dimanche 11 décembre 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (25)



L’église Saint-Vincent du Mas d’Agenais, village sur la Garonne entre Bordeaux et Agen, abritait, depuis le don en 1805 d’un officier de l’armée napoléonienne, un tableau sombre de taille moyenne, accroché à plus de 3 mètres de hauteur et figurant le prophète de la religion chrétienne, dans une situation manifestement douloureuse au moment le plus désagréable de son histoire, "chétif et misérable" dit la conservatrice des Monuments historiques. 

En 1959 un restaurateur découvrait au centre du tableau, peint sur le bois au pied de la croix, un paraphe illustre, les lettres RHL imbriquées pour "Rembrandt fils d’Harmens, de Leyde" et une date, 1631.
Sans aucune protection mais jamais volé pendant 200 ans, à peine mieux protégé derrière une vitre de 2002 à 2016, le tableau vient de séjourner 6 ans dans la salle sécurisée du trésor de la cathédrale de Bordeaux, le temps de lui construire dans l’église Saint-Vincent un écrin blindé et vidéo-surveillé à outrance, avec des petits trous pour l’hygrométrie, homologué par les instances.  

Son retour au Mas d’Agenais le 24 mai 2022 fut une fête. Sur le site de la mairie la revue de presse en est impressionnante. La planète entière sait maintenant que le village possède, dans l'église accessible tous les jours pour des repérages, une chose invendable mais estimée 90 millions d’euros (ou "70 ans de budget de la commune"). De quoi donner des démangeaisons à tous les monte-en-l’air amateurs d’art et de sensations. On sait que l’épithète "invendable" ne les arrête plus.

Le 7 aout, dans l’église romane renaissante, une messe filmée par la télévision néerlandaise (Rembrandt est la fierté des Pays-Bas à l’égal de leur fromage) se concluait par une scène irréelle qui mérite d’être relatée (à 13:45 sur la vidéo) : un homme âgé couvert d’une cape vert-olive et d’une jolie petite calotte fuchsia au sommet du crâne, faisait vers la vitre qui protège le tableau des gestes mystérieux avec un petit marteau de métal argenté, puis balançait dans la même direction un appareil précieusement ciselé suspendu à une chainette et qui fumait un peu. Le commentaire en hollandais ne permet pas de savoir ce qu’il se passait mais la ferveur des chœurs en fond sonore soulignait l’importance de cet étrange cérémonial.

Importance au moins économique, car cet été, aux dires d’une commerçante du bourg, il fallait presque réserver pour aller prendre un café au Bistro de la Halle, et l’église voyait alors passer pas loin de 100 touristes par jour, "essentiellement des cyclistes", y compris en semaine. 
On entend même qu’un boulanger s’installerait dans le village. Il semble pourtant y en avoir déjà un, discret, au bout de la rue du beurre, et une boulangerie sans boulanger, abandonnée au coin de la Grand-Rue. L’euphorie et les micros-trottoirs font parfois dire n’importe quoi.
  

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