis on sait le flou qui nimbe la définition du « visiteur » dans les statistiques des sites internet. Réclamer le remboursement d’un ticket acheté avant la pandémie, ou chercher sans succès d’éventuelles dates de report d’une exposition annulée constituent aussi des visites.

Néanmoins, comme avec le Louvre tout finit par des superlatifs, le communiqué claironne qu’il est devenu le musée d’art ancien le plus suivi sur Instagram, avec 4 millions d’abonnés, dépassant le Metropolitan Museum de New York.
Instagram est une sorte de réseau social de l’image regroupant plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est la quintessence de la photo de vacances appliquée au quotidien et le moyen économique de publicité privilégié des marques et des artistes (Banksy y compte 9 millions d’abonnés). On y publie, sur la page de son propre compte, des petites photos carrées narcissiques souvent inintelligibles et que l’on commente le moins possible. La police puritaine de Facebook veille à ce que rien n’y dépasse (Instagram lui appartient). L’abonné grégaire et compulsif ne peut qu’aimer l’image en appuyant sur un cœur, et Facebook compte alors les points, ou laisser un commentaire, où il dit généralement qu’il aime.
Un cheptel de 4 millions de suiveurs sur Instagram est certes remarquable, mais dans le genre cela atteint à peine les orteils des grands comptes, détenus par des penseurs guides de notre temps, comme le président des États-Unis avec 20 millions de fidèles, ou des personnalités creuses sorties de la télé-réalité, ou des footballeurs, avec 220 millions d’abonnés pour l’un d’eux.

Telles sont les vérités du musée du Louvre. Bonnes ou mauvaises, réelles ou fictives, peu importe, ce qui compte est de hanter le temps de cerveau, conscient ou non, du plus grand nombre, et si possible de toute la planète (traduites en anglais, dans ce cas).

L’IFLA, Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques, sorte de syndicat somnolent des bibliothèques et des services d’information, diffuse une fiche de conseils très pertinents, sinon pratiques, pour repérer les « fake news » ou « infox », disons les tromperies. Elle énumère 8 contrôles de bon sens à effectuer avant d’admettre une information.
Hélas le lecteur consciencieux en aura à peine effectué le premier que l’information sera déjà caduque. Qu’à cela ne tienne, sautons directement au dernier recours, le contrôle numéro 8, il conseille de consulter des experts, bibliothèques ou services d’information, c'est à dire eux-mêmes.

« Décidément, tout le monde cherche a écouler sa salade ! », remarquerez-vous finement, et vous ajouterez « Il y a bien un moment où la réalité met de l’ordre dans toutes ces vérités ? Il faut bien, un jour, cesser de douter et commencer à agir ? »

Houla houla ! Ne nous emportons pas ! L’éclaircissement de ces questions n'est pas chose aisée. Cela peut prendre du temps.
Mais que le lecteur de tout genre se tranquillise, nous vérifierons scru-pu-leu-se-ment toutes les informations avant de répondre.
 

mercredi 26 juin 2019

Vraies infos sur un faux faux

Dans le commerce de l’art, comme plus généralement dans l'économie, tout repose sur la confiance. Confiance est un synonyme optimiste de crédulité. C’est pourquoi nombre de faux passent aisément pour authentiques, ou inversement.

À l’occasion d’un vide-grenier, M. Philip Stapleton achetait il y a peu, contre 230 livres sterling (260 euros), une peinture à l’huile sur panneau signée Picasso, au recto et au verso, qu’il pensa, au prix, être la copie d’une Baigneuse assise, peinte vers 1930 et conservée au Museum of modern art de New York.

Il s’adressa, pour la revendre, à une petite salle des ventes balnéaire, au bord de la Manche, Brighton and Hove Auctions, dont l’experte, Mme Rosie May, se persuada que c’était une authentique étude de la main de Picasso pour le tableau de New York.
Elle le déduisait de deux mentions manuscrites au verso, dont une dédicace à Roland Penrose, ami anglais du peintre.

Picasso, heureux homme qui compte de plus en plus d’amis, notamment depuis le 8 avril 1973, est, depuis très longtemps sur le marché, le plus convoité des peintres qu’on dit modernes. Ses tableaux les plus disputés ont maintes fois dépassé les 100 millions d’euros.
 
À gauche le Picasso du MoMA de New York, à droite celui de la vente chez Brighton and Hove Auctions

Ainsi durant plus d’un mois, dans l’attente de la vente programmée le 7 juin, il était inévitable que la chronique enregistrât quelques péripéties saugrenues.

La première fut une déclaration du faussaire David Henty. Interrogé par The Telegraph, qui avait fait une enquête en 2014 sur ses ventes de faux tableaux sur eBay (site de ventes aux enchères en ligne), il répondait en riant que le tableau lui semblait familier et qu’il l’avait peint et offert à un ami vers 2016.
Henty, emprisonné dans les années 1990 pour de faux passeports, peint aujourd’hui des copies de peintres faciles à imiter, dit-il, Picasso, Modigliani, Van Gogh, Lowry, qu’il signe dorénavant de son vrai nom et vend en galerie trois fois plus cher que sur eBay.

Mme May rétorqua que M. Henty était un faussaire, inévitablement malhonnête et menteur, et que des offres d’achat dignes d’intérêt lui parvenaient déjà de l’étranger.

La seconde péripétie survint deux jours avant la vente. Un certain M. Francis Kiss affirmait être le véritable propriétaire du tableau. Acheté chez un antiquaire de la région contre 150 livres, en 2006, photographie et reçu à l’appui, il aurait ensuite été vendu accidentellement aux puces (Ford Market) suite à une incompréhension entre amis !
M. Stapleton y voyait une preuve de l’imposture du faussaire Henty et ainsi une garantie d'authenticité.

Les amateurs passionnés, tenus en haleine, n’attendaient plus que la découverte d’un cadavre, transpercé de couteaux à peindre.
La maison Brighton and Hove Auctions attendait 10 à 50 000 livres de ces enchères, mais toutes ces tribulations sorties d’un roman d’Agatha Christie refroidirent la confiance des enchérisseurs.

Et depuis le 7 juin, le nouveau possesseur du tableau se perd en insomnies sur d'insolubles supputations. Demander à la famille Picasso de l’authentifier serait très long, extrêmement risqué et pas vraiment probant (elle est à la fois juge et partie). Faire analyser les pigments par un laboratoire spécialisé couterait des milliers de livres, peut-être même plus que les 8 000 livres de son enchère victorieuse.

Finalement, doit-il penser avant de s’endormir, tant que le prix du tableau n’a pas réellement décollé, l'incertitude ne peut lui être que bénéfique. On finira bien par hameçonner un parieur prêt à engager une fortune sur un coup de dé, comme l'acheteur hasardeux du récent Caravage de Toulouse, ou l'impayable milliardaire du « Salvator Mundi » qui, authentique ou non, aura au moins trouvé une place royale dans le Livre Guinness des records.

samedi 27 avril 2019

Bréviaire du faussaire

Le directeur du Metropolitan museum de New York vers 1970, Thomas Hoving, raconte qu’un restaurateur du musée lui avait appris que Francesco Guardi, paysagiste vénitien du 18ème siècle très apprécié au style vif et un peu négligé, était toujours vivant.
En peinture, faussaire est un métier difficile, pour qui prend son art au sérieux, car les formules utiles à emporter la conviction des experts et leurrer les techniques modernes d’authentification sont épineuses à mettre en œuvre.

8 conseils pour réaliser un chef d’œuvre

Note  :  ce qui suit n’est pas à proprement parler une recette, mais réunit seulement quelques recommandations méthodologiques. Les instructions techniques, matériaux et outils nécessaires à la réalisation sont disponibles sur internet, dans certains livres légendaires et dans toute bonne droguerie. 

1. Choisir un peintre dont on estime pouvoir imiter la technique et le style. Le style d’un peintre, ce sont ses habitudes, ses manies, ses grosses ficelles. Un peu d’entrainement sera nécessaire.

2. Chercher un sujet dont un document indiscuté suggère que le peintre l’a illustré, mais dont l’œuvre aurait été perdue. C’est un travail indispensable de fouineur documentaire. Le plaisir de la confirmation, de la découverte d’une chose espérée depuis longtemps, inhibe une bonne part des méfiances de l’expertise.

3. Connaitre suffisamment l’œuvre et la vie du peintre pour inventer un mise en scène persuasive du sujet. Le point n’est pas si délicat. Si le peintre était peu inventif, il conviendra de chercher des modèles dans l’innombrable catalogue des peintures de l’époque, en innovant peu. S’il était original, on pourra se laisser aller à la fantaisie, car l’originalité dans ce cas, si les autres critères sont probants, sera prise pour une marque d’authenticité. Van Meegeren qui savait faire des faux parfaits (certains sont peut-être encore sur des cimaises réputées), a trompé quelques grands experts en inventant un style de Vermeer débutant, qu’on juge invraisemblable aujourd’hui (on n’avait pas, alors, identifié de tableaux de jeunesse du peintre). Les experts ne sont jamais aussi enthousiastes que quand survient un petit décalage, une part de surprise dans l’idée qu’ils s’étaient faite, comme en musique une note étrangère dans un accord parfait, ou une épice qui attire leur attention et brouille légèrement le reste.

4. Trouver, chez un antiquaire, une toile peinte ou un panneau sans grande valeur de l’époque exacte et si possible provenant de la région du peintre qu’on veut contrefaire, et en considérant ses préférences techniques. On utilisera ainsi des matériaux d’époque, bois, toile, clous. C’est une étape importante qui demande certaines garanties, il s’agit de ne pas se faire refiler par erreur un faux moderne, qui pullulent.

5. Effacer le tableau sans valeur avec les essences appropriées. Livrons, à cette étape, une astuce infaillible. Rien ne ravit plus un spécialiste que de découvrir sous la couche visible, par des moyens modernes (rayons X, infrarouges…), un dessin préparatoire, une hésitation dans le processus de création, qui aurait été recouverte par le peintre et que personne ne pouvait connaitre. Cela lui assure une exclusivité sur laquelle il glosera fort intelligemment. Le repentir masqué peut même constituer une preuve définitive quand il existe déjà des variations du même tableau, dont l’attribution est indécise. Aussi est-il conseillé, dans la réalisation du faux, de ne pas hésiter à changer d’idée sans effacer totalement la précédente.

6. N’utiliser que des enduits, liants, colles, huiles, vernis, colorants et pinceaux faits de matériaux utilisés à l’époque du peintre. C’est l’étape la plus sensible. La moindre erreur sur un pigment qui n’existait pas du vivant du peintre, ou un poil de pinceau synthétique collé dans la pâte et l’édifice s’effondre. Notez cependant que l’analyse des enduits et des pigments demande des moyens techniques modernes et chers auxquels on ne recourt qu’en cas de doute sérieux. La plupart des faux en circulation n’ont jamais subi cette humiliation.
Et, c’est anecdotique, mais n’oubliez pas que certains peintres excentriques mélangent parfois leurs pigments avec des ingrédients incongrus. Si la mythologie révolutionnaire parle de jus de momies, de cœurs de rois et d’autres viscères desséchés à propos du peintre Drölling, au 18ème siècle, c’est cependant devenu une mode attestée depuis le 20ème siècle, où il est admis, dans les milieux culturellement informés, que c’est la preuve d’une grande souffrance existentielle, ou d’un mépris des conventions, que de peindre avec ses propres productions corporelles.

7. Maitriser les diverses techniques de vieillissement rapide et se pourvoir en produits acides, vernis, équipements de chauffage idoines. Là encore un peu d’entrainement sera le bienvenu.

8. Enfin, lorsque vous serez parvenu à suivre ces conseils sans faute, n’attirez pas trop l’attention, glissez sans fanfare votre production chez un antiquaire, remboursez largement votre investissement mais sans excès. Il y aura toujours un fureteur passionné pour s’énamourer de ce tableau ignoré et tout faire pour l’obtenir à un prix convenable, discrètement, avant les autres. Car vous l’avez compris à la lecture de ces conseils, l’admiration artistique n’est pas si éloignée de la psychologie du croyant, et comme dans toute croyance, le plus léger doute, réfuté ou non, peut dénouer le fil des certitudes, et défaire la pelote irrémédiablement.

Par exemple ces faux, qu’on aurait pu croire exempts de toute faute (voir l'illustration), provenant d’un collectionneur français, Giuliano Ruffini, et qui depuis 2013 réclament de plus en plus de temps à la justice et aux chroniqueurs, à Paris, Londres et New York.
En bref, une Vénus de Lucas Cranach, magnifique, vendue 7 millions d’euros en 2013 au prince de Liechtenstein, était saisie par la justice dans une exposition en 2016 à Aix-en-Provence. L’expertise, peu concluante, attirait néanmoins l’attention sur son précédent collectionneur, déjà cité antérieurement dans des affaires de faux.
La maison de vente Sotheby’s, qui avait déjà vendu des tableaux de la même provenance, demandait à un laboratoire (qu’elle acquit alors) de les expertiser, et dans la foulée se faisait rembourser par la justice américaine un saint Jérôme de Parmigianino, et tente de récupérer les 10 millions d’euros d’un beau portrait de Frans Hals, qu’elle déclarait exécuté avec, entre autres, un pigment blanc de titane découvert 250 ans après la mort du peintre.
La maison Christie’s, suspicieuse, avait déjà refusé de le vendre. Le marchand se défend en invoquant le musée Frans Hals de Haarlem, qui a authentifié le tableau, et le Louvre qui voulait en interdire l’exportation pour l’acquérir, mais n’avait pas trouvé les fonds (alors 5M€).

L’histoire est beaucoup plus entortillée encore et pas près de se conclure, puisqu’interviennent dans l’affaire d’innombrables intermédiaires comme dans toute farce financière. Il faut lire l’enquête très fouillée de Christophe Dosogne, critique et historien de l’art de CollectAAA, et d’autres points de vue sur RoadsMag, Marianne, l’Express, et en anglais ArtNet, TheGuardian, DailyMail.

On le voit, le faux est un art d’expertise et de techniciens spécialisés, bien plus difficile que l’art de la peinture, au moins pour l'art ancien, et on comprend mieux l’orgueil des faussaires, qui se manifeste si souvent sous les aspects d’une immense vanité lorsqu’ils sont démasqués.

Alors quand leurs œuvres abusent si parfaitement les experts et enchantent le public, au lieu de les confondre par le moyen de mesquines inspections et les jeter en prison, on devrait les honorer publiquement et les couvrir des ors de la république. Car l’authenticité en art n’a pas de sens. Les copies romaines de la statuaire grecque antique, exécutées plusieurs siècles après les originaux, sont accueillies de nos jours et depuis la Renaissance comme des sommets de l’expression artistique.

Thomas Hoving écrivait encore dans « False impressions » en 1997 que la moitié des œuvres d’art des musées ou du marché sont des faux, soit de véritables contrefaçons, ou des restaurations trompeuses, ou de fausses attributions (et 40% des 50 000 qu’il avait examinées au Metropolitan). Il ajoutait que le secret se perpétuait parce que cette cécité arrangeait finalement tout le monde, les administrateurs de musée, les généreux donateurs, le marché de l’art, les cotations.

Cela laisse finalement un grande liberté au faussaire sans réelle ambition, celui qui renonce à la célébrité pour vivre simplement le plaisir hédoniste et un peu enfantin du travail bien fait.


Détails de quelques tableaux suspectés provenant de la collection Ruffini, Cranach, Pontormo, Frans Hals, Orazio Gentileschi, Parmigianino. Sont aussi parfois cités Velazquez, Gréco et Rembrandt. Il est désolant de voir accusés, humiliés, des tableaux aussi beaux, qui honoraient encore récemment de prestigieuses cimaises et la conscience apaisée d’un certain nombre d’experts.