samedi 27 juin 2009

M. Lewis parmi les ombres

Martin Lewis, graveur, illustrateur, peintre.

1881, Castelmaine, Victoria, Australie
1962, New York city, États-unis.

M. Lewis, Late traveler 1949 (pointe sèche, 31x42cm)Quelques repères : bohème, il émigre aux États-unis en 1900, à New York en 1909. Il fait un séjour en Angleterre en 1910, où il rencontre Whistler et Seymour Haden. En 1915, il grave ses premières œuvres personnelles et enseigne la gravure à Edward Hopper. Il fait un long voyage au Japon en 1920. Ses vues du Japon et ses nocturnes de New York se vendent assez bien entre 1925 et 1935. Puis il est vite oublié. Le catalogue de ses gravures comprend 148 numéros.

Que dire du style de Lewis ? Il suffit de regarder. Son sens incomparable de la composition, ses effets de lumière si variés et nuancés, et ces ombres qui s'infiltrent partout.

M. Lewis, Tree Manhattan 1930 (pointe sèche, 41x33cm), détail.Lewis est sans doute un des plus grands graveurs, et un des plus méconnus (1). De son vivant déjà, il avait rejoint les silhouettes anonymes qu'il dessinait parmi les ombres. Un blogueur nostalgique l'en sort parfois, momentanément, quand il le redécouvre dans quelque site américain, eldorado des dénicheurs (2).


(1) Le site de l'Art Students League de New York où il a été professeur de 1944 à 1951 ne le cite même pas dans les nombreux artistes dénombrés dans son historique.

(2) Le site du Detroit Institute of Arts propose près de 200 reproductions qui peuvent toutes être détaillées au moyen d'un zoom, et le site du Smithonian American Art Museum présente 20 des plus belles gravures de Lewis en splendides reproductions de grand format.

Mise à jour le 22.07.2023 : Évidemment, après 14 années, on peut se douter que les liens vers les reproductions ne fonctionnent plus. L'outil de recherche du musée de Detroit étant déficient, cherchez exactement le texte "Martin Lewis, American, 1881-1962" (avec les guillemets) à cette adresse, et commencez la visite par les dernières pages trouvées.

Montage d'ombres et de silhouettes extraites de gravures de Martin Lewis

samedi 20 juin 2009

La vie des cimetières (21)


Faut-il respecter les morts ?

Les moines capucins de Palerme, en Sicile, l'affirment. Et comment les respecter ? En ne les photographiant pas, répondent les moines, par le moyen d'affichettes libellées «Pas de films, pas de photos, les catacombes sont un lieu sacré à respecter».

NO FILM, NO FOTO, Le catacombe luogo sacro da rispettareParce qu'ils les exposent, les morts. Par centaines, grimaçants et difformes, habillés de tenues folkloriques rapiécées ou de sacs de toile, en cage ou dans des niches, le long des galeries des catacombes du monastère qui régurgite par jour des légions de touristes horrifiés, un peu dégoutés, mais rafraichis par l'air ambiant et les plaisanteries égrillardes des pères de famille rassurants.

De tout cela, les morts se contrefichent, naturellement. Ils sont dans le pays de l'immobilité où les cellules, désorganisées, inconscientes, ne produisent plus que de la poussière.

Alors pourquoi leur prodiguer ces égards révérencieux, proches du fétichisme ? Parce que le culte des morts est une immense entreprise d'autosuggestion qui affirme qu'on n'aura pas vécu pour rien, qu'il y a une continuité de l'espèce, un héritage, mais qui admet implicitement que la seule survie de l'individu est dans la mémoire des survivants.

Résumons-nous :
On devra respecter les morts afin qu'ils survivent un peu.
NE CLIQUEZ PAS sur cette image si vous aimez les enfants !Pour cela on les exposera aux visiteurs, sous forme desséchée, comme des grenouilles dans les vitrines poussiéreuses d'un vieux museum d'histoire naturelle, si possible sous une lumière sinistre dans des caveaux glacés.

Et on ne s'étonnera plus alors de découvrir parfois, dans une campagne proprette du sud de Londres, une grand-mère racornie clouée avec tous ses chats, depuis des mois, sur le mur du salon d'un pavillon quelconque. Le petit-fils aura certainement, jeune, visité en famille les momies de Palerme.

samedi 13 juin 2009

Chronique de quelques petites libertés

La loi, digne d'une république bananière, avait été fignolée «aux petits ognons». Jugez-en. Ça se passe sur internet.
Les marchands de culture (disques et films, surtout) prétendent que leurs médiocres résultats sont dus aux téléchargements illicites, sur les réseaux de partage, des œuvres dont ils détiennent les droits. Alors ils ont obtenu une loi qui devait les autoriser à se connecter sur ces réseaux, simuler la recherche d'œuvres protégées, noter soigneusement l'adresse électronique des internautes qui les téléchargent (donc les partagent), et en transmettre la liste à un organisme d'enregistrement appelé Hadopi. Cette entité administrative, sans la moindre vérification, demandait alors aux fournisseurs d'accès, à la première récidive, de couper la connexion internet des contrevenants, de leur interdire pendant un an la souscription d'un autre abonnement, et de continuer cependant à percevoir le montant de l'abonnement suspendu. Tout ceci était entièrement automatisé pour répondre à des impératifs de performance (1000 abonnements suspendus par jour), sans moyen sérieux de défense ou de protection contre les usurpations d'identité, parait-il aisées.
Tout était vraiment bien ficelé. Le Conseil d'état, l'Assemblée nationale et le Sénat n'avaient rien trouvé à redire et les premiers milliers de lettres recommandées étaient prêts à partir quand a été connu l'avis du Conseil constitutionnel (décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009). Il remettait en cause toutes les avancées démocratiques de la loi : la présomption de culpabilité, l'absence de droit à la défense, la suspension d'une liberté fondamentale par une autorité non judiciaire. Quand on sait comment sont nommés les membres du Conseil constitutionnel, on frémit devant une telle ingratitude, ou une telle mesquinerie. Néanmoins le gouvernement a promulgué la loi sans attendre, le 12 juin, en supprimant les phrases et articles censurés par le Conseil constitutionnel, certainement pour les replacer bientôt après rafistolage.

Et il parait qu'en matière de libertés Hadopi n'est rien à côté de la loi Loppsi qui va passer cet été, pendant le mois d'aout, quand tout le monde fera la sieste. Comme en Chine, c'est le gouvernement qui interdira désormais sans contradiction possible les sites qui ne lui conviennent pas, et un tas d'autres plaisanteries dans le même esprit.

Au Louvre, ce qu'il reste de la douce main de la liberté parvient encore à apaiser la croupe fougueuse de l'abus de pouvoir devant les yeux absents de la République.Profitons de cette réjouissante chronique des libertés pour nous inquiéter de l'article 33. Rappelons qu'il instaurait une interdiction progressive de photographier les œuvres appartenant au domaine public exposées dans le musée du Louvre et qu'un article bancal du site du musée contredisait le règlement de visite et prétendait l'article 33 modifié et la photographie tolérée. Aujourd'hui, plus d'un an après, le règlement n'a pas changé et reste en contradiction avec les propos du site.
Alors Ce Glob Est Plat, fidèle à l'actualité la plus brûlante, a envoyé un reporter téméraire et chevronné constater la situation. Il en est revenu entier, avec quelques centaines de photograpies autorisées et une sentence de grand journaliste : « Ce qu'il reste de la douce main de la liberté parvient encore à apaiser la croupe fougueuse de l'abus de pouvoir devant les yeux absents de la République ».

lundi 1 juin 2009

Henri Martin, peintre (1860-1943)

Henri Martin : La Bastide-du-vert et Marquayrol (musée de Cahors Henri-Martin)On reconnait communément deux grandes spécialités au peintre Edgar Degas : les représentations aux pastels de jeunes filles en tutu et les jugements acerbes sur ses confrères peintres. Henri Martin n'y a pas échappé. Degas le qualifiait, pour résumer, d'impressionniste pour sous-préfectures.
Ça n'est pas faux. Honoré par les grandes institutions de la nation, médaillé, couvert de prix, Henri Martin a tapissé durant près de 60 ans des hectares de murs de mairies et de bâtiments publics avec d'immenses et édifiantes peintures murales, à la manière néo-impressionniste.

Henri Martin : La Bastide-du-vert et Marquayrol (détail)Il a été affecté par toutes les maladies en «...isme» de son temps, du romantisme à l'académisme, ponctuées de fortes poussées d'infantilisme (symbolisme, spiritualisme, mysticisme rose-croix et autres philosophies pour boyscouts).
Alors naturellement, vers la fin des années 1880, comme nombre d'autres peintres de l'époque (Gauguin, Van Gogh, Segantini...), il attrapait le virus du divisionnisme (ou pointillisme), propagé par Seurat et Signac. Et il n'en guérit jamais. Pendant plus de 50 ans, toutes ses œuvres, des grandes machines officielles aux croquis les plus intimes, seront faites de taches colorées juxtaposées.
On comprend pourquoi Degas lui en voulait. Il avait transformé en un style compassé, théâtral, presque académique, une manière de peindre qui était née de la liberté et du refus des conventions et des compromissions. Et trahison ultime, il en vivait royalement. Au point qu'il acheta en 1900 une maison dans le Lot, près de Cahors (suivie de deux autres à Saint Cirq-Lapopie et Collioure), où il se retira presque de toute vie mondaine pour peindre des séries de paysages colorés, calmes et confortables, pendant encore 40 ans.

Henri Martin : La maison du sabotierHenri Martin : Le bassin de Marquayrol









Ce sont ces paysages sereins, modestes et silencieux qui font la part la plus belle de l'exposition consacrée à Henri Martin, actuellement à Douai, pour trois semaines encore. Allez-y sans hésiter, il y a toujours des places de parking disponibles au musée de la Chartreuse.