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lundi 16 juin 2025

Et le triptyque de Moulins, dans tout ça ?

La sacristie, sur le flanc nord de la cathédrale de Moulins, point de départ et destination finale du périple du triptyque.
Comme on le lira plus loin, il faudra encore quelques mois de patience avant d’espérer voir des reproductions correctes du tableau de Jean Hey, et comprendre peut-être enfin pourquoi Ce Blog parle tant de ces trois malheureux bouts de bois. En attendant remémorons-nous la manière du peintre avec cette belle reproduction d'une Annonciation conservée à Chicago par l’Art Institute.
 
 

On ne lit pas assez le journalisme de préfecture, les quotidiens régionaux. On soupçonne qu’il ne s’y passe que des débuts d’incendie, des refus de priorité, parfois un ministre qui inaugure une charcuterie. C’est vrai, mais c’est aussi dans La Montagne de Clermont-Ferrand qu’ont été publiées, chaque mardi pendant plus de 18 ans, près de 900 chroniques du plus savoureux des écrivains du siècle dernier, Alexandre Vialatte.

Et c’est justement ce même quotidien régional, dans l’édition de Moulins, qui rappelle régulièrement à ses abonnés qu’il n’a pas oublié ce jour glacial, sans doute, de novembre 2022, quand les plus hautes autorités culturelles du pays emportèrent, vers la capitale et vers un futur hasardeux, la merveille de la ville, les trois fragiles panneaux peints du triptyque du Maitre de Moulins, dans un fourgon blindé.  


Les amateurs de drame historique peuvent reconstituer cette épopée en lisant dans l’ordre les chroniques de Ce Blog consacrées au tableau (2300 mots, 15 minutes de lecture) :

2015, octobre : une lamentation (Le maitre de Moulins) 

2021, janvier : des inquiétudes (Inactualité du triptyque de Moulins)

2022, juin : l’enlèvement (Moulins encore)

2025, juin : les atermoiements (la présente chronique)


Sans oublier les articles du quotidien La Montagne (édition de Moulins), parfois en accès libre, qui veille sur son patrimoine en marquant le triptyque à la culotte :  

2022, 3 novembre : départ de Moulins et agenda de restauration du tableau (réservé aux abonnés)

2023, 20 février : arrivée à Paris, la radiographie (réservé aux abonnés)

2024, 9 juin : un article bien illustré en accès libre, rappelle aux auvergnats inquiets pourquoi le tableau est aujourd'hui au Louvre et remplacé à Moulins par un facsimilé.

2024, 12 juin : en complément, un copieux diaporama en accès libre d’une visite à l’atelier de restauration du Louvre. Un vrai travail de touriste amateur, 76 photos, en réalité toujours à peu près la même, mais au moins un témoignage probant pris sur le vif.

2025, 18 mars : la restauration est bientôt terminée. Reste le halo qui entoure la Vierge qu'on hésite à décaper. L’agenda du triptyque se précise (réservé aux abonnés)


Notons que le 21 mars 2025, la direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes (DRAC), ne voulant pas être en reste, mettait en ligne un dossier sur la restauration, en 8 parties décousues (voir le sommaire à gauche) et finalement assez creuses. 


L’agenda des prochaines années


Wikipedia croit La Croix, quotidien catholique, et relaie que le triptyque sera exposé cet été au Louvre ; l’été sera là dans quelques jours ; rien n’est annoncé au Louvre. Le propre de la croyance est de ne surtout pas vouloir vérifier ce qu’on vous affirme.


De son côté La Montagne, fidèle gardienne du triptyque, annonce qu’avant son retour dans le futur écrin sécurisé de la sacristie en hiver 2027-2028 (!), la merveille sera exposée au Louvre en hiver 2025-2026, puis à Bourg-en-Bresse et enfin au musée de Moulins. Cette dernière exposition, durant un an à 100 mètres seulement de la cathédrale où elle devrait reposer pour l’éternité prochaine, étonne.


Tout s’éclaircit avec la révélation de RCF (Radio Chrétienne Francophone), plus affirmative, dans un article du 20 décembre 2024 (oui, 3 mois avant l’article de La Montagne, mais Ce Blog va rarement chercher des informations concrètes dans ces sphères qu’illumine plutôt l’esprit saint réservé aux abonnés). Elle y affirme, sans nommer la source de sa révélation, que la suite vient d’être dévoilée, et que le triptyque sera exposé :


fin 2025 jusqu'au printemps 2026, au Louvre de Paris

de l'automne 2026 à début 2027, au monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse

 de début 2027 à début 2028, au musée des beaux-arts Anne de Beaujeu de Moulins (début 2028 est l'estimation de fin des travaux de réalisation de l’écrin d’exposition dans la sacristie et des aménagements techniques dans la cathédrale, qui devraient commencer en 2026).


Ainsi, il reste encore des étapes, sensibles aux aléas économiques et politiques, avant le retour de la merveille. Mais on peut se fier aux Auvergnats, La Montagne ne lâchera pas l’affaire. 

Rappelons toutefois, pour prévenir toute désillusion, que la cathédrale de Moulins est l’une des 87 dont l’État est propriétaire, mobilier et trésor compris, qu’il en finance les travaux, et qu’à ce titre il peut faire ce qu’il veut du triptyque et pourrait même ne laisser à Moulins qu’une photocopie couleur. 


***

Mise à jour du 27.08.2025 : Un discret entrefilet dans le magazine BeauxArts fait état sans plus de précision d'une exposition Hey au Louvre du 26.11.2025 au 04.03.2026


jeudi 15 mai 2025

Célébrons un bicentenaire (2 de 2)

La Vierge et l'Enfant avec les saints Louis et Marguerite (peintre inconnu néerlandais ou français)
Constituée de 31 mégapixels (pour 15 mégaoctets), l’image peut demander quelques secondes de chargement. Le panneau original est large de 106 cm, la reproduction fait 163 cm, donc affichez l’image à 65% pour visualiser le panneau dans ses dimensions réelles.


Tout ce que nous pensions découvrir sur les célébrations du bicentenaire de la National Gallery de Londres grâce à la tenace perspicacité des médias (on comprend qu’ils demandent une cotisation pour ça) était en réalité décrit en détail, mot pour mot, et directement accessible sur le site du musée, sous un petit lien perdu en bas de page, parmi les communiqués de presse. 

Pareillement, nous avions apprécié la discrétion du musée sur l’invité(e) tiré(e) au sort qui passerait la nuit dans le musée et ferait gratuitement la publicité de la literie des magasins Marks & Spencer et des croissants du chef étoilé. Eh bien un autre communiqué de presse nous décrivait déjà sa biographie : conférencière, gérante d'associations caritatives et surtout artiste, mère et grand-mère de 10 enfants, élue parmi 22 000 admissibles et souriante (photo à l’appui).   
Les images de son réveil au cœur du musée couverte de miettes de croissant dans son lit fastueux de marque M&S ne sont pas encore publiques. Espérons qu’on lui aura fourni un peigne et une brosse à dents avant la conférence de presse du soir.

Quasi seule dans la nouvelle salle 54 du musée, la bienheureuse aura tout de même rencontré la Vierge, avec l’Enfant et les saints, Louis, roi de France, et Marguerite, sur ce panneau étrange, anonyme, ayant appartenu à une famille anglaise du Dorset, convoité depuis des décennies par la National Gallery, négocié en vente privée début 2025 par Sotheby’s au prix spécial, insiste le musée, de 22 millions de dollars (après conversion), et décrit dans un autre communiqué de presse

Aucune expertise n’a jusqu’à présent réussi à l’attribuer à un peintre connu. Il faut dire qu’il n’a pas été exposé depuis 65 ans et qu’il est pour la première fois publié en couleurs. Documenté dès 1602 à Gand, en Belgique, il est peint à l’huile sur des planches d’un chêne de la Baltique abattu en 1483. Les spécialistes le datent entre 1500 et 1510 et lui trouvent des ressemblances de style avec Jan Gossaert (Mabuse) et Jean Hey (Maitre de Moulins). On pourrait leur objecter qu’aucun des deux n’a jamais succombé, comme ce peintre anonyme le fait ici sur les visages de la sainte, de l’ange à droite et surtout de l’Enfant, à la difficulté qu’éprouvent même de bons dessinateurs à placer correctement et aligner les yeux sur des visages vus de trois-quarts. 
Erreurs de dessin qui s'effacent devant les qualités de rendu et de présence des matières, la bizarrerie singulière, voire unique, et humoristique de l’iconographie, et l’atmosphère étrange pour une scène religieuse. 

Quelques excentricités notables

✵  l’Enfant torture un chardonneret, 
✵  le trône de la Vierge repose sur des planches brutes clouées,
✵  la posture douloureuse du dragon bavant, et ses oreilles en forme de nageoires, 
✵  l’ange de gauche joue de la guimbarde (instrument qui produit le son d’un ressort métallique quand il se détend), 
✵  toutes les figurines sculptées sur les chapiteaux des pilastres et jusqu’au sceptre du roi sont nues, parfois dans des attitudes curieuses, comme celles qui s’enlacent aux pieds d'un singe, ou cette autre, un angelot peut-être, qui exhibe un anus ostentatoire.

dimanche 5 juin 2022

Moulins encore

Cathédrale de Moulins (Allier), dans une chapelle latérale, une belle déploration se résigne au départ vers l'inconnu du triptyque de la Vierge en gloire.

Rappelez-vous en 2015, nous présentions ici le triste sort d’un chef-d’œuvre absolu (cette expression n’a aucun sens, c’est entendu), ses pitoyables conditions de visite et de conservation, les risques de cambriolage avec effraction, et même sans effraction par une de ces opérations classiques de détournement de longue durée comme le pratiquent parfois certaines autorités culturelles. Il s’agissait du triptyque de Moulins, peint par Jean Hey vers 1500.

Rappelez-vous en 2020, l’actualité culturelle stagnait, rien ne bougeait à Moulins, pas même une tentative de vol d’un panneau du triptyque, sauf un frémissement du côté des instances culturelles. Le quotidien La Montagne avait évoqué en 2018 un projet très ancien de mise en valeur du tableau, et ce projet renaissait vaguement. On mit cela sur le compte du désœuvrement dû au confinement. Mais un œil soupçonneux pouvait s’alarmer à la lecture des expressions "mise en valeur, estimations, millions d’euros, bouleversement, geste moderne, vulgarisation du triptyque (sic)".

Eh bien ça y est, le compte à rebours infernal est déclenché. De 2022 à 2024 - extrapolation optimiste systématique sans quoi rien ne se conclurait - la Vierge en gloire de Moulins et son créateur Jean Hey vont connaitre une apothéose, leur Eurovision.
Fin octobre 2022, après une exposition dans la cathédrale et des adieux ecclésiastiques en fanfare, les agents de l’État emporteront ces trois planches, dont deux sont peintes recto verso, et qui deviendront alors l'objet de tous les aléas.

Tout le gratin de l’art officiel est dans le coup : la DRAC (direction régionale affaires culturelles), le C2MRF (Centre de restauration au Louvre - peut-être à Versailles), le Centre des Monuments Nationaux, les architectes des Monuments Historiques, un comité scientifique (comprenant notamment l’évêque et le recteur de la cathédrale !), le musée du Louvre (ça alors !) et le préfet de l’Allier (?). 

Pour le triptyque, la solution choisie semble être le nettoyage grand luxe, toutes options, avec lustrage à la cire et peau de chamois. On parle de restauration fondamentale, alors que la couche de peinture parait en très bon état. En la matière on peut s’attendre à toutes les vanités, l'erreur la plus fréquente étant le décapage excessif des vernis avec disparition des glacis et des effets de volume (comme lors du ravalement des fresques de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine à Rome dans les années 1980, ou le lessivage en public du portrait de jeune fille à la perle de Vermeer à La Haye en 1994).

Côté sacristie, on parle de rénovation, d’en faire un écrin sécurisé avec mise en accessibilité entrainant la restauration de certaines façades de la cathédrale. Tout cela fleure le désistement des aménagements et de l'exploitation du site au profit de sociétés privées, façon Culturespaces (c’est à dire GdF ou Engie), la calamité des gestionnaires de lieux et évènements artistiques.

Et comme on présage que la durée des travaux sur le bâtiment sera plus longue que le bichonnage du triptyque, et que ça serait bête de l’avoir sous la main tout ripoliné près du Louvre sans en profiter, on évoque justement une exposition-dossier dans le plus grand musée de l’Univers.

Et c’est à ce moment de l’histoire que le lectorat déprimé de Ce Glob réalise qu’il devra reporter de quelques années le plus sombre de ses projets, car le musée, s’il est rétif à toute générosité avec le bien public, sera tout de même obligé de promouvoir l’évènement en laissant échapper quelques belles reproductions du triptyque restauré, et de l'exposer enfin dans des conditions satisfaisantes. 

Rendez-vous donc à Paris en 2024… Allez, disons 2025... Soyons réaliste, 2026 ou 2027.

jeudi 21 janvier 2021

Inactualité du triptyque de Moulins

Le Coronavirus, organisme dérisoire d’à peine un dix-millième de millimètre, s’est invité durablement dans l’espèce humaine. Effrayée, elle a jugé vital de cesser toute activité culturelle, excepté la diffusion audiovisuelle de niaiseries fabriquées en série.
On ne sait pas encore si les vaccins concoctés avec empressement arrêteront la contagion, mais les musées, qui ont subi en 2020 une perte de 75% des visiteurs, sont vraisemblablement partis pour une année 2021 équivalente, au dire des experts de l’Organisation mondiale de la santé
Alors un blog qui se vante de divaguer autour des évènements culturels se trouve malgré tout fort dépourvu quand ces évènements n'existent plus.
 
Revenons donc aux choses inactuelles. 
 
Voilà plus de 5 ans, Ce Glob pleurait les misérables conditions d'exposition du magnifique triptyque logé dans la sacristie de la cathédrale de Moulins, peint vers 1500 par celui qu’on nomme le Maitre de Moulins, venu de Flandres, et dont l’identité généralement acceptée serait Jean Hey. Pour mémoire cette lamentation se trouve là.
En 5 ans, cette triste situation aura-t-elle évolué ? A-t-on maintenant des reproductions acceptables de cette Vierge entourée d’anges et de donateurs ? La sacristie aura-t-elle été cambriolée ?

Répondons sans hésiter : non, non et non !
  
Le triptyque bigarré du maitre de Moulins dans une de ses meilleures (hélas) reproductions sur internet, sur le site de la paroisse Notre-Dame-du-Bourbonnais. Ils ont sans doute un peu forcé sur les couleurs, notamment les rouges, comme s'ils avaient passé les panneaux dans une station de lavage automobile en cochant toutes les options, shampoing haute pression et lustrage à la cire.

On a bien frémi en lisant dans La Montagne du 29 janvier 2018 que le triptyque, alors dans un « lieu vieillot, sombre et mal aéré », faisait l’objet d’un projet de « mise en valeur » déjà très ancien (mais très compliqué) qui devait se concrétiser dans l’année même, suite à des réflexions, des rencontres et même des réunions !
Il était estimé entre 300 000 euros, en faisant le minimum - améliorer et sécuriser l’accès, et rafraichir le triptyque - et 2 millions si on bouleversait les lieux dans un geste moderne de « vulgarisation du triptyque » avec audioguides. Tout cela était prometteur.

Ensuite il ne s'est rien passé.

En juillet 2020, on constatait, dans un documentaire de promotion touristique de l’Allier, de Moulins et des galettes de pomme de terre, que les conditions de visite ne s'étaient pas améliorées.
En aout 2020, sur le réseau Twitter, on remarquait qu’entre deux périodes de confinement un amateur, qui avait bravé le virus pour aller admirer le triptyque, en était encore réduit à photographier des cartes postales pour prouver son audace aux amis restés cloitrés.

Quant aux images sur internet, la plupart des rares œuvres du maitre de Moulins se trouvant en France, au Louvre et au musée d’Autun, les reproductions en sont toujours lamentables.

On essaiera de se consoler en guettant furtivement de beaux mais frustrants détails du triptyque dans la vidéo promotionnelle moulinoise, à partir de la 3ème minute et pendant 90 secondes (n’oubliez pas de la paramétrer en qualité « 1080p HD »), et en visitant les sites internet des musées de New York et de Chicago qui exposent respectivement un et trois tableaux du maitre, et qui les proposent naturellement en haute définition et libres de droits.  

Enfin, à propos d'un plausible cambriolage, on notera que la sacristie de la cathédrale de Moulins présente des points communs avec les lieux mal sécurisés qui furent le théâtre des récents larcins des Frans Hals, Van Gogh, Salvator Rosa et quelques autres, mais que le format malaisément transportable des panneaux du triptyque le protège encore un peu.
 

samedi 10 novembre 2018

La refonte de l'Artic

Monet, Matinée brumeuse sur un bras de la Seine à Giverny, 
d'une série de 18 toiles, en 1897
Collection Art Institute of Chicago.

Le voyageur immobile qui frissonne en s’aventurant dans le labyrinthe des sites des grands musées, mais qui y passe tant d’heures que sa vie sociale menace ruine, ne pourra pas nous reprocher la chronique d’aujourd’hui.
Il s’agit pourtant d’un très grand musée, l’Art Institute de Chicago (https://www.artic.edu/), l’un des plus riches des musées américains, qui présente fièrement son site complètement refondu, et se vante de 52 438 images téléchargeables en très bonne qualité et libres de droits, et de son nouvel outil de recherche d’une grande précision, armé de filtres ingénieux.

Voyons cela. Faisons honneur au musée en allant flâner dans les collections d’art américain. Le bouton « Show filters » affiche à gauche les catégories qui filtreront la recherche parmi plus de 100 000 objets catalogués.
Le critère « Départements du musée » semble le plus pertinent. Mais l’appui sur le bouton d’un critère n’affiche pas la liste complète des éléments disponibles mais une zone de recherche où il faut saisir une expression, en anglais.
Soit. Entrons le mot « American », et cochons l’élément « American art » qui apparait alors et réduit la requête à 2604 objets. Une première page de 50 vignettes s’affiche automatiquement après quelques secondes, qui deviendront vite énervantes dans les recherches à plusieurs critères, car au moindre clic sur la page elles empêchent toute autre fonction. Patientons.

Promenons-nous enfin parmi les vignettes de l’art américain. Ici commencent les vrais problèmes d’ergonomie, car le site ne sait pas paginer correctement les résultats d’une recherche. Or notre exploration promet 53 pages de vignettes (2604 divisés par 50). Ainsi pour voir les dernières images de la catégorie « Art américain » on devra appuyer 52 fois sur le bouton « Load more » (en afficher plus), et attendre 5 à 10 secondes entre chaque appui pour afficher, à chaque fois, la page suivante additionnée de toutes les précédentes. La 53ème page, très longue, comprendra donc, si le navigateur n’a pas rendu l’âme entre-temps, l’ensemble des 2604 vignettes. L’opération complète demandera 15 à 20 minutes.

Quatre conseils et informations pour ne pas en arriver à une geste définitif :

• Si pendant une longue requête, une vignette attire votre attention, n’oubliez pas de « l’ouvrir dans un nouvel onglet », sans quoi, en voulant retourner à la page précédente, vous seriez condamné à reprendre le chargement à partir d’une page choisie semble-t-il aléatoirement.

• Ne demandez pas le classement des résultats de recherche par nom d’artiste, c'est inutile. Les tris par artiste se font à l’absurde façon anglo-saxonne, dans l’ordre alphabétique des prénoms !

• Si vous utilisez la fonction de recherche globale sans l’emploi des filtres, et souhaitez par exemple savoir si le musée héberge des œuvres d’Henri Taurel, le site vous proposera, parmi d'autres objets approximatifs, tous ceux qui figurent des tortues. Parce que Tortue en anglais s’écrit Turtle et que l’Art Institute considère qu’emporté par l’émotion et ébloui par la sublimité de son ergonomie vous avez raté la moitié des touches de votre clavier en entrant votre requête. Alors il vous a obligeamment corrigé, ce qui ravira peut-être un dadaïste dilettante ou un oulipien à la retraite.

• Enfin ne vous attendez pas à trouver là de bonnes reproductions des œuvres dont l’auteur n’est pas entièrement décomposé. Une conception extensive du droit d’auteur y est résolument respectée. Grant Wood par exemple, qui est dans le domaine public en Europe depuis 2013, ne l’est pas aux États-Unis. Toutes ses gravures sont reproduites au format d’une carte postale, et seul le fameux tableau « American Gothic » peut être agrandi et détaillé (mais pas téléchargé). C’est parce qu’il est devenu, comme « Le monde de Christina » d’Andrew Wyeth, une icône de l’Amérique courageuse et prospère, et qu’il eut été humiliant de présenter l’une des « Joconde » du musée aux dimensions d’un timbre poste.

On l’aura compris, le site de l’Art Institute de Chicago n’est pas fait pour le badaud ingénu qui pense qu’internet lui fera découvrir le monde mieux que le journal télévisé. Il est fait pour un homo sapiens moderne, instruit et efficace. On le visite quand on sait très précisément ce que l’on cherche. Et si possible en anglais. Sans quoi l'exploration s’embourbe inéluctablement, comme dans l’escalade d’une dune de mélasse dont le sommet s’éloignerait à chaque pas.

***
Il y a pourtant de belles choses dans cette collection. Ci-dessous quelques détails de portraits par Berthe Morisot, Velazquez, Jean Hey, Thomas Sully, de paysages par Carl Blechen, P.J. Volaire, Magritte, M.J. Heade, et de diverses choses par Thomas Fearnley, Fussli, Dalí, et J.J. Lefebvre.
Vous y verrez aussi, sans aucun ordre évidemment, Hopper, Caillebotte, Sanchez Cotan, Homer, Turner, Van Ruisdael, Fantin-Latour, Cambiaso, Boudin, Aert de Gelder, Goya, Canaletto, Rembrandt, Sargent, Utamaro, Dalí encore

Pour le reste, bon courage !


samedi 10 octobre 2015

Le Maitre de Moulins

Jean Hey ou Hay (alias le Maitre de Moulins) : trois anges du panneau central du triptyque de la Vierge de l'apocalypse, vers 1500. On ne trouve pas de bonne reproduction du triptyque sur internet.


Il ne fait pas de doute que si le triptyque de Jean Hey, la Vierge de l'Apocalypse, était exposé au Louvre de Paris, sur un mur normalement fréquenté et sous une honnête lumière zénithale, il éclipserait rapidement les plus grands chefs-d'œuvre du musée.
On viendrait des antipodes admirer ses fines nuances colorées, la suavité de ses volumes, la grâce naturelle des visages, notamment des douze anges du panneau central, douze fois le même modèle, qui mime avec application les poses et les sentiments demandés par le peintre sans parvenir à vraiment masquer, à l'égard de la scène qu'il simule, son orgueilleuse indifférence.

Mais en réalité le triptyque est conservé depuis cinq cents ans dans la cathédrale de Moulins-sur-Allier, en Auvergne, aujourd'hui rassemblé dans la Chapelle des évêques, sur le flanc nord.

Un guide obligatoire muni d'antiques clefs vous conduit dans la salle d'exposition, derrière une vieille porte sonore.
Sur le mur de gauche, deux répliques en grandeur réelle reproduisent le revers des deux panneaux latéraux du triptyque, peints en grisaille, et que des précautions de conservation empêchent de manipuler. Ce sont des photographies fantomatiques délavées par les années.
Et à droite, sur une estrade élevée de quelques marches trône le triptyque, le trésor de la ville de Moulins, cinq mètres au-delà d’un cordon infranchissable.

N'imaginez pas que vous pouvez alors contempler sereinement le joyau de Jean Hey. Car une malédiction poursuit les plus beaux chefs-d'œuvre de la peinture conservés dans les édifices religieux, l'ignorance (et peut-être l'économie). On croit qu'il est plus convenable de les exposer dans la pénombre, alors qu'en vérité la peinture à l'huile jaunit dans l'obscurité et revit à la lumière indirecte du jour.
L'amateur qui a visité dans la cathédrale Saint Bavon de Gand le polyptyque de l'Agneau mystique de Van Eyck, avant qu'il soit démembré et lessivé dans la longue phase de restauration actuelle, se rappellera la déception d'avoir peiné à distinguer quelques vagues formes dans l'ombre, alors que le peintre s'est ingénié à couvrir chaque centimètre carré de son immense œuvre de détails d'une merveilleuse perfection naturaliste, peints pour être admirés.

Le triptyque de Moulins subit la même punition. L'éclairage est déficient, la distance trop respectueuse, la récitation du guide sans répit et l'exhibition minutée.
On devra donc le vénérer plutôt que le contempler.
Le photographier est également interdit. L'ordre en viendrait de Paris. On peut excuser le mensonge, parce que les conditions de prise de vue seraient de toute manière trop difficiles, et qu'il faut bien additionner quelques ventes de cartes postales aux maigres recettes des billets d'entrée, pour payer la femme de ménage qui l'époussète de temps en temps.

Le sort du triptyque ne serait d'ailleurs pas meilleur s'il était hébergé à quelques pas de la cathédrale, dans le Musée des beaux-arts Anne de Beaujeu, car la collection de peintures, exclusivement du 19ème siècle, y est entassée comme dans un cabinet des siècles passés, en couches successives jusqu'au plafond, et dans une obscurité presque complète.

Cependant la renommée de l'œuvre est maintenant planétaire et il ne serait pas étonnant que quelque édile en quête de visibilité électorale fomente un jour un plan machiavélique pour soustraire le joyau aux griffes du clergé moulinois.
Le rêve d'un triptyque baigné de lumière sur les cimaises d'un grand musée régional, voire du Louvre, se réaliserait alors.

Et puis, après quelques années, sa trop grande notoriété obligerait les conservateurs à le confiner, comme la Joconde, dans une cage de verre blindé à l'abri des touristes fanatisés, cinq mètres au-delà d'un cordon infranchissable.
 

Charles Guilloux, lever de lune sur un canal, détail, vers 1900 
Moulins, musée Anne de Beaujeu.