Améliorons les chefs-d'œuvre (26)
Alternance de la nativité de Piero della Francesca avant et après restauration (cliquez pour les détails)
La bienpensante National Gallery de Londres sort au moment propice sa surprise de Noël. Elle expose pendant les fêtes, dans un nouveau cadre et isolée dans une petite salle, la naissance de Jésus, peinte en Toscane par Piero della Francesca vers 1480 et invisible depuis 2019 pour restauration.
Réalisée vers la fin de sa vie elle résume parfaitement le style épuré, limpide, solennel et désincarné de Piero.
Dans l’illustration animée ci-dessus (un va-et-vient de 2 secondes au format Gif), on remarquera en zoomant que les choses se déplacent légèrement entre les deux états du tableau. C’est dû aux défauts des reproductions photographiques, car en principe une restauration ne modifie un tableau que dans l’épaisseur. Mais il y a des exceptions, et c’est le cas ici. Les deux versions du tableau n’ont pas la même largeur. Elle a été augmentée de 2 ou 3 millimètres.
La restauratrice, qui considérait que l’ovale de la rosace du luth à droite ne correspondait pas à l’orientation du reste de l’instrument, chose peu plausible chez ce mathématicien et maitre de la perspective qu’était Piero, a compris que la largeur du tableau avait été réduite. Lors de son transport au 19ème siècle le panneau de bois avait été séparé verticalement en 2 parties dans un axe passant par le visage du musicien, la rosace et les mains de l’enfant (curieux traitement pour un tableau d’à peine 123 cm ! Aurait-il voyagé en fraude ?).
À Londres, les deux parties ont été recollées, mais il manquait l’épaisseur de la lame de scie, que la restauratrice a donc recréée. Probante sur l’ovale de la rosace, sa manipulation l’est nettement moins sur la bouche et l’œil du musicien, et devient amusante quand on note que le majeur et l’index droits de l’enfant esquissent maintenant la lettre V.
Lors d’une ancienne tentative de lessivage un peu trop volontaire, les visages des deux paysans avaient presque disparu. Là encore la restauratrice les a reconstitués. Le résultat est décevant. Même s’ils sont dans l’ombre de l’auvent, Piero les aurait-il peints avec si peu de relief, si plats et aussi rouges ?
Petite remarque à l’attention des mécréants, le jeune paysan sous l’abri ne lève pas la main pour interpeler le chauffeur d’un hypothétique autobus qui parcourrait la campagne toscane. Il désigne en réalité un trou dans le toit de paille par où serait passé l’Esprit saint, ou le doigt de Dieu, ou peut-être l’enfant même. Reconnaissons que son témoignage n’est pas très clair.
La disparition de la corne du bovin est aussi mystérieuse. Un commentaire du Giornale dell’arte affirme que Piero l’aurait peinte, puis effacée. Elle aurait donc été révélée lors d’une ancienne restauration, et enfin effacée par la restauratrice actuelle qui connaitrait les intentions du peintre ? Remarquable !
Il est en revanche certain que l’âne qui brait en direction du trou est un repentir de Piero (et peut-être aussi le bovin). Il l’a peint par dessus un mur de pierre achevé mais pas totalement sec, et comme toujours dans ce cas la couche supérieure a été partiellement absorbée faisant lentement réapparaitre les pierres. La restauratrice en a atténué l’effet.
Il y a nombre d’autres détails à observer dans ce jeu des 7 erreurs, comme l’apparition d’un plectre entre les doigts du musicien à gauche, mais le plus notable cadeau de cette opération de maintenance, c’est l'illumination de l'ensemble. Un merveilleux air frais a balayé le voile d'impuretés grises et jaunes incrustées dans les couches de vernis.
On pourrait affirmer aujourd'hui, pour paraphraser Cioran à propos de Jean-Sébastien Bach, "S’il y a quelqu'un qui doit beaucoup à Piero della Francesca, c'est bien Dieu". Y a-t-il une manière plus belle de représenter la féérie, l’irrationnel, que par ces lignes pures, ces couleurs douces, ces visages distants, impassibles, ces personnages légendaires qui ne projettent pas d’ombre, cette paix ?
Mise à jour le 7.01.2023 : La restauration d'une œuvre importante crée systématiquement une polémique. Dès le 17 décembre, un article du Guardian stigmatisait le nouveau Piero, insistant sur le visage repeint des deux bergers.
Mise à jour le 22.12.2023 : La polémique persiste, on demande toujours dans Il giornale dell'arte qu'une commission d'experts internationaux se prononce sur les deux paysans avinés reconstitués par la restauration de la National Gallery.
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