dimanche 25 octobre 2009

Nuages (18)

Jan Fabre, Totem (2004 Leuven)
Jan Fabre est un artiste belge actuel, provocateur polymorphe aux idées amusantes, connu pour ses chorégraphies symboliques, grandiloquentes et parfois choquantes. Il est très apprécié de la Reine des belges, Paola, qui ne manque pas non plus d'humour. Elle lui a commandé une création monumentale et l'a même décoré de l'ordre de la Couronne.

Jan Fabre, Totem (2004 Leuven)Longtemps, obsédé par les scarabées, Fabre a recouvert de millions de carapaces et d'élytres verts irisés tout ce qui lui passait sous la main. Cette hantise a vécu une sorte de couronnement, en 2004, avec l'érection du Totem, un scarabée bleu-vert de 3 mètres, piqué au sommet d'une aiguille verticale de plus de 20 mètres. Commandé par la vieille université de Louvain pour agrémenter l'austère place Ladeuze, il est censé figurer toute une théorie de pesants symboles, l'art, la science, la mort, la résurrection.

Jan Fabre, Totem (2004 Leuven)

Mais au-delà des métaphores fumeuses, le monstrueux coléoptère demeure, au centre de cette grande place bourgeoise lessivée par les averses septentrionales, au pays de Bosch, d'Ensor et de Magritte, une fabuleuse incongruité décorative épinglée au milieu des nuages.

samedi 17 octobre 2009

Pfffffuuut...

Si la méthode a pu sembler barbare à l'homme de la rue, qui aura toujours du mal à s'habituer à la complexité des concepts scientifiques, elle n'a probablement pas offusqué les vrais amateurs de jeux vidéos. Directement inspirés par les films de série B comme Les Guerres de l'Étoile (Star Wars), les ingénieurs de la NASA avaient décidé de frapper les imaginations : précipiter un engin de plus de deux tonnes, à plusieurs milliers de kilomètres à l'heure, au fond d'un cratère paisible de la Lune. Suivi d'une deuxième sonde chargée d'observer l'impact avant de se suicider de la même manière un peu plus loin.

Des dizaines de milliers d'américains s'étaient rassemblés pour suivre la diffusion de l'évènement en direct. Les plus modestes espéraient un splendide panache de poussière. Secrètement, les plus ambitieux devaient rêver qu'un discret déséquilibre du système planétaire se produirait et infléchirait tous ces dérèglements qui nous importunent quotidiennement, la maladie, les impôts, les problèmes de stationnement...(1) Les scientifiques pensaient que l'explosion éjecterait dans l'espace des éléments chimiques situés sous la surface du sol, et qu'ils les analyseraient pour identifier la présence et la quantité d'eau.

La végétation aussi cherche désespérément l'eau, près de Crotone (en haut) ou à Crocefisso, (ci-dessus), dans le sol de Calabre qui est un peu la lune de l'Italie.

Mais voilà, il arrive que la réalité ne dépasse pas la fiction. Et il n'y eut rien. Les sondes se sont écrasées sur la Lune dans le silence, l'indifférence et l'obscurité. Peut-être quatre pixels, légèrement plus clairs, sur les images en infrarouge. Mais personne n'en est sûr.
Alors, comme au lendemain des grandes aventures humaines, la NASA se dit satisfaite. Il lui faudra des jours, des semaines, peut-être des mois, a-t-elle déclaré, pour étudier la quantité de données recueillie (2).
De son côté, désorienté par ces procédés trop techniques, l'homme de la rue utilise un bâton de sourcier pour ne pas trouver d'eau.

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(1) On sait en effet depuis les travaux de Jacques Laskar que la vie sur Terre s'est certainement maintenue grâce à l'effet stabilisateur de la Lune sur l'axe de rotation de la Terre, donc sur la régularité des saisons pendant de longues périodes de temps.
(2) Comme c'est l'Amérique et que tout y est possible, les ingénieurs de la NASA extraieront peut-être de ces 4 pixels le portrait robot du tueur en série, comme le dit l'excellent Boulet dans cette récente page de son blog.

samedi 10 octobre 2009

La vie des cimetières (24)

Tout est permis pour attirer tôt les enfants dans la voie lumineuse du respect des ancêtres et des valeurs morales. Ici, dans le cimetière de Mammola, un pape au sourire onctueux et bienveillant, entièrement en chocolat au lait à la pulpe d'orange fourré à la nougatine, spécialement traité pour une meilleure résistance à la chaleur, a été érigé et rappelle les préceptes du cannibalisme symbolique «...ceci est mon corps...».
Les experts datent la statue d'une époque très récente, arguant que seules certaines parties du manteau ont été grattées pour récupérer le chocolat (voir la photo détaillée), et que le brave homme a toujours sa tête et tous ses doigts. À moins que le confiseur du village ait eu aussi peu d'inspiration comme chocolatier que comme sculpteur.

dimanche 4 octobre 2009

L'athéisme n'existe pas

Depuis maintenant sept ans reviennent chaque été les réjouissances hédonistes (1) du mois d'aout. Pendant tout le mois, chaque jour de la semaine un peu avant 18 heures, on s'installe confortablement au fond du jardin, à l'ombre, pour écouter Michel Onfray, sur les ondes radiophoniques de France-Culture. Il nous raconte les récits merveilleux d'un monde idéal où on peut remettre en cause ce qu'affirment parents et professeurs, ne pas aimer le travail, ou désirer la femme de son voisin (ou le mari de sa voisine, ou toute autre combinaison).

Il appelle ça une «contre-histoire de la philosophie» mais on sent bien que c'est notre véritable histoire, et qu'il est comme un frère instruit qui nous relate la vie de vieux oncles éloignés et savants. On ressent de l'affection pour ces ancêtres qui ont pensé, longtemps avant nous, qu'il n'y a rien au-delà de la réalité, et qu'être matérialiste n'est pas une maladie honteuse mais plutôt la manifestation d'une certaine lucidité.
Et parce qu'au fond du jardin flotte pendant une heure un air de liberté, on oublie les tics de langage du narrateur, ses hapax, ses oxymores et cette manie de truffer son discours de mots en «...isme» et de qualificatifs en «...iste».

Mais il y a un hic dans ce tableau idyllique, car Michel Onfray est atteint d'une maladie grave : il est athée. Et il a écrit des pages et des pages, des conférences, des traités sur cet athéisme.


Naples, deux points de vue sur la religion : la Vierge au néon, preuve incontestable de l'existence de l'électricité, et un graffiti subversif dont le personnage s'exclame «Arrêtez la plaisanterie, enlevez le bandeau et rendez-moi mon cerveau!»

Or qu'est-ce qu'être athée ? Étymologiquement c'est être sans dieu (avec le «a» privatif). Comme l'anorexique a perdu le désir de nourriture, l'athée a perdu Dieu. On frémit. L'athéisme est donc une maladie de l'absence, comme l'anémie, l'achondroplasie, l'agénésie, l'anencéphalie. Mais si on peut comprendre et constater facilement l'absence d'une fonction vitale, d'un membre, d'un cerveau, on a plus de mal à se représenter l'absence de quelque chose qui n'existe pas.

Simple question de logique direz-vous. Les croyants, incapables de démontrer ce qu'ils affirment autrement que par un vent de rhétorique, ont souvent exigé de leurs contradicteurs qu'ils produisent la preuve du contraire, et on sait que la torture parvient à résoudre bien des problèmes de logique.
Il serait judicieux, afin d'éviter ces incohérences et ces dérèglements, de nommer asensés, aréalistes, ou alucides les porteurs d'une croyance quelconque, car ils ont perdu l'usage d'une partie de leur raisonnement. Ce sont les vrais malades, ils souffrent d'un dysfonctionnement psychophysiologique comme l'atteste wikipedia qui ne ment jamais. Mais n'accablons pas ces pauvres gens qui ont besoin de jolies légendes (2) pour supporter la réalité. Le qualificatif «croyant» leur convient. Clair et explicite.

La croyance est la valeur par défaut parce que l'autorité de quelques-uns sur tous les autres est également une valeur par défaut des sociétés humaines. L'une et l'autre, croyance et pouvoir, ont probablement la même origine. Croire c'est se soumettre.
Mais dans le monde réfléchi et réaliste de Démocrite, d'Épicure, de Spinoza et de Nietzsche, les athées sont les gens normaux et l'athéisme est un mot vide de sens. Et la véritable magie de ce monde, plus belle que toutes les chimères de toutes les religions, c'est que les paroles bienfaisantes de Michel Onfray parviennent au fond du jardin sur des ondes invisibles qui ont traversé l'espace et le temps, comme par miracle.

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(1) Rappelons que le véritable hédonisme n'est pas la recherche sans frein du plaisir mais une philosophie plus frugale qui poursuit le bien-être dans l'évitement de la souffrance, du déplaisir et de l'ennui.
(2) La religion de la Licorne Rose Invisible (et de l'Huitre Violette de la Damnation) possède son Livre Sacré, dont les premiers mots, la Genèse, sont ainsi :
«Au commencement, la réalité créa les cieux et la terre,
Ce qui fut fut, et ce qui ne fut pas ne fut pas,
L'obscurité enveloppa ce que la lumière n'enveloppa pas,
Et ce qui ne fut ni lumière ni obscurité fut Elle, la Licorne Rose...»