vendredi 23 juillet 2010

La vie des cimetières (31)


... Mais le silence en sait plus sur nous que nous-mêmes,
Il nous plaint à part soi de n'être que vivants,
Toujours près de périr, fragiles, il nous aime

Puisque nous finirons par être ses enfants
.

Jules Supervielle

Extrait de «Bonne garde», dans «La fable du monde», 1938.


mercredi 14 juillet 2010

Nuages clairsemés, en fin de compte

Le 30 mars 591 une éclipse totale de soleil balayait d'ombre pendant deux minutes et demi une petite ile déserte et sans nom, couverte d'arbres et de végétation, au milieu de l'océan Pacifique.

Au 7ème ou 8ème siècle vraisemblablement, les premiers aventuriers polynésiens s'y installaient et créaient une étrange société dont l'unique occupation semble avoir été, pendant des siècles d'isolement, d'entourer leur minuscule royaume de centaines de statues stylisées portant d'énormes têtes, le regard tourné vers le centre de l'ile. Ils épuisèrent ainsi tous les arbres, jusqu'au dernier, pour faire rouler leurs gigantesques sculptures de pierre volcanique de la carrière vers la côte.
Au 18ème siècle débarquaient les européens, armés de poudre, de fusils, du christianisme et de la syphilis. Le nombre d'indigènes décrut. Au 19ème siècle, 1000 habitants (presque toute la population active) étaient déportés vers le Pérou, en esclavage. En peu de temps il n'en restait qu'une quinzaine de survivants. Ils retournèrent dans l'ile, avec la variole. Au 20ème siècle, de départs d'iliens en arrivées de chiliens, peu de familles d'origine indigène subsistent.

Beaucoup voient dans cette destinée de l'ile de Pâques une parabole sur l'avenir de l'espèce humaine et des ressources de la Terre. C'est évident. Plus qu'une parabole, c'est même un test, une répétition générale en modèle réduit avant la grande représentation.
Vialatte conseillait de faire confiance aux évènements, ils finissent toujours par arriver, disait-il. Il sous-entendait bien sûr les bons comme les mauvais. Les habitants de l'ile de Pâques, les Rapanui, auront eu leur lot d'évènements funestes. Dimanche, pour la première fois dans leur histoire, ils ont admiré une éclipse totale de soleil. 4000 touristes privilégiés ont partagé leur fortune. Les probabilités statistiques avaient prédit un ciel couvert. Après 36 heures de pluies incessantes, les nuages étaient clairsemés quand l'évènement se réalisa.

Les photos sont de Joaquin Souyris (haut gauche, bas gauche), Juan carlos Casado (haut droite) et Stéphane Guisard (bas droite).

samedi 10 juillet 2010

Nuageux avec risques de pluie

Se trouver précisément sur la fine bande de quelques dizaines de kilomètres que parcourt sur Terre l'ombre de la Lune au moment d'une éclipse totale du Soleil est certainement un des spectacles les plus impressionnants pour un être vivant, même dépourvu d'imagination.
En plein jour, au cœur d'une soudaine pénombre apparait dans un ciel étoilé un gigantesque trou noir cerclé d'un anneau de lumière, toute vie est suspendue pendant plusieurs minutes comme si les astres s'arrêtaient. Le spectateur se sent impliqué dans quelque chose d'immense, de cosmique, comme l'écolier devant la baleine du muséum d'histoire naturelle, ou l'usager qui voit arriver l'autobus.

Et le véritable chasseur d'éclipses ne peut pas le rater quand l'évènement, déjà rare, se produit de surcroit sur un des lieux les plus mythiques de la planète, sur l'ilot le plus isolé de l'océan Pacifique où d'immenses têtes de pierre alignées regardent passer les nébulosités subtropicales et les touristes égarés, aux antipodes.
D'ailleurs vous êtes peut-être déjà en route, rampant épuisé et déshydraté sur les graviers du désert d'Atacama, maudissant le voyagiste qui vous a fait croire qu'une expédition si exceptionnelle se méritait et se rentabilisait en vous faisant crapahuter dix jours durant dans les endroits les plus inhospitaliers des alentours, pour justifier les 7500 euros qui endetteront vos prochaines années. Mais vous résistez à toutes ces humiliations, parce que vous savez que le miracle systématique se produira demain, 11 juillet 2010, entre 20h08'48" et 20h13'35" en temps universel (1). Soyez ponctuel, la mécanique céleste n'attend pas (2).

Au cas où la petite note en bas de page vous aurait échappé, sur le contrat du voyagiste, rappelons que les conditions météorologiques en cette période de l'année sur l'ile de Pâques ne sont pas vraiment propices, et qu'il y a près de deux malchances sur trois pour que les nuages et la pluie fassent chavirer votre rendez-vous astronomique et solaire (3). La météo annonce pour demain des risques de pluie.
Déjà, une masse nuageuse se profile (4).

Ceci n'est pas une éclipse, bien que les couleurs en soient très proches. Ceci n'est pas une baleine non plus. Peut-être un autobus.


***

1. 14h08 en heure locale, 22h08 en heure française.
2. Il faudra attendre sept ans, le 21 aout 2017, la prochaine éclipse qui ne passera pas en plein milieu des océans. Elle dessinera son pinceau d'ombre sur toute la longueur des États-unis, d'ouest en est. Et la suivante la croisera du sud au nord-est, le 8 avril 2024 seulement.
3. Pour mémoire, vivre une éclipse totale sous les nuages c'est un peu comme écouter des commentaires radiophoniques sur un spectacle qu'on ne verra pas.
4.
Le deux liens conduisent, le premier vers une vue par satellite actualisée du Pacifique centrée sur l'ile de Pâques et le second vers le bulletin météo actuel de l'ile, au moment de votre consultation.

lundi 5 juillet 2010

De l'exactitude de la Loi

« Faire taire ceux qui ne pensent pas comme les autres par respect pour ceux qui ne pensent pas comme eux ». C'est la saine logique des commentaires outragés qui ont fleuri les forums des grands journaux depuis l'affaire du drapeau français utilisé comme torchecul. Pour mémoire, une grande surface de la culture à Nice, relayée par un journal gratuit, avait exposé, dans le cadre d'un concours sur le thème « politiquement incorrect », la photographie, lauréate, d'un homme se nettoyant soigneusement le postérieur avec l'emblème de la Nation.

Devant les réactions ulcérées, et n'écoutant que son courage, le pédégé de la grande surface à licencié illico deux des responsables de la diffusion sacrilège, qui n'avaient fait que respecter la décision du jury. Et dans leur grande sagesse, la Garde des sots et le ministre de l'Inférieur, étonnés que la loi ne châtie pas encore ce genre de profanation, ont présenté en urgence un décret punissant sévèrement toute « dégradation ou utilisation indécente du drapeau français ».

Ainsi, quand le décret sera entériné par le Conseil d'état, on n'aura plus le droit, en France, de photographier un cul derrière le drapeau sacré de la République, mais on pourra évidemment, comme toujours, le photographier devant, et afficher le résultat dans les mairies, les écoles, les ministères et les lieux publics. La justice française est d'une étonnante précision.

Jougne dans le Doubs, le monument aux morts, ou comment inculquer aux enfants le respect des morts, de l'armée, des obus phalloïdes, de l'éclairage urbain, en bref des valeurs de la Nation.