dimanche 28 septembre 2014

Orsay, une visite dans le passé

Carpeaux, La danse 1865-1869 (détail), Paris musée d’Orsay 2014.

Le gigantisme du panneau-réclame sur la façade de la gare d’Orsay promettait une exposition grandiose. La publicité sur le site du musée disait « Première rétrospective depuis 1975 consacrée à Carpeaux ».

Alléché, l’amateur qui hantait déjà les musées parisiens riches en Carpeaux, s’attendait à la découverte de bustes rares dénichés dans des musées ou des collections des antipodes.
Mais il n’en fut rien. D’ailleurs l’amateur aurait dû se douter, puisqu’il n’y avait pas de billet d’entrée spécifique à l’exposition, qu’il n’y trouverait que du déjà vu. Car une fois sur deux désormais, à Paris comme à Londres, les musées vendent comme des évènements incontournables et avec force publicités le simple dépoussiérage de quelques dessins, esquisses ou ébauches exhumés de leur réserve, qu’ils saupoudrent autour des œuvres exposées habituellement.
Ici pour étoffer le contenu le musée d’Orsay avait demandé au Petit Palais (situé à 1300 mètres) de lui prêter ses plus beaux Carpeaux, au Louvre également (situé à 900 mètres) ainsi qu’au musée de Valenciennes (situé il est vrai un peu plus loin).
Les dictionnaires définissent « rétrospective » comme la présentation récapitulative et chronologique de l’œuvre d’un artiste. Faut-il en déduire que tous les Carpeaux importants sur Terre se trouvent réunis dans ces quatre musées voisins ?
Admettons.

La visite de Carpeaux expédiée en dix minutes (la foule grouillant autour des sculptures n’autorisant pas vraiment l'indolence contemplative), l’amateur crispé pouvait alors aller se détendre dans la visite de salles qu’il avait un peu oubliées.
Car depuis quatre ans qu’il s’était promis de ne plus mettre les pieds et le reste dans ce musée tant que ne serait pas levée la brutale interdiction d’y prendre des photos, la débauche de cartes postales et de catalogues supplémentaires vendus grâce à cet oukase avait certainement permis l’enrichissement des collections.
Et la promesse pouvait être enfin effacée, la charte « Tous photographes ! » autorisant depuis le 7 juillet dernier la photographie dans tous les musées de France (suivie peu après par la National Gallery à Londres).

Hélas encore, un directeur désigné par le pouvoir ne renonce pas sans résister à ses privilèges féodaux, et le musée interdit donc toujours la photographie et réprimande promptement les contrevenants.
La première raison opposée au visiteur protestataire est l’argument d’autorité « malgré la charte la décision reste à la discrétion du directeur de l’établissement », ce qui est un mensonge.
En insistant un peu vient l’argument sentimental « je risque de perdre mon emploi si je laisse faire les coupables sans rien dire ».

Enfin le calme relatif de la fin d’après-midi inclinant le gardien déprimé à la conversation, on apprend que la photo est maintenant tolérée dans certaines salles non précisées (néanmoins les panneaux d’interdiction fleurissent partout sans exception dans le musée). Et si elle reste prohibée par endroits c’est au sempiternel et hypocrite motif de la fluidité du visiteur.
Car s’arrêter plus de dix secondes devant un tableau, c’est se poser en obstacle au milieu du torrent des visiteurs qui doit les emporter continument et sans heurt de l’achat du ticket d’entrée jusqu'au magasin de souvenirs.
Bien entendu, n’est pas condamnable le brave touriste qui s’arrête plusieurs minutes devant une œuvre pour en écouter la description prête à penser délivrée par un appareil fourni contre supplément par le musée. Mais il y a quelque chose d’immoral à prendre une poignée de secondes pour ne pas regarder docilement l’objet mais le photographier et en emporter l’image avec soi.
Ce comportement asocial ne mérite que l’opprobre. C’est en tout cas le point de vue absolument désintéressé imposé dans tout l’établissement, au mépris des consignes ministérielles, par le baron d’Orsay.


Carpeaux, Buste d’Amélie de Montfort (Madame Carpeaux), 1869, Paris Petit palais. À Orsay le buste exposé dans un cube de verre émergeait à peine des reflets de l’éclairage. Que la photo soit interdite importait peu puisqu’elle était irréalisable. La présente photo a été prise dans le calme du musée du Petit palais en 2005.

dimanche 21 septembre 2014

Histoire sans paroles (13)


L'ingéniosité de l’espèce humaine n’a d’égal que sa cruauté. 
C’est dans un endroit secret éloigné de tout, où les fenêtres sont bannies, et sous les projecteurs d’une vigie permanente que sont perpétrées les expériences biologiques les plus extrêmes.
Quels monstres sont engendrés dans ce vestibule de l’enfer ?

mercredi 17 septembre 2014

Un peu d'éthologie


Qui a vu un jour un être proche emporté par l’exaltation, la déception ou la douleur devant un match de football, qui a entendu ses exclamations injurieuses, ses réflexions primaires, qui a observé sa ferveur idolâtre excitée par le fanatisme patriotique est fatalement pris de compassion devant cette affection qui défigure le visage et réduit le jugement.

Il se prend à chercher l'origine de ce mal étrange, mais le problème n'est pas simple, car il constate vite que les critères à peu près objectifs, comme le talent des joueurs ou la qualité des combinaisons de jeu y sont de peu de valeur. Sans quoi tous vénèreraient les mêmes équipes, ce qui n'est pas le cas, chacun admirant généralement les porteurs des couleurs de son pays, de sa ville, de son clocher.

Il faut fouiller plus loin dans les profondeurs de l’esprit humain.
Étienne de la Boétie écrivait déjà au milieu du 16ème siècle « la nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne ». Car c'est pendant la longue période d’éducation de l’humain que sont implantées les règles d'appartenance au groupe. L'enfant comprend qu'il ne serait rien sans les autres, qu'il leur doit d'être vivant, et qu'il devra manifester sa gratitude en respectant leurs conventions et reproduisant leur comportement. Lentement la soumission au groupe se dépose par couches dans son subconscient, et devient un réflexe au point qu’on la croit instinctive.

Et le réflexe profite alors de la moindre faiblesse pour ressurgir. Dès que pointe pour l’humain l'envie de reposer un peu sa conscience raisonnante, le groupe est là qui l’aide à résister contre le flot sans fin de la réalité, comme il lui a jadis permis de survivre.
Lors des manifestations populaires, cette réaction d’abandon est soutenue et amplifiée par la présence immédiate des autres.

C'est certainement la solution de facilité, le refuge infantile, mais cet effacement des responsabilités individuelles recèle peut-être des vertus constructives, on entend parfois dire qu’une société est plus que l’ensemble de ses composants.
Les avis sont partagés. D’autres pensent qu’elle est nécessairement moins, qu’elle est son plus petit dénominateur commun, comme Jacques A. Bertrand, fin connaisseur, le dit dans Les autres c’est rien que des sales types « Le Groupe échappe à la plupart des lois mathématiques et biologiques courantes, ainsi qu'au bon sens le plus commun. En effet, dans le Groupe, les neurones ne s'ajoutent pas, ils se retranchent. Le quotient intellectuel du Groupe est inférieur à celui du plus bête des éléments qui le composent. Constitué de trouillards, le Groupe n'a pas peur. Le groupe fait des choses que pratiquement aucun de ses membres n'aurait songé à faire tout seul. »

C’est qu’en fait le groupe n’est ni plus ni moins que ses composants. Il n’est rien qu’un nombre. Pâte malléable et sans cervelle il se laisse entrainer par le premier courant venu. Que sa cause soit juste ou non n’importe pas. Il peut même arriver qu’il fasse le bien.

Sait-on combien il faut fondre d’individus pour former un groupe ?

Et puis à l’extérieur il y a les autres, les rétifs, ceux qui, par on ne sait quelle inconséquence de la nature, refusent de suivre le groupe. Ils voudraient bannir les drapeaux des compétitions sportives, éliminer les hymnes, peut-être les compétitions elles-mêmes, les frontières, les pays et puis quoi encore, les guerres sans doute ? Pauvres malades.

dimanche 7 septembre 2014

Le détroit


Quand il atteint l’extrémité du continent européen à Gibraltar, le touriste émerveillé découvre face à lui, sur l’impétueuse surface marine, une ile vaste et montagneuse ; c'est l'Afrique.
15 kilomètres de courants marins séparent ici les deux continents, du rocher de Gibraltar à la montagne Musa (djebel Moussa).

Depuis 2001, au pied de cette montagne, dans une grotte et un abri appelés Cabililla, près de la petite ville de Benzu (dans l'enclave espagnole de Ceuta revendiquée par le Maroc), une équipe d'archéologues de Cadix gratte, fouille et inventorie. Des ancêtres des lointaines époques paléolithiques et néolithiques y auraient laissé trainer, voilà 10 000 à 200 000 ans, des milliers d'outils variés et des déchets domestiques. Les outils seraient de style moustérien et similaires aux vestiges découverts en face, dans les grottes de Gibraltar et de l’Andalousie.

Alors les archéologues de Cadix en déduisent que le détroit aurait été franchi, longtemps avant les Phéniciens et les carthaginois, dès la préhistoire. La presse marocaine s'emporte et, dans un splendide raccourci chronologique, s’exclame « l’homme de Neandertal a peuplé l’Espagne en partant du Maroc ».
Pourquoi pas ? L'idée n'est pas choquante. Il y a 50 000 et jusqu'à 20 000 ans, les glaces avaient envahi le continent européen, le niveau des mers était plus bas de 100 à 150 mètres et de nombreuses iles parsemaient le détroit (en Asie l’Homme aurait même profité de ce rafraichissement pour aller embêter le kangourou jusqu'en Australie).
Et les saisons étaient tellement glaciales que c'est peut-être plutôt l'andalou moustérien qui le premier a choisi de passer ses vacances au Maroc.

Cependant les manuels officiels disent aujourd'hui qu'au lieu de tendre le bras pour gouter les oranges qu'il voyait presque de son balcon, sa fibre aventurière l’aurait plutôt incité à faire le tour de la Méditerranée en passant par les pays du Levant, ce qui lui aurait encore pris quelques dizaines de millénaires.

Notre connaissance de la préhistoire est encore si capricieuse…

Au pied du rocher de Gibraltar, une mosquée éclatante regarde l'horizon africain depuis 1997.