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lundi 19 décembre 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (26)

Alternance de la nativité de Piero della Francesca avant et après restauration (cliquez pour les détails)
 
La bienpensante National Gallery de Londres sort au moment propice sa surprise de Noël. Elle expose pendant les fêtes, dans un nouveau cadre et isolée dans une petite salle, la naissance de Jésus, peinte en Toscane par Piero della Francesca vers 1480 et invisible depuis 2019 pour restauration.
Réalisée vers la fin de sa vie elle résume parfaitement le style épuré, limpide, solennel et désincarné de Piero.

Dans l’illustration animée ci-dessus (un va-et-vient de 2 secondes au format Gif), on remarquera en zoomant que les choses se déplacent légèrement entre les deux états du tableau. C’est dû aux défauts des reproductions photographiques, car en principe une restauration ne modifie un tableau que dans l’épaisseur. Mais il y a des exceptions, et c’est le cas ici. Les deux versions du tableau n’ont pas la même largeur. Elle a été augmentée de 2 ou 3 millimètres. 
La restauratrice, qui considérait que l’ovale de la rosace du luth à droite ne correspondait pas à l’orientation du reste de l’instrument, chose peu plausible chez ce mathématicien et maitre de la perspective qu’était Piero, a compris que la largeur du tableau avait été réduite. Lors de son transport au 19ème siècle le panneau de bois avait été séparé verticalement en 2 parties dans un axe passant par le visage du musicien, la rosace et les mains de l’enfant (curieux traitement pour un tableau d’à peine 123 cm ! Aurait-il voyagé en fraude ?)
À Londres, les deux parties ont été recollées, mais il manquait l’épaisseur de la lame de scie, que la restauratrice a donc recréée. Probante sur l’ovale de la rosace, sa manipulation l’est nettement moins sur la bouche et l’œil du musicien, et devient amusante quand on note que le majeur et l’index droits de l’enfant esquissent maintenant la lettre V.

Lors d’une ancienne tentative de lessivage un peu trop volontaire, les visages des deux paysans avaient presque disparu. Là encore la restauratrice les a reconstitués. Le résultat est décevant. Même s’ils sont dans l’ombre de l’auvent, Piero les aurait-il peints avec si peu de relief, si plats et aussi rouges ?
Petite remarque à l’attention des mécréants, le jeune paysan sous l’abri ne lève pas la main pour interpeler le chauffeur d’un hypothétique autobus qui parcourrait la campagne toscane. Il désigne en réalité un trou dans le toit de paille par où serait passé l’Esprit saint, ou le doigt de Dieu, ou peut-être l’enfant même. Reconnaissons que son témoignage n’est pas très clair. 

La disparition de la corne du bovin est aussi mystérieuse. Un commentaire du Giornale dell’arte affirme que Piero l’aurait peinte, puis effacée. Elle aurait donc été révélée lors d’une ancienne restauration, et enfin effacée par la restauratrice actuelle qui connaitrait les intentions du peintre ? Remarquable ! 
Il est en revanche certain que l’âne qui brait en direction du trou est un repentir de Piero (et peut-être aussi le bovin). Il l’a peint par dessus un mur de pierre achevé mais pas totalement sec, et comme toujours dans ce cas la couche supérieure a été partiellement absorbée faisant lentement réapparaitre les pierres. La restauratrice en a atténué l’effet. 

Il y a nombre d’autres détails à observer dans ce jeu des 7 erreurs, comme l’apparition d’un plectre entre les doigts du musicien à gauche, mais le plus notable cadeau de cette opération de maintenance, c’est l'illumination de l'ensemble. Un merveilleux air frais a balayé le voile d'impuretés grises et jaunes incrustées dans les couches de vernis.

On pourrait affirmer aujourd'hui, pour paraphraser Cioran à propos de Jean-Sébastien Bach, "S’il y a quelqu'un qui doit beaucoup à Piero della Francesca, c'est bien Dieu". Y a-t-il une manière plus belle de représenter la féérie, l’irrationnel, que par ces lignes pures, ces couleurs douces, ces visages distants, impassibles, ces personnages légendaires qui ne projettent pas d’ombre, cette paix ? 

En prime, en cliquant sur la vignette ci-dessus, vous pourrez télécharger (11Mo), imprimer en taille réelle et accrocher au-dessus de la cheminée ou d'un radiateur la splendide reproduction de la National Gallery. C’est gratuit (sauf l’impression).

Mise à jour le 7.01.2023 : La restauration d'une œuvre importante crée systématiquement une polémique. Dès le 17 décembre, un article du Guardian stigmatisait le nouveau Piero, insistant sur le visage repeint des deux bergers.
Mise à jour le 22.12.2023 : La polémique persiste, on demande toujours dans Il giornale dell'arte qu'une commission d'experts internationaux se prononce sur les deux paysans avinés reconstitués par la restauration de la National Gallery.

mercredi 11 juillet 2018

Un cadeau ducal (1 de 2)

Noël approche (affirmation destinée à éprouver les détecteurs de « fake news »), avec son rituel de cadeaux désintéressés et de bonheur du commerçant. Respectueux des coutumes et de leurs usagers, Ce Glob est Plat a souhaité offrir un présent inestimable à ses lecteurs.
Et qu'y a-t-il de plus inestimable que le manuscrit enluminé sur parchemin des Très riches heures du duc de Berry, œuvre unique réalisée entre 1410 et 1489 et conservée au musée Condé, dans le château de Chantilly ?

À dire vrai, Ce Glob est Plat qui divertit régulièrement, depuis 12 ans et 600 chroniques, pas loin de 30 lecteurs, n’offrira pas l’original, le partage aurait créé des chicaneries, mais une magnifique reproduction électronique en facsimilé du manuscrit complet, quatre fois plus grand que nature, indestructible, aisé à feuilleter, et sans copyright.

400 pages qui foisonnent de lettrines historiées, d’illustrations lumineuses, fantastiques (ci-contre la marge du folio 038v), et de 66 enluminures en pleine page minutieusement peintes, au pinceau à 3 poils, d’abord par les trois Frères Limbourg, puis peut-être, disent certains, par Barthélémy d’Eyck (illustrateur de l’autre plus beau manuscrit du monde, Le cœur d’amour épris pour René d’Anjou), et enfin par Jean Colombe.


Pareil présent est-il concevable ? Vous doutez, vous pensez qu’on se joue de votre crédulité, vous préparez déjà les attendus d’une dénonciation circonstanciée aux revues de défense des consommateurs.
Ah méritez-vous pareil cadeau ? Votre méfiance est désobligeante. Vous faut-il des preuves ?

Un détail fripon du folio 002v peut-être ?

Un détail du folio 006v ?

Non, du folio 010v, le plus beau ?

Du folio 064v peut-être ?

Ou du folio 142v ?

Mais, il fait nuit, il est déjà si tard ! Nous continuerons un jour prochain, alors...

samedi 18 février 2012

L'âge de la pierre

Imaginez une planète où la nature a été beaucoup plus généreuse que sur la plupart des autres planètes. Où elle s'est assoupie mollement sous la caresse des vagues de l'océan, durant des milliards d'années, si bien que la vie, et même une sorte d'intelligence, ont eu le temps d'expérimenter, de s'épanouir, de croitre. Imaginez partout des fleurs en sucre, des oiseaux, des lacs de miel, des mers de lait d'amandes.

Imaginez sur cette planète un pays producteur de sirop d'érable, où tout le monde croit au Père Noël et pense qu'il est à l'origine de tous ces bienfaits. Un pays où quelques uns savent que ça n'est qu'une farce absurde destinée à endoctriner et asservir les faibles et les ignorants. Un pays qui cache ses femmes (et parfois les lapide) car leur beauté est l'œuvre du Père Fouettard.

Imaginez dans ce pays un poète naïf qui soudain exprime sur les murs de la ville des doutes (tièdes et plutôt révérencieux) sur le Père Noël. Imaginez alors la réaction de tous ces cerveaux vidés par des siècles de lessivage, quand craignant pour ses privilèges, un triste clown télédiffusé et pleurnichard les menace de la vengeance du Père Fouettard s'ils ne décapitent pas immédiatement le jeune renégat.

Imaginez enfin le silence de la planète entière, qui ne croit pas nécessairement au même Père Noël, et qui calcule que sauver la tête d'un pauvre incrédule ne vaut pas le risque de perdre les flots quotidiens de ce sirop d'érable qui adoucit tant de maux.

Vous jugeriez sans doute cette Humanité indigne de la terre qui l'a créée et juste bonne à retourner à l'âge de la pierre d'où son esprit pesant et superstitieux n'est jamais sorti.

Heureusement, tout cela n'existe pas.


Tuez tous les artistes, Venise janvier 2010