mardi 28 décembre 2010

Le Noël des ayants droit

S'il n'en avait qu'un, accordons au moins à l'illustre Pablo Picasso le génie du commerce. De l'assiette creuse en céramique au gribouillis sur un coin de nappe en papier, il aura, de son vivant, signé plus de 20 000 œuvres. Et ce talent pour monnayer sa signature est certainement héréditaire (comme dirait le premier savant de France) puisque depuis sa mort en 1973 le nombre d'objets signés Picasso n'a cessé de proliférer.

Aujourd'hui un million de voitures de la gamme Citroën Picasso arborent l'énergique paraphe, dont on peut également acheter sur internet pour moins de 5 euros un fac-similé autocollant. Ainsi, de nos jours, toute maison accueillante qui ne possèderait pas au moins un objet signé Picasso serait inexcusable.

Et si un Picasso signé ne coûte que quelques euros, que valent 271 Picasso non signés ?
Car c'est le nombre de croquis, papiers collés et autres esquisses, inconnus des spécialistes, qu'un électricien septuagénaire vient d'exhumer. Il les aurait reçus en don alors qu'il installait des alarmes dans les dernières propriétés des Picasso, entre 1970 et 1980. Aucun n'est signé, mais les héritiers ayants droit (la Picasso Administration, prononcez «administreïcheune»), les croient authentiques. Et comme ils doutent du récit de l'électricien et aimeraient récupérer le magot, ils ont porté plainte pour recel. Les œuvres ont été saisies illico par la police de l'art.
La Picasso Administration devra prouver qu'il y a eu vol. Faisons lui confiance, elle y mettra les ressources nécessaires, et attendons la suite qui pourrait être palpitante. À moins que l'histoire ne finisse par la traditionnelle et plate négociation où les plaignants perdent une bouchée de pain et gagnent 271 Picasso (qu'ils estiment entre 50 et 100 millions d'euros).
Ceci confirme que la signature de Picasso n'a plus aucune valeur.

C.Q.F.D.

dimanche 19 décembre 2010

Nuages (24)

Quelques nuages badins divaguent auprès des tours de San Gimignano, petit bourg hautement touristique de Toscane. Et on comprend pourquoi les américains l'appellent « la Manhattan médiévale ».

Ceci n'est pas un attentat islamiste.

samedi 11 décembre 2010

Correspondances




La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Correspondances (première strophe),
de Charles Baudelaire, dans Les fleurs du mal.


La poésie est une chose parfois assez confuse.
C'est ce qui la rend plus évocatrice, dit-on, et c'est sa fonction.
Sans doute.

L'arbre trône dans le parc de la Fondation de l'Hermitage, à Lausanne. Les colonnes reposent sous les tribunes de l'amphithéâtre de Pozzuoli, près de Naples.

dimanche 5 décembre 2010

Arbeit Macht Frei

Le travail rend libre. Profonde devise inscrite en fer forgé à l'entrée des camps d'extermination nazis, et régulièrement citée depuis par les nantis (ceux que le travail des autres rend libres), notamment par l'actuel Roi de la France.

Depuis des siècles l'être humain fournit une vie de labeur au service de la Patrie et de la Famille, après quoi on lui accorde de se distraire un peu, ou de se reposer, le plus souvent horizontalement avec les asticots.
Lorsque l'être humain est ainsi autorisé à cesser de travailler, s'il tient encore à la verticale, on appelle cela « la retraite ». C'est dire le peu de valeur qu'on accorde à cet état intermédiaire. Il suffit de lire la liste désespérante des synonymes du mot retraite (refuge, solitude, asile, fuite, repli, trou, cachette...)
On raconte qu'il existerait des êtres humains pour qui le travail est un bonheur quotidien et non une pesante obligation. C'est certainement de la propagande, une légende imaginée pour faire tourner les usines, les commerces, le système... Les plus simples y croient.

Se rassembler à six, armés d'appareillages sophistiqués, masqués par un tunnel et un virage, et surprendre les excès de vitesse des voitures entrainées par une pente naturelle, malgré la ressemblance avec un loisir, constitue cependant un travail rémunéré.

C'est donc fait depuis le 9 novembre. Le clan de ceux qui ont été élus pour ne pas avoir le même régime de retraite que les autres, a voté, sous l'impulsion du clan de ceux qui n'auront jamais assez cotisé pour partir à la retraite à l'âge légal, une loi ajoutant deux années à cet âge légal, c'est à dire deux années de peine supplémentaire pour ceux qui auraient déjà suffisamment cotisé pour partir à l'âge légal précédent. Le clan de ceux qui en souffriront est descendu dans la rue, par millions, mais le clan de ceux qui les coordonnaient, qui n'auront pas eux-mêmes le quota de cotisations nécessaire pour partir à l'âge légal précédent, ne semblait pas vraiment motivé pour contre-argumenter.

Ainsi, avec les progrès de la civilisation, s'étendront les cimetières de ceux qui sont morts au travail, pendant que leurs élus, démocrates fervents et prospères, sur leur lit de mort naturelle, auront l'expression sereine et satisfaite de celui qui croit son travail accompli.

dimanche 28 novembre 2010

9084

Le dessin est maladroit, les yeux et la bouche désaxés comme par un peintre cubiste, les mains épaisses. Tous la nomment Sappho parce qu'elle tient des tablettes de cire et un stylet.
Le musée national d'archéologie de Naples l'appelle 9084.

On l'aurait découverte vers 1760, quand les fouilles étaient alors de la flibuste plutôt qu'une science. Détachée d'un mur, vers la région 6, ilot 17 (insula occidentalis, ancienne Masseria Cuomo, peut-être ici ou ), le long de la via Consolare, qui conduit à la via des sépulcres, et à la villa des mystères, mais on ne savait pas encore qu'on pillait alors l'antique Pompéï.

Elle évoque un de ces visages surpris sur les murs d'une villa ensevelie, lors de la percée du métro de Rome, cette scène inoubliable du film « Fellini Roma », quand l'air extérieur vient ronger en quelques minutes les fresques millénaires, et les efface.

lundi 22 novembre 2010

Une obsession exorbitante


Il est juste que la pornographie enfantine soit montrée du doigt, pourchassée, et qu'il soit devenu complexe pour l'amateur de se procurer ces images immorales.
Aussi faut-il saluer le courage des responsables du musée du Louvre, son Président en tête, qui dévoilent aujourd'hui au public leurs penchants coupables pour un petit tableau sur bois de Lucas Cranach, représentant trois jeune filles à la nudité offerte, aux seins naissants et au pubis à peine ombré. Observons l'enthousiasme gourmand qu'ils mettent à louer l'image, à en évoquer la grâce et la sensualité.

Le vendeur en demande quatre millions d'euros (4500 euros par centimètre carré). Et comme il serait incorrect, pour satisfaire cette onéreuse toquade, de trop puiser dans les immenses richesses du Louvre qui sont le fruit de l'impôt (et d'une gestion énergique), son Président et le Directeur des peintures sollicitent la générosité des donateurs privés, par le truchement d'un site luxueux et raffiné destiné à les séduire et récolter ainsi les subsides providentiels.
Et ils sont prêts à tout pour retenir en France ce chef d'œuvre de la peinture allemande, jusqu'à prétendre que le musée est actuellement pauvre en Cranach, alors qu'il en possède sept dont au moins deux merveilles (le portrait présumé de Magdalena Luther et la Vénus debout dans un paysage, tellement proche de la jeune fille au centre du trio convoité qu'elle en arbore la même attitude, le même vêtement et le même chapeau de velours rouge). En outre ils insinuent qu'on pourrait ne plus jamais le revoir, s'il n'entrait pas maintenant dans les collections du Louvre. C'est dire la mesure de l'obsession qui les ronge.

En attendant, le Louvre ne nous avait jamais gratifié d'une aussi belle reproduction, trois fois plus grande que les dimensions du tableau original.

Actualité du 17.12.2010 : Un mois aura suffi pour que cinq mille donateurs abandonnent un million d'euros. Le tableau finira donc fatalement dans une vitrine du musée du Louvre.

lundi 15 novembre 2010

Un Van Gogh sur trois est un Van Gogh

Un Van Gogh sur trois est un Van Gogh. Et encore. Peut-être moins.

Le 21 aout 2010, aux environs de 19h02, la presse sur internet s'effarouchait du vol d'une toile de Van Gogh, découpée au cutter dans le musée Khalil, au Caire, dont elle déplorait unanimement les conditions de sécurité scandaleuses.

Ça démarrait en coup de vent, sur le site leparisien.fr « Vol audacieux en plein jour d'une valeur inestimable... La police a visionné les enregistrements des caméras de surveillance... Un responsable du ministère assure que le tableau a été récupéré dans les bagages de deux italiens à l'aéroport » (1). Affaire rondement menée, grâce à l'habileté et la sagacité des officiers de sécurité déclarait-on sur certains sites anglais.

Quelques heures plus tard arrivaient les premiers démentis, et dans la journée du 22 tous les sites d'informations avaient corrigé leur copie et s'étaient alignés sur la rédaction de l'Agence France Presse (2) : le ministre de la culture, mal renseigné par un haut fonctionnaire désormais en disponibilité, s'était excusé en public. Les deux italiens étaient irréprochables et relâchés, le tableau toujours invisible. Et comme les systèmes de sécurité et d'alarme ne fonctionnaient pas, de nombreuses sanctions allaient tomber. Les responsables du musée avaient pourtant protesté « on attendait des pièces de rechange » (3). Inflexible, le ministre a suspendu à peu près tout le monde, avec interdiction de quitter le territoire égyptien.

Sur les rares sites moins plagiaires, informés par la presse égyptienne, on apprenait du musée, surnommé « Le Petit Orsay », que son système de sécurité était défectueux depuis quatre ans, et qu'on y trouvait Renoir, Monet, Rodin, Gauguin, Degas, Picasso et quelques gardiens alanguis dans l'entrée (Nathalie Niel sur suite101.fr, le 23), que tous devaient prochainement quitter le musée, en prévision de travaux de modernisation, que le vol avait été commis à l'heure de la prière quand les gardiens s'étaient absentés (rfi.fr, le 24), et que plus tard, dans la bousculade des journalistes accourus, une statuette de Cupidon s'était éparpillée sur le carrelage du musée (fluctuat.net, le 25).

Résumons, en écoutant sur le site europe1.fr la communication sonore et émue du fringant Pierre Cornette de Saint Cyr, célèbre commissaire-priseur de la scène parisienne « Découper au cutter un tableau de Van Gogh est un insupportable crime contre l'esprit... La seule issue pour le voleur sera d'exiger une rançon, mais qu'il se méfie, les autorités égyptiennes seront violentes ». Elles le seront, en effet, mais pas pour le voleur.

Le lecteur qui tient à connaitre la fin de cette histoire palpitante sera cependant désappointé. Car aujourd'hui le tableau court encore, mais pas les onze personnes condamnées à trois ans de prison (chacune) pour négligence : le responsable des beaux-arts du Ministère de la Culture, un collègue infortuné, la directrice du musée, son adjoint et sept gardiens. Ils ont naturellement une voie de recours, et pourront être libérés s'ils paient une caution de 10000 Livres, soit un an d'un salaire moyen (4). Nous voilà rassurés, les responsables désignés sont punis et le gouvernement lance précipitamment une vaste campagne de rénovation des sécurités des musées égyptiens. Les mauvais esprits rejetteront la faute sur le médiatique ministre de la culture, qui ne s'intéresse qu'à son image et aux antiquités égyptiennes, mais il faut admettre que pour des peintres impressionnistes et un Picasso, voir passer à peine une dizaine de visiteurs les jours d'affluence n'est pas vraiment stimulant.

Fataliste, Mohamed Salah sur courrierinternational.com constate qu'il ne peut en être autrement, dans une ville ou l'eau et l'électricité sont en permanence défaillantes.


Voilà les nouvelles. Et la belle harmonie de l'information. Notons cependant, par scrupule, une petite dissonance. Car si tout le monde s'entend sur le nom du peintre, c'est la cacophonie sur le sujet du tableau.

Quelques sites irrésolus parlent de « Vase aux fleurs ». Lemonde.fr du 23 le nomme « Coquelicots et marguerites » et affiche un tableau qui représente des branches de genêts et deux coquelicots (image C). Pour Nathalie Niel sur suite101.fr, c'est « Genêts et coquelicots », sans illustration. Le Site gouvernemental égyptien d'information l'appelle « Fleurs de pavot », et la majorité des sites le baptise en chœur « Coquelicots » (qui est un cousin du pavot).

Ils ont donc imploré une illustration auprès de la déesse Google, avec des coquelicots, si possible de Van Gogh. La première réponse fut celle du site commercial AllPosters.com (5), et dès le 22, leparisien.fr, 20minutes.fr, et probablement lexpress.fr et lefigaro.fr (6) illustraient leurs billets avec cette trouvaille (image B). Pas de chance, c'était la mauvaise reproduction d'un très mauvais tableau, attribué du bout des lèvres à Van Gogh par son propriétaire, le Wadsworth museum d'Hartford (USA, Connecticut), et exclu par les Vangoghophiles.

Le pompon revient à ouest-france.fr qui par honnêteté ou incompétence n'a toujours pas changé l'illustration postée le 22 (image A). Elle représente des coquelicots et des marguerites (comme dans le titre attribué par Le Monde) dans un vase au décor floral posé sur une nappe fleurie le tout sur fond de fleurs en tapisserie. Jolie prouesse, mais qui manque peut-être un peu de fleurs. Qui n'a pas dans sa famille une cousine éloignée qui distrait sa solitude en peignant ce genre de choses, à l'aquarelle ?

Finalement quel est le Vrai Gogh ? Les amateurs de peinture s'en doutent un peu, mais en sont-ils certains ? On raconte que ce tableau, déjà volé en 1977, retrouvé l'année suivante au Koweit dans des conditions douteuses et exposé depuis au musée Khalil n'était qu'une copie. Sur trois Van Gogh, il n'y en aurait aucun ?

***

1. Cette rédaction a disparu du site, l'article a été totalement réécrit.
2. On retrouve la même source sur les sites de Libération, Le Monde, Europe 1, TF1, Ouest-France, Figaro, l'Express. Les plus honorables font mention de la date du rectificatif.
3. Si vous trouvez cette histoire drolatique vous aimerez lire le récit similaire qui relatait les vols au musée d'Art Moderne de Paris, il y a quelques mois.
4. Ça ne couvrira pas la perte du tableau, estimé à 50 millions de dollars. Pour cela il aurait fallu incarcérer 35000 personnes aptes à payer la caution.
5. Le filigrane de la marque AllPosters qu'on obtient en agrandissant l'image était visible sur les illustrations des sites d'information. Elles ont été remplacées depuis mais on en trouve encore trace dans les archives de leparisien.fr.
6. On peut aisément déduire que lefigaro.fr a substitué l'image, en lisant les commentaires d'internautes, que le site a oublié d'édulcorer « On est vraiment sûr qu'il est de Van Gogh ? ça a un petit côté couvercle de boîte de chocolats, j'ignorais que Vincent avait peint des mièvreries pareilles... », ou encore « Vous ajoutez à la confusion en publiant la photo d'un tableau qui n'a rien à voir avec celui volé au Caire. Le vôtre est une croute piochée au hasard sur le Net. Ce n'est pas très professionnel tout ça ». Quant à lexpress.fr, le site affiche maintenant une page étrange avec trois photos d'officiels répondant à la presse, dont deux fois la même photo du procureur.


(*) Mise à jour du 24.03.2019 : après mures réflexions et expertises, le tableau vaguement attribué (image B) vient de l'être définitivement à Van Gogh (jusqu'à une prochaine mise en doute).

vendredi 29 octobre 2010

Nuages (23)

« Le sang qui irrigue le cœur est la pensée des hommes »
(Empédocle d'Agrigente, - 490 à - 430.)



Nuées et vapeurs sur l'Etna, vues de la Tour du Philosophe
(
Torre del filosofo).


Le lieu est appelé « Tour du philosophe » parce qu'ici, au 5ème siècle avant notre ère, le philosophe Empédocle, parmi les nombreuses morts qui lui sont attribuées, se serait jeté dans le cratère du volcan, laissant sur place une sandale pour prouver son geste.
Dans la lignée de Pythagore, Empédocle était à la fois un observateur de la nature aux intuitions clairvoyantes et un personnage public légendaire, entre le politicien, le prédicateur, l'ingénieur et le guérisseur.

Il disait que la lumière est un corps émis par un corps lumineux, qu'elle naît d'abord dans un lieu intermédiaire et que son mouvement nous est caché à cause de sa vitesse.
Il disait que le soleil est une grande masse de feu, qu’il est plus grand que la lune, que la lune ressemble à un disque plat qui projette son ombre sur la terre quand le soleil passe derrière, et que c'est la Terre qui fait la nuit en passant devant la lumière.
Il disait que la vie ou la mort ne sont qu'un agencement différent des mêmes éléments qui forment indifféremment des hommes, des animaux ou des plantes, comme le peintre qui utilise les mêmes couleurs pour créer des formes semblables à toutes les choses.
Il disait qu'au début, quand ces éléments commencèrent à se mélanger, naquirent beaucoup de têtes sans cou, des bras erraient nus et privés d'épaule, des yeux vagabondaient dépourvus de front, des membres solitaires cherchaient à s'unir, des pieds trainaient avec des mains en quantités, des faces et des poitrines regardaient dans des directions opposées, et des bovins à face d'homme côtoyaient des hommes à tête de bovin.


dimanche 24 octobre 2010

Théophile Schuler, peintre mortel

Théophile Schuler était un illustrateur et peintre strasbourgeois au tempérament romantique et au talent médiocre. Il a surtout illustré les livres du célèbre éditeur P.J. Hetzel, à l'époque de la gloire écrasante de son compatriote Gustave Doré. On trouve dans sa production picturale des thèmes exaltants, comme ces « Chevaux en liberté surpris par des chevaux-vapeur », ou l'immense « Char de la mort », lugubre Totenwagen, offert en 1862 au musée de Colmar qui l'expose avec fierté (voir les 3 illustrations de cette chronique).
C'est le thème conventionnel et rabâché de la danse macabre, la procession funèbre censée nous faire accepter cette idée hypocrite et illusoire, l'égalité de tous dans la mort.
Le peintre s'est enterré lui-même, au premier plan, au centre de la toile.


Mais les tableaux aussi sont mortels. Au dessus des chevaux, dans l'ombre bleu nuit du crépuscule, on voit se propager comme une gangrène. C'est le bitume qui composait certaines couleurs en tube de l'époque. Gorgé d'hydrocarbures, il ne sèche jamais et continue, 160 ans après, à ronger et décomposer la couche de peinture.

dimanche 17 octobre 2010

Les joies de l'ergotisme

L'ergot des céréales est un parasite. Il produit des alcaloïdes qu'on retrouve dans la farine, donc dans le pain, et qui occasionnent des hallucinations, des convulsions, la possession par le démon, des vomissements, des douleurs brûlantes, la nécrose puis la chute des orteils, des doigts, et enfin des membres. C'est l'ergotisme, un empoisonnement progressif de l'organisme. Au Moyen Âge, on l'appelait le feu de saint Antoine, le mal des ardents, la peste du feu.

Grünewald, détail du panneau de la tentation de saint Antoine
(musée d'Unterlinden, Colmar)

En ces temps-là, on croyait qu'un pèlerinage auprès des reliques des saints du christianisme, où d'images pieuses qui les représentaient, guérissaient, notamment du feu de saint Antoine. Et les moines Antonins du couvent d'Issenheim, près de Colmar, étaient renommés pour cela. Ils amenaient les malades devant les sculptures ou les peintures, pratiquaient un petit rituel, et le miracle se produisait, souvent. En fait, c'était le changement de régime alimentaire, notamment le pain fait d'une farine saine, qui désintoxiquait les malades les moins empoisonnés. Les moines l'avaient peut-être compris. Mais on ne dévoile pas un pareil filon.
Car de donation en donation, ils devinrent très riches et commandèrent un retable monumental, vers 1510, à Nicolas de Haguenau pour les sculptures, et, pour le polyptyque peint sur bois, à un homme dont tout a été oublié depuis, connu maintenant sous le nom probable de Mathis Gothart Nithart ou Matthias Grünewald.

Imaginez alors les malades commençant à se décomposer, transportés sur des civières au pied du retable. Un moine grassouillet ahane en déployant les immenses panneaux de tilleul. Le grincement des charnières se répercute sur les voûtes de la chapelle. Et un Christ fantastique en cours de résurrection sort alors des ténèbres. Couleurs éblouissantes, lumières au néon, magie !
On dirait David Copperfield, le célèbre illusionniste, filmé avec l'emphase de James Cameron ou l'émerveillement de Steven Spielberg. L'interminable linceul illuminé cache sans doute un savant dispositif pour maintenir ainsi le magicien, flottant dans l'espace.

Mais la féerie fonctionne.

Grünewald, panneau de la résurrection du Christ
(musée d'Unterlinden, Colmar)

***
Note : si vous souhaitez voir l'image de la résurrection dans ses dimensions originales sans les limites de l'éditeur Blogger à 1600 pixels, cliquez sur l'illustration. Mais Gougueule changeant fréquemment ses méthodes, il est possible que cela ne fonctionne pas du tout.

samedi 9 octobre 2010

Propos d'apéritif


Un jour, le voisin de palier, petit homme chétif et taciturne, vous annonce « Il n'y a pas d'autre monde, il n'y a pas d'âme ». Vous allez objecter « Qu'en savez-vous, en avez-vous la preuve ? », mais vous vous abstenez. Il pourrait, à bon droit, vous retourner la question, puisque c'est vous qui affirmez l'existence de quelque chose que vous ne pouvez pas démontrer. Vous pensez « Pourquoi ai-je invité ce voisin minable ? Je suis trop charitable. »

Puis vous l'entendez déclarer à la gentille dame légèrement handicapée qui s'occupe habituellement de votre ménage « En l'état actuel des connaissances, c'est la seule solution plausible, et elle se confirme de jour en jour ». Cette fois, vous n'allez pas le laisser noircir votre petite réception, et vous allez lui rétorquer « Et vous pensez avoir raison, presque seul contre 99 pour-cent de l'humanité qui affirment l'existence de l'au-delà ? » Mais vous vous ravisez. Il lui serait trop facile de vous répliquer qu'aucun des 99 ne s'accorde sur la description de cet au-delà, et que leur seul point de convergence, c'est qu'ils aimeraient volontiers y envoyer leurs contradicteurs.

Enfin, quand vous le surprenez à dire à votre petite filleule, si candide dans sa robe de deuil « Il n'y a pas d'autre monde, il n'y a pas d'âme », vous sentez monter le flot de vos remontrances.
Et vous vous entendez lui dire courtoisement « Vous reprendrez bien une saucisse cocktail ? »

jeudi 30 septembre 2010

Belle journée pour les champignons

Le 12 septembre 2010, un soleil resplendissant se répandait sur le pays. Au lever, le Roi de la France, voyant que que c'était un beau jour pour les champignons, rassemblait quelques sujets amis et partait d'un pas décidé dans son petit hélicoptère fêter le 70ème anniversaire de la découverte de la grotte de Lascaux et de ses spectaculaires peintures pariétales, à Montignac en Dordogne.
Quelques minutes plus tard, après une visite émue de la grotte originale, qui démontrait que les peintures n'étaient pas encore effacées par les nettoyages chimiques successifs, le Roi de la France s'abimait dans un discours visionnaire. Cette allocution déconcerta plus d'un amateur du paléolithique, moins par l'imprécision de ses références préhistoriques (1) que par sa fougue prophétique : il annonçait un Lascaux 4, et dans son élan un Lascaux 5.
Vous en étiez restés à Lascaux 2, et pas vraiment informés des nouveautés du paléolithique, vous n'imaginiez pas la fièvre des «remakes» remuer les berges indolentes de la Vézère. Qui vous le reprocherait ? Mais à Lascaux, le passé change tellement vite. Faisons une rapide rétrospective.

Il y a 17 ou 18 000 ans donc, Cro-magnon, un Homo sapiens un peu négligent, après la chasse, essuyait ses mains grasses et sanguinolentes sur les parois d'une caverne de Dordogne.

Lascaux 1
Découverte en 1940, très aménagée en 1948 pour y industrialiser le tourisme (1000 visiteurs par jour), la grotte commence à montrer des signes de corrosion dès 1955. L'installation d'un système de régulation thermique et hygrométrique en 1957 n'empêche pas l'apparition d'algues vertes et d'une couche opaque de calcite qui envahit les parois en 1960. En 1963, Lascaux 1 est définitivement fermée pour le public sans privilèges. Le système de régulation est remplacé en 1965, et des relevés sont réalisés par l'Institut Géographique National pour aboutir, après nombre de péripéties financières, à l'ouverture au public de Lascaux 2.

Lascaux 2
C'est l'étonnante et exacte duplication d'une partie de la grotte (salle des taureaux et diverticule axial), à 250 mètres de l'original, ouverte au public en 1983. Quelques morceaux supplémentaires (vache noire de la nef, scène du puits...) sont exposés dans le parc du Thot, triste Disneyland de la préhistoire en plastique, à 4 kilomètres, près du château de Losse.
Et Lascaux 2, se décompose également. De Lascaux 1, elle a hérité les 1000 visiteurs quotidiens et les maladies qu'ils transmettent. Sa restauration est devenue nécessaire (lancée en 2009 à raison de 4 mois par an pendant 5 ans) car elle reste la seule source sérieuse de finances. Pour combien d'années ? Trop près de l'original, le trafic qu'elle génère est considéré par certains comme une des principales causes de la dégradation de l'équilibre du site.

Lascaux 3
Décalcomanie en kit, ruineuse expérimentation sans lendemain pour certains, conçu, pour d'autres, comme le Lascaux de l'avenir, en pièces légères et mobiles destinées à la promotion de l'art paléolithique français à travers la planète, ce fac-similé de voyage, partiel (seule la nef est copiée), n'a jamais vraiment voyagé. Exposé en 2009 dans le parc du Thot, sous le nom de «Lascaux révélé», à la place des morceaux volants de Lascaux 2 (mis au rebut sans précautions), il semble aujourd'hui inhumé sous les difficultés techniques, financières, ou les rivalités locales (2).

Lascaux 4
Lascaux 1 qui s'estompe, Lascaux 2 menacé, Lascaux 3 enterré, il fallait bien, ce jour ensoleillé du 12 septembre 2010, que le Roi de la France dévoile un avenir radieux. Ce sera Lascaux 4, projet de Centre d'art pariétal à Montignac, qui exposera - d'après Le Monde - la prochaine copie de la grotte, moderne et complète, peut-être avec des morceaux de Lascaux 3 dedans, ou de sa technologie.
Mise à jour du 12.09.2012 : le nouveau gouvernement, après avoir éjecté le Roi de la France au printemps, vient d'enterrer le projet Lascaux 4 en annulant son aide financière, sous les protestations d'Yves Coppens. De vagues promesses ont alors été murmurées.

Lascaux 5
Et comme les projets autour de Lascaux sont pharaoniques et leur dénouement hypothétique, le Roi de la France a finalement évoqué la réalisation d'un Lascaux 5, un Lascaux populaire, démocratique, que le prolétaire explorerait chez lui après le travail, en allumant son ordinateur. On se met alors à rêver d'une France où les sujets simuleraient pour leurs enfants admiratifs, sur les écrans familiaux, les déplacements surexcités de leur minuscule souverain dans les décors en décomposition de la caverne originale, comme Super Mario dans le célèbre jeu vidéo.

L'invasion des taches grises, que rien ne semble pouvoir arrêter, est particulièrement visible ici, à droite, autour des cornes de la vache noire de la nef (à gauche Lascaux 2, à droite Lascaux 1. L'angle de vue et surtout l'éclairage différent trop entre les deux photos pour permettre une comparaison précise).

Lascaux 0 (zéro)
C'est le sobriquet donné par dérision à Lascaux 1, la grotte originale. Après une longue période de stabilité, le remplacement du système de régulation, en 2000, a déclenché un processus qui semble inéluctable. Dès 2001, un champignon microscopique infeste la grotte de moisissures blanches, c'est Fusarium Solani. En dépit des communiqués officiels déclarant l'envahisseur refoulé, des femmes de ménage expertes en nettoient encore les parois deux fois par mois, en 2006. L'année suivante se dessinent et se multiplient des taches grises et diffuses, dans la nef, l'abside et le passage (souvent nommées taches noires). Depuis, les comités d'experts se succèdent au rythme des remaniements ministériels et des sommations scandalisées de l'Unesco qui avait décrété la grotte «patrimoine mondial de l'humanité» en 1979, et qui menace maintenant de la rétrograder dans la liste infamante du patrimoine en péril. Vexée, la France proteste et accumule contre-expertises et contre-vérités officielles. Lentement, de son côté, la grotte s'obstine à s'effacer, digérée par les bactéries et les champignons.

Après tout est-ce si grave ? Y a-t-il un intérêt à ensevelir définitivement une œuvre dans un sanctuaire exclusivement réservé au plaisir d'un roitelet d'opérette et de quelques scientifiques intronisés ?
Un jour, une convulsion de la Terre emportera l'ensemble, avec les thermomètres, les hygromètres, les sismomètres et les anémomètres.

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
 
*** 
1. « Le brave néandertalien avait parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs... qu'il y faisait bon vivre » (discours des Eyzies au pôle international de la préhistoire, 12.09.2010). Attribuer ainsi les peintures de Lascaux à des néandertaliens hédonistes, alors qu'aujourd'hui la science les dit peintes dans une période glaciaire, habitée par des Homo sapiens frigorifiés et seule espèce humaine survivante ! Mais le Roi de la France peut très bien avoir un avis personnel sur ces questions, les manuels scolaires en tiendront compte.
2. Lascaux 1 est désormais, depuis 1963, une propriété de l'État français, les autres Lascaux appartiennent à des entreprises privées, au Conseil général de la Dordogne ou à des collectivités locales concurrentes.
Il est difficile de trouver des informations unanimes sur le sujet de Lascaux et de ses clones, notamment depuis que la gestion de la France est mise en cause. Les contradictions sont fréquentes. Il est donc possible, malgré les efforts de documentation, que certaines affirmations de cette chronique soient inexactes.

samedi 18 septembre 2010

La vie des cimetières (32)

Mais, où se trouve la frontière entre le bon goût et le mauvais goût ?
« Dans ton cul ! » répond tout le monde en chœur.
Nous voilà donc fixés.

Le cimetière monumental de Milan accueille des tripotées de tombeaux aussi légers, exquis et gracieux que celui-ci.

dimanche 12 septembre 2010

Des bienfaits de la lumière

Aux dires du très éclairé Didier Rykner dans sa Tribune de l'Art, on a retrouvé un chef-d’œuvre de Bronzino dans un recoin sombre du musée des Beaux-Arts de Nice. Il y était exposé depuis plus d'un siècle, anonyme. Et ça n'est pas l'effet d'une révision des attributions, mais d'un hasard atmosphérique. Deux experts passaient devant le tableau oublié quand un rayon de soleil l'illumina.
Agnolo Bronzino était un peintre essentiellement florentin, fils adoptif de Pontormo qu'il assista notamment pour l'exécution des fresques de Galluzzo et de Santa Felicità. Il est apprécié pour ses portraits raffinés, froids et distants (certains diront inexpressifs et caoutchouteux) des puissantes familles de Florence.

Ne demandez pas à un visiteur du musée des Offices (Uffizi), à Florence, s'il y a admiré les magnifiques portraits de Bia, de Maria ou de Francesco de Médicis par Bronzino. À peine les aura-t-il entraperçus. Ils sont exposés, dans un petit cabinet qu'on visite à la file indienne en quelques secondes, pressés par le touriste suivant, et en tordant le cou pour les discerner vaguement, perchés très haut, mal éclairés.

À Florence, le moyen le plus sûr d'admirer les portraits de Bronzino est certainement de flâner dans les rues où d'immenses placards publicitaires vantent parfois le mécénat des modernes Médicis. Ici une firme italienne finance en partie la restauration du musée des Offices.

C'est un peu la spécialité de ce prestigieux musée que d'exposer les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture dans des conditions désolantes. Les gardiens ferment les volets dès qu'un rai de soleil ose tracer un trait discret sur le parquet ou sur un mur, au point que rares sont ceux qui peuvent prétendre savoir ce qu'hébergent les grandes salles du premier étage. On suppose qu'il s'agit de toiles en clair-obscur, des scènes nocturnes hollandaises influencées par Le Caravage. Le touriste qui s'aventure à cet étage hésite à pénétrer dans l'enfilade des pièces. Il entend comme des ronflements. L'obscurité lui fait croire qu'il s'est égaré dans les réserves du musée et il rebrousse chemin. Peut-être y découvrira-t-on un jour, à la faveur d'un courant d'air, quelque gardien desséché ou un Caravage oublié.

À quelques centaines de mètres du musée, le Palais Pitti organise de septembre 2010 à janvier 2011 une rétrospective des œuvres de Bronzino. Souhaitons qu'elle permettra aux bienheureux qui iront à Florence de voir enfin, une fois dans leur vie, les portraits de Bronzino dans des conditions acceptables. Mais rien n'est garanti quand on connait, au palais Pitti, la déplorable disposition, entre autres, du plus beau des portraits de Titien.

Mise à jour du 29.10.2010 : C'est en fait au Palazzo Strozzi que sont exposés 54 tableaux de Bronzino, sur 70 connus actuellement, dont 26 proviennent du musée des Offices.

samedi 4 septembre 2010

La sclérose des plaques

Les adeptes de Pythagore, vieux routiers de la numérologie, n'en croyaient pas leurs yeux lorsqu'ils ont vu circuler, au printemps 2009, les premières plaques d'immatriculation françaises au nouveau format, copie exacte du système italien.
Car la nouvelle numérotation débutait à la lettre A. Et ce qui peut sembler logique pour le mortel de base ne l'est pas toujours pour un numérologue avisé (1). En effet, les plaques italiennes (semblables donc aux françaises) ayant déjà épuisé toutes les combinaisons jusqu'à la lettre C, il était évident qu'allaient donc circuler en Europe des voitures aux numéros identiques, alors qu'un des objectifs déclarés du nouveau système est de «répertorier les véhicules volés au niveau européen».
Mais nos numérologues pensaient - leur candeur est touchante - qu'un système qui se dit «européen» avait prévu une méthode pour distinguer les inévitables «homonymes» (2), puisqu'un autre objectif majeur du système est de «lutter contre la délinquance automobile en améliorant l'efficacité des contrôles des forces de l'ordre...»

Et bien les premières erreurs policières où des véhicules et leurs conducteurs, victimes de cette homonymie, ont été arrêtés par les forces de l'ordre, viennent démentir l'optimisme des numérologues. La preuve est faite : dans la base d'information de la délinquance européenne, les numéros de voitures volées italiennes et françaises sont identiques (3).

Afin d'aider les services de police, voici un petit truc simple pour différencier une immatriculation. Le nombre 000 n'ayant pas été jugé valide pour l'administration française, toute voiture dont le bloc central est 000 sera donc nécessairement italienne. Ou peut-être slovaque. En tous cas elle ne sera pas française, ce qui est déjà un grand pas vers l'identification d'un véhicule.


Alors un jour sur la route, si vous êtes arrêtés sans ménagement par un barrage de police sûr de son droit et surarmé, ne manifestez pas votre terreur, levez calmement les mains en l'air. Avec un peu de chance, il s'agira d'une petite erreur due à cette imprévoyance bien humaine dans la grande harmonisation européenne.

Cette amusante anecdote rappelle l'histoire fameuse de la sonde américaine «Mars Climate Orbiter» dont personne ne prévoyait qu'elle s'écraserait sur le sol martien avant même d'avoir commencé sa mission, en septembre 1999. L'enquête démontra que des éléments de navigation chargés du calcul des poussées, fournis par Loockeed, s'exprimaient en livres anglo-saxonnes, alors que la NASA, depuis longtemps convertie au système métrique international, espérait ces valeurs en newtons. C'est bête (4).
Mais c'est l'éternelle malédiction de la tour de Babel. L'humain, ce gros orgueilleux, croit pouvoir contrôler la circulation routière en Europe et comprendre la météorologie sur Mars. Or le Bon Dieu, qui est jaloux de tant de pouvoir, fait échouer ces projets grandioses en inventant de sournoises différences de langage entre les hommes.





À la nouvelle numérotation ont été joints de discrets aménagements du Code de la Route. En cas de vol de voiture notamment, des peines exemplaires seront appliquées (Photo : San Gimignano, musée de la torture et de la peine de mort).



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1. Pour désamorcer toute critique qui prétendrait abusive la classification de cette chronique dans la catégorie «numérologie», au prétexte qu'une lettre n'est pas un chiffre, nous rappellerons qu'en numérologie les mots n'ont pas le sens trivial que leur attribue le langage courant, et qu'un alphabet n'est qu'un système de numération comme un autre où chaque lettre possède la valeur de sa position dans l'alphabet et dans le mot. Dans le cas de la numérologie minéralogique, l'alphabet, légèrement mutilé, comporte 23 lettres (les voyelles I, O et U étant administrativement exclues pour éviter certaines confusions ou plaisanteries, ainsi que l'association de deux S ou deux W).
2. Le code des lettres signifiant le pays, minuscules en blanc sur fond bleu, à gauche, est illisible pour les systèmes d'identification automatisés (radars).
3. On remarque, sur le site officiel SIV, une phrase ajoutée en fin de page, qui précise «La présence de tirets entre les blocs de chiffres et les blocs de lettres permettra de distinguer les plaques françaises des plaques italiennes». Signalons tout de même que les plaques italiennes affichent parfois des tirets, et que la Slovaquie a choisi le même système de numérotation avec, nuance délicate, un tiret (ou un logo) entre les deux premiers blocs. Tout ceci est bien complexe et un peu oiseux puisque ces petits caractères ne sont de toutes façons pas lus par les radars. (Informations vérifiables dans le foisonnant site de l'association Francoplaque)
4. Lisez l'histoire passionnante, voire touchante, qu'en fait Philippe Labrot sur son site consacré à la planète Mars, monumental, fascinant et si bien écrit.

samedi 28 août 2010

Encore un coup de Trafalgar

Le rideau se referme sur un Christ qui n'est plus qu'une grisaille, détail des «Ambassadeurs» peint par Hans Holbein en 1533. (© National Gallery London)

Cela se passe place Trafalgar, c'est l'adresse à Londres d'un des plus beaux musées de peinture, «The National Gallery». L'entrée est gratuite.
Et les anglais viennent encore une fois de ridiculiser la conception française étriquée et corrompue (1) du «patrimoine artistique» en mettant en ligne, sur le site internet du musée, l'intégralité de la collection de peintures dans des reproductions d'une dimension et d'une qualité impressionnantes.

On y découvrira des détails qu'on remarquait à peine devant les tableaux originaux. On pourra, pendant des jours, contempler jusqu'au plus petit brin d'herbe les merveilles de Gerard David ou se noyer des heures dans les détails des naufrages de Claude-Joseph Vernet sans appréhender la courtoise insistance des gardiens qui annoncent à heure fixe la fermeture du musée.



Quelques détails remarquables de la collection : de Philips Wouvermans une réjouissante scène de bataille, de Salvator Rosa des sorcières font signer un squelette, de Verrochio un chien fantomatique chemine aux pieds d'un ange, de Gainsborough le regard de ses filles. (© National Gallery London)

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1. Nous avons déjà évoqué ici et, la forte tendance en France (ou en Italie comme on le verra bientôt) à considérer le patrimoine artistique comme la propriété de ses administrateurs, des élus politiques et de leurs amis.

dimanche 22 août 2010

Mars, ou la blague du 27 aout

Ce mois-ci, le 27 à minuit-trente, dans le ciel nocturne s'il est bienveillant, au lieu d'une, vous verrez deux lunes. La deuxième sera la planète Mars, exceptionnellement proche de la Terre par une rarissime concordance des effets de la gravitation. C'est ce que prédit un courrier électronique que vous avez nécessairement reçu ou que vous recevrez bientôt (1), car on a toujours autour de soi des amis sympathiques et peu rigoureux.

Cette histoire est une blague, un bobard, une sottise. Elle se répand sur l'internet dès que l'été arrive, régulièrement depuis 2003. La petite histoire dit que l'origine en est un texte d'astronomie spécialisé, érudit, qui décrivait un fait absolument authentique : le 27 aout 2003 Mars était effectivement au plus près de la Terre, comme elle ne l'avait pas été depuis des milliers d'années et comme elle ne le sera plus avant longtemps. Le texte aurait été tronqué, par erreur peut-être, puis interprété par une personne prévenante, probablement sympathique et peu rigoureuse.

Image très légèrement arrangée, mais entièrement de bonne foi.Une vérification sommaire (par exemple avec le logiciel Stellarium encensé ici) suffisait à démontrer que la Lune serait cette nuit-là totalement invisible, trop proche du soleil sous l'horizon, et que Mars brillerait seule, du crépuscule à l'aube, minuscule point rougeoyant, comme une étoile, un peu plus brillante qu'à l'habitude.
Et si un jour l'Humanité voyait Mars aussi grosse que la Lune, c'est qu'elle contemplerait sa propre fin. Mars ne serait alors qu'à deux fois la distance actuelle de la Lune, le système solaire aurait subi de telles perturbations gravitationnelles que Mars percuterait bientôt la Terre. Déjà, raz-de-marée et déformations de l'écorce terrestres auraient certainement anéanti toute espèce vivante évoluée.

Vous vous exclamerez certainement, outré, « Cuistre ! Pédant ! Tout le monde n'a pas la chance de savoir. Et puis, c'est aimer bien peu l'espèce humaine que de mettre en doute systématiquement les choses merveilleuses que nous annoncent les gens bienveillants, qui n'en retirent ni intérêt ni prestige, et qui ne nous informent que par altruisme ! »
Sur la question de la connaissance, c'est juste, et Ce Glob Est Plat, trop incompétent lui-même, ne s'amusera jamais de l'ignorance d'autrui (sauf négligence). L'innocent, le candide, l'ingénu, le crédule ne peuvent pas se douter que la Terre tourne autour du Soleil, quand l'évidence leur montre l'inverse. D'ailleurs 56% du public invité sur la première chaine de télévision française ne s'y sont pas trompés et l'ont affirmé en chœur lors d'une émission mémorable.

Mais il faut cependant se demander quel est ce besoin vital de merveilleux qui empêche l'humain de se satisfaire d'un monde avec une seule Lune. Serait-il contenté avec une deuxième que le besoin d'une troisième surgirait. Puis il réclamerait des anneaux autour, quelques comètes à heures fixes, des éclipses tous les jours. Il convoite tant ce qu'il n'a pas, qu'il désire même ce qui n'existe pas. Trop d'imagination, trop peu de discernement. En fait il ne désire que désirer. Une question d'hormones sans doute.
Méfions-nous donc des informations amicales. Remettons-les en question, et dès lors fâchons nos amis à l'esprit critique engourdi.


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1. Voici un des modèles du message qui envahit les boites électroniques de la planète : «Le 27 août prochain, à 0:30 minutes, regardez dans le ciel. La planète Mars sera la plus brillante dans le ciel étoilé. Elle sera aussi grosse que la pleine Lune. Mars sera à 34,65 millions de miles de la Terre. Cela nous apparaîtra aux yeux nus, comme si la Terre possédait 2 Lunes. La prochaine fois cet événement se reproduira l’année 2287, puis l'année 25695. Partagez cette information avec tous vos amis car PERSONNE en vie aujourd'hui ne pourra voir cela, une seconde fois.»

dimanche 15 août 2010

Nuages (22)

Orvieto est une petite ville d'Ombrie perchée sur un rocher italien, près des frontières de la Toscane et du Latium. Un peu éloignée des grands centres artistiques que sont Pise, Florence ou Rome, elle fait rarement partie des itinéraires obligés que parcourt le touriste en bêlant.
On peut ainsi, même en été, y contempler sereinement celle que certains (notamment l'office du tourisme d'Orvieto) appellent la plus belle cathédrale du monde.

Effectivement, bien que surchargée de sculptures, de bas-reliefs, de mosaïques, sa façade montre une distinction, une élégance incomparables à côté de quoi celle de la cathédrale de Sienne fait figure de gâteau d'anniversaire, lourd et indigeste avec ses bougies dégoulinantes.

À Orvieto, les gracieuses sculptures de bronze, les bas-relief délicats, et la conception de la façade sont sans doute de la même main, celle de Lorenzo Maitani, maitre d'œuvre de la cathédrale de 1310 à sa mort en 1330. Et puis dans la chapelle droite du transept, Luca Signorelli a peint de 1499 à 1502 son extraordinaire et fantastique cycle de fresques de la fin du monde.


dimanche 8 août 2010

Le culte du soleil

L'hélianthe (hélianthus annuus!), appelée tournesol ou soleil par le vulgaire, est décidément une merveille de technologie et de haute précision. Comme toutes les inventions majeures dans l'histoire de l'humanité, du bas nylon à la fermeture éclair, elle nous vient évidemment d'Amérique du nord.

Cette superbe plante ne s'épanouit que dans les régions correctement ensoleillées. Et le génie de la chose est qu'elle héberge, pendant sa période de croissance rapide, avant la floraison, une hormone (l'auxine) qui favorise l'allongement des cellules, mais déteste le soleil. Fuyant opiniâtrement la lumière, l'auxine s'ingénie à migrer dans les endroits ombragés de la tige et des feuilles, et partout où elle passe la plante croît. Ainsi, comme les cellules situées à l'ombre s'allongent plus rapidement, la tige se courbe et la tête penche humblement vers l'autre côté et pivote d'est en ouest au long de la journée, donnant l'impression hypocrite de rendre un hommage quotidien au soleil (l'héliotropisme).

Ce paradoxe d'un peuple végétal qui se prosterne unanimement vers le soleil sans réellement y croire ne dure que jusqu'à la floraison. Alors, les lourdes têtes fécondées, chargées de graines, s'immobilisent, définitivement inclinées vers le levant.

Horde de tournesols adultes résignés, courbés vers l'est, sous un ciel de plomb fondu, en Toscane.

Les croyants ont développé une formule savante bourrée d'arctangentes et de cosinus pour diriger, sans erreur de navigation, leurs implorations quotidiennes vers la maison de leur dieu, la Mosquée sacrée. Il est vrai qu'en tant que boussole le champ de tournesol est peu fiable. Versatile au printemps, il n'indiquera la divine direction qu'en été, et seulement en Europe. Pour les tournesols incroyants de l'extrême-orient, qui s'obstinent, à la floraison, à tourner le dos au Prophète, il conviendra de leur trancher la tête. Il parait justement que les meilleurs cierges sont fabriqués avec l'huile des graines de tournesol.

Pour terminer, voici un conseil pratique pour tirer avantage d'une autre propriété du tournesol, sa puissante capacité d'absorption des déchets minéraux. En cas d'apocalypse nucléaire, ou simplement de grave excès de plomb et de radioactivité dans l'eau et la terre, plantez-le en quantités dans les zones contaminées ou irradiées. À la fin de l'été, quand ses profondes racines auront pompé et retenu tous les éléments toxiques, fauchez, arrachez, et vous retrouverez en-dessous un sol purifié et fertile. Et surtout, pour ne pas contaminer l'air, n'incinérez pas les plantes mortes, enterrez-les plutôt discrètement chez un voisin qui vous est déplaisant.

Mise à jour du 01.04.2015 : Finalement, d'après des tests effectués en réel à Fukushima, les racines de tournesol n'absorberaient pas les matières radioactives, comme on l'a cru, en tous cas pas le césium.


Face à un champ de tournesols déterminés, on se sent réellement observé, épié. On comprend que des artistes fragiles comme Vincent van Gogh y aient perdu l'esprit jusqu'à se découper une oreille.

vendredi 23 juillet 2010

La vie des cimetières (31)


... Mais le silence en sait plus sur nous que nous-mêmes,
Il nous plaint à part soi de n'être que vivants,
Toujours près de périr, fragiles, il nous aime

Puisque nous finirons par être ses enfants
.

Jules Supervielle

Extrait de «Bonne garde», dans «La fable du monde», 1938.


mercredi 14 juillet 2010

Nuages clairsemés, en fin de compte

Le 30 mars 591 une éclipse totale de soleil balayait d'ombre pendant deux minutes et demi une petite ile déserte et sans nom, couverte d'arbres et de végétation, au milieu de l'océan Pacifique.

Au 7ème ou 8ème siècle vraisemblablement, les premiers aventuriers polynésiens s'y installaient et créaient une étrange société dont l'unique occupation semble avoir été, pendant des siècles d'isolement, d'entourer leur minuscule royaume de centaines de statues stylisées portant d'énormes têtes, le regard tourné vers le centre de l'ile. Ils épuisèrent ainsi tous les arbres, jusqu'au dernier, pour faire rouler leurs gigantesques sculptures de pierre volcanique de la carrière vers la côte.
Au 18ème siècle débarquaient les européens, armés de poudre, de fusils, du christianisme et de la syphilis. Le nombre d'indigènes décrut. Au 19ème siècle, 1000 habitants (presque toute la population active) étaient déportés vers le Pérou, en esclavage. En peu de temps il n'en restait qu'une quinzaine de survivants. Ils retournèrent dans l'ile, avec la variole. Au 20ème siècle, de départs d'iliens en arrivées de chiliens, peu de familles d'origine indigène subsistent.

Beaucoup voient dans cette destinée de l'ile de Pâques une parabole sur l'avenir de l'espèce humaine et des ressources de la Terre. C'est évident. Plus qu'une parabole, c'est même un test, une répétition générale en modèle réduit avant la grande représentation.
Vialatte conseillait de faire confiance aux évènements, ils finissent toujours par arriver, disait-il. Il sous-entendait bien sûr les bons comme les mauvais. Les habitants de l'ile de Pâques, les Rapanui, auront eu leur lot d'évènements funestes. Dimanche, pour la première fois dans leur histoire, ils ont admiré une éclipse totale de soleil. 4000 touristes privilégiés ont partagé leur fortune. Les probabilités statistiques avaient prédit un ciel couvert. Après 36 heures de pluies incessantes, les nuages étaient clairsemés quand l'évènement se réalisa.

Les photos sont de Joaquin Souyris (haut gauche, bas gauche), Juan carlos Casado (haut droite) et Stéphane Guisard (bas droite).