lundi 10 janvier 2022

Et l’art contemporain, dans tout ça ?

MSCHF Product Studio Inc (prononcez MiSCHieF, signifiant SoTTiSeS ou eSPièGLeRie), une jeune entreprise de New York, se dit collectif d’artistes activistes, et crée des évènements culturels, disons des canulars, à base d’objets d’art ou de produits de l’industrie.

Sa méthode est de profiter de la notoriété d’un artiste ou d’une marque fameuse en détournant de manière insolente et tapageuse un de leurs produits, et en le vendant plus cher que l’original. Le bourgeois jobard est convaincu d’acheter de l’art et se risque à un placement avant-gardiste.

Ainsi en 2019 MiSCHieF vendait des baskets de la marque Nike « customisées Jesus Shoes », avec en imprimé des références à la Bible, de l’eau du Jourdain dans les semelles et un crucifix suspendu aux lacets, 6 fois le prix d’achat, soit 1250$. 
La marque ne dit rien, mais elle portait plainte en 2020 quand MiSCHieF récidivait, cette fois avec les « Satan Shoes », garnies d’un pentagramme et du sang d’un rappeur à la mode. La quantité limitée, 666 à 1000$, disparaissait en quelques minutes sur internet.
Le juge en exigea la récupération auprès des clients, et leur remboursement. MiSCHieF y consentit avec le sourire. Elle savait que personne, après avoir acheté un objet maintenant renommé, revalorisé par un scandale mondain et devenu œuvre d'art, ne les retournerait.


En 2020 MiSCHieF achetait 30.000$ un multiple de la série Spots de Damien Hirst (la centaine d'employés de l’atelier Hirst en a produit des milliers), en découpait soigneusement les 88 ronds colorés, les écoulait promptement sur internet à 480$ pièce, et vendait le reste (illustration ci-contre) 172.000$ aux enchères.

Fin 2021 elle achetait contre 20.000$ un dessin d’Andy Warhol, Fairies, en faisait 999 facsimilés pratiquement indétectables dit-elle, les mélangeait et vendait en un instant les 1000 à 250$ la pièce. Outrée, la Fondation Warhol va sans doute réagir.

Si les principes moraux libertaires dont MiSCHieF enjolive ses actions, remise en cause de l’idée d’authenticité, rupture de la chaine de confiance, réappropriation (mot magique), paraissent flous et bien sympathiques, on rappellera néanmoins qu’ils ont été invoqués par quantité d’artistes depuis bientôt 100 ans sans que l’objet de leur anathème, le marché de l’art, n’en ait jamais ressenti le moindre frisson. Au contraire, rajeuni, revigoré, il repart à chaque fois de plus belle. La rhétorique est réchauffée et banale, en stigmatisant le marché, elle l'alimente, et profite largement et en toute conscience des travers qu’elle dénonce (sauf Banksy, peut-être)

Reste qu'il est rigolo de railler l'art établi et de voir comme il est simple de découper les pois colorés de Damien Hirst et de revendre l’œuvre en pièces détachées, « éparpillée par petits bouts façon puzzle » comme disait Bernard Blier.

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Ce qui serait vraiment savoureux, c'est que MiSCHieF se soit fait refiler un faux Hirst ! Il paraît que ça pullule...
En tout cas,c'est sûr, ce genre de supercherie ne serait pas possible avec l'art ancien ! (Joke ;-)
pi

Costar a dit…

Le Louvre fait tout de même des efforts pour l'art ancien, encore très modestes, avec son puzzle Martine au Louvre ou sa casquette radeau de la Méduse.