mercredi 29 février 2012

Chronique astronomique du 29 février


N'allez pas penser, lecteur incrédule, que les évènements d'aujourd'hui 29 février seraient fatalement advenus le 1er mars si l'année n'avait pas été bissextile. La preuve, la présente chronique n'aurait pas vu le jour.

On ne compte plus les poètes qui ont chanté l'harmonie des sphères, la beauté de la mécanique céleste et la perfection de ses rouages. Perfection ? Parlons-en. De loin, peut-être, mais en y regardant de près l'horlogerie universelle est assez approximative. Elle n'a pas été capable de faire coïncider un nombre entier de rotations de la Terre (sur elle même) et une révolution autour du soleil. En clair, à la même heure l'année suivante, la Terre n'a pas terminé un tour complet du Soleil. Évidemment les retards s'accumulent. Résultat, au bout de 700 ans, on récolte le blé en plein mois de janvier. Ce qui perturbe un peu l'agriculteur.
Il était temps de prendre une décision, et c'est le grand Jules (César bien sûr) qui s'y frotta vers 45 avant l'ère actuelle. Mais alors que la solution la plus simple eut été de légèrement rapprocher la Terre du soleil par une petite pichenette bien ajustée (une impulsion créée par l'effet de réaction d'une puissante catapulte, par exemple), il choisit la solution de facilité. L'esprit procédurier l'emporta et on décida de modifier le calendrier en lui ajoutant un jour tous les 4 ans. Cette année-là devenait bissextile et comptait 366 jours. Ce fut le calendrier julien.
Évidemment, comme pour tout ce qui est fait à la hâte, les effets néfastes se firent bientôt sentir, et après 1500 ans de ce laisser-aller, la Terre avait, cette fois, pris de l'avance sur le calendrier. Une dizaine de jours. L'équinoxe de printemps s'approchait inexorablement de l'hiver. Ce qui énervait le pape Grégoire 13 qui n'appréciait rien plus que les guerres de religion, les chasses aux sorcières et la ponctualité. Il décida en 1582 de modifier astucieusement le calendrier dans l'autre sens, en rendant non bissextiles les années multiples de 100 (mais pas de 400, ultime raffinement). Ce fut le calendrier grégorien.

Le calcul n'est cependant pas absolument parfait, mais l'espèce humaine et son calendrier auront disparu depuis belle lurette lorsque l'insuffisance de la règle se fera sentir. Et ce ne sont pas les bigorneaux qui infesteront alors la planète qui s'en formaliseront.



À droite, la montre à quartz du pape Grégoire, le 4 octobre 1582, quelques dizaines de minutes avant le passage au calendrier grégorien. C'est dans cette nuit du 4 au 15 octobre qu'est morte Thérèse d'Avila, sainte notoire. La France adopta le calendrier un peu plus tard, dans la nuit du 9 au 20 décembre.
À gauche, la maquette du projet astucieux d'un conseiller du pape Grégoire pour rétablir équinoxes et solstices à leurs justes places par le moyen d'un système de pivots et d'engrenages (Florence, musée d'histoire de la science Galileo). Mais l'époque n'était pas prête, Giordano Bruno n'avait pas encore été brûlé vif ni Galilée déshonoré, la Terre ne tournait pas encore autour du Soleil. On fit une croix sur le projet et sur l'infortuné conseiller.

***
Et comme il n'y a pas de date plus astronomique que le 29 février, n'oubliez pas d'aller en kiosque acheter La bougie du sapeur, le seul journal qui a le point de vue de Sirius pour traiter l'actualité puisqu'il ne parait que les 29 février. Il porte aujourd'hui le numéro 9 et coûte 4 euros. Il y a 4 ans, l'abonnement pour un siècle était proposé à 100 euros (ce qui peut sembler cher pour 24 numéros, mais on spéculera sur l'inéluctable inflation).


samedi 25 février 2012

Regrets

Petit à petit la vieille gare d'Austerlitz disparait...

Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule

Guillaume Apollinaire,
extrait d'Automne malade, dans Alcools, 1913

samedi 18 février 2012

L'âge de la pierre

Imaginez une planète où la nature a été beaucoup plus généreuse que sur la plupart des autres planètes. Où elle s'est assoupie mollement sous la caresse des vagues de l'océan, durant des milliards d'années, si bien que la vie, et même une sorte d'intelligence, ont eu le temps d'expérimenter, de s'épanouir, de croitre. Imaginez partout des fleurs en sucre, des oiseaux, des lacs de miel, des mers de lait d'amandes.

Imaginez sur cette planète un pays producteur de sirop d'érable, où tout le monde croit au Père Noël et pense qu'il est à l'origine de tous ces bienfaits. Un pays où quelques uns savent que ça n'est qu'une farce absurde destinée à endoctriner et asservir les faibles et les ignorants. Un pays qui cache ses femmes (et parfois les lapide) car leur beauté est l'œuvre du Père Fouettard.

Imaginez dans ce pays un poète naïf qui soudain exprime sur les murs de la ville des doutes (tièdes et plutôt révérencieux) sur le Père Noël. Imaginez alors la réaction de tous ces cerveaux vidés par des siècles de lessivage, quand craignant pour ses privilèges, un triste clown télédiffusé et pleurnichard les menace de la vengeance du Père Fouettard s'ils ne décapitent pas immédiatement le jeune renégat.

Imaginez enfin le silence de la planète entière, qui ne croit pas nécessairement au même Père Noël, et qui calcule que sauver la tête d'un pauvre incrédule ne vaut pas le risque de perdre les flots quotidiens de ce sirop d'érable qui adoucit tant de maux.

Vous jugeriez sans doute cette Humanité indigne de la terre qui l'a créée et juste bonne à retourner à l'âge de la pierre d'où son esprit pesant et superstitieux n'est jamais sorti.

Heureusement, tout cela n'existe pas.


Tuez tous les artistes, Venise janvier 2010

dimanche 12 février 2012

La ruine des ruines


Soyons précis.
« Pompéi, derniers jours » ne signifie pas forcément que ce sont les « Les derniers jours de Pompéi », mais que c'est aujourd’hui le dernier jour de l'exposition Pompéi au musée Maillol, à Paris. Quoique les nouvelles qui parviennent depuis quelque temps du site original près de Naples, après l’effondrement de plusieurs maisons, puis la fermeture récente de treize autres faute de moyens pour les entretenir, inquiètent. À Herculanum, des zones découvertes de la maison des Papyrus ont été de nouveau emmurées, pour les protéger dit-on des intempéries et des déprédations. Paradoxe de la conservation des vestiges exhumés.
La curiosité humaine est un besoin irréductible. À propos de la souffrance de Sisyphe, condamné à rouler au sommet d'une colline un rocher qui en redescendra sans cesse, et dont il fait une métaphore de l'existence que l'être conscient supporte jour après jour, Albert Camus conclut ainsi son essai sur l'absurde :
« Je laisse Sisyphe au bas de la montagne« ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme.
Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Mise à jour du 12.09.2012 : une poutre de la Villa des Mystères, ramollie par les intempéries, a emporté avec elle une partie du toit du péristyle qu'elle soutenait. Cependant la visite de la villa continue.

mardi 7 février 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (1)

Jean-Léon Gérôme, Le marchand de couleurs, 1891, retouché en 2012


On trouve dans le catalogue des œuvres du peintre Jean-Léon Gérôme, au milieu des spectacles pompeux et des portraits de naïades en caoutchouc quelques gemmes au charme inattendu, comme « Deux générations sur le pas de la porte » du musée de Rouen, ou « Le marchand de couleurs », reproduit ci-dessus. Ce dernier était exposé dans la récente rétrospective parisienne, fin 2010. L'étiquette le situait au Museum of Fine Arts de Boston, mais il ne fait curieusement pas partie des cinq tableaux de Gérôme recensés dans les collections du musée.
Il est parfois appelé « Le pileur de couleurs ». En effet, sur le tableau original, un personnage pulvérisait d'un geste ample des pigments roses dans le panier à gauche, mais par un adroit subterfuge inspiré des meilleures méthodes de l'information chinoise et des journaux à sensation, la rédaction de Ce Glob est Plat a préféré le supprimer, le jugeant dissonant dans l'harmonie générale du tableau.

Gérôme avait peint un personnage manifestement posé en studio. L'attitude artificielle, raide comme le Vieil Horace dans le Serment peint par David. Les jambes dans une position indéterminable. Affublé d'une lumière qui se raccordait si peu à l'ambiance de la scène que ce corps qui ne projetait pas d'ombre semblait découpé dans un livre illustré et collé approximativement ici, quelques centimètres au dessus du sol.

Absolument conscient du sacrilège que constitue cette atteinte à l'intégrité du patrimoine de la France, Ce Glob est Plat proposera dans cette nouvelle série de massacrer également des tableaux italiens, par exemple en redonnant un peu de vie au sourire inanimé et enfumé de la Joconde, ou des tableaux espagnols, en effaçant certains angelots grotesques.