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jeudi 21 janvier 2021

Inactualité du triptyque de Moulins

Le Coronavirus, organisme dérisoire d’à peine un dix-millième de millimètre, s’est invité durablement dans l’espèce humaine. Effrayée, elle a jugé vital de cesser toute activité culturelle, excepté la diffusion audiovisuelle de niaiseries fabriquées en série.
On ne sait pas encore si les vaccins concoctés avec empressement arrêteront la contagion, mais les musées, qui ont subi en 2020 une perte de 75% des visiteurs, sont vraisemblablement partis pour une année 2021 équivalente, au dire des experts de l’Organisation mondiale de la santé
Alors un blog qui se vante de divaguer autour des évènements culturels se trouve malgré tout fort dépourvu quand ces évènements n'existent plus.
 
Revenons donc aux choses inactuelles. 
 
Voilà plus de 5 ans, Ce Glob pleurait les misérables conditions d'exposition du magnifique triptyque logé dans la sacristie de la cathédrale de Moulins, peint vers 1500 par celui qu’on nomme le Maitre de Moulins, venu de Flandres, et dont l’identité généralement acceptée serait Jean Hey. Pour mémoire cette lamentation se trouve là.
En 5 ans, cette triste situation aura-t-elle évolué ? A-t-on maintenant des reproductions acceptables de cette Vierge entourée d’anges et de donateurs ? La sacristie aura-t-elle été cambriolée ?

Répondons sans hésiter : non, non et non !
  
Le triptyque bigarré du maitre de Moulins dans une de ses meilleures (hélas) reproductions sur internet, sur le site de la paroisse Notre-Dame-du-Bourbonnais. Ils ont sans doute un peu forcé sur les couleurs, notamment les rouges, comme s'ils avaient passé les panneaux dans une station de lavage automobile en cochant toutes les options, shampoing haute pression et lustrage à la cire.

On a bien frémi en lisant dans La Montagne du 29 janvier 2018 que le triptyque, alors dans un « lieu vieillot, sombre et mal aéré », faisait l’objet d’un projet de « mise en valeur » déjà très ancien (mais très compliqué) qui devait se concrétiser dans l’année même, suite à des réflexions, des rencontres et même des réunions !
Il était estimé entre 300 000 euros, en faisant le minimum - améliorer et sécuriser l’accès, et rafraichir le triptyque - et 2 millions si on bouleversait les lieux dans un geste moderne de « vulgarisation du triptyque » avec audioguides. Tout cela était prometteur.

Ensuite il ne s'est rien passé.

En juillet 2020, on constatait, dans un documentaire de promotion touristique de l’Allier, de Moulins et des galettes de pomme de terre, que les conditions de visite ne s'étaient pas améliorées.
En aout 2020, sur le réseau Twitter, on remarquait qu’entre deux périodes de confinement un amateur, qui avait bravé le virus pour aller admirer le triptyque, en était encore réduit à photographier des cartes postales pour prouver son audace aux amis restés cloitrés.

Quant aux images sur internet, la plupart des rares œuvres du maitre de Moulins se trouvant en France, au Louvre et au musée d’Autun, les reproductions en sont toujours lamentables.

On essaiera de se consoler en guettant furtivement de beaux mais frustrants détails du triptyque dans la vidéo promotionnelle moulinoise, à partir de la 3ème minute et pendant 90 secondes (n’oubliez pas de la paramétrer en qualité « 1080p HD »), et en visitant les sites internet des musées de New York et de Chicago qui exposent respectivement un et trois tableaux du maitre, et qui les proposent naturellement en haute définition et libres de droits.  

Enfin, à propos d'un plausible cambriolage, on notera que la sacristie de la cathédrale de Moulins présente des points communs avec les lieux mal sécurisés qui furent le théâtre des récents larcins des Frans Hals, Van Gogh, Salvator Rosa et quelques autres, mais que le format malaisément transportable des panneaux du triptyque le protège encore un peu.
 

lundi 17 août 2020

Des méfaits de la crédulité

On prétend que Léonard de Vinci a inventé le parachute (Appuyez page 1058 sur le mot VERSO). C’est une fiction. En vérité le parachute ascensionnel avait été inventé 15 siècles auparavant comme le prouve cette reconstitution de l’invention, dans la basilique de la Sagrada Família à Barcelone.

Avertissement : la plupart des liens de cette chronique sont dans la langue de Walt Disney. C'était inévitable. Notez que les traductions par Gougueule de l'anglais vers le français, proposées automatiquement par les principaux navigateurs internet, sont devenues très fréquentables.
 
Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu (Jean 20,29)
 
Aux États-Unis d’Amérique, pour entretenir la croyance dans les fééries les plus populaires, endiguer la fuite de la crédulité sous l’effet du confort matériel et de l’instruction publique, et en tirer des bénéfices, on trouve toujours des bienfaiteurs philanthropes pour créer des fondations scientifiques avec distribution de bourses et récompenses, des musées, voire des parcs d’attraction fantaisistes, histoire d’endoctriner dès le plus jeune âge. (1)
 
Monsieur Green est milliardaire, fils de prédicateur évangéliste, propriétaire d’une chaine de 932 magasins d’art et d’artisanat américains. Très croyant, il donne beaucoup d’argent aux fondations fondamentalistes ultra-réactionnaires, et un peu moins à ses employés. Il les aurait, à l'occasion de la pandémie, quasiment tous licenciés sans indemnités (2). C’est parce qu’il veut consacrer sa fortune à sa foi.
 
Ainsi il vient d’ouvrir en novembre 2017, avec son fils M. Green, un monumental musée de la Bible, au centre de Washington, qui a été béni par le pape François.
Il ne pouvait mieux choisir. La Bible est le livre sacré, le guide moral et intellectuel des juifs, des chrétiens et de quelques autres sectes et il aurait été vendu, toutes versions confondues, en plus de 5 milliards d’exemplaires. (3)

Pour décorer son musée, M. Green avait acheté depuis 2009 des milliers d’artefacts, pillés en Irak quand son pays s’y est installé de force en 2003, ou volés dans d’autres pays.
M. Green, qui croit que l’humain est bon naturellement, n’imaginait pas que ces objets avaient pu être subtilisés ou produits de fouilles illégales, bien qu’il en ait été averti par ses employés, ses avocats et enfin par le ministère de la Justice américain.

En 2014, M. Green achetait aux enchères contre 1,6 million de dollars une rarissime tablette mésopotamienne d’un épisode de l’épopée de Gilgamesh, gravée en caractères cunéiformes. La société de vente, réputée, en garantissait l’irréprochabilité.
M. Green, qui croit que l’humain est honnête naturellement, ne pouvait pas se douter que cette merveille appartenait au trésor national d’un peuple que son propre pays avait « civilisé ».

Plus récemment, M. Green achetait une bible microfilmée montée en médaillon. C’était la première Bible revenue de la lune en 1971 avec l’astronaute E. Mitchell. Il l’exposait fièrement dans son musée.
M. Green, qui croit que l’humain est fraternel naturellement, ne pouvait pas savoir qu’à l’instar du saint prépuce de Jésus ou de la plupart des reliques de son culte, il existait des dizaines de bibles miniatures descendues de la lune et de sévères querelles d’experts à leur sujet.

En 2002 apparaissaient sur le marché 70 confettis gribouillés qu’un certain nombre de spécialistes identifièrent comme des fragments des manuscrits de la mer Morte (4). Les prix s’envolèrent. Au début des années 2010, M. Green dépensait une fortune pour 16 de ces lambeaux qu’il exposera dans une sorte de sanctuaire aux lumières chaleureuses au sein du musée, aux dires du National Geographic.
M. Green, qui croit que l’humain est intègre et rigoureux naturellement, n'aurait pas pu imaginer que des spécialistes avaient, dès leur apparition, émis des doutes sur l’authenticité de ces fragments.

Alors il faut imaginer les ébahissements successifs de l’infortuné M. Green quand toutes ces acquisitions furent remises en cause l’une après l’autre, entre 2017 et 2020, d’abord par la justice et les douanes qui saisirent 3800 objets, ordonnèrent le retour en Irak et en Égypte de 11 500 autres, et lui infligèrent une amende de 3 millions de dollars. (5)

Il eut plus de chance avec l'experte qui remit publiquement en doute la Bible lunaire miniature, au motif qu’elle était numérotée sur 3 chiffres alors que les authentiques (dont elle-même possédait une dizaine) le sont sur 5 chiffres. Magnanime (et astucieuse) l’experte en a offert un exemplaire à M. Green qui l’expose désormais à la place de l’autre. Elle y gagne un pédigrée flatteur et certainement une cote rehaussée pour cette dizaine d’exemplaires.

Puis M. Green dut restituer en 2019 quelques objets volés (mais acquis de bonne foi), et subir en 2020 la saisie de la tablette de Gilgamesh par les autorités fédérales.

Devant tant de coups du sort, M. Green jugea approprié de lancer une opération d’absolution, qui passerait nécessairement par l’expertise de toute sa collection (ce qu’il en restait), et informa les médias de son innocence naïve et de sa confiance abusée.

Les 16 manuscrits de la mer Morte, déjà contestés, étaient les premiers à faire les frais de cette pénitence. Si certains se révélaient forgés, le musée pensait exposer côte à côte un authentique et un contrefait, pour démontrer au public, qui n’y verrait pas de différence, qu’il est si facile d’être trompé. Mais les experts ont conclu en mars 2020 qu’il n’y avait pas de fragment authentique. Les 16 étaient des faux modernes.

Un expert, qui les avait authentifiés dans un catalogue en 2016, explique au National Geographic « Je ne dirai pas qu'il n'y a aucun fragment inauthentique parmi les fragments du musée de la Bible mais, de mon point de vue, leur inauthenticité en tant qu'ensemble n'a pas encore été prouvée hors de tout doute. Ce doute est dû au fait que des tests similaires n'ont pas été conduits sur les manuscrits incontestés de la mer Morte afin de fournir une référence de comparaison… »
Quel style ! Quelle phrase ! Elle décolle avec une étourdissante triple négation, puis se maintient à un niveau où manque l’oxygène, si bien qu’il faut la relire deux ou trois fois avant de comprendre que le brave homme pédale en réalité dans la semoule.

Malgré cette collection de rebuffades, abondamment contées dans la presse, le musée dit avoir accueilli un million de visiteurs en 2019. Doit-on le croire ?
Certainement. La visite d’un musée est une récréation. Nous y allons en général pour nous divertir en flattant nos croyances, pas pour mettre en doute nos certitudes. Quel visiteur adulte et raisonnable de l’exposition sur les météorites, au Muséum d’histoire naturelle de Paris en 2017, n’a pas été tenté de toucher les supposés morceaux de la Lune et de Mars qui étaient exposés ?

*** 
(1) Soyons juste, la science, qui est une autre croyance, agit pareillement. La seule différence est qu'elle change régulièrement de croyance, dès qu’elle en trouve une nouvelle plus efficace que la précédente, et qu'elle aime ça, alors que la non-science considère qu’elle possède déjà la vérité définitive et se défend, souvent violemment, contre tout changement de vérité.
(2) Humaniste également, il a obtenu en 2014 une décision de la Cour suprême des États-Unis autorisant que certaines entreprises, en raison de préférences religieuses, soient exemptées de l’obligation de fournir à leurs employés une assurance maladie couvrant des moyens de contraception
(3) On notera que les records de vente de livres sont monopolisés par les sectes (au sens large), et que l’addition de leurs ventes, avec les 3 milliards de Corans et le milliard de Petits livres rouges du président Mao, dépasse largement la population mondiale, et qu’il est donc bien possible que certains possèdent plusieurs de ces livres sacrés, si vous voyez le sacrilège que cela représente, mais nous ne dénoncerons personne. Et il va sans dire que ces chiffres sont totalement hypothétiques, voire absolument faux mais il faut bien écrire quelque chose pour exprimer l’inimaginable
(4) Les manuscrits de la mer Morte sont un célèbre puzzle d’une centaine de milliers de pièces de parchemins, trouvées dans les années 1940-50 dans des grottes de Qumran en Palestine, et qui se révèleront, une fois reconstitués, être des extraits vieux de 1900 à 2300 ans de la Bible des Hébreux.
(5) En Amérique, la loi permet parfois de récupérer in extremis un bénéfice qu’on aurait laissé passer par étourderie. En 2003, trop occupées à mettre en place en urgence les moyens de s’approprier les ressources irakiennes en pétrole, les forces armées étatsuniennes avaient bêtement laissé piller le musée des antiquités de Bagdad par d’autres, sans y prêter attention. Finalement, une application vertueuse de la loi sur la contrebande d’objets d’art et la fraude fiscale autorise un tardif mais juste retour sur investissement.


mercredi 1 avril 2020

Améliorons les chefs-d’œuvre (16)


En dépit de la pandémie et de la réclusion planétaire les affaires continuent.
30 mars 2020, l’Agence France Presse signale qu’un tableau de Van Gogh vient d’être dérobé par effraction au musée Singer de Laren aux Pays-Bas.

On demeure surpris qu’il puisse encore exister un marché pour des tableaux documentés, reproduits, estimés en millions d’euros, dont la mise en vente serait immédiatement repérée et qui ne pourraient faire l’objet que d'une rançon. Et encore ! Rappelons que le panneau de gauche du polyptyque de Van Eyck dans l’église saint Bavon de Gand est une copie depuis 1934, parce que le gouvernement Belge a d’abord refusé de payer, et que le rançonneur est mort avant de dévoiler sa cachette.

Le titre courant du tableau volé est « Le jardin du presbytère de Nuenen au printemps ». Il date de 1884, mesure 57 cm par 25, peint à l'huile sur papier collé sur un panneau. Van Gogh passait alors deux ans dans le presbytère familial. Au fond de l’image, la petite église, aujourd’hui entourée d'arbres et de pavillons, porte le nom de Van Goghkerkje (l’église Van Gogh). Une autre vue de cette église, et une vue de la mer à Scheveningen, avaient été volées à Amsterdam en 2002 et retrouvées près de Naples en 2016 dans l’appartement d’un maffieux célèbre.

Contrairement au Van Gogh du musée Khalil du Caire volé en 2010 (voler un Van Gogh est décidément un loisir), cette fois, la presse ne s’est pas égarée dans des extrapolations et a tout de suite trouvé la bonne reproduction du tableau. L’adjectif « bonne » est pris ici dans le sens de pertinente, conforme, car elle figure bien le tableau volé.

Mais la reproduction en elle-même n’est pas bonne. D’ailleurs à sa vue les réseaux sociaux ce sont exclamés à l’endroit des malandrins « vous pouvez bien vous garder le tableau tellement il est laid ! »
Il faut reconnaitre que les tableaux peints par Van Gogh aux Pays-Bas au premier tiers de sa courte carrière sont très assombris, au moins autant par le vieillissement des médiocres couleurs et vernis employés que sous l’influence du gris plombé du ciel brabançon. Toutes les reproductions du tableau le confirment (voir notre illustration ci-dessus).

Rappelons que la tradition l’appelle « Le jardin […] au printemps », alors que la première image, du site BFMTV, tronquée, évoque plutôt l’automne, la suivante, du site WGA, presque l’hiver, et la troisième, du site ArtDaily ou du Monde, une fin d’hiver boueuse. Toutes proviennent de la même source plus ou moins manipulée.

Profitons alors de cette discordance pour ajouter, dans la quatrième image, une interprétation plausible en retirant de la troisième sa couche uniforme de vernis fortement jauni, ce que les outils graphiques comme Photoshop savent faire en une simple commande, mieux que les restaurateurs, pour retrouver en moins d’une seconde les couleurs d’un printemps naissant, la saison originale qui explique le titre de l’œuvre, comme Van Gogh l’a certainement peinte il y a 126 ans.

« On se prend à regretter que le tableau ait été chapardé ! » diront les réseaux sociaux.

Mise à jour le 25.09.2021 : L'auteur du vol du Van Gogh et de deux Frans Hals dans la région vient d'être jugé et emprisonné pour des traces d'ADN trouvées sur les lieux des vols. Aucun tableau n'a été jusqu'à présent retrouvé.

mardi 15 août 2017

Les collections d’été - Le sacrilège

Tout le monde connait Sigmund Freud, grand médecin viennois du début du 20ème siècle, dont on sait, depuis qu’ont filtré au compte-goutte certaines archives tenues au secret par le milieu des psychanalystes, qu’il a inventé la plupart de ses malades, et aggravé l’état des rares qui l’ont réellement croisé.

Mais on peut lui accorder d’avoir réussi l’exploit de faire consommer à des générations d’intellectuels désorientés (en voie d’extinction) un salmigondis de croyances régurgitées des mythologies antiques, une psychologie pour revues de salles d’attente, enrobée dans une théorie non réfutable, et d’en avoir fait un culte, avec sa pensée unique, son jargon ésotérique, ses excommunications et ses rituels lucratifs pour les officiants.
Et créer une secte, une quasi-religion, même Hahnemann, inventeur de l’homéopathie et charlatan par étroitesse d’esprit, n’avait pas réussi à le faire, lui qui n’a converti que les pharmaciens et leurs fidèles publicitaires.

Sigmund Freud, qui avait donc fait fortune en somnolant à l’écoute de ses riches malades, s’était entouré d’une énorme collection hétéroclite de tout ce qui avait un air antique et pouvait évoquer les mythes et usages primitifs des civilisations, vases, statuettes, amulettes, scarabées, amphores, outils.
Il n’a curieusement jamais écrit sur sa collection mais il en était très fier. Elle s’entassait dans des vitrines et sur son bureau à Vienne puis à Londres. On comparait parfois son cabinet à un temple.

Ces 2000 objets ont été répertoriés à la fin des années 1980 et sont maintenant exposés dans le musée Freud de Londres, à l’exception d’une urne grecque de plus de 2200 ans, offerte par la princesse Marie Bonaparte, et que Freud avait réservée pour qu’y soient déposées ses cendres.




Ce qui fut fait en 1939. Sigmund Freud bouclait ainsi sa mise en abyme névrotique en se faisant enfermer dans sa propre collection.

Mais l’histoire ne finit pas là, car le bel objet funéraire, exposé en évidence depuis 1939 dans le crématorium de Golders Green à Londres, non loin de la collection du musée Freud, a fini par tenter quelque démuni inculte et aventureux.

Et le 15 janvier 2014, l’urne était retrouvée au pied de sa stèle, brisée, parmi les cendres répandues de Freud et de sa femme.
Les reliques furent vite ramassées et transférées dans une boite temporaire en attendant de rejoindre l’urne une fois recollée. Le voleur bredouille, qui n’avait eu qu’à tendre les bras à travers la fenêtre, l’avait laissée échapper, probablement surpris par son poids.


Au crématorium de Golders Green, aujourd’hui dans une grande cage de verre sécurisée, sur le piédestal de marbre, dans l’urne rapiécée et vernissée, reposent les cendres de 1939 de Sigmund Freud, mélangées à celles de 1951 de sa femme et à un peu de poussière recueillie en 2014.

Ne manquez pas notre prochaine et dernière chronique des collections d’été dans laquelle nous lirons bientôt les opinions d'un expert, un collectionneur de collections.

mardi 15 novembre 2016

Améliorons les chefs-d'œuvre (11)

Le lecteur se souvient peut-être de l’aventure du luxueux facsimilé du tableau géant de Véronèse conservé au Louvre, les Noces de Cana. La société espagnole Factum Arte l’avait imprimé et accroché dans le réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore pour le compte d’une association vénitienne, et certainement vendu au prix de l’original si on considère les moyens techniques mis en œuvre et le faste de son inauguration.
Coutumière de ces reconstitutions pharaoniques et habile à émouvoir la sensibilité des autorités ecclésiastiques ou culturelles inconsolées de la disparition d’icônes de leur patrimoine, la société Factum Arte vient de brillamment récidiver, cette fois à Palerme en Sicile.

Caravage, Nativité (détail)
L’évènement fondateur remonte à la nuit du 17 octobre 1969, dans l’oratoire San Lorenzo de Palerme, quand d’anonymes indélicats découpaient grossièrement et emportaient une toile de Michelangelo Merisi dit le Caravage, une grande nativité.

Les bruits les plus effrayants ont couru sur le sort de l’œuvre, jusqu’à celui de sa perte définitive, d’après le témoignage d’un maffieux qui déclarait en 1996 que la toile avait été tellement pliée et abimée par les manipulations que le commanditaire du vol en aurait pleuré et ordonné sa destruction.
Puis durant 45 ans, pour en raviver le souvenir, une photographie aux couleurs fanées remplaça dans son cadre baroque le chef-d’œuvre de Caravage.

Mais la société Factum Arte est arrivée, consolatrice de la veuve et de l’orphelin patrimoniaux. Elle a mis en œuvre son abondant argumentaire technique, ses expertises cabalistiques, ses imprimantes uniques au monde, mobilisé les officiels les plus considérables jusqu’au président de la République italienne en personne, et le tour était joué.
L’oratoire San Lorenzo est depuis le 12 décembre 2015 orné d’une photographie plus belle encore que l’original, que Factum Arte n’hésite pas à baptiser « Re-matérialisation de l’œuvre ». Reconnaissons tout de même qu’où elle se situe, à 4 mètres au dessus du sol derrière son mobilier rococo, on ne distingue pas bien les subtilités du délicat relief imaginé pour simuler les défauts d’une toile et les traces de pinceau du peintre.
Et soyons persuadés que Factum Arte dans ses laboratoires les plus secrets, et à l’aide de technologies pointues, est en train de concocter le facsimilé le plus parfait qu’on puisse imaginer, et qui remplacera définitivement tous les autres, le facsimilé d’un président de la République inaugurant un évènement quelconque avec son cortège d’officiels. D’ailleurs c’était peut-être le cas à Palerme.

Afin de ne pas briser le charme de cette émouvante histoire de résurrection nous éviterons de nous demander si l’exorbitante fabrication d’un facsimilé (avec des techniques ultramodernes) est aujourd'hui le meilleur moyen de préserver le souvenir d’une œuvre disparue.

dimanche 22 mai 2016

Potins de l'art

Jamais on ne louera assez le rôle des militaires dans l’histoire de l’art.
Hier encore, le président de la République d’Ukraine, flanqué de magnifiques et gras douaniers couverts de codes barres multicolores, aurait découvert dans un champ de luzerne, assisté de militaires en tenue de combat, 17 tableaux volés au musée de Vérone en Italie le 25 novembre 2015.

La découverte aurait eu lieu à Turunchuk, près de la frontière moldave, le 6 mai 2016. La mise en scène a été filmée et postée sur les réseaux sociaux habituels, et on dirait un épisode des aventures de Tintin.

On reverra donc bientôt à Vérone le singulier panneau peint par Caroto et figurant un jeune garçon montrant un dessin d’enfant. Il était parmi les œuvres volées et avait fait l’objet d’une chronique ici-même.


Pendant ce temps, le polyptyque de l’Agneau mystique, immense bande dessinée peinte par Van Eyck vers 1432 et qui fait se déplacer des millions de touristes vers la cathédrale Saint Bavon de Gand et constitue la fierté du peuple belge, avait besoin d’une bonne révision des 600 ans.

Le minutieux travail de restauration devait prendre 5 ans et finir en 2017. En fait ce sera fin 2019, et même 2020 ou 2021 disent certains. Et pour deux fois le budget estimé, voire trois fois. Aucune source n'est très claire. On parle de millions d’euros, trois, six, neuf peut-être.

C’est chose courante. Les pouvoirs publics et les institutions ne financeraient jamais ces projets pharaoniens si on leur annonçait un budget et des délais réalistes. Alors on divise les prévisions par trois. Une fois les travaux lancés, s’agissant d’opérations de prestige, il est souvent impossible de revenir en arrière. L’honneur de la nation serait en péril. On fait appel au mécénat d'entreprises, on aliène le bien public et on paiera tant bien que mal.

Dans l'atelier du musée des beaux arts de Gand le public peut suivre le cours de la restauration des panneaux de Van Eyck.

Enfin, alors que le musée du Louvre interdit dans ses expositions de photographier les œuvres qui sont pourtant dans le domaine public, qu’il en usurpe les droits de reproduction à son propre compte et ne publie en ligne que de médiocres miniatures, les musées qui lui ont prêté ces mêmes œuvres en partagent généreusement de splendides reproductions sur leur site internet.

C’est le cas de la collection de dessins et gravures de la bibliothèque Morgan de New York, une des plus riches au monde, et qui vient de prêter un dessin à la rétrospective Hubert Robert du Louvre, et un autre dessin, de Jean-Baptiste Oudry, à l’exposition sur l’ancien parc du domaine d’Arcueil, également au Louvre actuellement.

Et il y a bien d’autres merveilles dans cette fabuleuse collection en ligne, de Boilly, Danby, Daumier, Doré, Fragonard, Goya, Hogarth, Ingres, Thomas Jones, Ottavio Leoni, Mantegna, Maitre du manuscrit Herpin, Menzel, Merson, Piazzetta, Raffet, Robert, Roberts, Sargent, Schiele, Tenniel, Tiepolo G.D., Turner, Watteau, Zielke, Zingg, Zuccaro, et de tant d’autres.

Oudry Jean-Baptiste, Arcueil la première grande terrasse (détail), vers 1745 (Morgan library and museum, New York).

jeudi 26 novembre 2015

Tableaux singuliers (2)

Giovanni Francesco Caroto était un bon peintre de la première moitié du 16ème siècle dans l’Italie du nord. Né à Vérone en 1480, après avoir passé une dizaine d’années à Mantoue ou il se formera à l’école de Mantegna, Lorenzo Costa et Corrège, puis une dizaine d’années à Casale Monferrato, le reste de sa vie s’écoulera à Vérone où il mourra à 75 ans.

Très apprécié, il a laissé nombre de fresques, de retables et de beaux portraits. On voit ses œuvres dans des musées prestigieux comme l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou les Offices de Florence, et un magnifique portrait de femme dans le débarras du Louvre à Lens.

Il est particulièrement présent à Vérone, au musée de Castelvecchio, par une série de tableaux dont se distingue une œuvre singulière, le portrait d’un jeune garçon au sourire étrange et au léger strabisme qui montre un dessin d’enfant au spectateur.

On dit qu’en voyant ce portrait quand il visita le musée le pédiatre anglais Harry Angelman y reconnut le syndrome d’un trouble neurologique responsable d’un retard mental irrémédiable qu’il décrivit en 1965 et qui porte désormais son nom.

Et quelle est cette étrange forme rouge en bas à gauche, une manche, un couvre-chef ?

Inutile de se précipiter aujourd’hui à Vérone pour l’examiner de plus près, car il vient d’être dérobé le 19 novembre 2015, avec un autre portrait de Caroto et 15 toiles de maitres, notamment de Tintoret, Pisanello, Mantegna, de Jode, dont certaines ont été roulées par les cambrioleurs pour le transport, ce qui détériore toujours une peinture sèche depuis 500 ans. Par chance le jeune garçon au dessin d’enfant est peint sur un panneau de bois.

Mise à jour : Les tableaux dérobés ont été retrouvés en Ukraine le 6 mai 2016.

dimanche 13 avril 2014

L'apothéose des carabiniers

On pouvait lire il y a peu dans la presse que les carabiniers italiens exultaient. Ils venaient de retrouver, « après une très longue enquête, deux tableaux d'une importance artistique exceptionnelle et d'une valeur incalculable » de Bonnard et Gauguin, 40 ans après leur disparition.
Et le ministre de la Culture, flanqué du général des Carabiniers, de se féliciter à grand renfort de flashs et d'une ronflante autosatisfaction devant la presse admirative, histoire de faire oublier les casseroles monumentales que traine l'administration italienne, dans sa gestion du site de Pompéi, notamment.

Cette peinture à fresque orne depuis au moins 2000 ans un mur d'une villa de Pompéi. Les graffitis qui la couvrent et bientôt l’effaceront sont plus récents.

En réalité, à regarder attentivement, l'histoire de ces tableaux ne met pas vraiment en valeur l'expertise des gendarmes de la culture.

6 juin 1970, deux hommes de l'art et un policeman installent un système d'alarme dans une riche maison londonienne de Chester Terrace. Quand la domestique qui leur a préparé le thé revient de la cuisine, les trois hommes ont disparu avec deux toiles de maitre découpées au cutter dans leur cadre. Un classique du genre.

Peu de temps après, les deux toiles sont trouvées abandonnées dans le train Paris-Turin. À Turin personne ne fait le lien avec les tableaux volés. Elles sont alors déposées aux objets trouvés de la gare et y resteront cinq ans. Pourtant, le style de Gauguin est nettement reconnaissable sur l'une, et surtout l'autre arbore en bas à gauche une signature rouge où on lit assez nettement « Bonnard ».

Au printemps 1975, elles sont vendues aux enchères par l'administration des chemins de fer parmi un lot d'objets non réclamés. Un peu disputées, elles sont finalement emportées pour l'équivalent d'une semaine de son salaire par un ouvrier des usines Fiat passionné de peinture.
Et il les admirera durant 38 ans, dans sa cuisine à Turin puis à Syracuse en Sicile où il prendra sa retraite.

Aux dires de l'ouvrier, son fils intrigué depuis longtemps par les tableaux, et qui lisait « Bonnato » sur la toile signée, reconnut un jour le jardin qu'elle représentait sur une photo d'une biographie de Bonnard.
Il aurait de même identifié la comtesse dédicataire et le style de Gauguin sur l'autre toile, et transmis récemment des photos à des experts de Syracuse, qui ont informé les carabiniers du Patrimoine.

Finalement, l’administration italienne qui pavoise aujourd'hui dans les médias unanimes n'aura pas fait grand chose dans cette histoire, sinon identifier les anciens propriétaires décédés depuis longtemps. La gigantesque base de données des objets disparus, dont elle est si fière, ne comportait même pas les deux inestimables tableaux dans sa liste de presque 6 millions d'objets.

samedi 26 octobre 2013

On s'occupe de tout

Adobe vient d'être sévèrement piraté.
Mais si, vous savez qui est Adobe (prononcez eille-do-bi), éditeur informatique de logiciels graphiques, de Photoshop, PDF, Flash, Acrobat reader, Illustrator. Mais si, on en a parlé récemment lorsqu'Adobe a décidé de saigner ses clients en louant désormais ses logiciels contre un ruineux droit d'utilisation limité dans le temps.

Et bien le réseau d'Adobe vient d'être piraté. Sa « base de données des clients » a été subtilisée par d'espiègles flibustiers de l'Internet, des sacripants en quelque sorte. L'attaque était forcément « sophistiquée » pour avoir pu se jouer des défenses mises en place par Adobe. Rassurez-vous cependant, ça n'est certainement pas bien grave, les médias généralistes n'en ont pas parlé.
Et piraté, qu'est-ce que ça signifie ? Le vol, la compromission des données personnelles des clients, identités, adresses, e-mails, mots de passe d'accès aux sites, numéros de carte bancaire... D'accord, c'est embêtant, mais finalement ça ne touche que trois millions de clients, ça n'est pas comme si c'était arrivé chez Apple, Facebook, Microsoft ou Google. (1)

Adobe a déclaré à ses clients, du bout des lèvres, qu'aucune donnée bancaire non cryptée n'avait été volée. Il leur conseille néanmoins de surveiller dorénavant le détail de leurs opérations bancaires, par précaution.

Et puis le responsable de la sécurité informatique d'Adobe a exprimé ses plus profonds regrets, comme on peut le voir sur l'illustration... Ah, on nous signale que suite au piratage de notre base iconographique il s'agirait plutôt d'Érasme d'Antioche, évêque martyrisé en 303 (entre autres tortures, ses intestins furent enroulés sur un treuil) et maintenant au musée de Colmar. Ne souhaitons pas le même sort au brave employé.

Quelques jours plus tard certaines banques (notamment la Société Générale) lançaient des opérations préventives de remplacement précipité des cartes bancaires des clients qui, mais c'est un hasard, étaient également clients du site d'Adobe, tout en refusant d'en expliquer les motifs mais admettant que cette discrétion était une règle pour ne pas porter préjudice au commerçant.

Surtout n'allez pas imaginer un quelconque lien entre les deux évènements, conspirationnistes que vous êtes !

***
(1) Remarquez que ces entreprises n'ont pas vraiment besoin d'être piratées puisqu'elles fournissent déjà d'elles-même les données de leurs clients au programme américain Prism de surveillance globale des données de la NSA, alias US-984XN.

dimanche 8 septembre 2013

Légère retouche au modèle

Depuis quelques années est apparu un mode de consommation où les biens sont remplacés par des services immatériels. Vous payez un droit d'accès mensuel et ce qui était auparavant un livre, un disque, un objet que vous pouviez donner ou prêter est devenu un droit d'usage non cessible, un usufruit personnel et temporaire.
Si vous cessez un jour le paiement de vos mensualités, si l'entreprise change de politique, de tarifs, de catalogue, ou disparait, vous n'avez plus rien.
C'est le chef d'œuvre des modèles économiques, le mouvement perpétuel, la rente sans fin. C'est ainsi qu'Amazon vend ses livres numériques et Deezer ou Spotify leur musique.
Et le système semble trouver ses clients, ce qui fait des envieux.

En 1987, Thomas Knoll, étudiant à Ann Arbor (Michigan), écrivait un petit programme informatique de création et retouche d'images en noir et blanc. En 1990 il en vendait la licence à la société Adobe, et Apple le distribuait alors sur son ordinateur Macintosh, sous le nom Photoshop.

Aujourd'hui le logiciel est tant prisé pour ses riches fonctionnalités et son interface efficace, notamment pour la retouche photographique, que les écoles d'art graphique ont créé des formations dédiées et que le verbe photoshoper, signifiant retoucher numériquement (participe passé shopped en anglais), est sur le point d'entrer dans les dictionnaires.

Comme le logiciel est vendu très cher, 1000 euros ou 300 la mise à jour, Adobe est très riche. Mais après 20 ans, le logiciel sachant tout faire, il est devenu difficile d'innover assez pour maintenir un niveau de ventes régulières et contenir la concurrence qui s'améliore.

C'est pourquoi Adobe annonçait en mai 2013 que la nouvelle version, la 14ème (CC, pour Creative Cloud), serait disponible uniquement au prix d'une redevance mensuelle de 25 euros (300 par an). Le procédé équivaut, économiquement, à contraindre tous les utilisateurs à acheter la mise à jour annuelle (rarement indispensable), et aussi à bafouer l'acheteur fidèle puisque toute cessation de paiement se soldera par un arrêt immédiat du droit d'utilisation du logiciel.

Depuis lors les noms d'oiseaux les plus délicats ont fleuri sur les sites spécialisés d'Internet à l'encontre du président de la société, et on ne compte plus le nombre de commentaires indignés ou amers.
La campagne de dénigrement a probablement influencé les ventes puisque le brave commerçant vient juste de déclarer que le prix de l'abonnement bas (20$ US, 25€ en Europe) serait bientôt divisé par deux, sous certaines conditions (anciens clients).
Mais ce recul timoré ne fait pour l'instant que susciter des commentaires méfiants ou incrédules. Les utilisateurs ne seront satisfaits qu'au retour d'une version exploitable jusqu'à l'obsolescence, sans avoir à redouter les changements de tarif intempestifs et la menace de la perte instantanée d'un outil de travail.

Certains prédisent le rétablissement de l'ancien modèle avant six mois. C'est à espérer, car si le nouveau réussit à s'imposer tous les éditeurs de logiciels un peu originaux se précipiteront dans cette ouverture.
Photoshoper signifiera alors « pigeonner le client », un sens finalement assez commun et qui figure déjà dans les dictionnaires.

Mise à jour du 14 juillet 2015 : il fallait s'y attendre, le modèle scélérat a tenté Microsoft qui loue maintenant l'ensemble de ses logiciels (Excel, Word, etc) pour 69€ par an, mais n'a pas renoncé à les vendre aussi. Adobe, de son côté, a un peu réculé. La location à 143€ par an est aujourd'hui accessible sans conditions. Rappelons cependant que toutes les fonctions de Photoshop utiles aux retoucheurs photographes sont disponibles dans le logiciel Photoshop Elements vendu (et non loué) moins de 100€.

dimanche 21 avril 2013

Des traces de Fred



Le plus rigoureux journalisme d'investigation, voilà l'objectif éminent que poursuit un blog respectable. Et ce n'est pas dans la relation d'évènements déjà claironnés par l'ensemble de la presse couverte de réclames qu'un blog se distinguera, mais dans l'exposition de faits qu'emportés par la fébrile révolution de la planète personne n'aura remarqués.
Ainsi le reporter de Ce Glob est Plat, de passage dans la capitale, n'a pas hésité à braver les frimas et manipuler son téléphone à tout faire pour prouver, photo à l'appui, que le monde de Frédéric Othon Théodore Aristidès s'insinuait discrètement dans la réalité.

Tout a été dit de Frédéric Othon Théodore Aristidès, appelé couramment Fred, auteur de bandes dessinées, de sa logique de l'absurde, de ses mondes originaux comme celui de Lewis Carroll, de sa vie dépressive. Il est mort le 2 avril dernier.
On pense toujours que l'univers d'un auteur disparait avec lui. Notre illustration démontrera qu'il peut modifier non seulement notre manière de voir la réalité après lui, mais certainement la réalité même.

Comment expliquer sans cela que la Mairie de Paris ait parsemé ses jardins publics (ici le parc André Citroën) d'affichettes priant quelque mystérieux personnage de ne pas enlever des parties d'édifices publics, ici un escalier, là-bas un jet d'eau, plus loin une serre ? Et quelle est cette forme dissimulée au sommet du ballon captif ? Serait-ce le voleur d'édifices publics ?

Les lecteurs plus âgés objecteront que le phénomène s'apparente moins aux facéties du dessinateur Fred qu'aux mémorables méfaits de l'ignoble Furax, qui, au dire de Pierre Dac et Francis Blanche, remplaça voilà plus de 50 ans les grands monuments français par des imitations de carton-pâte.

N'entrons pas dans ce débat d'experts. Le rôle d'un blog est avant tout d'exposer les faits, dussent-ils ne pas coïncider exactement avec la rationalité la plus commune.

lundi 15 novembre 2010

Un Van Gogh sur trois est un Van Gogh

Un Van Gogh sur trois est un Van Gogh. Et encore. Peut-être moins.

Le 21 aout 2010, aux environs de 19h02, la presse sur internet s'effarouchait du vol d'une toile de Van Gogh, découpée au cutter dans le musée Khalil, au Caire, dont elle déplorait unanimement les conditions de sécurité scandaleuses.

Ça démarrait en coup de vent, sur le site leparisien.fr « Vol audacieux en plein jour d'une valeur inestimable... La police a visionné les enregistrements des caméras de surveillance... Un responsable du ministère assure que le tableau a été récupéré dans les bagages de deux italiens à l'aéroport » (1). Affaire rondement menée, grâce à l'habileté et la sagacité des officiers de sécurité déclarait-on sur certains sites anglais.

Quelques heures plus tard arrivaient les premiers démentis, et dans la journée du 22 tous les sites d'informations avaient corrigé leur copie et s'étaient alignés sur la rédaction de l'Agence France Presse (2) : le ministre de la culture, mal renseigné par un haut fonctionnaire désormais en disponibilité, s'était excusé en public. Les deux italiens étaient irréprochables et relâchés, le tableau toujours invisible. Et comme les systèmes de sécurité et d'alarme ne fonctionnaient pas, de nombreuses sanctions allaient tomber. Les responsables du musée avaient pourtant protesté « on attendait des pièces de rechange » (3). Inflexible, le ministre a suspendu à peu près tout le monde, avec interdiction de quitter le territoire égyptien.

Sur les rares sites moins plagiaires, informés par la presse égyptienne, on apprenait du musée, surnommé « Le Petit Orsay », que son système de sécurité était défectueux depuis quatre ans, et qu'on y trouvait Renoir, Monet, Rodin, Gauguin, Degas, Picasso et quelques gardiens alanguis dans l'entrée (Nathalie Niel sur suite101.fr, le 23), que tous devaient prochainement quitter le musée, en prévision de travaux de modernisation, que le vol avait été commis à l'heure de la prière quand les gardiens s'étaient absentés (rfi.fr, le 24), et que plus tard, dans la bousculade des journalistes accourus, une statuette de Cupidon s'était éparpillée sur le carrelage du musée (fluctuat.net, le 25).

Résumons, en écoutant sur le site europe1.fr la communication sonore et émue du fringant Pierre Cornette de Saint Cyr, célèbre commissaire-priseur de la scène parisienne « Découper au cutter un tableau de Van Gogh est un insupportable crime contre l'esprit... La seule issue pour le voleur sera d'exiger une rançon, mais qu'il se méfie, les autorités égyptiennes seront violentes ». Elles le seront, en effet, mais pas pour le voleur.

Le lecteur qui tient à connaitre la fin de cette histoire palpitante sera cependant désappointé. Car aujourd'hui le tableau court encore, mais pas les onze personnes condamnées à trois ans de prison (chacune) pour négligence : le responsable des beaux-arts du Ministère de la Culture, un collègue infortuné, la directrice du musée, son adjoint et sept gardiens. Ils ont naturellement une voie de recours, et pourront être libérés s'ils paient une caution de 10000 Livres, soit un an d'un salaire moyen (4). Nous voilà rassurés, les responsables désignés sont punis et le gouvernement lance précipitamment une vaste campagne de rénovation des sécurités des musées égyptiens. Les mauvais esprits rejetteront la faute sur le médiatique ministre de la culture, qui ne s'intéresse qu'à son image et aux antiquités égyptiennes, mais il faut admettre que pour des peintres impressionnistes et un Picasso, voir passer à peine une dizaine de visiteurs les jours d'affluence n'est pas vraiment stimulant.

Fataliste, Mohamed Salah sur courrierinternational.com constate qu'il ne peut en être autrement, dans une ville ou l'eau et l'électricité sont en permanence défaillantes.


Voilà les nouvelles. Et la belle harmonie de l'information. Notons cependant, par scrupule, une petite dissonance. Car si tout le monde s'entend sur le nom du peintre, c'est la cacophonie sur le sujet du tableau.

Quelques sites irrésolus parlent de « Vase aux fleurs ». Lemonde.fr du 23 le nomme « Coquelicots et marguerites » et affiche un tableau qui représente des branches de genêts et deux coquelicots (image C). Pour Nathalie Niel sur suite101.fr, c'est « Genêts et coquelicots », sans illustration. Le Site gouvernemental égyptien d'information l'appelle « Fleurs de pavot », et la majorité des sites le baptise en chœur « Coquelicots » (qui est un cousin du pavot).

Ils ont donc imploré une illustration auprès de la déesse Google, avec des coquelicots, si possible de Van Gogh. La première réponse fut celle du site commercial AllPosters.com (5), et dès le 22, leparisien.fr, 20minutes.fr, et probablement lexpress.fr et lefigaro.fr (6) illustraient leurs billets avec cette trouvaille (image B). Pas de chance, c'était la mauvaise reproduction d'un très mauvais tableau, attribué du bout des lèvres à Van Gogh par son propriétaire, le Wadsworth museum d'Hartford (USA, Connecticut), et exclu par les Vangoghophiles.

Le pompon revient à ouest-france.fr qui par honnêteté ou incompétence n'a toujours pas changé l'illustration postée le 22 (image A). Elle représente des coquelicots et des marguerites (comme dans le titre attribué par Le Monde) dans un vase au décor floral posé sur une nappe fleurie le tout sur fond de fleurs en tapisserie. Jolie prouesse, mais qui manque peut-être un peu de fleurs. Qui n'a pas dans sa famille une cousine éloignée qui distrait sa solitude en peignant ce genre de choses, à l'aquarelle ?

Finalement quel est le Vrai Gogh ? Les amateurs de peinture s'en doutent un peu, mais en sont-ils certains ? On raconte que ce tableau, déjà volé en 1977, retrouvé l'année suivante au Koweit dans des conditions douteuses et exposé depuis au musée Khalil n'était qu'une copie. Sur trois Van Gogh, il n'y en aurait aucun ?

***

1. Cette rédaction a disparu du site, l'article a été totalement réécrit.
2. On retrouve la même source sur les sites de Libération, Le Monde, Europe 1, TF1, Ouest-France, Figaro, l'Express. Les plus honorables font mention de la date du rectificatif.
3. Si vous trouvez cette histoire drolatique vous aimerez lire le récit similaire qui relatait les vols au musée d'Art Moderne de Paris, il y a quelques mois.
4. Ça ne couvrira pas la perte du tableau, estimé à 50 millions de dollars. Pour cela il aurait fallu incarcérer 35000 personnes aptes à payer la caution.
5. Le filigrane de la marque AllPosters qu'on obtient en agrandissant l'image était visible sur les illustrations des sites d'information. Elles ont été remplacées depuis mais on en trouve encore trace dans les archives de leparisien.fr.
6. On peut aisément déduire que lefigaro.fr a substitué l'image, en lisant les commentaires d'internautes, que le site a oublié d'édulcorer « On est vraiment sûr qu'il est de Van Gogh ? ça a un petit côté couvercle de boîte de chocolats, j'ignorais que Vincent avait peint des mièvreries pareilles... », ou encore « Vous ajoutez à la confusion en publiant la photo d'un tableau qui n'a rien à voir avec celui volé au Caire. Le vôtre est une croute piochée au hasard sur le Net. Ce n'est pas très professionnel tout ça ». Quant à lexpress.fr, le site affiche maintenant une page étrange avec trois photos d'officiels répondant à la presse, dont deux fois la même photo du procureur.


(*) Mise à jour du 24.03.2019 : après mures réflexions et expertises, le tableau vaguement attribué (image B) vient de l'être définitivement à Van Gogh (jusqu'à une prochaine mise en doute).

vendredi 25 juin 2010

Le visiteur à l'état fluide

Voilà. Dorénavant, entrant dans le musée d'Orsay (1) après avoir payé votre droit de visite et acheté une réserve de jetons d'un euro à la caisse idoine (2), vous pénétrez dans une immense galerie réaménagée et méconnaissable, baignée d'une reposante pénombre, ponctuée de petites oasis intermittentes de lumière. Les approchant, vous réalisez que ce sont les tableaux et sculptures du musée, momentanément éclairés par l'obole du visiteur précédent. Un jeton glissé dans une ingénieuse tirelire à minuterie donne droit à deux minutes d'éclairement par objet, comme cela se pratique depuis longtemps dans certaines églises richement dotées. Pour compléter le dispositif, un discret parcours lumineux au sol informe et oriente le touriste.

Florence, église Santa Felicità. Cette déposition de croix de Pontormo (ici un détail) considérée comme un de ses plus beaux tableaux, est enfermée au fond d'une petite chapelle latérale, dans le noir. Un euro versé dans une tirelire à minuterie éclaire la chapelle pour cinq minutes, mais n'ouvre pas les grilles.


Ne vous inquiétez pas, le système n'est encore qu'un projet. Ça n'est pour l'instant que l'ironique suggestion de F. P., professionnel déçu qui s'attriste dans le livre d'or du site du musée. Car une chose est en revanche certaine : les gestionnaires d'Orsay viennent soudainement d'interdire toute photographie à l'intérieur du musée, œuvres et architecture du site, sous le prétexte facilement réfutable de la fluidité du visiteur.

On ne reviendra pas sur l'illégalité du procédé, elle a largement été démontrée en 2005 lors de l'affaire de l'article 33 du règlement de visite du Louvre, où l'autorisation de photographier est encore aujourd'hui dans une situation incertaine. La photographie y est interdite mais tolérée, dans l'attente peut-être d'un incident qui justifierait alors l'application stricte du règlement.

Comme le ressent N.D. de B., un des nombreux scandalisés qui se soulagent sur le livre d'or, ne pas autoriser la photographie dans un musée, c'est comme demander au visiteur d'effacer ses souvenirs en sortant. Cette nouvelle manifestation de la longue série des petits abus de pouvoir et des détournements du bien public ne mérite que le mépris et évidemment l'irrespect.

Actualité du 05.12.2010 : Didier Rykner (La Tribune de l'Art) couvre une périlleuse manifestation pacifique dans le musée d'Orsay (15 participants) organisée avec le soutien de LouvrePourTous.fr, en protestation contre l'interdiction de photographier.
Six mois après sa publication au Journal Officiel le 22.06.2010 sous le numéro 81937, la question écrite au ministre de la Culture n'a toujours pas de réponse.
Actualité du 15.03.2011 : Le Sinistre de la culture vient de répondre à la question écrite 81937. On en parle ici, hélas !


***
(1) Célèbre établissement public parisien présentant des œuvres principalement françaises créées entre 1848 et 1914.
(2) Le maximum autorisé par visiteur est de 50 jetons, surnommés «photons» par le personnel du musée.

dimanche 6 juin 2010

Chapardage au musée d'art moderne

Celui qui visite un musée entre dans une sorte de grenier dont les propriétaires ont disparu. On y montre avec mille coquetteries des objets leur ayant appartenu, qu'on agrémente d'étiquettes surannées pour se rappeler leurs noms. Les gardiens des lieux, inanimés, s'y ennuient comme dans les tableaux de Paul Delvaux.
Les musées ne retracent jamais que le passé, c'est leur raison d'être. Leur désuétude palpable, à peine camouflée par l'odeur de cire fraiche des boiseries, est justement la condition nécessaire au fonctionnement du rituel que s'invente chaque visiteur, à la persistance du passé. Tous les musées devraient être vétustes, démodés, mal équipés, un peu poussiéreux et habités de fantômes neurasthéniques. Ils le sont souvent.

Il est donc logique que se produisent de temps en temps des chapardages comme ce vol récent de quatre tableaux, dont un Picasso, au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Leur caractère spectaculaire est exagéré volontiers, car tout le monde profite de l'opération. Dans la presse, les œuvres volées sont surévaluées et leur cote multipliée par 5 ou 10, quand elles ne sont pas attribuées à un maitre alors qu'elles étaient, avant le larcin, tout juste qualifiées de copies ou «de l'école de...». Les journaux, intrépides, dénoncent le scandale. Le service chargé de la surveillance exhume alors un rapport d'audit jauni qui pointe avec précision, dans une note de bas de page d'une annexe, un dangereux manque de personnel qualifié et de moyens technologiques appropriés. Tout le monde est absous. Le responsable sera l'électeur qui change si souvent d'avis et aura choisi l'autre couleur politique, créant ainsi une discontinuité fatale à une saine administration du patrimoine.

Le musée Correr, Piazza San Marco à Venise, trois globes (encore) et un lustre.
Pourtant les vols d'œuvres d'art ne sont pas si fréquents, parce qu'ils ne sont pas rentables. Connues et documentées, elles sont invendables et réapparaissent généralement après quelques années d'occultation. Les rançons sont rarement payées, ou alors très discrètement. Bien sûr certaines œuvres ne reparaissent jamais, mais elles représentent peu en regard des milliers anéanties par les guerres et pillées par les armées et les trafiquants. Les grands musées débordent encore des razzias du passé. Sur 15000 pièces volées (et beaucoup plus de détruites) dans le musée de Bagdad en 2003 sous les yeux de l'armée américaine indifférente, 6000 seulement ont été restituées.

Face au saccage des vestiges de l'antique Mésopotamie, première civilisation de l'écriture, et après l'incendie de la bibliothèque de Bagdad, la disparition d'une œuvre de Picasso fait un peu figure de «chien écrasé». Il en restera encore près de 23000 dans les musées et collections du monde entier, et non des moindres, comme ce pathétique hommage à Joseph Staline, dessiné au lendemain de la mort du héros soviétique, inventeur du bonheur des peuples, plus lumineux que le soleil, plus haut que les espaces célestes, le 5 mars 1953.